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La mission était simple : avec deux aspirants au Cipher Pol 2, la Olsen devait infiltrer l’île des Hommes-Poissons pour cueillir des informations sur ceux-ci. Les créatures venues de l’île qui se situait sous Red Line étaient nombreuses en ces lieux, et à cette époque elles asseyaient une domination impossible à esquiver sur tous les humains qui habitaient ici. Pourquoi envoyer une agente d’élite et deux aspirants sur cette mission alors… Et bien pour Lidy c’était on ne peut plus simple : elle avait perdu un pari avec Belladone Grimm, sa compagne, et devait à présent réaliser un travail à sa place. Bien sûr, il s’agissait de la formation de nouvelles recrues, et c’était pénible de se dire qu’elle allait devoir faire cela aujourd’hui.

- Aspirante Minori, Aspirant Tokaïdo, vous avez bien compris mes instructions ? Reformulerait-elle une dernière fois sur le navire qui lui promettait de débarquer bientôt sur l’île.
- Oui, oui, dirait William Tokaïdo en se grattant l’oreille, les yeux emprunts d’une forme de bêtise.
- Oui, Madame ! Ferait Liliana Minori en se tenant au garde-à-vous.

Les deux recrues avaient un comportement diamétralement opposé. C’était cela qui agaçait le plus Belladone, et c’était la raison pour laquelle Lidy se coltinait cette mission : elle était plus apte à gérer ce genre d’individus, surtout en territoire ennemi. Certes, cela sortait de ses fonctions mais on ne lui avait pas attribué d’autres missions récemment, cela voulait dire qu’elle prenait sur son temps libre pour ce genre de choses… Heureusement qu’elle aurait une récompense en rentrant, se dit-elle avec un soupir exaspéré.

- On va d’abord enquêter auprès de la population. Quand nous débarquerons sur l’île, nous serons juste un groupe d’amis qui vient pour visiter les lieux. Les taxes sont normalement assez élevées, mais on a un budget alloué pour ça.

Elle donnerait leur part en fonction des informations qu’elle avait déjà pu glaner sur le contexte de l’île. Les hommes-poissons qui vivaient ici étaient des renégats, bannis de leur propre chef-lieu, l’île des Hommes-Poissons. Il s’agissait de tyrans. Sur la côte de l’île se trouvaient les résidences luxueuses des leaders locaux, et quelques villages étaient dispersées sur le reste des collines et plaines. Normalement, en arrivant sur l’île ils devraient payer une taxe de passage. S’ils la payaient, ils ne seraient pas embêtés. Gosa était un ancien village, détruit par les dominateurs.

Le type d’informations dont elle avait besoin était divers : l’état actuel des villages, les mouvements contestataires possibles, les forces en présence sur l’île… Si elle avait été seule, elle aurait pu réunir les informations en passant directement par les souvenirs de ceux qui se trouvaient ici, mais comme il y avait deux recrues, elle devait mener une enquête standard sans les mettre en danger, et former leurs futurs talents. Les Agents du Cipher Pol 2 étaient utiles à ses propres missions après tout.

Quelques dizaines de minutes plus tard, la petite troupe débarquerait sur l’île.

Spoiler:

- C’est l’heure de récupérer les taxes, grand-frère ! Beuglerait un homme-poisson dans la villa dont les murs servaient de remparts infranchissables aux contestataires de l’île.
- Hein ? Ah, ouais, ce mois-ci on doit les récupérer un peu plus tôt que d’habitude… Y’a un gros banquet de prévu après tout ! S’amusa l’homme-poisson-lanterne dont la peau translucide laissait peu de doutes quant à ses origines.

Kevrik Bördg était parmi les collecteurs les plus redoutés de l’île. Il avait tendance à prendre le beurre et l’argent du beurre. Connu comme l’un des responsables de la destruction des petits villages, il n’était pas apprécié par la population. Le pire dans sa situation, c’est que ses camarades ne le portaient pas dans son cœur à cause des liens qu’il avait avec l’une des figures quasiment « nobles » de l’île des Hommes-Poissons. A Konomi, il ne recevait cependant aucun traitement de faveur.

Se levant de son transat, il fit signe à ses gars de venir : l’heure de la récolte avait commencé.

- C’est l’heure de payer les taxes !

Les hommes-poissons étaient toujours en petit groupes lorsqu’ils s’avançaient dans l’île, et il leur arrivait de prélever les taxes plus tôt que prévu. Lidy se dit donc que le moment idéal pour les attaquer était une période où ils seraient presque tous au Q.G., mais elle laisserait les deux aspirants avec elle formuler cette hypothèse s’ils y pensaient. Pour l’instant, ils étaient entrés dans un village qui ne respirait pas nécessairement la joie de vivre. La Olsen n’avait pas envie de se mêler à cette affaire, principalement parce qu’il s’agissait d’un événement qu’ils n’avaient pas prévu.

- C’est horrible, grogna William Tokaïdo en serrant le poing.
- Garde ta langue dans ta poche, tu vas nous attirer des ennuis, pesta la bleue tandis qu’on s’approchait d’eux.

L’homme-poisson qui les aborda faisant un peu plus de deux mètres. Lidy l’analysa autant qu’elle put, fronçant les sourcils : c’était un être certainement plus puissant que la moyenne avec sa race, mais il ne représentait pas un danger immédiat. Il approcha sa main, la tendant avant que l’Agente d’Elite lui réponde :

- Nous sommes en vacances, nous avons payé notre taxe de passage.
- Ah bon ?

Il semblerait rapidement se désintéresser. La taxe de passage était une lubie assez variable : parfois elle était là, d’autres fois non. Il n’avait pas envie de se prendre la tête, alors il laisserait couler pour cette fois-ci. Pourtant, ce fut un hurlement qui attira l’attention de la Olsen et de sa troupe. Sur la place publique, une vieille dame était traînée par le bras et s’avançait en pleurant. « Elle n’a pas de quoi payer. » se fit la bleue. « Merde, fallait que ça arrive aujourd’hui. ». Elle ne pouvait pas affronter ostensiblement cet homme-poisson pourtant, il y avait trop de monde.

La vieille dame pleurait au milieu de la place sans pour autant demander d’aide. Celui qui la maintenait n’était autre que Kevrik Bördg en personne, une des terreurs de l’île. C’était décidément bien leur veine de tomber d’emblée sur l’un des leaders… Mais elle allait pouvoir l’observer. Il ne fallait pas que ses aspirants soient mis en danger, pourtant on somma bientôt tout le monde, sans exception, de venir assister à la correction de la vieille dame.

- Cette femme ne veut pas sortir 70.000 Berrys de sa poche ! Hurla l’homme-poisson. Elle est pauvre, ahahah !

70.000 Berrys… Sur un salaire mensuel moyen de 120.000 Berrys, cela représentait plus de la moitié. C’était inhumain de demander autant : les taxes étaient bien trop élevées pour permettre à tous de vivre. Ils s’endettaient les uns les autres et vivaient dans la terreur la plus complète : celle de ne pouvoir payer. Et ces hommes-poissons prenaient plaisir à ce genre de choses ? Et merde ! Pourtant, malgré la frustration, la Olsen ferma le poing et serra les dents : elle ne pouvait pas compromettre la mission pour ce genre de choses. Y avait-il quelqu’un dans l’assistance qui oserait agir et protégerait cette femme, ou assisteraient-ils à son humiliation publique, le dos lapidé par des coups de fouet ?

- On ne peut pas…

Ils ne pouvaient pas rester à rien faire, c’était bien évident. Ils s’en prenaient à des innocents. Lidy pourrait intervenir, mais cela foutrait en l’air l’opération. Pourtant, elle avait les informations nécessaires : en lisant dans la vie de l’homme-poisson-lanterne, elle savait déjà ce qu’il fallait savoir sur les défenses de cette île et pourrait en informer la marine d’East Blue. Il n’y avait pas lieu de tergiverser… Et pourtant, deux aspirants étaient avec elle. Elle fit une évaluation globale de la capacité défensive et offensive de l’ennemi, des conséquences à une petite révolte, du temps qu’il faudrait à la marine pour intervenir…

Brusquement, son corps bougea, et son genou rencontra un bref instant plus tard le visage d’un des hommes-poissons qui avait commencé à bouger et à attraper la jeune fille par les bras. Il lâcha le bras de la demoiselle qui s’était défendue plus tôt, vacillant en arrière avant de tomber, inconscient. La Olsen n’hésita pas et un instant plus tard elle fondait sur le second homme-poisson pour lui donner un coup de paume dans le torse. Il sentit sa respiration se couper, et le deuxième coup ne vint qu’affirmer le premier, l’obligeant à reculer en se tenant la cage thoracique.

- Je crois que vous avez assez joué pour aujourd’hui, dirait finalement la Olsen en fronçant les sourcils. Osez encore vous approcher d’elles, et je vous jure que vous vous en mordrez les doigts.

Lidy était sérieuse, et son regard sembla dissuader les ennemis d’agir. Les deux aspirants semblèrent brusquement soulagés : contrairement à la bleue, ils n’avaient pas envisagé les conséquences d’une telle action. Elle comptait cependant sur l’opération de conquête de l’île qui aurait lieu une fois les informations remontées pour canaliser les choses, et empêcher que quelqu’un n’agisse trop vite. Ce serait seulement aux prochaines taxes que les conséquences devraient tomber, puisqu’ils avaient une opération d’envergure à gérer entre temps, raison pour laquelle ils devaient prélever plus tôt ce mois-ci. Si la gouvernementale ne connaissait pas les projets des hauts-gradés de cette mer, elle comptait bien les aider à se réaliser plus vite, quitte à ce qu’elle doive elle-même lancer l’assaut.

- Est-ce que tout va bien ? Demanderait-elle à la jeune femme qui avait été mise à genoux.
- Espèce de… Tu crois pouvoir nous avoir tous ? Ricana Kevrik Bördg en s’approchant.
- Je pense que je peux prendre plus de la moitié d’entre vous dans la tombe, rétorquerait Lidy en se mettant en garde.

L’échange de regard qui s’en suivit coupa le souffle à une partie de la population tandis que les hommes-poissons commençaient à former un bloc autour de leur chef, sans savoir comment agir face à cette inconnue qui avait démontré une vivacité supérieure à celle habituelle des habitants. Les étrangers qui intervenaient lors des collectes, ça arrivait de temps à autres, mais ceux qui en menaient un peu plus large que les autres… Il valait mieux ne pas risquer de se retrouver avec plus de blessés, pas avec l’opération à venir.

- Et si on faisait un petit pacte ? Tu payes la part de la grand-mère, et on laisse passer, fit Kevrik avec un air tout aussi menaçant que quelques secondes auparavant.

Lidy soupira. C’était la meilleure conclusion qu’elle pouvait espérer. Sortant l’argent, elle la jeta à ses adversaires qui s’en emparèrent rapidement. Ils ne tardèrent pas à décamper en ronchonnant, même si pour l’instant la victoire était du côté de la Olsen. Celle-ci se frotta le crâne en réfléchissant avant de se tourner vers la victime de cette récolte, la demoiselle à terre :

- Je m’excuse d’être intervenue, c’était assez insoutenable comme spectacle, dit-elle en se grattant cette fois-ci la joue. Est-ce que ça va ? Je me prénomme Lidy.

« Ouf ». Ils étaient partis. Lidy avait un poids qui s’enlevait de sa poitrine. Certes, cette histoire lui avait fait perdre de l’argent mais elle était soulagée de voir que ça avait sauvé la vie de cette grand-mère et de sa petite-fille. Elle les regarda tandis que l’inquiétude se lisait chez l’une comme chez l’autre, et qu’elles voulaient la remercier. Les deux aspirants au Cipher Pol 2 s’approchèrent, incrédules face à l’emportement de la bleue qui leur avait pourtant ordonné de ne pas intervenir. Eux-mêmes étaient déchirés, mais ils n’auraient pas fait le poids contrairement à Lidy dont la maitrise des techniques s’était améliorée depuis quelques jours… Même si elle devait s’avouer que c’était un coup de chance qu’elle soit arrivée à placer un Soru sans s’enfoncer dans le mur.

Ce qui l’interpella fut la seconde voix dans l’esprit de Lucina. Cette demoiselle avait-elle une malédiction ? Un trouble de la psyché ? Quoiqu’il en soit, elle était persuadée d’entendre quelqu’un d’autre que personne ne semblait percevoir… « Color’Art », c’était peut-être le nom de son pinceau. Elle ne devait pas y faire mention, elle n’était pas censée être au courant et ce serait dommage qu’on découvre sa malédiction comme ça. Laissant cette pensée de côté, elle se contenta donc de prendre le moment présent.

- Enchantée, je me nomme Lidy Olsen. Voici mes deux camarades, William Tokaïdo et Liliana Minori.
- Bonjour, dirent-ils d’une seule voix en s’inclinant légèrement.

Ils étaient respectueux, c’était déjà ça de gagné sur leur formation. En tout cas, cette situation était une épine dans le pied malgré les analyses de la Olsen. Elle ne pouvait pas en apprendre réellement plus de la bouche de ces villageois, mais elle ne pouvait pas les laisser tout seul pour l’instant. Ce Kevrik Bördg avait sûrement prévu de revenir un peu plus tard dans la journée pour ravager les lieux à lui tout seul, à moins qu’il ne reçoive une mission prioritaire avant… Comme elle avait déclenché ce bazar, elle devait au moins s’assurer qu’ils passeraient la journée. Au-delà, ce ne serait plus de son ressort.

- Si ça ne vous dérange pas, j’aimerais vous parler un petit peu… Mais j’imagine que le lieu est mal choisi, dirait-elle en désignant du regard les villageois qui semblaient craindre, à juste titre, les représailles. Pourrions-nous aller discuter dans un endroit un peu plus isolé ?

Elle désigna l’intérieur de la maison où vivaient la grand-mère et Lucina. William s’approcherait de l’oreille de Lidy pour lui murmurer son incompréhension, mais elle l’arrêterait d’un simple geste. Elle ne voulait pas que des paroles blessantes arrivent aux oreilles de civils qui n’avaient pas causé le moindre mal. Il fallait même dire que la Olsen avait une certaine empathie pour ces personnes. Des villages ravagés par des pirates comme ces hommes-poissons, elle en avait vus beaucoup… Le sien aussi avait été détruit dans un conflit engendré par des hors-la-lois. Elle se souvenait encore de sa maison en feu, et aurait été incapable de se souvenir du visage de ses propres parents si ce n’était pas les yeux de son frère. Cette idée la faisait frissonner, mais elle se contenta de suivre Lucina. Une fois qu’ils seraient enfin hors de portée des commérages, elle pourrait reprendre là où elle s’était arrêtée :

- Je ne vous demanderai pas d’argent, il est bien normal de venir en aide à des personnes en danger.

« Alors même qu’elle avait dit le contraire… » Pensait William avec un air bougon.

- Nous sommes à la recherche d’informations sur les hommes-poissons qui dirigent l’île. Vous vivez ici depuis longtemps ? Est-ce que vous auriez une idée de la raison qui les pousse à avoir pris les taxes en avance de mois-ci ?

Le canapé semblait vieux, comme la femme qui leur proposait de s’y installer, et pourtant on pouvait sentir qu’il était entretenu. Lucina semblait avoir peu d’informations sur les hommes-poissons, même si c’était en réalité une manière de dire qu’elle en avait. Leur cruauté et la récolte soudaine n’étaient pas sans raisons : le besoin d’obtenir des finances était toujours lié à un mouvement militaire. Froidement, Lidy notait l’information dans un coin de sa tête et se dit qu’elle s’en servirait pour coudre son rapport. Elle avait déjà largement ce qu’il lui fallait grâce à ce qu’elle avait lu chez les créatures mi-humaines.

- Je comprends mieux, fit elle en tournant son regard vers les deux apprentis qui l’accompagnaient.

Eux avaient l’air dubitatif. Un mouvement d’ampleur risquait de porter préjudice aux marines de cette mer… Sauf s’ils attaquaient un lieu neutre, ce qu’ils avaient dû faire. La Olsen le savait à présent : l’argent récoltée permettrait de fêter la victoire sur un monceau d’îles à quelques dizaines de kilomètres de celle-ci. Ils avaient encore une fois pillé et tué les habitants, capturé les femmes, vendu les enfants. C’était d’une barbarie sans nom, mais elle avait vu pire.

Quand la mère de Lucina descendit, la Olsen tenta d’afficher un regard compatissant, mais elle se rendit compte que son interlocutrice était plus informée que ce qu’elle pensait. Elle savait pour le banquet, ce qui voulait dire qu’elle n’aurait même pas besoin de mentir… Pourtant, les deux aspirants au Cipher Pol 2 pensaient à la même chose : croire une ivrogne, c’était toujours prendre une information un peu tarabiscotée…

- Merci pour ces informations, fit la Olsen en s’approchant de la mère de Lucina. Pendant les deux prochaines semaines, faîtes profil bas sur l’île…

Elle se tourna vers la Minori et le Tokaïdo, leur offrant un regard calculateur, froid, un de ces regards qui vous fait frissonner et qui vous plaque au sol en un rien de temps. Les deux déglutirent comme un seul homme, avant de se remettre au garde-à-vous, laissant de côté leurs personnalités respectives.

- Allez interroger les autres habitants discrètement. Quand vous avez terminé, rendez-vous demain matin sur la place centrale.

Les deux rompirent le rang et se dirigèrent vers la porte en remerciant les habitants de la maisonnée pour leur hospitalité. La Olsen sembla se détendre après leur départ, et se mit au niveau de la mère de Lucina, un genou à terre, prenant ses mains dans les siennes. Elle la regarda dans les yeux et lui dit sur un ton apaisant :

- Vous nous avez vraiment aidés. Cela aidera à protéger votre famille… Lucina, j’ai besoin de vérifier les défenses de l’île, c’est-à-dire que je dois m’approcher du Q.G. des hommes-poissons. Je ne vous demanderai pas de m’accompagner au plus proche, mais pouvez-vous me guider jusqu’au prochain village ?

Elle demandait cela en ayant pourtant déjà une bonne connaissance de l’île. Cela voulait cependant dire qu’elle était prête à aller vérifier les informations sur place : certaines n’étaient peut-être plus d’actualité, et elle devait faire un état des autres villages pour voir si un mouvement de résistance y était organisé. Cela lui profiterait aussi d’avoir le soutien d’une locale dans ses interactions sociales avec les habitants… Tout cela faisait partie de son plan, et s’il se déroulait comme sur des roulettes, elle pourrait obtenir pour les marines l’aide des humains présents sur place. Cela leur épargnerait au moins d’avoir à gérer les locaux pendant la prise de l’île… Et se révèlerait bénéfique pour leurs relations futures.
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La joie de Lucina aurait pu être contagieuse, mais la ressentir grâce à son pouvoir était largement suffisant. Lidy pouvait lire les émotions des autres, ce qui était similaire à les acquérir pendant quelques instants. L’impatience, l’exploration, ce désir d’aventure : tout était une boule d’énergie chez son interlocutrice. La base que Lucina avait dessiné était parfaitement reproduite : à l’image des souvenirs de leur adversaire homme-poisson.

- Allons-y

Finalement, elles firent le trajet vers la ville suivante alors que Lidy acquiesçait. Lire dans les pensées de Lucina était une manière de la connaître un peu mieux : cela lui permettait de comprendre quelques éléments supplémentaires sur la jeune femme. Cela lui permettait par exemple de comprendre d’une certaine manière les échanges qu’elle avait avec Color’Art, même si elle ne savait pas quelle part de cela était réel. Elle savait au moins que Lucina lui apportait une grande importance, et elle n’oserait pas remettre cela en question.

Le village suivant se nommait « River », et se situait près d’un point d’eau. Séparé en deux parties, il était composé d’une cinquantaine d’habitations, d’une place centrale et de quelques champs cultivables. La place centrale était occupée par différents marchands qui étalaient leurs marchandises par terre, tentant de vendre le plus rapidement possible quelque chose pour arriver à payer les taxes qu’on leur demandait. L’un d’entre eux s’approcha de la locale aux cheveux roses, et lui demanda d’un air pitoyable :

- Ai… Aidez-moi, je dois vendre un peu de blé pour… Pour…

Lidy n’avait pas réellement de temps à perdre, mais elle ne pouvait pas se montrer insensible au malheur de ces personnes. Il lui restait un peu d’argent, et elle aurait toute la peine du monde à justifier son absence de réaction. Elle décida donc de s’abaisser à hauteur de l’homme qui tentait de prendre la jambe de Lucina pour qu’elle réagisse rapidement, si cette dernière n’avait pas encore accepté sa requête, implorant la jeune femme.

- Que devrions-nous faire, Lucina ? Demanda-t-elle. Je peux lui acheter un peu de blé, si tu veux.

Elle pourrait dépenser une maigre somme en comparaison de l’aide que lui apportait la locale, et cela lui administrerait un peu de sympathie de ce pauvre homme. Il lui raconterait alors son histoire, que ce soit la rose ou la bleue qui ait fait la démarche. Deux jours plus tôt, les hommes-poissons étaient venus dans le village demander leur dû. Ils avaient violenté quelques personnes avant de laisser un délai à ceux qui restaient debout. C’était cependant dur de faire du commerce quand la population était aussi pauvre, et certains étaient déjà morts de faim ou de pauvreté. Ce village était le plus proche de la base et avait en son sein un vent de révolte qui soufflait.

Lorsqu’il dit cela, il regarda l’auberge du coin de l’œil. C’était l’endroit où se retrouvaient ceux qui voulaient faire changer les choses. Lidy ne le releva pas, essayant de laisser sa camarade lui donner cette information. Si elle paraissait trop omnisciente, cela risquait d’attirer la curiosité de Lucina… Et la porterait à dévoiler ce qu’elle savait. Observant les autres marchands, ceux-ci ne semblaient pas encore leur avoir porté d’attention.

L’utilisation de Lucina comme appât ne plaisait que moyennement à la Olsen, cependant elle comprenait les atouts que cela représentait. Elle pencha la tête sur le côté, avant d’acquiescer tout doucement, toujours pensive. Cela nécessitait une certaine organisation, mais elle pouvait discrètement les filer, et ainsi obtenir des informations plus précises dans les esprits des hommes-poissons. Si elle avait, à la fin de cette aventure, un rapport suffisamment complet, cela faciliterait la prise de l’île par les forces marines. Finalement, le plan était bon… Et lorsque Lucina se dirigea vers le repère des hommes-poissons, Lidy commença simplement à regarder ce qui se passait au loin.

Il y avait évidemment les rebelles qu’ils devaient contacter, mais la quête d’informations était peut-être primordiale. Ainsi, elle abandonna l’idée d’aller rencontrer ceux qu’elle avait pu localiser… Pour l’instant. L’homme-poisson qui regarda la rose de haut semblait légèrement abruti. Il avait un regard vide, et l’esprit aussi. Son soupir las et ses épaules abattues indiquaient clairement qu’il ne s’agissait pas d’un des principaux acteurs de l’île. Il avait en tête quelques plats qu’il pourrait manger le soir-même, et prêta une attention à moitié confuse à la jeune fille…

- Euh… ouais… Euh, suis-moi.

Il semblait en proie à quelques hésitations. D’autres hommes étaient derrière lui, mais tous avaient ce même regard de poisson frit. C’était exaspérant pour la Olsen qui n’arrivait à tirer aucune information d’eux, et se contenta de les suivre en observant les environs et en prenant en compte les différents éléments qui pourraient l’aider à s’enfuir au dernier moment, avec ou sans Lucina. Les habitants ne s’enfuiraient pas, assaillis par la peur et attachés à leurs maisons. Ils seraient les derniers à quitter l’île, tel un peuple ancré dans une culture ravagée. Lidy comprenait que leur seul espoir était une intervention rapide de la marine… Mais ils devaient finir leur enquête pour cela.

Quelques kilomètres séparaient la base du village. Ils parcoururent les lieux avec une lenteur exaspérante, s’arrêtant en chemin pour grignoter. Quand ils purent enfin atteindre la base, la journée était presque terminée. La Olsen fronça les sourcils, s’approchant avec des pas silencieux des lieux qu’elle convoitait. Elle sauta sur les remparts, se cachant dans les ombres et dans les recoins pour éviter de se faire repérer. Il n’y avait visiblement pas une sécurité renforcée, mais si elle se faisait prendre, la force surnaturelle des hommes-poissons la ferait capituler. Elle devait leurs glisser entre les doigts, comme une anguille.

- Qu’est-ce que tu viens faire avec une humaine ici ? Beugla un homme-poisson qui avait l’air d’avoir plus qu’un demi-neurone. T’essayes pas de me refourguer une marchandise usagée, hein ?!

Il faisait référence à… Quel porc, se dit Lidy. Elle aurait bien voulu le tuer, ici et maintenant. La froideur de la jeune femme reprenait le dessus dans ces situations, mais cela pourrait compromettre leur opération. Lucina pouvait commencer à compter les hommes-poissons, assez nombreux. Elle devrait sûrement reformuler sa requête avant qu’on lui demande ce qu’elle avait à offrir, ou plutôt pourquoi elle voulait parler au boss.

- C’est un gars occupé, se plaignit l’un des hommes-poissons qui servait de garde à la structure. Tu crois qu’on va t’y mener sans une bonne raison ?

C’est vrai qu’il fallait une bonne raison, et contrairement aux hommes-poissons stupides qui n’avaient pas pensé à cela, ceux présents dans la base seraient sûrement plus à même de contrecarrer les plans de Lucina. Au pire, ils la mettraient en prison en attendant de décider de son sort, et la Olsen pourrait l’en sortir. Elles avaient déjà plus d’informations sur la sécurité des lieux grâce aux mémoires des gardes… L’idéal serait d’arriver au chef actuel, mais pouvait-elle autant en demander ?

Le nombre d’hommes-poissons était largement supérieur à ce que la Olsen pouvait gérer toute seule. Les affronter n’était donc pas une option dans l’immédiat : c’est là où les forces de la marine seraient utiles, et où elles pourraient gérer le flux plus important que les Cipher Pol à eux seuls n’étaient pas capables d’amasser. La jeune femme observait la scène qui se déroulait en aval, fronçant les sourcils. La voix criarde de l’homme-poisson lui arrivait clairement aux oreilles. Son plan voulait simplement dire « Je suis un méchant ! ». Il aurait pu avoir une musique en fond pour jouer un rôle machiavélique.

Le leader actuel était un ancien esclave. Il avait suffisamment mal vécu son emprisonnement par les humains pour avoir une envie totale de domination sur eux… En même temps, qui aurait pu imaginer bien vivre ce type d’évènements ? En tout cas, la Olsen avait obtenu les dernières informations dont elle avait besoin. Dans le bureau du boss se trouvaient aussi des documents qu’elle pouvait récupérer. Intérieurement, la jeune femme était en train de chercher tout ce dont elle avait besoin pour mener la libération de sa collègue. Elle ne pouvait décemment pas la laisser dans cet endroit, surtout pas avec les idées qu’ils avaient en tête…

- Bon, c’est parti, fit-elle.

Elle observa Color’Art être emmené plus loin, dans la cache d’armes. Cet endroit était peu surveillé, car une fois à l’intérieur du bâtiment il y avait un grand nombre d’hommes-poissons qui patrouillait. La Olsen se faufila donc directement vers ce lieu : le patron allait d’abord prendre une sieste avant d’aller interroger Lucina, ce qui lui laissait un peu de temps. Elle devait récupérer la moitié de la vampire avant de retourner vers la cage où était enfermée sa collègue.

Se faufilant jusqu’à la salle où étaient entreposées les armes, principalement des cimeterres et des révolvers récupérés sur des pirates et des marines, Lidy se retrouva bientôt devant une masse d’objets dont elle n’arrivait pas à discerner réellement ce qui était quoi. Même le maître des lieux n’avait aucune idée de ce qui se trouvait réellement ici… Mais elle prit quand même quelques photos grâce à son escarméras, de manière à avoir des preuves.

Enfin, elle trouva Color’Art et l’attacha dans son dos précautionneusement, tout en se saisissant d'une dague au passage. La Olsen s’élança rapidement en dehors de la salle et se cacha à nouveau contre les murs ou au plafond, dans le but de se faire la plus discrète possible. Elle anticipait bien les angles de vue de ses cibles, et n’eut pas à avoir recours une seule fois à la violence. Bientôt, elle se trouva dans le bureau du Boss qui lambinait autour de la piscine.

Deux gardes à l’extérieur du bureau. Elle devait s’en débarrasser rapidement, et n’avait pas le luxe de faire dans la dentelle… Inspirant, elle se saisit de la dague qu’elle avait prise dans la salle d’armes et, rapidement, elle arriva derrière le premier qu’elle égorgea, puis planta l’arme dans le cœur du second. Elle devait avoir peu de temps avant l’arrivée des renforts.

- Lucina, fit-elle en entrant.

Elle saisit la clef qui se trouvait sur le mur et alla ouvrir la porte de la cage, redonnant à sa légitime propriétaire le pinceau géant. Elle fit signe de ne pas faire de bruit et indiqua une fenêtre, tandis qu’elle allait chercher sans détours les documents dont elle avait besoin, qu’elle prit en photo avant de rejoindre la vampire.

- Nous allons nous enfuir par les toits, dit-elle. J’espère que tu n’as pas peur du vide.

En effet, elles seraient plus en sécurité en empruntant cette route peu surveillée. Les deux jeunes femmes étaient en situation de danger imminent, et bientôt elles seraient sorties d’ici et devraient courir pour leur vie. Il allait leur falloir parcourir la distance qui les séparait des premiers villages en un rien de temps, et se cacher hors des sentiers pendant plusieurs heures, sûrement jusqu’à la tombée de la nuit. Leurs exactions allaient être retentissantes sur l’île…

La présence de Lucina était à bien des égards un handicap : elle n’était pas une agente entraînée et à chaque instant elle risquait de tomber du toit. Heureusement, bien vite, elles arrivèrent à la sortie de ce calvaire. Joindre le premier village ne fut pas non plus bien long, grâce à l’agitation qui régnait et au manque d’informations sur l’apparence de Lidy. Cette dernière indiqua précisément à la maîtresse de Color Art comment se sortir de cette situation. A l’aube, elles purent enfin apercevoir à nouveau leur village, celui où habitait Lucina tout au long de l’année. Lidy aperçut les deux apprentis du Cipher Pol 2 qui la regardaient, inquiets, comme s’ils ne s’attendaient plus à la voir revenir.

- Agente Olsen ! Dirent-ils tandis que les premiers villageois sortaient de chez eux.
- Lucina, est-ce que tu vas bien ? Demanda la bleue inquiète. Retournons chez toi. Je pense que j’ai des choses à te dire.

Elles purent donc, si Lucina le voulait bien, se diriger vers la maison de cette dernière. Les deux apprentis suivraient sans parler, et sans soulever le fait qu’ils s’étaient faits snober : cela voulait sûrement dire que tout allait bien. Pour la Olsen, l’idée même de devoir fuir de l’île était devenue prioritaire, car d’ici quelques heures ils empêcheraient sûrement le trafic pour récupérer Lucina qui s’était enfuie.

- J’ai récupéré les informations dont j’avais besoin. Lucina, je te remercie déjà grandement pour ton aide. Sans toi je ne serais sûrement pas parvenu à mes fins… Cependant, je m’excuse aussi que tu te sois retrouvée dans une telle situation.

C’était rare, mais l’Agente d’élite Olsen inclina sa tête pour demander pardon. Une fois que ce serait terminé, elle la relèverait et laisserait à sa comparse un petit sourire amical.

- Nous allons devoir quitter l’île, mon équipe et moi-même. Les hommes-poissons sur l’île vont sûrement te chercher, mais ne t’en fais pas : d’ici peu de temps, je te promets que la situation sera réglée.

D’ici peu de temps, il n’y aurait plus d’hommes-poissons sur l’île. Ce n’était pas une promesse en l’air. Deux semaines plus tard, les troupes marines devraient débarquer pour prendre les lieux, asseyant le pouvoir des constantinistes en ces lieux. Pour la Olsen, c’était simplement par bonté qu’elle prévenait Lucina, ou peut-être par devoir. Elle ne voulait pas que cette future civile, actuellement en territoire ennemi, soit capturée. De toutes les manières, ils n’auraient sûrement pas le temps de la chercher bien longtemps puisqu’ils devraient organiser leurs défenses.

- Deux semaines. Dans deux semaines, tout devrait être terminé. Peux-tu faire profil bas sur l’île d’ici là ?

Vivre dans la forêt aurait été idéal, pendant ce temps-là. Cependant, il y avait évidemment d’autres options comme changer d’apparence. Quoique Lucina choisisse, qu’elle accepte ou non, Lidy ne pourrait la forcer. Et si sa camarade d’infortune décidait quelque chose, la Olsen pourrait s’en aller le cœur un peu plus léger, même si inquiète. Elle reviendrait la voir d’ici quelques mois, sûrement, dans le but de voir comment elle allait… Même si à ce moment-là, elle ne trouverait plus Lucina sur l’archipel Konomi.

Les vrais contacts intimes, ceux qui ne révulsaient pas Lidy, étaient assez peu nombreux. La jeune femme avait pour souvenir ceux qu’elle avait partagés avec Heziel, plus intimes, tout comme ceux que sa partenaire de vie lui offrait actuellement. Elle n’avait cependant jamais été proche des gens. Bien sûr, à l’époque où elle était hors-la-loi son corps était l’outil ultime qui lui permettait d’obtenir des informations et elle le déployait parfois à de trop nombreux usages… Mais la réalité était que ceux qui importaient se comptaient sur les doigts d’une main. Ainsi, il fallut un instant pour qu’elle comprenne que celui-ci était réel.

La jeune femme rendit son câlin à Lucina. Ah, cet échange de chaleur humaine, ce besoin inconsidéré d’obtenir l’approbation d’autrui. Elle était encore incapable de gérer toutes ces émotions, et elles affluaient pourtant en elles comme si la demoiselle avait débloqué quelque chose chez Lidy, une forme de chaleur perdue depuis longtemps. Echangeant un petit sourire avec sa nouvelle amie, elle considéra qu’il faudrait qu’elles se revoient pour pouvoir consolider leurs liens… Enfin, c’était du moins ce qu’elle espérait. Il y avait dans cet échange une forme de joie qu’elle ne pouvait pas masquer, et un réel sourire illumina ses traits. Ses joues étaient un peu rosées, et ce fut finalement un instant d’intimité qui se créa.

- Merci à toi, Lucina. Nous nous reverrons.

Telle une annonce prophétique, elle lança cela avant de partir. Une nouvelle détermination, celle d’éradiquer la vermine de cette île, était née. Elle allait donner les informations le plus rapidement possible sous couvert du Cipher Pol 2. Il lui fallait faire vite, toujours plus vite… Enfin, elle se laissa prendre dans le souvenir de la chaleur que lui avait offerte la demoiselle. Combien d’amies avait-elle ? Peu. Combien lui avaient offert ce type de précieux souvenirs ? Encore moins. Même avec Harita, elles n’étaient pas tactiles. Et les enfants de son amie la Vice-Directrice du Cipher Pol 6 n’avaient pas le même type de relations qu’elle avait avec des adultes…

- On se rapproche toujours autant des témoins ? Demanda naïvement l’Apprenti Tokaïdo du Cipher Pol 2.
- Non, fit Lidy en laissant un petit sourire s’échapper. Cependant, celle-ci est… spéciale, je pense.

« Je pense » était la seule réponse qu’elle pouvait donner. En temps normaux, elle aurait dit qu’il ne fallait pas se rapprocher d’un témoin, mais son pouvoir lui permettait de discerner les personnes « bonnes » des personnes « mauvaises », et Lucina Delalande avait tout d’une personne pure. Elle était l’archétype même de la bonté, et de la naïveté. Un bol de fraicheur dans ce monde d’intrigues politiques déraisonnables.