Les mots de la Crown firent mouche sur le jeune homme. Lui qui semblait jusque là réticent sembla prendre conscience de la gravité de son acte, mais également des possibilités qui étaient siennes pour réparer son erreur tout en trouvant une issue juste à ses problèmes. Il n'était peut-être pas trop tard. Heziel accompagna les dires de la demoiselle d'un sourire rassurant, quoiqu'un peu triste, afin de mettre le jeune homme en confiance. Ziggy observa les deux aventuriers à tour de rôle, incertain de où commencer. Il tritura ses doigts quelques instants, observant l'escargophone. Finalement, il prit son courage à deux mains et tenta de gagner en assurance avant de reprendre la parole.

- ... d'accord. Je vais vous le dire.

- On t'écoute.

Le jeune rouquin prit une profonde inspiration, tout en pointant du doigt le Den Den Mushi qui reposait contre le sol, endormi.

- Je devais le recontacter avec ça. Il m'a dit qu'il s'appelait Monsieur Zapati. C'est un infirme qui vit sur l'île, mais je ne sais pas où : je ne l'ai vu qu'une fois, et c'était en public. Il m'a dit qu'il pouvait me donner un moyen de me venger du cirque... car lui aussi a souffert d'un accident alors qu'il faisait un numéro.

Heziel resta songeur suite à ces quelques informations. Ainsi, un adulte semblait avoir profité de la détresse du jeune Ziggy pour trouver une main facilement manipulable, à laquelle il lui suffirait de donner l'arme du crime et une cible. Il avait sans doute donné toutes les instructions au garçon qui, dans la panique suite à la réalisation de cet acte terroriste, avait laissé des traces dans son sillage. Néanmoins, il devait l'avoir jouée fine : la langue du gamin était facile à délier, aussi devait-il s'assurer que la psyché fragile de son complice fasse le reste pour lui. Au moins le temps de mettre les voiles. Les dires de l'artificier confirmèrent son hypothèse.

- Il m'a dit que le choix était mien. Que je pouvais changer les choses. Mais maintenant, je vois que c'était une erreur... il s'est servi de moi, pas vrai ?

Le Coffe hocha de la tête avec un air consterné. Le choix était sien... une manière de lui mettre tous les remords sur le dos. Il aurait gardé ses lèvres scellées en cas de capture par les autorités, au moins assez longtemps pour permettre au vrai commanditaire de prendre la poudre d'escampette. Visiblement, le jeune homme commençait à comprendre sa situation.

- C'est très certainement le cas. Peux-tu nous mener à lui ?

À nouveau, Ziggy respira lourdement avant de se saisir de l'escargophone qui trainait là. Il observa la chasseuse de prime et le forban, comme si il cherchait une sorte d'approbation, dubitatif de la marche à suivre. Heziel acquiesça : c'était le meilleur moyen de trouver le coupable. Si il pensait le garçon hors de danger, il n'hésiterait sans doute pas à le voir en personne afin de le récompenser... ou de l'éliminer. Dans les deux cas, cela ouvrirait la voie au duo pour le coincer rapidement et proprement, sans faire de vagues : il ne resterait plus qu'à le livrer aux autorités. Enfin, il laisserait la demoiselle se charger de cela : il n'était pas certain de sa situation avec la justice, mais pour sa part, il n'était pas en bon termes avec les forces de l'ordre. Lentement, l'adulescent décrocha le combiné et composa un numéro. Une voix grave répondit, de l'autre côté du fil.

- Ziggy. J'ai vu ce qu'il s'est passé. Tu as accompli ce que tu pensais nécessaire ?

Dans un premier temps tétanisé, le garçon n'osa pas répondre et nourrir son interlocuteur avec des mensonges. Le Coffe lui fit signe de continuer. Il devait absolument obtenir un rendez-vous, et ça passait aussi par une certaine crédibilité.

- Je... oui, c'est fait. Peut-on se voir ?

- Tu sembles troublé. Que se passe-t-il ?

Le rouquin garda le silence un instant, et Hez' pensa bien que tout allait tomber à l'eau. Néanmoins, ils ne pouvaient pas faire de bruit : ils auraient immédiatement été entendus par le fameux Monsieur Zapati, et le plan serait tombé  à l'eau du pareil au même. Néanmoins, Ziggy fit preuve d'une certaine capacité d'adaptation.

- C'est... cet incendie, cette panique... je suis encore abasourdi. Alors ?

- ... Je vois. Retrouve moi au nord de la ville, près de l'ancienne banque. Je t'attendrai là-bas. Ne sois pas troublé : tu as fait ce qu'il fallait, je t'assure. Surtout, fais attention à ne pas être suivi.

- Compris.

Le roux raccrocha, avant de se tourner vers le duo, dans l'expectative.

- Vous avez votre réponse. Allons-y.

C'est Quoi ce Cirque ?

La traque était lancée. Heziel frappa son poing droit dans sa paume gauche en regardant un point que lui seul voyait dans le décor. Ce charlatan en avait trop fait... mettre en danger des innocents, quelques furent ses motifs, était la chose la plus détestable possible. Mais ce n'était pas tout : il avait utilisé le jeune homme comme un outil de destruction, une enveloppe vide qui prendrait le blâme à sa place. Il avait changé la tristesse de l'adulescent en un brasier terrible, qui l'avait poussé à commettre ces actes barbares. Ziggy était fautif, certes : il avait succombé à ces pulsions, qu'il aurait du savoir combattre. Mais il était jeune et inexpérimenté... qui pouvait réellement lui jeter la pierre, dans le fond ? Privé de ses repères, il était devenu un canon sans maître facile à rediriger.

- C'est quelqu'un d'intelligent... faites attention...

Une note d'angoisse s'extirpa de ces propos glaçants. Le brun aurait bien voulu débouler comme un bulldozer face à cet enfoiré de Zapati afin de lui faire un ravalement de façade personnalisé, mais l'heure n'était pas aux poings et aux méthodes musclées. Il avait d'ailleurs encore mal par endroits... sa petite dance avec les explosifs, un peu plus tôt, n'avait pas été très agréable. Il acquiesça sèchement avant de reprendre.

- On te suit, gamin. On va se faire discrets.

Se tournant vers la demoiselle, il continua.

- Ton idée n'est pas mauvaise. Je te suis. On se séparera une fois sur les lieux.

Bien entendu, il restait ouvert aux propositions stratégiques de la chasseuse de prime. Néanmoins, cela lui semblait être la façon la plus efficace de surprendre leur adversaire : une fois sur les lieux, ils pourraient bloquer les issues et le forcer à se rendre. En espérant qu'il n'ait pas préparé une petite surprise pour eux... cette idée rembrunit le Coffe qui n'aimait pas ce genre de jeu du chat et de la souris. Il préférait de loin la confrontation directe et sans entourloupe. Néanmoins, le monde était bien plus mesquin, cruel et avare en gentillesse qu'il ne l'aurait souhaité.

- On ferait bien d'être sur nos gardes. Rien ne nous assure qu'il n'a pas de plan de secours... et c'est lui qui a fixé le lieu de rendez-vous. Allez, on y va.

Il fit un signe de tête au jeune homme, avant de le laisser prendre de l'avance. Il était désormais requinqué par une envie profonde d'en découdre avec l'affreux salaud qui avait manigancé ce plan, d'une façon si pernicieuse et vile qu'il laissait Ziggy croire que c'était sa propre volonté. Un manipulateur de première, odieux et froid : bref, le genre de personne qu'il haïssait le plus au monde. Il suivrait donc la Crown dans son petit parcours par delà les toîts, s'assurant toujours que le jeune rouquin ne leur échappe pas ou ne tente pas de les entourlouper. Même si il était quasiment convaincu de sa sincérité, il ne pouvait pas prendre ce risque. Quant au fameux commanditaire... il aviserait le moment venu.

Le trajet se déroulerait sans accroc pour nos deux protagonistes, sans que Ziggy ne dévoile d'intention mauvaise ou malhonnête. Leur chemin les amènerait, dans une tranquillité relative, à une zone peu visitée de la ville, largement désaffectée suite à un incendie et depuis laissée pour morte. Ils n'avaient aucune idée de où, quand et comment exactement ils tomberaient sur leur cible. Ils ne pourraient compter que sur leur habileté et leurs sens pour se prémunir de diverses mésaventures. Néanmoins, ils n'étaient pas à l'abri d'une petite surprise à l'arrivée... restait à voir ce qui leur aurait été concocté par le fameux Zapati.

C'est Quoi ce Cirque ?

Prenant la suite de la jeune brune, le Coffe s'élança à son tour sur le toit de la caravane. Son précédent rapport de force avec une autre roulotte bourrée d'explosifs l'avait laissé groggy et passablement courbaturé, cela malgré une tentative de s'extirper de cette situation plutôt fructueuse. Aussi ménageait-il désormais ses forces pour éviter une mauvaise surprise... de toute manière, il était inutile de se presser plus que cela, actuellement : tant qu'ils gardaient une trace de Ziggy, ils étaient dans les clous. Écoutant la mise en garde de la Crown, le pugiliste acquiesça avec un sourire, constatant sa propre agilité : il était en effet de circonstances d'être passablement prudent quant à ses points d'accroche, autrement il valdinguerait bien rapidement dans les ruelles en contrebas... ce qui n'aurait d'autre effet qu'achever le peu de tonus physique qu'il possédait encore.

Il se contenta ainsi de suivre la traqueuse qui progressait avec une habileté féline entre les gouttières, via les corniches, sur les rambardes et tout autre point de passage que ses yeux semblaient déceler. Si le cuisinier était indubitablement moins gracieux que sa camarade, il compensait cela par une force physique accrue et une endurance loin d'être normale. Ainsi, malgré la difficulté du parcours qui demandait un certain rythme, ainsi que certaines remarques ponctuelles de la Crown sur le jeune homme qui prenait de l'avance, le brun ne se révéla pas être un boulet outre-mesure. Bien entendu, il pesta à plusieurs moments contre les douleurs que l'exercice faisait remonter dans son corps endolori, mais il avait connu pire... et puis, il aurait le droit de se reposer une fois qu'ils auraient élucidé cette affaire.

- Allez, encore un peu...

Disant plus ça pour s'encourager à ne pas faire d'erreur malencontreuse, sa façon de faire plutôt brute et sans finesse ayant déjà manqué de l'envoyer valser en contrebas plusieurs fois, le Coffe s'accrocha pour terminer le trajet en un seul morceau malgré son état plutôt déplorable vis-à-vis de sa forme habituelle. Finalement, Kari déclara qu'ils approchaient sans doute : cette assertion lui fut fort agréable, d'autant plus qu'il commençait à fatiguer de toute ces cabrioles, encore marqué par le choc précédent. Se hissant sur un toit en compagnie de sa mystérieuse coéquipière, il remarqua effectivement un bâtiment qui se détachait du reste : plus grand, plus gros, tout en moulures et en colonnades... et surtout estampillée d'un gros "Orange's Bank" en plein milieu. Malgré tout, les lieux avaient l'air d'être plutôt décrépits. La vieille banque... désaffectée ? Moins usitée qu'auparavant ? Reconvertie, peut-être ? Ils n'allaient pas tarder à le découvrir. Se tournant vers Ziggy, il remarqua que le jeune rouquin continuait sa route.

Une petite minute de voyage par la voie aérienne plus tard, les deux individus remarqueraient aisément l'artificier en herbe attendant devant la vieille bâtisse, avant que la porte d'entrée ne s'ouvre finalement, sans pour autant dévoiler quiconque de leur point de vue. L'adulescent s'approcherait alors nerveusement pour finalement pénétrer dans les lieux, laissant nos deux enquêteurs en plan à l'extérieur.

- Il doit être là-dedans, ce satané Zapati. On peut se séparer comme prévu. Je vais tenter de trouver une entrée de service où un passage qui risque d'être moins surveillé : rien ne dit qu'il n'a pas pris ses précautions, surtout si il est intelligent. Tu passes par les étages supérieurs ?

Il désigna ensuite certaines fenêtres qui surplombaient la rue faisant face à l'édifice. Si la chasseuse de prime pouvait se faufiler dans l'une d'elles, alors elle pourrait certainement prendre par surprise leur homme. Le Coffe ne s'attendait pas à être totalement discret, mais cela pouvait jouer en leur faveur : si le criminel s'attendait bien à un invité surprise, il serait totalement pris au dépourvu par le deuxième... il y avait une différence entre prendre ses précautions et avoir les moyens de quadriller tout un bâtiment de cette taille. Aussi, dès lors que la brune aurait donné son accord, le martialiste descendrait du toit pour faire le tour de la bâtisse, cherchant son ticket d'entrée.

C'est Quoi ce Cirque ?

Il n'avait finalement pas été si difficile pour le Coffe de trouver un point d'entrée dans la bâtisse : bien sûr, son corps était encore lourd et il sentait que l'explosion subie un peu plus tôt ne lui avait pas fait honneur, mais il était en assez bonne forme pour continuer son périple et tenter de trouver le fin mot de l'histoire. Se déplaçant le plus discrètement possible autour des lieux abandonnés, il avait pris garde à ne pas faire plus de bruit que nécessaire : il n'était pas tellement question de ne pas se faire repérer, mais bien de se faire repérer le plus tard possible. Les herbes hautes entouraient les vieilles façades défraîchies, tandis que des carreaux parfois brisés et salis trônaient encore devant les salles noires et silencieuses de l'intérieur, lugubres comme celles d'une maison hantée. Heziel n'était pas un habitué des filatures ou des enquêtes de ce genre : néanmoins, cela ne l'empêchait pas d'y donner le meilleur de lui même. Et puis, avec l'aide de sa nouvelle comparse, ils pourraient certainement mettre fin à cette histoire sordide et appréhender ce fichu Zapati. Pour sa part, le brun était convaincu de la bonne volonté du jeune homme. Un choix qui lui ferait peut-être défaut plus tard, mais un choix malgré tout.

Il se tenait désormais devant une double porte en fer assez lourde, qui menait sans doute sur l'arrière du bâtiment. Les clôtures environnantes avaient depuis longtemps été abattues par le temps et quelques voyous à la recherche de sensations fortes. D'un main sûre, il s'empara d'une des poignées, avant de tirer vers lui. Rien... rien d'autre qu'un petit cliquètement sec. Bloqué de l'intérieur. Il tira quelques fois supplémentaires, tentant de se fier à la sensation dans son bras pour mieux appréhender ce qui pouvait coincer : de toute évidence, il ne parvenait pas à décaler le battant de plus d'un centimètre. En d'autres termes ? Ce n'était pas un verrou d'origine, mais bien un obstacle mis en travers des poignées intérieures. Il soupira... il n'avait pas le choix, mais il allait tenter de faire ça proprement. Agrippant les deux poignées à sa disposition, il tira d'un coup sec vers lui et sentit les gonds gémir tandis que l'objet glissé de l'autre côté craquait. Finalement, lorsque l'odeur de renfermé et la poussière lui parvinrent au visage, il toussota légèrement avant de pénétrer dans la bâtisse, laissant pourrir au sol les restes d'un balais en piteux état. Il accéda alors à un petit couloir au carrelage déplorable dont le damier était à peine reconnaissable. À sa droite, deux portes. Une seule à sa gauche. De vieux écriteaux semblaient indiquer la présence de bureaux. Peut-être d'anciens officiels du système bancaire qui travaillaient ici lorsque l'endroit était encore utilisé ?

Il n'avait pas vraiment le loisir ni le temps de vérifier sa théorie, aussi commença-t-il à progresser sans refermer dans son dos. Dans la pénombre, il préférait largement disposer du peu de lumière du dehors pour s'avancer dans les ténèbres. L'étude des deux pièces sur la droite se révéla totalement inintéressante : les salles étaient quasiment vides, à l'exception de quelques débris et autres joyeusetés sinistres qui reposaient là pour une durée indéterminée. La pièce sur la gauche, elle, lui sembla plus captivante : un bureau en état assez frais trônait au milieu, avec une petite bougie encore allumée. Quelqu'un était passé par ici récemment... mais qui ? L'homme qu'ils recherchaient ? Il n'en avait aucune idée. Au travers des vieux rideaux usés et dévorés par les mites, la pâle lueur blafarde s'étendait comme un fantôme inégal dans les recoins de l'endroit, uniquement égalée par le scintillement vacillant de la mèche embrasée dans son cercueil de cire. Les papiers qui étaient là, eux, risquaient de se montrer bien plus intéressants...  

- Qu'est-ce que c'est que...

D'une main leste, le noiraud s'empara de ce qui lui semblait être une sorte de lettre. Ses yeux se plissèrent tandis qu'il se rapprochait de la lumière de la bougie. L'écriture n'était pas fraîche : l'encre semblait dater. D'un peu trop longtemps, même. Ce n'est que lorsqu'il s'attarda sur le contenu de cette lettre qu'il se rendit compte que quelque chose ne tournait pas rond...

"La curiosité est un vilain défaut."

Avant qu'il ne puisse réagir, un cliquetis sinistre s'annonça sous ses pieds... puis c'est tout son corps qui bascula, disparaissant au travers d'une trappe cachée devant le bureau.

C'est Quoi ce Cirque ?