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Lun 5 Juin - 15:06
Retour à la maison
PV Francis Levignac

Merde. A ce moment-là, devant la maison vide de mon enfance, je me demandais ce que je foutais là. Sur un coup de tête, j’avais décidé de retourner là où j’étais née, sans vraiment savoir pourquoi. J’avais envie, c’était tout. Ou, sans pouvoir me l’avouer, j’étais revenue par nostalgie. C’était vraiment une idée de merde, parce que ça ne m’avait absolument rien fait. J’étais comme une conne, au pied de cette baraque. Je la regardais sans ressentir le moindre regret, ni la moindre peine, ou haine, ou je ne savais quoi. Je m’en foutais : ça appartenait au passé, et c’était juste ça. J’étais restée certainement moins de cinq minutes, puis j’étais repartie, sans savoir où j’allais. J’avais croisé mes anciens voisins, qui, eux, n’avaient jamais bougé de leur grande demeure. En me voyant, ils avaient détourné la tête, pour m’éviter. Ca n’avait rien d’étonnant qu’ils me reconnaissent, j’avais pas changé d’un poil. Ou mes poils de crâne n’avaient pas changé. Je ne cherchai pas à les saluer, les voisins, étant donné qu’ils ne m’aimaient pas plus que je ne les portais dans mon cœur. C’était peut-être à cause de leur chien, que j’avais mordu, alors que j’avais cinq ou six ans, même si c’était lui qui avait commencé. Ou de leur fille, à qui j’avais cassé le bras en la poussant d’un arbre, et à qui j’avais jeté, à de multiples reprises, du sable dans les yeux. Mais aussi, elle m’avait dit qu’elle rêvait d’être un oiseau, puis une princesse paillette. Fallait savoir ce qu’elle voulait. M’enfin, ça, c’était la partie chiante de la journée.

La seconde partie de la journée fut tout aussi chiante. Je passais des bars aux rues, des rues aux marchés, des marchés aux bars. Et ainsi de suite. J’avais fait un tour sur le port, et même dans un bar du port. D’ailleurs, ils y faisaient de très bons et beaux cocktails, je recommande ! Mais j’ai oublié le nom. Quoi qu’il en soit, je n’avais pas bu à profusion, pas pour me soûler, mais pour faire passer le temps et pour le goût. Bon, après trois ou quatre cocktails, j’étais peut-être un peu pompette. Mais rien de grave, j’étais juste joyeuse, quoi ! Du coup, je faisais les marchés, je regardais les étaux, et ne répondais pas aux marchands qui pensaient que quelques compliments sur ma personne suffisaient à me faire acheter leurs bibelots. J’étais peut-être pire trafiquante qu’eux, mais en tant que cliente, hors de question de me laisser avoir !

Puis, à force de traîner dans les rues marchandes, je m’étais enfoncée dans celles plus sombres, où la valeur des marchandises montait en flèche, leur rareté avec, et leur fiabilité aussi. Des tissus luxueux volés aux arnaques invisibles, on trouvait de tout dans cette partie de la ville, sauf des objets du quotidien. C’était là que jouaient les vrais, les grands trafiquants, et qui, pourtant, semblaient ne jamais se faire arrêter, par qui que ce soit. J’aimais me balader ici, mais je n’achetais jamais rien. Bon, ok, c’était pas seulement parce que les arnaques étaient communes, mais aussi parce que j’avais plus un rond.

Au final, mon regard s’était déposé sur de nombreux tableaux, tous semblant venir du même peintre. Je n’avais jamais rien connu en peinture, mais les traits étaient plutôt reconnaissables, et avaient l’air unique. Les dessins, en eux-mêmes, représentaient des scènes assez sordides, des meurtres, des mises à mort et autres crimes sanglants, mais dans des couleurs criardes, et toujours dans un décor apaisant, beau, naturel. C’était certain : cette combinaison, j’en étais amoureuse.

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Mer 7 Juin - 14:10
”Beauty is subjective”



Trader. Influence, opulence, richesse exagérée et ostentatoire. Le royaume le plus commerçant de tout South Blue, qui avait en plus de cela une position de choix, à proximité de Reverse Mountain. Quelques années plus tôt, l'artiste de la mort avait passé un certain temps dans ce lieu où chacun pouvait se faire un profit démentiel aussi vite qu'il ne pouvait finir sur la paille, où les marchands déambulaient dans les rues avec des affaires en or à chaque détour de leurs soieries hors de prix, où la loi était assurée par des mercenaires payés rubis sur l'ongle et non pas par les traditionnels membre de la Marine, les fidèles chiens de chasse du Gouvernement Mondial. À dire vrai, le royaume de Trader était un endroit particulièrement apprécié par le masqué : le commerce florissant n'avait d'égal que la pluralité des goûts et des désirs auquel il venait répondre. Ainsi, il avait rapidement pu se payer un petit coin bien à loin dans lequel pratiquer la peinture...

Pourquoi la peinture ? Parce qu'il avait une technique à exercer. En réalité, le Levignac revenait tout juste de la belle cité de Mahara, située elle aussi sur South Blue. Il venait d'y procéder à une représentation de grande envergure, qui avait sans doute aucun marqué les esprits présents ! L'assassinat du prince Al Addin, fils du roi Sal Addin, qui s'était déplacé jusqu'à la belle ville susnommée pour son propre mariage avec Adèle Demonfort, la noble héritière de la famille Demonfort qui était la plus riche de Mahara. En d'autres termes, il avait complètement fait dérailler les plans d'une nation entière, exécuté un royal prétendant, et sans doute provoqué des tensions qui se changeraient peut-être en guerre à l'avenir. Tout cela par le simple biais de son art... voilà qui le rendait tout simplement fier d'être un artiste : après tout, n'était-il pas primordial pour tout créateur que de savoir composer avec l'existant pour embellir une production et la rendre unique ? Surtout lorsqu'il avait à y gagner.

Car c'était bien un peintre dénommé Doc', désireux d'empêcher le mariage de la belle Adèle, qui lui avait demandé son "aide" en échange de sa technique secrète et jusque là inégalée de pointillisme exacerbé. Certainement, son pauvre petit Romé, comme il l'appelait désormais, ne s'attendait sans doute pas à une aide de ce genre... mais il avait emporté son dégoût, au même titre que l'amour de sa vie, dans la tombe. Aussi notre Levignac s'était offert quelques vacances à Trader afin d'y monter un petit étal de peinture, bien momentanément, et d'y entraîner ses mains agiles pour maitriser totalement cette façon de peindre inédite dont il était sans doute désormais le seul et unique détenteur au monde.

Il offrait ainsi à la plèbe la vision inhabituelle de scènes supposément violentes et retorses, mais décrite par une main habile et amoureuse de la beauté. Les courbes, les tons, l'agencement des différentes composantes, étaient étudiées de telles sortes que la mort et la décadence trouvaient dans son tableau une avantageuse description, une ode d'élégance et de légèreté. Malgré le caractère funèbre de ses œuvres, il avait attiré les yeux impies de certains riches commerçants aux préférences spécifiques, jusqu'à gagner un peu d'argent à l'aide de son art : l'idée de le répandre lui plaisait, d'autant qu'il n'avait pas besoin de se cacher pour le faire de cette façon... même si, par sécurité, il avait adopté un accoutrement plus sobre : une sorte d'épaisse toge qui ne laissait apparaitre que ses mains et le bas de son "visage", engoncé dans une ample capuche. Car en réalité, il préparait déjà son prochain coup. Ce qui serait l'objet, je le crains, d'une autre histoire macabre...

- Ce que vous voyez vous plait ? Demanda-t-il de sa voix raffinée et polie.

La jeune demoiselle qui se trouvait devant ses créations, et de laquelle il s'était approché silencieusement, semblait effectivement porter un intérêt non négligeable pour son travail. Ce qui n'avait pas été très difficile à capter pour notre virtuose du mal. Bras croisés, il semblait avoir l'air d'une sorte d'ecclésiastique sombre, membre d'un clergé qui aurait pu prôner la beauté dans la fin de toute chose. Même si il n'en était rien, il ne se défit pas de son attitude : jouer des rôles était une seconde nature pour lui et lorsqu'il devait improviser, il se contentait de suivre l'idée que se concevaient les gens de sa propre personne et de la faire fleurir... jusqu'à pouvoir faire tomber la mascarade.




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Mer 7 Juin - 15:36
Juste ici !
PV Francis Levignac

- Ce que vous voyez vous plaît ?
 
- WOOOH !
 
 
Bordel, il sort d’où lui ?!
 
De nulle part. Un type, à l’allure plus qu’inquiétante, venait de m’agresser par ses douces paroles pour savoir si les peintures me plaisaient. Sur le coup, j’avais cru m’être chié dessus, ou crever d’une crise cardiaque. Les surprises, ça m’avait jamais plus. Surtout pas des comme ça, j’avais le cœur fragile, moi. Du coup, après avoir bondi sur place, j’avais lancé un regard plus que meurtrier au type, comme s’il suffisait à le punir de son péché. Entre les murs de mon crâne, tout se passa si vite que je remarquai instantanément qu’il n’avait rien tenté d’offensif, et que sa question, autant que son attitude, n’avait rien d’agressif.
 
Je soupirai, riant doucement en me rendant compte du ridicule que je dégageais, puis entamai ma réponse :
 
- Beeeen…
 
J’allais me lancer dans de grandes tirades de collectionneurs merdeux de tableaux pourris, du genre « oui, on voit bien que le peintre a voulu représenter blaaaablaaaablaaaa… », avant de me rappeler qu’en art, je ne connaissais rien. Tout ce qui m’intéressait, c’était les sensations qu’il me procurait à moi, et je m’en cognais pas mal de ce que l’artiste avait voulu représenter ou non. S’ils peignaient, ou sculptaient, ou jouaient seulement pour eux, ils ne se montreraient pas devant de grands publics. Donc, peut-être égoïstement, mais logiquement, je pouvais me permettre de penser qu’ils créaient pour moi.
 
Pourtant, répondre juste « oui » à ce type, ça faisait pauvre. Ca manquait d’arguments, ça laissait penser que j’étais niaise, que j’y connaissais rien. Certes, c’était le cas. C’était même carrément le cas… Mais il fallait que je trouve quelque chose à dire sur ces tableaux, autre chose que « c’est beau ». Même si ça résumait pas mal le tout. Je fixais les tableaux intensément, à en imiter les savants amateurs d’arts, qui pensent qu’analyser le moindre recoin d’un bout de carton peint fait leur intelligence. Moi, tout ce que je cherchais, c’était quelque chose à dire, en ne me contentant pas du strict minimum.
 
Au final, au bout de quelques instants de réflexion, je trouvais !
 
- Ouais…
 
Et j’oubliais sans attente ma belle réplique. Je dévisageais alors le type avec un regard vide, un regard de veau, complètement perdue.
 
PAUVRE CONNE !
 
Plus de temps à perdre, il fallait que je trouve un truc à dire. C’était urgent, c’était vital. Parce que le gars, je savais pas trop pourquoi, mais il avait l’air pas con, et il semblait vouloir parler de ces tableaux. Sa voix, son calme, sa façon de se comporter, ou du moins le peu que j’en avais vu me donnait cette impression. Je commençai à bégayer des bouts de phrases, ou de mots, inintelligibles, sans savoir moi-même ce que j’avais l’intention de dire :
 
- Oh ben.. Je… bl… uaagggh…
 
Fronçant les sourcils, grimaçant par une gymnastique faciale qui déformait mon visage dans son entier, mon cerveau venait de se mettre hors service. C’était fichu, j’allais passer pour une idiote. Alors, plutôt que de parler, l’excellente idée de m’exprimer par les gestes me vint. Oubliant les sages recommandations de tous les adultes à l’égard de tous les enfants, « On touche seulement avec les yeux », je me penchais vers l’avant, l’index pointé vers un détail précis du tableau, mais choisi au hasard. Et soudainement, un miracle, comme si la Lumière descendait du ciel pour me couvrir de sa bonne fortune, je retrouvais ce que j’avais à dire, concernant cette partie du tableau. J’allais enfin pouvoir expliquer au type ce que je trouvais de particulier à ce tableau.
 
Mais comme la Lumière ne reste jamais bien longtemps proche de moi, je perdais l’équilibre en me penchant vers l’œuvre, et glissais sur les dalles lisses de la ruelle. Mon index, menaçant comme une lance affûtée, pointait dangereusement le visage du condamné, qui risquait fort de finir le crâne explosé, si ma chute se terminait.

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Mer 7 Juin - 16:23
”Beauty is subjective”



Francis resta totalement silencieux face à la suite de réactions aussi incongrues que soudaines de la part de la jeune demoiselle qui lui faisait face. Tout d'abord surprise par sa présence -ce qui était en soit naturel, tant il l'avait atténuée avant de se dévoiler- puis sans voix devant la toile, elle le laissa un instant perplexe. Néanmoins, il pouvait totalement comprendre qu'un art aussi spécifique et magnifique que le sien laisse sans mots pour le décrire. Après tout, n'était-ce pas là l'une de ses propres particularités en tant qu'artiste d'un niveau supérieur à la moyenne ? Déblatérer de longues minutes sur le tracés soigné d'une œuvre était une façon totalement légitime de montrer son intérêt, en plus de se présenter comme adepte et consommateur dans le périmètre de la peinture. Mais laisser l'émotion parler était également une réaction, vraie de nature, venant du cœur. En ce sens, elle n'en était pas moins appréciable. Tout du contraire, même. Il laissa donc à la jeune femme le temps et l'occasion de s'exprimer clairement : cela ne lui fut cependant pas d'un grand secours.

Alors qu'elle pointait du doigt un détail sur l'une de ses œuvres -la cartouche encore fumante d'une arme à feu qui, dans un volute poétique, s'envolait sous un soleil couchant-, elle sembla basculer vers l'avant. Elle venait de perdre l'équilibre, son pied d'appui glissant sur les pavés lisses du sol qui les soutenait. Gardant un calme digne d'une divinité olympique, l'artiste désaxé observa sa chute comme au ralenti, son esprit s'opposant en deux pensées qu'il jaugea tour à tour à grande vitesse : dans un premier temps, son réflexe aurait été d'écarter sa peinture du chemin de l'infortunée, lui laissant tout loisir de choir telle une imbécile dans le vide le plus complet. Cependant, c'était une réaction basique, une réaction tirée de sa véritable nature. Une nature qu'il lui fallait logiquement cacher le plus possible lorsqu'il était en compagnie des lambdas : aussi, dans la société, quelqu'un de bien élevé aurait agi d'une toute autre manière...

- Oh, attention ! Dit-il en la soutenant, l'empêchant de trébucher lamentablement. Vous n'avez rien ? S'enquit-il mécaniquement, dans un mensonge étudié depuis tant d'années qu'il en devenait crédible.

Ses bras s'étaient en effet portés jusqu'à la demoiselle, afin de préserver sa silhouette dans un certain axe vis à vis du sol : un axe qui n'impliquait pas qu'elle soit bêtement tombée, par exemple. Ainsi, elle aurait sans doute l'occasion de sentir un contact particulier sur son épaule : celui d'une main gantée, enveloppée dans des couches de protections... des protections qui n'avaient rien à faire sur un simple passant s'intéressant à la peinture. Néanmoins, n'ayant aucune connaissance de l'identité de son interlocutrice, il ne s'en inquiéta pas. Si il s'agissait d'une maladroite jeune femme comme une autre, elle ne prêterait sans doute pas assez attention à ce détail pour le remarquer. Même si elle le faisait, elle n'aurait aucune finalité pour une telle information. Si cependant, l'éventualité peu probable qu'elle cachait bien son jeu se révélait, alors il aviserait... comme il l'avait toujours fait.

Il ne maintint cependant pas le contact bien longtemps : loin de lui l'idée de paraitre entreprenant, ou pire. Dès qu'il la sentirait stable, il retirerait ses mains de leurs emplacement pour venir les ranger de la même manière que précédemment. S'étant enquis du "bien-être" de cette inconnue, et si elle ne l'en empêchait pas par une quelconque autre action, il poursuivrait comme si de rien était leur discussion afin de présenter sa vision des choses sur ces peintures qui semblaient avoir attiré l'attention de la demoiselle.

- C'est amusant, non ? Les gens clament que la beauté est multiple, mais ils sont incapables de la voir dans la mort, ferait-il remarquer de sa voix suave. Pourtant, elle correspond en tout point à ce qu'on attend de la beauté : unique, véritable et poignante, conclurait-il.

Un discours inquiétante en soi, qui aurait pu faire fuir le premier passant habituel venu... mais il ne pensait pas que les choses se dérouleraient ainsi cette fois. Factuellement parlant, la jeune curieuse ne s'était pas détournée de ses réalisations et y avait même porté un œil intrigué, satisfait. Il était donc logique de penser qu'elle pourrait trouver du sens dans ce qu'il disait actuellement.


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Mer 7 Juin - 23:33


Prisonnière ▬ PV. Francis Levignac

Brusquement, le tableau s’arrêta d’avancer vers mon doigt. L’espace d’un instant, ma main fut bloquée juste en face de l’œuvre, et mon corps, entre la vie et le sol, flottait en face de l’étal. Les yeux grands ouverts, je ne compris ce qui m’arrivait que lorsque le drôle de gars me ramena vers lui, de façon à ce que je retombe sur mes pieds. Mes yeux se posèrent sur lui, fixement, ronds comme ceux d’un chat, signe de mon incompréhension. C’était le genre de chute qui m’arrivait souvent, plusieurs fois par semai… jours. Et jamais, ô grand jamais, on ne m’avait retenu. La plupart des gens s’en balançaient pas mal que je me ramasse ou pas. Pour le coup, soit je plaisais pas mal au gars, soit il tenait vraiment à ces tableaux.

Le truc, c’est que, n’ayant jamais été sauvée de ce genre de chutes, et ne ressentant pas une grande amitié pour tout ce qui touchait au tactile, son geste m’avait troublée. J’avais senti mes cheveux, et tous mes poils, se dresser sur ma peau, électriques, me transformant en hérisson. Je ressentis le plus gros malaise de mon existence : me toucher, c’était bizarre. Je m’étais toujours contenté de contacts à distance, ou, s’ils étaient physiques, ils s’accompagnaient de quelques petites gâteries, comme… COUP DE BOULE ! D’ailleurs, c’est ce qui a failli se passer pour ce type, qui se permettait de me stresser avec ses mains gantées, en m’attrapant l’épaule comme s’il cueillait une fleur. Mais heureusement pour lui, il me lâcha et prit la parole avant que je n’arrache ses dents pour les recoller à l’envers :

   
 
▬ Vous n’avez rien ?

   
 
▬ Ouais, m’empressai-je de répondre. Euuuuh, non, j’ai rien !
J’avais besoin de me calmer. J’avais eu un coup de panique, une petite montée de stress, et je continuais de raconter n’importe quoi. Je tournais la tête dans tous les sens, à la recherche de ce qui pourrait m’aider, quand il m’apporta de quoi me réconforter. A nouveau, il parla, captant mon attention, brisant l’emprise de la panique sur mon être tout entier. Tout ça, en expliquant la beauté de la mort.

Dès qu’il eut fini de monologuer, et que l’information eut été portée à mon cerveau, le calme que je désirais tant vint à moi. Est-ce que j’avais pensé pouvoir croiser, en un jour si banal, quelqu’un qu’il me semblait comprendre ? La plupart des gens résidaient un mystère pour moi. Je n’avais jamais compris ni toutes les conventions sociales, ni la religiosité du bien et du mal, et tous ces trucs philosophiques à deux balles. Je n’avais jamais eu d’amis plus de quelques minutes, la plupart du temps à cause de ma brute de maladresse, ou d’autres fois, parce qu’il y avait un fossé, entre l’autre et moi. Je ne m’étais jamais considérée plus grande ou moins importante que les autres. Je pensais que nous étions tous au même niveau. Mais, en tout temps, je m’étais sentie à part. Comme si, sur notre unique marche, on avait dressé un mur entre eux et moi. J’étais seule. Pourtant, je savais qu’à sa manière, chacun avait ses propres murs. Seulement, le mien me semblait infranchissable, plus solide, plus haut, plus large que les autres.

Et là, ce type, il arrivait avec ses belles paroles, avec des mots que je comprenais. Des mots que, d’ailleurs, je n’avais jamais su utiliser. J’avais jamais été douée pour m’exprimer. Je ressentais, et je m’en contentais. De toute façon, j’avais jamais eu personne avec qui partager tout ça, c’était une perte de temps que d’apprendre à mettre des mots sur mes sentiments. Du coup, j’avais jamais appris à bien parler, aussi bien que lui. Alors forcément, ça m’avait impressionnée, de l’entendre décrire cette sensation, de la matérialiser sous forme de mots, avec une telle aisance.

Je levais les yeux vers cet illustre inconnu, sans cacher mon admiration pour lui. Après sa tirade, je m’étais sentie comme apaisée, libérée d’un poids, ou quelque chose comme ça. En réalité, je réalisais que mon mur n’était pas si solide, si haut, si large. Il avait même des points fragiles, que l’on pouvait détruire, pour passer de mon côté. Et, aussi étrange que ça puisse paraître, ça ne me plaisait pas. Parce qu’un mur, ce n’était pas qu’une limite : c’était une protection. L’idée qu’on puisse le traverser me donnait des frissons. J’étais bien, moi, dans mon territoire, sans personne. J’aurais voulu résister, pousser ce type hors de mes frontières, mais d’un autre côté, la curiosité me rongeait. Il avait l’air de s’y connaître dans ce genre d’art, que je découvrais. J’avais envie de savoir.

   
 
▬ Pourquoi ils ne veulent pas la voir ? Ils  veulent pas, ou ils y arrivent pas ? Enfin... je sais pas, j'aime bien, moi.
J’avais posé cette question comme un enfant demande pourquoi le ciel est bleu. Et je n’attendais rien de plus qu’une réponse du même genre que la première, une phrase qui me laisse bouche bée.

© By Halloween sur Never-Utopia






Disouli :
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Jeu 8 Juin - 0:35
”Beauty is subjective”



Son intuition, ou plutôt sa conclusion objective basée sur les faits présentés, se révéla exacte. Malgré la teneur de son discours, il lui sembla même que ce dernier avait apaisé la demoiselle qu'il avait de peu empêché de s'effondrer contre sa peinture. Qu'il fut écouté de bout en bout sans être esquivé ou jugé pouvait arriver, certes, mais il était bien plus rare de trouver quelqu'un d'aussi réceptif à sa pensée. Cela le surprit, il fallait l'admettre. Une agréable surprise. Une rencontre aussi incongrue qu'intéressante. Sous son masque, un sourire étira son visage inconnu alors que cette étrange jeune femme reprenait de l'aplomb, allant même jusqu'à lui demander pourquoi le commun des mortels ne pouvait voir la splendeur dans le trépas.

Les mots employés pour conclure sa question, qui paraissait celle d'une enfant curieuse comme on en croisait tant, lui semblèrent cependant poignants. La simplicité authentique qui les marquait ne lui était pas inconnue, mais il chassa ces pensées de son esprit avant même qu'elles ne puissent s'y enraciner à nouveau. Ceci étant, le naturel de son interlocutrice, cette sorte de naïveté sans prétention... c'était une forme de pureté. Encore une fois, ces pensées lui semblaient bien à l'encontre de ce que les gens pouvaient accepter : sans représenter une menace d'une quelconque manière, la question posée par la demoiselle ainsi que ses explications n'auraient jamais été digérées par la majorité de la société. Et pourtant... elle faisait preuve, tout simplement, d'une honnêteté sans surcouche en cet instant même. Chose dont il ne pouvait ne se targuer qu'au travers de ses créations.

- Le déni est la plus puissante des chaînes. Les cages les plus solides sont celles dans lesquelles les gens s'enferment eux-mêmes. Enferment leurs pensées, leurs valeurs, leur véritable nature, apporta-t-il en réponse dans un premier temps.

Il fit quelques pas pour se déplacer devant un autre tableau qu'il effleura de sa main non gantée. Une scène à la limite de l'irréel dans laquelle une jolie jeune femme était gracieusement étendue dans des escaliers, ses courbes s'apposant à la perfection avec les formes dures et cassantes des marches, ses lèvres légèrement entrouvertes dans un dernier soupir des plus exquis. En son torse, une sorte de lumière émanait, représentant de façon somptueuse l'impact fatal qui lui avait sans doute pris la vie. Toujours encapuchonné, le Virtuose se tourna vers l'objet de sa curiosité afin de poursuivre.

- Ils s'anesthésient, se fourvoient, se trompent eux-mêmes. Ils craignent ce qui est tapi en eux, craignent qu'on les juge et qu'on les en blâme, dit-il simplement, avec une note de regret. Alors ils s'intoxiquent de bien-pensance, ils s'enterrent vivant dans ce que ceux qui les entourent sont capables d'accepter... et ils disparaissent dans la masse sans laquelle ils ne sont pas capable d'exister. conclut-il.

Pour une fois, l'artiste parlait avec son coeur : l'humanité avait toujours été composée de moutons, de chiens et de loups. Tandis que les chiens dictaient aux moutons où aller et quoi faire, protégeant l'ordre qu'ils avaient eux même établis pour des raisons qui les arrangeaient eux-mêmes, le reste du travail se faisait tout seul. Les moutons se répétaient les directives entre eux, jusqu'à former un amalgame compact censé représenter une pensée unique et acceptée par les normes. Les loups, quant à eux, se divisaient en deux catégories : ceux qui naissaient avec des crocs... et ceux qui n'avaient pas d'autres choix que d'en développer, n'ayant ni la docilité des moutons, ni la bonne tenue des chiens.

- Une bien triste époque pour l'art, soupira-t-il presque.

Pour sa part, le Levignac ne s'intéressait personnellement ni aux moutons, ni aux chiens.



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Jeu 8 Juin - 10:35


Mouton à dents de loup ▬ PV. Francis Levignac

Quand il commença à répondre, il me largua complètement. J’avais RIEN compris. En fait, j’avais d’abord eu l’impression que, lui, avait mal compris ma question, ou qu’il se foutait de ma gueule. Qu’il avait compris que j’y connaissais rien, que j’avais pas un savoir et des connaissances extraordinaires en la matière, et que, de ce fait, il pouvait me raconter n’importe quoi, ça passerait. Je penchai la tête à gauche, puis à droite, comme si je cherchais où était la meilleure place de ma tête pour optimiser ma compréhension. En vain. Les yeux toujours plantés sur son masque, j’essayais de capter son regard, invisible d’ailleurs, pour qu’il m’en dise plus. Au lieu de quoi il se déplaça vers un nouveau tableau, et l’admira d’une intensité qui ne m’étonnait pas, venant de lui. Il avait l’air d’être un homme profond, de ceux qui pensent beaucoup, trop pour moi. Alors qu’il admire ce deuxième tableau, ça ne me surprenait pas. Quant à moi, je pivotais le bassin pour observer sa marche, me retrouvant à quelques mètres de lui. J’avançais la tête pour voir l’œuvre qui lui faisait face : ça avait l’air d’un mort dans des escaliers, mais je ne voyais pas vraiment tout, à cette distance. En fait, ce qui me choqua le plus, c’est le fait qu’il caresse le tableau. Ça, c’était super bizarre. Encore un truc de gars tactile, pensais-je.
 
Puis il poursuivit son explication, et, même si ça restait compliqué, il me sembla avoir à peu près saisi le sens de ses paroles. Si ça n’avait fait qu’apporter quelques précisions à ses dires, il fallut me rendre à l’évidence : ça m’avait travaillé, cette histoire. Finalement, moi qui fuyait toujours à cause de la peur, j’étais de quel côté ? Est-ce que j’avais pas commencé à m’intoxiquer, à m’enterrer vivante, à disparaître dans la masse ? Est-ce qu’à force de toujours vouloir me cacher, je n’en avais pas oublié qui j’aimais être ? Ouais, je me posais peut-être trop de questions. J’avais besoin de changements, et cet homme et ses pensées en seraient sûrement les géniteurs.
 
Dès qu’il eut terminé, je repris le flambeau :


   
 
▬  Ouais… Mais, en même temps, c’est un peu triste de laisser tout ça sur un tableau. Enfin, même si c’est beau, ça reste juste un dessin. Ça bouge pas, ça vit pas. C’est figé.
 

C’était un peu effrayant d’avoir ce genre de conversation avec un inconnu. Loin d’y être habituée, j’avais même en tout temps évité d’agir, pour éviter d’être vue. J’avais peur de la marine, de ce qu’elle pouvait me faire, et j’avais pas envie de finir pendue ou guillotinée pour une petite bêtise. Et je me rendais compte que, même si on ne faisait qu’en parler, j’avais un peu peur. Il était n’importe qui, et aurait parfaitement pu être envoyé ici pour repérer des gens comme moi, des fous, peut-être, et pour les dénoncer au Gouvernement Mondial dans le but de les incarcérer. Pourtant, la discussion me plaisait. J’avais pas envie de couper court, je voulais lui dire ce que moi, je pensais, ce que je ressentais. Je prenais alors une petite inspiration, avant de reprendre :

   
 
▬ Je crois que je préfère le théâtre à la peinture.


Ouais, non, j’avais pas trop assumé. J’aurais dû me douter que ça lui suffirait à comprendre, de toute manière, mais, pour ma propre compréhension, pour être sûre de ce que je disais, je voulais préciser ma pensée sans tabous, sans codes.

   
 
▬  Ce que je veux dire… C’est que, sentir une vie s’en aller, sentir… je sais pas… l’angoisse d’abord, le refus de se laisser partir, puis l’envie d’en finir… Ça, c’est vraiment cool. C’est réel, c’est plus qu’un fantasme, c’est mieux.

 

Je détournai timidement mon attention de l’homme, craignant sa réaction. J’étais allée trop loin, c’était certain. Parler d’art, même d’un art comme celui des tableaux, ça restait correct. Mais dévier la conversation sur le plaisir d’un meurtre, en pleine rue, là où ça pouvait atterrir dans l’oreille de n’importe qui, c’était à la limite du suicidaire. Comme toute conclusion, je murmurai, hésitante :

   
 
▬ Enfin, je crois.

Et pourtant, j’étais sûre.


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Jeu 8 Juin - 11:44
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Intéressant. Très intéressant, même.

La tournure des évènements était presque déroutante, mais ô combien captivante. Ici, il n'était plus simplement question d'ouverture d'esprit, de compréhension de l'autre ou encore d'acceptation de ce qui est différent : non, ce n'était pas ça. Pour la première fois depuis très longtemps, le Levignac avait affaire à quelqu'un avec qui il était en phase. Sa curiosité, jusque là froide et logique, s'était peu à peu transformée au fil de l'échange en une réelle envie d'en savoir plus sur cette jeune femme. De gratter un peu la surface, afin de voir quel type de pierre précieuse pouvait se cacher sous cette apparence frêle affublée d'un discours qui ne lui collait guère. Alors même qu'elle exprimait son point de vue, il l'écouta silencieusement, sans la couper. En d'autres temps, il aurait été offusqué en son for intérieur qu'on considère ses tableaux comme "tristes" et "figés". Néanmoins, il avait appris à écouter les gens jusqu'au bout avant de donner une valeur à l'ensemble du propos.

Deux possibilités s'offraient à lui, face à une telle rencontre : il pouvait garder ses distances, considérant que cette inconnue tombait trop bien. Qu'elle passe par sa petite exposition, c'était une chose... qu'elle en apprécie le contenu en était une autre, déjà bien moins évidente compte tenu de la pensée commune qui condamnait fermement ce genre d'acte. Qu'en plus de cela, elle comprenne le cheminement de sa pensée profonde, ce feu qui le saisissait de l'intérieur à chaque mise à mort, à chaque appui sur la détente ? Tout cela était peut-être trop beau, trop rare pour être vrai. Néanmoins, il avait également appris à jauger les gens car lui même passait son temps à s'adapter pour mieux tromper et arriver à ses fins. Or, il ne lui semblait pas être en présence d'une actrice : certains signes l'auraient alerté, il en était certain. De plus, son appétence pour la situation actuelle l'enjoignait à pousser la discussion, à tirer un maximum de cette découverte qui n'avait pas de prix. Trouver quelqu'un qui le comprenne n'était pas dans ses priorités, car il savait pertinemment que la majorité des gens qu'il côtoyait étaient trop renfermés sur eux mêmes, trop peureux et trop bêtes pour comprendre la subtilité et la beauté de son travail. Mais cela restait agréable de voir que c'était possible.

- En effet, répondit-il calmement, comme un professeur marquant la bonne réponse d'un élève.

Il n'en avait pas dit plus mais c'était juste tourné vers elle, calme et placide. Sa voix, elle, avait véhiculé de nombreuses choses : toujours aussi reposante et tranquille, il y avait fait circuler une réelle approbation. Un sentiment, une émotion : celle du vécu. De l'expérience. Par ce biais, il voulait implanter en elle un début d'idée, une entente sur la question tant redoutée du plaisir de tuer. Qu'elle puisse saisir qu'elle avait bien affaire à un peintre, mais pas que... car après tout, les choses se déroulaient d'ores et déjà à une grande vitesse. Il n'allait pas donner de but en blanc ses passions sans procéder à quelques vérifications. Cela n'annonçait rien de bon pour Trader...

- Je préfère peindre les domaines qui me sont... familier, reprit-il avant de laisser un rire très court s'échapper de ses lèvres.

Se mouvant avec aisance parmi ses créations, il commença à doucement ranger quelques pinceaux qui trainaient, bien que cela ne fut pas nécessaire : ils étaient propres comme des sous neuf, à l'image de son équipement tout entier. Il prenait un soin particulier de l'endroit malgré son caractère temporaire. Une de ses signatures comportementales qui consistait à garder ses affaires rangées, tout comme ses plans étaient calculés en prenant en compte toutes les éventualités. Après un silence qui pourrait être prématurément brisé par la jeune femme si elle en éprouvait le besoin, il fit volte-face lentement pour se tourner vers elle, la toisant de son faciès de porcelaine.

- Puis-je vous demander votre nom, mademoiselle ? s'enquit-il poliment.


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Ven 9 Juin - 0:09


Papa ? ▬ PV. Francis Levignac

Panique totale. Je venais de me mettre à nu, comme un ver de terre, devant un homme inconnu, plus grand, et certainement plus fort que moi. S’il était un ennemi, il en viendrait vite à bout de moi. J’avais eu envie d’y croire, mais une fois que ce fut sorti, je regrettai instantanément. La petite expérience que ma vie m’avait confié me le disait bien, pourtant, que je devais me taire, que je ne devais pas bouger, et juste rester sage, en attendant le jour où je pourrais m’exprimer sans crainte. Mais, encore une fois, j’en avais fait un peu trop à ma tête. Au lieu d’écouter la raison… j’avais juste rien écouté, en fait. Sans réfléchir, j’avais parlé.
 
   
 
▬ En effet.

Ma réaction ne se fit pas attendre. Alors que je commençais à lui tourner le dos, prise d’un sentiment mêlant honte et peur, je plongeai soudainement mon regard dans celui de son masque. Je n’arrivais pas à capter le sien, le vrai, mais j’aurais aimé. Parce que ce n’étaient peut-être que deux mots, mais ils voulaient tout dire. Et je n’avais même pas le droit à un regard, juste à ma naïveté, pour me permettre d’y croire. « En effet », avait-il dit de sa voix calme, posée, à la limite de l’hypnotisant. Puis il avait ajouté qu’il ne peignait que les domaines qui lui étaient familiers, accompagnant ses dires d’un petit rire léger, comme s’il parlait de son dernier souvenir de vacances. Je ne pus m’empêcher de sourire à mon tour. Je me demandais ce qu’il avait pu commettre, comme meurtre, pour l’aimer autant.
 
En fait, je réalisais aussi qu’il était l’auteur de ces œuvres, lorsqu’il passa de l’autre côté de l’étal pour ranger ses pinceaux. Alors mille questions vinrent à mes pensées, aussi bien à propos de lui qu’à propos des tableaux. Est-ce qu’il peignait des crimes imaginaires ? Juste imaginaires ? Est-ce qu’il les imaginait, pour les reproduire ensuite ? Ou est-ce qu’il donnait une dimension éternelle, à travers ses peintures, à des assassinats qu’il avait lui-même connu ? Est-ce que c’était une sorte de souvenir, à ne jamais effacer ? Ou les tableaux n’avaient-ils aucun lien avec la réalité ? J’avais du mal à imaginer d’autres versions. Mais, à part la dernière, elles me plaisaient toutes, je leur trouvais un certain charme.
 
Et je rêvais de ce que ça aurait donné, des peintures de mes œuvres à moi, de mes victimes, inertes, marquée de diverses tortures dont toutes avaient fini par s’avérer fatales. Et, brusquement, je revoyais Marie et George. Je me rappelais un peu, avant de trop me souvenir. Aussi, soudainement, je ne voyais plus l’homme de la même manière. Son affection presque intime pour la mort, tous ces points communs que nous avions, sa manière d’être si posée, si calme, si paternelle… et ce masque, tous ces vêtements qui le cachaient dans son entier. Je ne savais pas, oui ou non, l’idée de le rencontrer à nouveau me plaisait. Il me semblait pencher pour le nom, et pourtant, j’avais tant de questions à lui poser. Mais se pouvait-il qu’il pousse le vice en continuant de se faire passer pour un inconnu ? Un frisson de frayeur me parcourut. Je n’aimais pas cette impression qu’il me suivait partout, qu’il me voyait où que j’aille, et que, même s’il n’était pas là, il avait déposé sa présence en moi en me faisant avaler le fruit.
 
Papa ? finis-je par penser très clairement, m’entendant articuler parfaitement les deux syllabes.
 
Non, je me trompais, ou je rêvais. Et pourtant, il fallait que j’en ai le cœur net. Alors que j’allais avoir le cœur net et mettre fin à toutes ces interrogations, il prit la parole, un peu trop de justesse pour que je puisse croire à un hasard. Juste pour me demander mon nom, en plus.

   
 
▬ Maud. Et toi ?

Je savais qu’il était dans les normes de politesse, ou quelque chose comme ça, de vouvoyer les inconnus, comme il venait de le faire avec moi. Mais si nous nous connaissions depuis plus que quelques minutes, je pouvais me permettre de le tutoyer. Comme une fille parle à son père. Mais plus les secondes passaient, plus elles s’allongeaient, plus elles devenaient sombres et angoissantes, et plus, au fond de moi, j’espérais et craignait à la fois avoir, une fois pour toute, mis la main sur mon géniteur.
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Sam 10 Juin - 18:54
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Maud. C'était un joli prénom.

Court, concis, dont la beauté ne souffrait d'aucune fioriture, d'aucune sonorité saugrenue ou d'aucun exotisme exagéré. Il était à l'image de la jeune fille qui le portait, somme toute : assez authentique et direct. L'artiste considérait que les prénoms, comme toute chose dans le monde, ne faisaient que partie intégrante d'une grande trame artistique qui liait les éléments de l'univers dans lequel il évoluait. En l'occurrence, il était en face d'une sorte d'harmonie flagrante, un tout cohérent et soigné. Beaucoup de gens auraient pu voir en cette inconnue une personne éprise de déraison, voire pire, une folle qu'il fallait lier et enfermer avant que ses questionnements et ses ressentis ne se changent en actes irréparables. Avait-elle d'ailleurs déjà passé ce cap ? C'était une questionnement sensé, même si ses paroles tendaient à la présenter comme une néophyte n'ayant pas eu le droit au baptême du feu. Mais était-ce seulement le cas ?

À force de tromper les gens qui l'entouraient -même si il considérait personnellement que dans une pièce de théâtre perpétuelle, parler de tromperie était bien exagéré-, le Levignac s'était également habitué à ne voir qu'une partie de l'iceberg. Ce qu'il avait sous les yeux, selon lui, était une perle rare, une créature qui ne souffrait pas d'une opiniâtre morale aux limites et aux règles superflues et idiotes. Un individu désireux de ressentir, de vivre et d'éveiller ses passions sans que personne ne puisse l'en empêcher. C'est sur ce point que la demoiselle le touchait, en quelques sortes : ils ne voyaient pas une atrocité dans le meurtre. Rien de répréhensible, de honteux ou d'infamant. Non... ils y voyaient tous deux une allégresse, une sensation unique, un bonheur de passer à la tâche et d'observer le fruit de son labeur. Ses pensées en tête, après deux secondes sans réponse, il reprit finalement le cours de la conversation.

- Vous pouvez m'appeler Francis, répondit-il sur un ton égal, assez simplement.

Il ne fit que peu de cas du fait qu'elle le tutoyait. Après tout, cela n'était qu'une autre norme dont il se jouait avec joie en face des ignares qui s'y accrochaient fermement. Une sorte d'habitude chez lui, un exercice constant de contrôle de soi qu'il réussissait désormais avec brio. Il avait lui même été souvent corrigé à ce sujet, ne s'exprimant pas avec toute la dignité et la politesse d'un "homme de sa stature". Mais cela remontait à bien longtemps, lorsqu'il n'avait pas encore ouvert les yeux. Lorsqu'il était encore enchaîné à un fardeau si lourd qu'il n'avait d'autre choix que de s'en débarrasser pour s'en libérer.

- Ils sont rares, poursuivit-il en s'asseyant sur un tabouret aux moulures simples mais agréables à l'oeil. Les gens qui ont ce genre de... goûts, compléta-t-il malicieusement.

Il l'observa intensément, bien que sous son masque cela ne fut pas visible. La fixant sans rien dire, il laissa la curiosité gonfler dans sa poitrine comme une flamme vivace et incontrôlée. Il se refrénait, il contenait les pulsions carnassières qui s'agitaient en son sein, mais elle était bien plus captivante que le commun des mortels et cela lui donnait une place de choix dans son imagination. Car en tâche de fond, telle une mécanique oubliée de tous mais qui fonctionne au travers des âges, une question subsistait derrière toutes les autres : quelle serait sa place dans l'un de ses tableaux ? Comment pourrait-il la rendre encore plus belle, comment pourrait-il la rendre mémorable ?

Après tout, il était un peintre et le monde entier était une grande toile, les gens autant de nuances et d'émotions à retranscrire, son public légion et universel. La mort s'adressait à tous et en tout temps.

- L'avez vous déjà connue ? L'euphorie ? la questionna-t-il de sa voix reposante.



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Lun 12 Juin - 14:28


Papa ? ▬ PV. Francis Levignac

Lorsqu’il répondit « Francis », j’oubliai un peu mon anxiété de me retrouver en face de celui qui avait fabriqué ma vie. Ce prénom, il était vraiment rigolo. Je savais pas pourquoi, mais il l’était. D’ailleurs, je ne pus cacher mon hilarité, et un sourire se dessina au coin de mes lèvres, avant qu’un petit pouffement n’en sorte, un peu moqueur, il faut le dire. Comme il se cachait entièrement, j’étais incapable de dire si ça lui allait bien, alors tout ce que je pouvais faire, c’était en rire. De toute façon, je ne connaissais pas le nom de mon père, le savoir ne m’aurait aidé en rien. Mais mon amusement se calma vite : j’étais trop préoccupée par découvrir qui se cachait sous ce masque, et trop sûre qu’il était mon père, que je retrouvais mon sérieux assez rapidement. D’ailleurs, je n’étais même pas sûre qu’il ait remarqué que je riais, puisqu’il ne me fit pas de remarque directement et reprit notre sujet précédent :

   
 
▬ Ils sont rares. Les gens qui ont ce genre de goût.
Mes pupilles suivirent son mouvement. Je fronçais les sourcils, ne comprenant pas tout à fait ce qu’il voulait dire, par ces mots. Peut-être que nous étions rares, oui, et alors ? Toujours persuadée de son identité, je pensais que chacune de ses paroles m’enfonçaient dans cette idée, que le moindre de ses mots étaient un indice, censé me guider vers la vérité. Ils sont rares, si rares qu’ils font partie de la même famille. Telles étaient mes pensées. Je ne savais pas encore que j’avais mal interprétée absolument tout ce qu’il disait, mais ce sentiment de l’avoir en face de moi était si fort, si prenant. Je n’arrivais pas à croire qu’un inconnu pouvait parler ainsi, et réussir à me saisir aussi bien. Il était impensable qu’un Monsieur Nimportequi, qu’un Francis – j’en ris encore – rencontré par hasard puisse autant me correspondre. Alors, perplexe, je ne lui accordai qu’un vague babillage en guise de réponse.

Un peu boudeuse, perdue et en colère qu’il ne se montre pas directement, je détournai le visage vers l’un de ses tableaux, les yeux collés dessus et le regard quelque part dans le vide. Je ne comprenais pas ce qu’il cherchait à faire, à dire. Et ne pas comprendre, c’était un truc qui me gonflait. Je cherchais de quoi le faire parler lorsque, après un instant de silence, il me demanda si j’avais déjà connu l’euphorie. J’imaginai tout de suite qu’il parlait de celle qui vient lorsqu’on donne la mort, et rien d’autre. A nouveau, mon attention se tourna vers lui. Je le dévisageai comme si j’essayais de percer son masque, même son crâne, pour lire directement dans ses pensées. Est-ce qu’il savait ?

   
 
▬ Ouais, murmurai-je d’une voix presque inaudible, mais sèche.

Au moins une fois. Tous les crimes n’avaient pas les mêmes couleurs, ou les mêmes sonorités. Chacun était unique, et à sa façon, spécial. Mais sûrement comme toutes les œuvres d’art, pour chaque artiste, il y en avait une qui sortait du lot. Une qu’il aimait vraiment, dans laquelle il avait mis plus de cœur, plus de hargne. Au moins une fois, il ressentait quelque chose de vrai, pour son travail. L’euphorie, je crois. Avant d’agir, j’avais toujours pensé que George aurait été mon chef-d’œuvre. Après tout, ce père d’adoption qui ne m’avait gardée que pour son épouse infidèle, avait su me faire comprendre, durant toute mon enfance, qu’il ne m’aimait pas. C’était pour ça, que j’avais agi. Que je voulais en venir à bout, avec lui, lui rendre tout ce qu’il m’avait fait. Lui rendre seize ou dix-sept années de vie misérable et tourmentée en quelques minutes, quelques heures peut-être. Je pensais qu’il était le produit d’une vengeance terrible, nourrie de haine et du désir de le voir mort. Et pourtant, la différence avec Marie, ma mère, était flagrante. La femme qui m’avait élevée avec tant d’amour, de tendresse et de bonté, qui s’était battue contre le regard des autres femmes, ces commères qui ne voyait en elle qu’une pute bonne à être insultée, qui n’avait jamais pleuré devant moi, alors que George la traitait comme la salope qu’elle était. Prendre la vie de ma mère, c’était me retirer une partie de moi-même. Comme si, à la naissance, j’avais pris la forme et la malice d’une gargouille, que je m’étais mise à arracher et grignoter le cordon en lui riant au nez. Tout ce qui nous liait, tout ce qu’elle avait marqué en moi, les mimiques, les qualités et les défauts, les traits, tout ça, je l’avais brisé en ressentant un macabre plaisir à lui retirer la vie.

Alors, est-ce qu’il le savait ?

J’en avais assez de parler, et qu’il me torture ainsi l’esprit. C’était à son tour d’en dire plus à propos de lui. Si je le laissais continuer de blablater comme ça, ça allait durer des heures. Je soufflai comme un taureau, une fois, avant de de me tourner à nouveau vers les tableaux. Je ne le savais pas artiste, mais il avait l’air de tenir à ses babioles. Agacée, j’imaginais que le seul moyen de le faire parler, c’était de m’en prendre à ses petits protégés. Doucement, choisissant avec minutie lequel d’entre eux serait ma victime, je me déplaçai le long de l’étal. Je m’arrêtai face à celui qu’il regardait tout à l’heure. Avec une femme, morte, dans un escalier. L’imitant malgré moi, je plongeai les yeux dedans, absorbée par la beauté de l’œuvre. Je l’attrapai de la main droite, par le haut, le soulevant face à ma tête. Je glissais uniquement mon regard vers le gars, excitée, un sourire espiègle au bout des lèvres.

   
 
▬ Montre-moi ton visage. Ou je le casse.




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Lun 24 Juil - 18:47
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La suite des événements se trouva être des plus stimulantes. Devant lui se trouvait bel et bien ce qu'il pensait avoir déniché : une petite perle, sinistre dans sa beauté unique, déambulant dans le dédale de rues qui constituait cet endroit ensoleillé et poussé par le vent du commerce. Une pierre précieuse de noirceur, à l'attrait funeste. Quelqu'un qui, comme lui, progressait dans la mélasse humaine en transportant sur son dos une carapace de banalités sociales afin de ne jamais être exhibé pour ses passions considérées comme répréhensibles. Bien qu'il lui sembla que son interlocutrice avait une protection plus fine que la sienne, il ne s'en formalisa pas : l'âge, l'expérience et le contrôle de son caractère étaient des atouts qu'il détenait dans cette situation, même si il était aux premières loges de chacun de ses propres dérapages. Bien qu'ils se furent raréfiés, il n'en restait pas moins que même ses propres barrières avaient leur limite. Parfois, sa véritable nature ne pouvait que jaillir à nouveau dans la boue qui l'entourait pour lui donner une nouvelle prestance... c'était pour cela qu'il lui fallait régulièrement exercer son art. Produire des chef-d’œuvres n'était pas pour lui qu'une façon de répandre ce qu'il considérait comme la plus belle des branches artistiques dans la plèbe : non, c'était aussi une façon pour lui de relâcher un peu de pression. Il attribuait néanmoins cela à son travail, exigeant et éreintant.

Soudain, la demoiselle qui semblait jusque là dotée d'une certaine innocence naïve et d'une discrétion timide toute relative se métamorphosa. Devant ses yeux, le passager noir qui sommeillait en elle reprit les commandes. Leur échange, bien qu'étrange, était jusque là amical... mais il prit une toute autre tournure. S'emparant avec dextérité de l'un de ses tableaux, après une approche qui ne manquait pas de finesse, elle se tourna vers lui avec une expression qui aurait pu mettre mal à l'aise n'importe qui du commun. Silencieux, il l'observa avec un certain intérêt, bien qu'en son for intérieur une résonance primale lui intimai de passer à l'acte. Contrôlant sa volonté, il se força à rester stoïque alors qu'elle prononçait sa menace sans la moindre gêne.

Que faire ?

La situation était épineuse. Cette œuvre était la sienne... de l'art. Le vrai. Le dessin de la mort. La peinture du néant, s'insinuant délicatement dans un corps encore chaud que la vie venait juste de quitter. L'excellence du meurtre, la quintessence d'un artiste de l'abattoir ! Même si ses productions ne se limitaient guère au maigre échantillon présent, il n'en restait pas moins que son âme avait été mise dans chaque trait, dans chaque creux. Néanmoins, la réalité était ainsi faite : il lui était impossible de dévoiler son visage à une inconnue de la sorte. À quiconque, en réalité. Alors quelle était la marche à suivre ? Plusieurs notes résonnèrent dans son esprit, dans un petit concert aux graves terribles et aux aigus pleins de grâce. Certaines voix lui disaient de la tuer, ici et maintenant. De céder, de déverrouiller le loquet de son inconscient et de saisir cette opportunité unique de changer les ténèbres habitant cette demoiselle en une encre pour le plus beau des portraits. D'autres lui suggéraient d'accepter ce sacrifice douloureux et de laisser à la jeune femme le plaisir sadique de terminer son acte, d'accomplir sa propre oeuvre. Le reste n'était qu'un brouhaha incessant qui lui embrumait l'esprit et qu'il occulta rapidement. Une chose était certaine : il était hors de question de répondre favorablement à sa demande. Non... cette petite impertinente n'aurait pas ce privilège. Personne ne l'aurait... pas avant qu'il ne l'ait fait !

Il déplaça une main fermée vers son visage, lentement. Au départ, on aurait pu croire qu'il s'apprêtait à retirer son masque. Paume plaquée contre le nez, doigts écartés, il semblait prêt à dévoiler son faciès. Mais il n'en fit rien. Une profonde inspiration se fit entendre alors qu'il penchait légèrement la tête en arrière. L'odeur familière et tant adulée de sa propre personne eut le même effet que d'habitude : elle apaisa ses maux, lui rendit sa lucidité. Sous son masque, une goutte de sueur timorée termina sa course, se perdant dans les replis de ses vêtements d'emprunt, invisible de l'extérieur. Il riva à nouveau son regard sur Maud alors que sa main laissait pendre quelques instants une petite bourse finement cousue, aux motifs agréables et doux. Son talisman protecteur, son calmant principal... une des rares reliques de son passé qu'il s'empressa de ranger, se fondant à nouveau dans une attitude impassible des plus déroutantes.

- La destruction, comme le meurtre, constitue une forme d'art, déclara-t-il simplement. Si tu en retires un plaisir quelconque, alors vas-y... fais le. Brise le.

Il trouvait une sorte de plaisir malsain à ainsi la pousser vers cette pulsation mauvaise qui devait faire vibrer son être au même instant. À vouloir creuser dans cette chair d'apparence fragile pour déterrer le monstre qui pourrait sommeiller en dessous. Cette curiosité carnassière avait pris le pas sur son appréhension et il observait désormais avec intérêt la demoiselle et ce qu'elle ferait de l'objet. Torturé comme il l'était, il n'était pas à exclure qu'il se fut convaincu du bien fondé d'un tel acte : peut-être donnerait-elle à sa peinture un sens nouveau, en la fragmentant ? Ou peut-être n'était-ce qu'une maladroite excuse présentée à son propre côté sombre pour lui éviter de retomber dans les travers de cinq ans plus tôt...




HRP
Spoiler:
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Jeu 24 Aoû - 20:09


Incassable, incassable, cassé ▬ PV. Francis Levignac







Oui, allez, vas-y, enlève-le !

Jamais j’aurais cru qu’il le ferait. C’était plus qu’inespéré. Mais il avait posé la main sur le masque, il l’avait attrapé dans toute la grandeur de sa paume, disposé à se dévoiler pour sauver son œuvre. Mes yeux s’arrondirent, mes pupilles s’agrandirent, comme un chat à l’affût, chasseur, prêt à transformer sa proie en steak haché. Malgré moi, mes lèvres s’entrouvrirent d’émerveillement, tandis qu’un sourire se pointait à leur commissure. Enfin, j’allais recevoir, sans aucune difficulté, une réponse à mon caprice. Adieu tous les mystères de mon existence, mon père acceptait de se confier à moi.

Du moins, ça, c’était ce qu’il m’avait fait croire, jusqu’à ce qu’il penche la tête en arrière, renifle bruyamment et range un tissu bizarre dans sa poche. Mon visage se crispa, prit de quelques palpitations presque maladives. Bordel. Il jouait à quoi ? Ce type était un putain de junkie et il se foutait de ma gueule. Je l’imaginais en train de s’esclaffer derrière son masque, de voir ma tronche de paumée, de se dire que j’étais bien mignonne, ou bien conne. Putain. Merde.

Je fais quoi, maintenant ?

A croire qu’il lisait dans mes pensées, le type m’apporta sa réponse, en m’invitant à tabasser son putain de dessin, si ça me chantait. Après tout, c’était de l’art. Ahahahah. Ah. Putain.

Non seulement, c’était, de base, inespéré, mais il avait en plus réussit à me faire croire que ça avait marché. J’avais pas de réponse, et j’étais humiliée. Génial. Connard. Enfin, c’était sûr, qu’il m’aurait jamais montré sa gueule. S’il se cachait, il avait une raison de le faire. Il allait pas enlever son masque en se dansant et hurlant comme un hystérique devant tout le monde, juste pour mon bon plaisir. C’était con, de lui avoir demandé. En plus, on parlait pas du tout de son identité. Et moi, j’ai balancé ça comme ça. « Montre-moi ton visage, ou je le casse ». Bouffonne. Bordel, je passais vraiment pour une dingue.

Et avec ça, j’étais paumée. Pourquoi j’avais envie de savoir si c’était mon père ? Pourquoi j’en étais persuadée ? C’était un type masqué. Il me faisait un peu penser à un homme que je connaissais un peu. Super, détective Maud, bravo. Merde. Et je partais à la chasse d’un père que j’avais à peine connu. D’un inconnu, en fait. Qu’est-ce que j’en avais à foutre, de lui ? Il m’avait même pas élevée. Enfin… peut-être un peu. J’en savais trop rien, je savais pas quoi penser. Ca me gonflait.

Merde. De toute façon, il s’en foutait. Alors moi aussi, ouais. Attrapant le tableau par les bords, la peinture face au sol, je remontai mon genou cogner le centre de la toile, pour l’exploser, sans regarder ni le type, ni mon œuvre. S’il en avait rien à faire, s’il ne sauvait pas son dessin, je le balancerais à côté de moi, pour lui montrer que j’en tirais aucun plaisir, comme il disait. Moi aussi, je pouvais m’en foutre.
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