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[FB 1507] Noir et blanc [Solo]
Jiva
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Noir et blanc



Qu'est-ce que c'est de vivre ?

Plutôt, comment se sent-on vivre ? Plutôt qu'exister et subir.

Certains disent que c'est grâce à une succession de hauts et de bas que l'on y parvient. Notre vie, plutôt qu'une ligne droite et plate, est semblable à des montagnes russes. Chaque montée, descente et virage correspondant à une rencontre, un échec ou une réussite.

Je ne sais pas si c'est vrai, j'en doute.

Est-ce que je me sens vivre ?

J’ai eu des hauts et des bas, mais les plus longs hauts n’ont jamais duré plus longtemps que le plus bas de mes bas. Comment savourer la moindre réussite, quand chaque pas fait vers mon objectif me rapproche de la solitude ? Quand ce même objectif devient plus une obligation qu’un véritable désir.

Un véritable enfer dans lequel on s’enfonce, à la recherche du néant sinon une main qui nous tirera hors de là. Mais on sait bien que ça n’existe pas, et même si c’était le cas je la détruirai par habitude.  Puisque tendre la main à autrui est l’une des choses les plus dangereuses, celui qui vous tend sa main aura forcément une idée derrière la tête, vous utilisera pour parvenir à une fin, avant de vous briser en mille.

Même en connaissance de cause, c’est que je ne demande que ça, de l’aide, mais comment pourrais-je être en mesure de l’accepter ? Faire confiance à un autre, lui confier mon avenir après tant de sacrifices et tout ce qui se dit sur moi ? Se confier à autrui, c’est donner du pain au peuple qui se cache derrière lui. Les doutes, les colères et vos excès de faiblesses seront leurs croûtons et la mie qu’ils se feront un plaisir d’ingurgiter dans votre dos.  Se confier à autrui, c’est sûrement là la pire erreur à faire, encore plus dangereux que tendre sa main à un autre.

Alors, quelle est la solution ? Quand on est condamné à être brisé et seul.

Personne pour se reconstruire, pour recoller les morceaux.

Condamné à être fragile, exploser au moindre choc.

Une mosaïque solitaire.

Le vide me happe, encore une fois, je le laisse faire, tomber à la renverse, les bras grands ouverts et les yeux clos.

Accueillir ce sort de tout mon être.

__


Une larme vient cueillir la lune quand je me pose une nouvelle fois sur ce panorama.

Il n’y a pas d’issue, aucune, sinon la mort. Oui, peut-être bien, peut-être qu’un avenir meilleur existe au-delà de la vie. Mais aucun de mes yeux ne me renvoie une lueur d’espoir.

Ni ici, ni dans l’après.

L’un d’un vert si délicat me renvoie le royaume des morts, désolation, dépression et décadence. Une pente glissante qui nous emporte un peu tous les jours, un silence sépulcral et douloureux, rendant le semblant de sérénité et l’absence d’agitation plus lourd que chaque fardeau que je porte déjà.

L’autre, d’un bleu céruléen, me permet de voir ce monde sous un œil innocent. Un regard enfantin, voir le verre à moitié plein, plutôt qu’en mille éclats. La dynamique d’un nouveau-né.

Peut-être qu’à la lisière des deux, je pourrais y trouver un aperçu de ce qu’est la vie. Lui trouver un sens, ou du moins la savourer.

Mais je n’y arrive pas.

Ce n’est pas un problème de vue, pas une maladie physiologique, mais une tumeur que j’ai à l’esprit.

Une cécité mentale, une qui m’empêche de voir cette soi-disant lumière qui existe ailleurs. Qu’un monde bien m’attend, que je dois juste le trouver, regarder le panorama dans son ensemble plutôt qu’une petite partie de celui-ci.

Regarder les autres humains, essayer de voir ce sourire qu’ils ont aux lèvres. Comprendre leurs origines, se glisser dans leur quotidien l’espace d’un instant pour percevoir le monde au travers d’un regard nouveau.

J’aurais pu être un civil, innocent et inconscient, un simplet ne se posant nulle question sur le monde. Cela m’aurait évité de trouver les vérités obscures et ignorées par la majorité, bien que pourtant si évidentes, un soulagement de l’esprit en sacrifiant sa curiosité.

J’aurais sûrement pu me préférer en tant que pirate, comme ce type de trois mètres partageant ce souhait de sommet. Un désir de liberté, d’explorer le monde pour mieux le comprendre. Peut-être qu’être Roi dans son monde, c’est devenir l’être le plus libre, plutôt qu’un vulgaire criminel enchaîné à son trône, devant se confronter aux regards et lames de ses rivaux.

J’aurais pu être père de famille, homme au foyer. M’occuper de mon fils et voir ses yeux bleus ciel refléter mon visage épanoui. J’aurais pu être un mari protecteur, une colonne pour sa femme, ses émeraudes déformants ma frêle allure en une carrure imposante.

J’aurais pu, oui. Puis je repense aux deux obsidiennes qu’étaient mes yeux jusqu’à récemment. De véritable trous noirs, dénués de lumière.

Gloutons et avares. Vicieux et malsains.

Un nœud vient encombrer ma gorge tandis qu’une autre larme perle sur ma pommette.

Je me suis laissé enlisé sous mon propre regard. J’ai laissé les choses se faire, accepté sans contester ma médiocrité, mes erreurs quotidiennes, le sacrifice de mes valeurs d’antan. Là où j’exige des autres une droiture certaine, je me laisse amorphe et dénué de quoique ce soit. Mon visage devenant lisse par endroit, rugueux par d’autres, déformés et incohérent avec ce que je voulais être.

J’aurais pu me reprendre en main à chaque étape. Les pertes, les échecs, les constats affligeant.

J’aurais pu, oui.

Mais avec des si on refait une vie.

Le vide m’appelle une nouvelle fois. Alors je me lance, mon corps valsant face vers le sol.

Chute libre.

__

Dans ces moments de calme, seul face au monde, à contempler l'horizon au loin, penser est fatal. Tout s'effondre alors pour vous.

La destruction, qui peut réellement porter ce poids ?

Je les vois tous parler de moi, dire que je suis instable, me pointer du doigt.

La tête est lourde, c’est peu parler du cœur.

Est-ce que je devrais être le gardien de mes frères ? Devrais-je être un modèle pour eux ? Celui qui doit se faire un nom et accapare toute l'attention pour qu'on oublie leurs existences et lien avec moi. Alors enfin, la cloche sonnerait mon glas pour éviter que le reste ne s’en prennent à eux, soulagés de ma disparition.

Peut-être que c’est ça, la solution. Peut-être, oui. Après tout maintenant je suis connu de tous, c’est sûrement le moment de faire tinter cette cloche une ultime fois. Si ce n’est pour mon bien, autant que cela soit pour celui des miens, du moins ce qu’il en reste. Même s’ils m’ont probablement en horreur, ils ne me restent qu’eux à qui me rattacher.

J’imagine que c’est triste. Sûrement pour cela que mes larmes coulent toujours. Pour autant, aucun sanglot, comme si rien ne sortait de mes entrailles.

Une incohérence sûrement, entre l’humain et l’être. Un décalage certain, une déconnexion irréversible.

Ne plus avoir ce sentiment de gravité. Être totalement flingué mentalement.

Quand on fait ces constats sur soi-même. Qu’est-on supposé ressentir ?

Je me sens plus bas que jamais.

Vide. Nul. Creux. Seul.

Ce ressenti irrépressible m’impose une tension considérable.  Sur mon crâne, sur mes épaules, sur la moindre surface de mon corps et mon esprit.

C’est un effondrement de l’être sur lui-même. Je l’ai déjà vécu plusieurs fois. C’est là une torture si violente, ignoble et parfaite qu’on peut se perdre à envisager toutes sortes de solutions pour s’y soustraire.

Lorsque l’on chute, il n’existe que deux remèdes possibles. S’envoler à nouveau, c'est-à-dire recommencer en ignorant ces constats affligeants, se voiler la face en somme, ou trouver un substitut efficace.

Lumière et ombre.

Hors de question de compter sur une aide extérieure. Ce soutien ne peut provenir que de nos profondeurs les plus intimes, né de la souffrance subie jusqu’alors. C’est alors un duel qui se joue.

Compter sur ce qui nous détourne de ces noirceurs et de la réalité ou plonger coûte que coûte dans le gouffre salvateur qui nous aspire.

Je penche mon chef vers le contrebas me faisant face, le vide au-dessus duquel mes pieds sont libres.

J’entends une voix qui me tutoie.

Ma gorge se noue une nouvelle fois, mais il y a une différence notable avec avant.

Une main vient me comprimer la gorge tandis que le vide me renvoie une image de ses noirceurs.

Mes yeux plongent dans ceux d’Eve, sortie d’ailleurs, revenue des morts. Son front se colle au mien, ses pupilles avalent mon âme tout entière.

Puis une brise fine et froide vient me porter des paroles qui résonnent en pensées.

Je veux être tout pour toi. Ton amour. Ta meilleure amie. Ta femme.

Je veux pouvoir te donner tout ce que tu réclames.

Je t’aime. C’est fou, insensé, mais je t’aime.

Ma main droite renforce son étreinte sur ma gorge tandis qu’un sanglot essaie de se faufiler en son travers.

Il est tué aussitôt, puis je me laisse une nouvelle fois chuter, délirant. Délaissant le cône cylindrique fumant et puant que je tenais jusqu’alors entre l’index et le majeur de mon autre main.

C’est que c’est si dur de t’aimer.

Roulette russe.

Je me rappelle de nos premiers jours. Insouciants, certainement, mais amoureux. Quand tout allait encore bien, quand d’un petit rien on faisait un tout. Quelque chose de savoureux.

Puis ces promesses.

On aurait parcouru le monde juste pour être deux, jamais s’arrêter pour rester heureux.

Puis j’aurais…

Elle qui m’apparaît comme un petit ange.

Elle qui me revient comme une évidence.

J’aurais…

Le bitume se rapproche de ma face ou plutôt l’inverse. Je me vois tomber à toute vitesse, franchir la centaine de mètre, bientôt les deux cents.

J’aurais étreint son petit corps jusqu’à l’infini. Voir scintiller ses yeux dans les ténèbres les plus sombres.

Ce bonheur qui m’est invisible, inlassable, insaisissable et invincible. Ce bonheur que je n’arrive pas à voir de mes propres yeux.

Plus de cinq cents mètres. Record personnel.

Ces souvenirs virent au noir et blanc.

Mon corps frissonne. Il a envie de hurler.

La force de cette énième chute m’empêche de ceindre ma gorge plus que ce que j’aurais souhaité. Mes doigts se délassent seuls, avant de se croiser dans un claquement de doigts.

Retour à la case départ.

__

La lune. Le panorama. Encore une fois.

Un autre constat, encore un.

Et cette voix qui me tutoie pour me menacer de revenir et tout balayer.

Me détruire si je ne le fais pas moi-même.

Mon corps en tremble puis j’éclate. Une nouvelle fois, j’explose.

Face à cette faiblesse.

Ce n’est pas que la Mort me rejette. C’est moi qui ai trop peur d’elle.

De l’inconnue qu’elle représente.

D’un revers du dos de la main, je balaie les deux cailloux restants au bord du gouffre, les bazardant dans le vide depuis le haut de ce gratte-ciel. Ma malédiction s'estompant.

Il faut que quelqu’un le fasse pour moi. Mette fin à ce calvaire avant qu’elle ne revienne.

Mon ombre.


_________________
Membre du club officiel des "Victimes d'Erwin le vicieux"
Jiva
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