Alors, ça t’amuse ?

Nakata Fenice, ainsi, il existait un autre homme que rien ne pourrait jamais blesser. Ce combat contre le phénix avait été une véritable désillusion, Dust semblait confiant, mais est-ce que Renaissance atteindrait vraiment ses objectifs ? Shindô commençait à douter, pas de son ami, mais bien de lui-même. Serait-il à la hauteur face à ce genre d’ennemi, pouvait-il même espérer un jour pouvoir leur faire face ? C’était peut-être pour se racheter de sa défaite précédente que l’homme poisson décida de s’arrêter seul sur cette île étrange. Il fallait faire le plein de provision avant de se remettre en route vers le royaume de Traders. En effet là-bas, se trouvait une cible de taille : l’ancien Schishibukai, Smile… Dust avait toujours été gourmand, mais avec le pouvoir dont il avait hérité, rien ne lui était impossible et le Fugu croyait en lui…

Au premier coup d’oeil, Torino, ses habitants et leur bâtiments semblaient vraiment arriérés, voire même primitifs. Mais ce n’était qu’un préjugé partagé par de nombreux voyageurs. En vérité loin de là, Torino abritait quantité de savoir et de connaissance, que nulle autre n’avait dans ce monde. Mais ça, Shindô n’en avait strictement rien à faire pour l’instant. Son unique souci du moment était de trouver à mange sur cette île et il lui fallait beaucoup de nourriture. Entre son appétit insatiable et la gorge éternellement sèche de Dust, une grande quantité de leur « budget » passait généralement dans ce genre de course. Et, fait connu de tous, une personne affamée avait souvent mauvais caractère. L’homme poisson le démontrait bien aujourd’hui. Ah ! Il était loin le Shindô calme et serein, près à méditer pour calmer la moindre tension. Au contraire, cette récente défaite contre le phénix, combiné à tout un tas d’autres petits détails, l’embêtait. Mais extérieurement, il s’efforçait de ne rien montrer, car c’était dans ce genre de situation que son poison avait tendance à suinter. Il ne fallait pas faire de victime innocente.

Après de nombreuses minutes, Shin’ parvint à trouver son bonheur chez un homme, visiblement étranger lui aussi, qui vendait la carcasse d’un oiseau géant. D’après ce que le Fugu comprit, cette race de volatile était le véritable maître de cette île et possédaient tout une série de nids aux sommets des immenses arbres que l’on pouvait contempler au loin, en regardant le centre de l’île. L’homme poisson ne comprenait pas pourquoi tous les autres le regardait bizarrement, comme si se balader avec ce bébé oiseau géant sur le dos était quelque chose de mal… Cela ne fit qu’exaspérer d’avantage le Chasseur de prime qui activa le pas en direction du port. Mais soudain, il sentit une présence, au dessus de sa tête, comme si quelque chose fonçait vers lui. Sous l’eau, ses organes de détection, qui ressemblaient à des cornes, lui aurait clairement indiqué de quoi il s’agissait, mais là, il fut contraint de lâcher le bébé oiseau géant pour se retourner en vitesse.

*Qu’est-ce que... Un ver, tombé du ciel ? *

Le rampant atterrit dans sa main palmée et contempla son sauveur, partagé entre bonheur et frayeur. Intrigué, Shindô leva le nez pour voir d’où pouvait provenir l’animal et aperçut alors cet hurluberlu, fièrement posé sur ce toit, à quelques mètres au dessus de sa tête. L’homme mangeait tranquillement une pomme et semblait serein, comme s’il venait de faire une bonne blague… En temps normal, il en fallait beaucoup plus pour venir à bout du calme dont le Fugu faisait preuve, mais le moment était vraiment mal choisi pour des sottises du genre. Soupirant un bon coup, il serra le poing et balança le ver en direction de l’homme perché.

- Alors, ça t’amuse de lancer des vers sur les gens, humain ?

Ce pauvre ver, à peine tombé, le voilà qui se retrouvait à nouveau à jouer avec les lois de la gravité.

Lanceur de pommes,... euh... mangeur de vers... Tu peux tenir ça un moment ?

Shin’ ne comprenait pas, ou plutôt, il ne voulait pas comprendre. Son esprit (et son ventre surtout) était trop occupé à penser au volatile sur son dos. Ce humain n’était qu’un détail qui ne devait pas le perturber, bien qu’il possédait d’étrange manies. Peut-être avait-il cru utile de lancer ce ver pour nourrir la carcasse de bébé oiseau géant que se trimballait l’homme poisson, ou peut-être était-ce tout simplement de la provocation. Dans les deux cas, il valait mieux laisser tomber. Shindô calibra l’oiseau sur son épaule et se remit en route, tranquillement. Soudain, dans un flash surprenant, l’individu posté sur le toit apparut devant lui. Les yeux écarquillés, le chasseur de prime n’écouta que d’une seule oreille ce qu’il lui disait, baladant son regard entre le sommet du toit et la route. Venait-il réellement de parcourir une telle distance en si peu de temps ? Et puis, qu’était donc cette lumière étrange… La situation était surnaturel, pourtant le « lanceur de ver » agissait comme si de rien était et après avoir examiné l’homme poisson en détail, il finit par lui poser la pire des questions…

A force de côtoyer les humains à la surface, malgré son calme apparent, Shindô était devenu particulièrement susceptible quant aux remarques sur son physique. D’autant plus qu’ici, il avait faim, se trimballait un bébé oiseau particulièrement lourd pour son âge et était dévisagé par tous les passants pour une raison qui lui échappait. Ce malheureux mangeur de pomme n’était au final que la goutte qui faisait déborder le vase. Et chez l’homme poisson, cette phrase était à prendre dans les deux sens. En effet, lorsqu’il perdait le contrôle, son corps excrétait sa dangereuse toxine, exposant n’importe quelle personne aux alentours à de très graves risques. Heureusement pour le monde, il était un grand maître du contrôle de soi et inspira profondément, avant de se pencher du haut de ses deux mètres (pas très grand pour un homme poisson !) sur le mangeur de ver. Il redirigea toute sa fureur vers cette phrase qu’il énonça pourtant très posément.

- Oui, lanceur de pommes, je suis bien Gyojin, ça te dérange peut-être ? Non, parce que… on peut en discuter si tu veux…

Il se voulut menaçant sur les derniers mots, mais décida d’en rester là. Il passa donc à côté de son interlocuteur sans attendre d’avantage. Dust l’attendait au port et il ne fallait pas traîner.
Toutefois, quelque chose l’intriguait chez cet humain. Il ne parvenait pas à expliquer la lumière ainsi que le déplacement rapide… Un duel serait alors un excellent moyen de découvrir ce qu’il était vraiment. Mais au moment où Shindô allait se retourner pour le défier, un humain particulièrement gras, probablement habitant de l’île, l’accosta, muni d’une étrange lance. Il semblait furax…

- Maudit sois-tu, homme corne !

- Homme corne ? C’est une coutume ici les remarques sur le physique ?

- Tu te promène avec ça, en pleine rue ! hurla-t-il en pointant la carcasse de moineau géant dans le dos du Fugu.

- Ah ça ? Quoi, c’est interdit ? Mais je ne savais pas moi, c’est cet homme qui me l’a …

Mais l’endroit qu’il indiquait était vide. Brusquement une alarme bruyante se déclencha, provoquant la panique générale dans la rue. L’autochtone qui réprimandait Shindô pointa sa lance vers le ciel et l’activa au moment ou une ombre grande ombre sortir des feuilles d’un gigantesque arbre. Il s’avéra alors que l’arme en apparence primitive que tenait ce petit humain grassouillet était en réalité un missile, qui fusa droit vers l’énorme oiseau adulte qui surplombait toute la zone. Shin’, bouche bée, comprit rapidement qu’il était visé, mais il était hors de question pour lui d’abandonner la viande. Non, il n’y avait qu’une seule réaction possible pour un combattant, dans ce genre de situation…

- Tu peux tenir ça un moment ?

Il posa carrément la carcasse de bébé oiseau sur l’humain blagueur, sans vraiment lui prêter attention. En position de combat, il chargea droit vers l’oiseau géant qui descendait vers lui en piqué. Aile contre poing, Shindô valsa dans un stand de jus de citron qu’il pulvérisa. Se relevant péniblement, il repartit à l’assaut une seconde fois…

Deux choses que je sais apprécier.

Le duel qui avait débuté contre cet oiseau géant était très prometteur et avait commencé de la plus belle des manières. En courant vers le volatile pour riposter après avoir été éjecté dans les citrons, Shindô avait hâte de relâcher de confronter à nouveau sa force face à celle de cette majestueuse créature. Humain, Homme poisson, oiseau géant, homme, femme, enfant, lorsque le duel commençait, toutes ses notions désuètes n’avaient soudainement plus aucune importance. Seul demeurait le combat, seul comptait le combat. C’était une valeur profonde et sacrée en laquelle Shin’ croyait. Et pourtant, tout fut balayé d’un coup, lorsqu’un intrus s’invita en plein milieu du duel. L’ami des vers, l’humain bizarre, le mangeur de pomme, l’homme perché, tant de surnoms dont de manières trouvées par l’homme poisson pour nommer celui qui, depuis cinq bonnes minutes, jouait avec ses nerfs. Non seulement il bafouait l’esprit du Duel, mais en plus, il semblait vraiment y prendre du plaisir.

Il avait commencé par une remarque : « Va donc surveiller ton repas! Le temps que tu y aille et je serais revenu! » . Shindô avait déjà été témoins de sa super vitesse, mais il n’aimait pas le sous-entendu dans cette phrase, qui le fit grimacer. Mais cet humain savait comment parler aux Fugu affamés, la faim le tiraillait littéralement, et il changea de direction pour aller porter la carcasse d’oiseau que l’homme avait laissé. Ce dernier s’était tout simplement déplacé sur le dos du piaf, pour ensuite le mettre hors jeu d’une simple pression de la paume sur la tête. A nouveau, il y eut ce même dégagement de lumière caractéristique.
Visiblement sonné, l’emplumé semblait avoir perdu le contrôle et se laissait tout simplement chuter. Aussi vite qu’il avait disparu, le fana des vers réapparu brusquement devant Shindô totalement dépassé par les évènements, qui ne cherchait même plus à raisonner. Il n’écouta que vaguement la proposition du jeune homme, car il courrait déjà vers l’oiseau écrasé.

- Lui rendre le petit ? Ha ! Je vais plutôt prendre son corps à lui, ça me fera trois fois plus de viande !

Avec sa force d’Homme poisson, soulever la gigantesque carcasse d’oiseau, en plus du corps, déjà énorme, du petit, était tout à fait possible. L’air de rien, il traîna le tout derrière lui. Le frottement de la tête du plumé adulte contre le sol provoquait un bruit désagréable mais il s’en fichait. Pour éviter que l’animal, encore partiellement conscient, ne remue trop, Shin’ lui avait administré une dose bien calculée de poison. Les toxines se détruiraient lors de la cuisson, mais pour l’instant, elles le paralyseraient totalement. Il puait le citron, il avait perdu beaucoup de temps et Dust allait certainement lui faire un sermon lors de son retour, mais finalement, il allait pouvoir rentrer au bercail. Quoique…
Il y avait une certaine redondance, car à nouveau, Shindô, sur le point de partir, se stoppa net En effet, il ne pouvait tout simplement pas refuser une invitation à manger. C’en était tellement affligent qu’il soupira en se demandant si un jour il arriverait à vaincre ses propres démons. Sous le regard étonné des passants, il déposa, dans un coin de la rue, les deux énormes volatiles, immobiles, comme s’il s’agissait de provisions lambda. Un peu gêné, il se massa timidement le cou en tendant une main amicale vers celui qui lui avait lancé un vers.

- S’il y a bien deux choses que je sais apprécier, ce sont les bons combats et les bons repas… Et je pense qu’on a pris un mauvais départ toi et moi. Je m’appelle Shindô, enchanté.

Des Sushis, j’en mange quand je veux !

Aette rencontre avait démarrée d’une manière étrange, mais semblait bien partie que pour bien se terminer. Shin’ qui rentrait à la base avec un oiseau géant bébé, repartirait finalement avec, deux piafs gigantesques, et le ventre remplit. Puis surtout, après tout ce temps, il allait pouvoir mettre un nom sur le visage de celui qu’il avait pris coutume de nommer comme : « l’ami des vers. » Mirai D. Kilik… Pourquoi cette lettre, isolée, en plein milieu ? Peut-être un second prénom, du genre David, ou Dwight… Encore une excentricité humaine qu’il ne comprenait pas. Les deux connaissances se dirigèrent donc vers une taverne pour casse la croûte. Shindô avançait machinalement, tout en jetant un dernier regard vers les deux carcasses d’oiseaux, posées sur la route. Du coup, il ne prêta pas vraiment attention aux paroles de Kilik. Certes, il avait acquiescé en opinant du chef, mais dans sa tête, il était déjà dans l’assiette.

L’intérieur était... différent de l’extérieur. Le serveur qui l’accueillit n’était pas un local, puisqu’il ne ressemblait pas du tout à l’autre habitant de l’île, rencontré plus tôt. Non, il était grand, très grand, plus grand que Shindô à vrai dire. Et la partie supérieure droite de son visage présentait de nombreux points de suture. S’approchant du comptoir, le Fugu s’apprêta à commander mais constata que le portefeui… euh, son camarade, n’était plus à ses côtés. Il ressortit, en soupirant et l’aperçut, en train de menacer un vendeur. Etrange, il avait laissé tomber son masque sympathique pour un regard plus menaçant. L’espace d’un instant, on aurait carrément dit une autre personne. De son côté, il ne semblait pas non plus avoir remarqué que l’homme poisson avait continué seul. Kilik finit par revenir, l’air de rien.

- Tu es sur de vouloir laisser tes oiseaux là comme ça, sans surveillance? Ils pourraient se réveiller, ou alors si un indigène pourrait les prendre afin de les garder pour lui...

- J’ose espérer que personne ici n’essayera, ce serait une bêtise… répondit-il en haussant la voix, comme pour être certain d’être entendu de tous.

Sans perdre d’avantage de temps, les deux comparses entrèrent dans l’établissement. Shin’ profita de l’occasion pour jeter un rapide coup d’œil au menu. Cette intense réflexion l’empêcha de remarquer l’homme qui s’était levé derrière lui. Sourire moqueur, il posa une main amicale sur l’épaule du Fugu et se pencha au niveau de son oreille, avant de lui susurrer ces quelques mots.

- Un conseil, évite les Sushi… C’est vrai quoi, tu pourrais manger un membre de ta famille par accident ! Pas vrai les gars ?

L’homme était accompagnée de tout une troupe de personne qui rirent à sa plaisanterie de mauvais goût. Et ils semblaient s’être approprié toute une partie du restaurant. Mais le serveur ne semblait pas vraiment les considérer comme une menace. Shin’ savait reconnaître les hommes forts et il savait que sous ses airs de simple employé, cet homme à l’imposante balafre devait être un excellent combattant. Etait-ce pour le forcer à intervenir ou pour remettre en place l’impoli qui se croyait tout permis, que Shindô, sans prononcer un seul mot, se dirigea vers le groupe, avant de littéralement briser la table en deux, avec le tranchant de sa main ?
En tout cas, la réaction du petit groupe de perturbateur ne se fit pas attendre. L’un d’entre eux, muni d’un gant en acier, attaque directement le Fugu au visage, tandis qu’un autre braqua son arme sur celui qui l’accompagnait, à savoir Kilik….

- Le genre d’attitude typique d’un groupe de pirates… Et au passage, des sushis j’en mange quand je veux ! dit-il après avoir bloqué le coup qui lui était destiné.

De sa main libre, Shin’ sortit de sa tenue un avis de recherche. L’homme à l’origine de la blague se prénommait Dastan. Et il était recherché pour 900 000 Berry… Du menu fretin comparé à ce qu’on pouvait trouver sur South Blue. Non, si le Fugu s’inquiétait, c’était surtout pour celui qui allait payer le festin du jour… Il savait se déplacer vite, mais pouvait-il aussi se défendre ?

Quel est ton but ?

Les craintes du Fugu s’avéraient infondées. Visiblement doté d’un don tout à fait particulier, Kilik n’avait pas été en danger une seule seconde. Au contraire, la vitesse et la facilité avec laquelle il venait de se débarrasser de ces gêneurs. Tout s’était passé en une succession de flashes bleus. Et pourtant, Shindô voyait rouge. C’était déjà la deuxième fois. La deuxième fois que ce type lui piquait un duel sous le nez. Dastan était son adversaire et voler l’adversaire d’autrui, c’était mal. Alors le faire deux fois de suite, il y avait carrément de quoi péter un plomb. Kilik était tranquillement retourné au comptoir pour terminer son verre, faisant dos au chasseur de prime qui n’avait pas bougé d’un cil depuis le début du combat. Partagé entre sa faim et son sens du combat, Shin’ évaluait la situation, se demandant ce qui l’avait retenu de ne pas en coller une a cet homme, qui l’avait tout de même accosté en lui lançant un ver, sur la tête, par derrière en plus !

- C 'est à cause de cons dans votre genre, que tous les pirates sont mis dans le panier des méchants!

Entendre une telle phrase le fit sourire. Un sourire qui se transforma en petit rire étouffé. Ce léger rire s’accentua alors en un éclat de rire. Il n’y avait rien de drôle, du moins, pas explicitement. Shindô rigolait tout seul, car cette parole l’avait plongé dans son passé, Au Royaume Ryugu. Il y revoyait Noah et Shijima, les deux premiers pirates humain qu’il avait croisé. L’un était devenu un grand ami de la famille, tandis que l’autre l’avait plongé dans le malheur. Ce dernier avait, à terme, poussé le jeune homme poisson à rejoindre la garde royale. Et comble du comble, il avait fini par retrouver et enfermer cet humain. Noah lui avait montré qu’il existait des pirates qui n’avaient de pirates que le nom et étaient avant tout des aventuriers. Shijima lui avait vite ramené les pieds sur terre et d’une certaine manière, c’était très certainement pour cela que Shindô avait décidé de gagner sa vie en chassant des pirates, lors de son arrivée en Surface. Une manière détournée de continuer ce qu’il faisait déjà en bas.

Toutefois, il ne fallait pas non plus se voiler la face. Qu’ils soient « pacifiques » ou non, les pirates de la surface partageaient la caractéristique de se prendre pour le centre du monde. Ce sentiment était renforcé par toute l’attention que la Marine pouvait leur apporter, par moment, privilégiant parfois la lutte anti-forban à d’autres ennemis plus « dangereux » pour eux ou pour le monde.
Oui, la notion de « camps » semblait pour Shindô dépassée, démodée et plus du tout à la mode. Parler de gentils et de méchants, n’avait pas de sens dans le monde actuel. Il en était la preuve vivante. Ces notions sont relatives, il fallait donc toujours les nuancer selon les personnes. Kilik semblait penser le contraire… Peut-être qu’il était lui aussi pirate, ou aspirait à le devenir. Il y avait tout un tas de raisons valable pour le provoquer en duel.

- Kilik, je vais te poser une question, à laquelle je souhaiterais que tu répondes franchement. Quel est… ton but ?

Sa réponse serait déterminante pour la suite.

C'est drôle, moi aussi je cherche un frère...

Faisant preuve d’un silence que l’on pouvait qualifier de religieux, Shindô s’avançait lentement vers le comptoir tout en écoutant ce que Kilik allait lui répondre. Il pointa au hasard un plat sur la carte et se tourna vers son interlocuteur en le fixant dans les yeux, sa tête appuyée sur un poing un peu trop serré. Il ne s’attendait pas à ce genre de réponse, il avait imaginé tout à fait autre chose. A vrai dire, Shindô avait la fâcheuse habitude de s’inventer des scénarii à partir de quelques déductions trop hâtives. Il prit cette erreur de se part comme un message lui disant d’éviter ce genre de conclusions à l’avenir.
Ainsi, Kilik était à la recherche de son frère. Sans spécialement le vouloir, l’image de sa sœur traversa brièvement l’esprit du Fugu. Il n’avait plus revu Adel depuis trois ans…

- C’est drôle, moi aussi je suis à la recherche d’un frère…

Assimiler Kryun à un frère... Il n’avait plus osé le faire depuis le fameux jour. Il ne se passa pas un seul jour sans que Shin revoie dans sa tête le déroulement de cet après-midi. Il en rêvait souvent la nuit, bien qu’il aurait mille fois préféré ne rêver que d’elle. C’était d’ailleurs souvent ainsi que le songe débutait. Elle se tenait devant lui, lui prenait la main en le fixant, timidement, puis lui annonçait la fameuse nouvelle. Il souriait et la prenait dans ses bras, puis Kryun arrivait, plongea alors le tableau idyllique dans une pénombre des plus disgracieuse. Il était difforme, ne ressemblait en rien à celui qu’il avait côtoyé des années durant. Il levait son bras vers elle, mais lui ne pouvait rien faire, il était comme emporté en arrière par un puissant courant marin. Puis il voyait son corps frêle de sirène s’étaler sur le sol ainsi que du sang, qui allait fusionner avec la rousseur de ses cheveux. Elle était morte, il l’avait tué… Il les avait tué…

- Alors, pour la dernière fois, t’as de quoi payer ou je te mets à la porte ?

- Mmm ? Oh je... oui, désolé. Tenez.

Il s’était perdu dans ses pensées... Chose qu’il préférait généralement éviter lorsqu’il n’était pas seul. D’ailleurs, que faisait-il ici, à manger dans un restaurant ? Pourquoi n’était-il toujours pas rentré au port ? Comment pouvait-il seulement espérer lui faire face un jour s’il continuait à perdre son temps de pareille manière ? L’esprit du guerrier fut assailli d’une série d’interrogation et il était sur le point de se lever d’un bond lorsque Kilik lui retourna sa première question.

- Et toi Shindô, quel est donc ton but?

- Mon but ? Combattre, m’améliorer sans cesse, devenir plus fort…. J’imagine.

Gagner en puissance, afin de pouvoir se dresser fièrement face à lui, lorsqu’il le croiserait. Sans ça, il ne pourrait jamais remettre les pieds au Royaume…

- Sinon, pourquoi cette question, Shindô?

Alors qu’il s’apprêtait à lui répondre, Shindô envisagea soudain la situation d’un tout autre angle. Pourquoi avait-il posé cette question… Très certainement parce que dans ce monde, seuls ceux qui fixaient un but pouvaient espérer progresser. Et examiner le but en question devenait un excellent moyen d’évaluer la force et la détermination d’un adversaire, sans avoir à le combattre. Oui, tout autre sens caché derrière cette question n’avait pas d’importance. La seule chose qui comptait, c’était le combat. Se dressant d’un bond alors que les plats venaient d’arriver, Shindô se plaça de profil et arbora sa position de combat classique, garde relevée devant lui. Il avait aperçu Kilik à l’action, il était conscient de la force, mais surtout de la vitesse de cet humain. Soit, l’affronter serait bénéfique, soit l’affronter n’avait aucun sens. Dans des les deux cas, il n’y avait qu’un seul moyen de savoir.

- Je vais te montrer, pourquoi je porte tant d’importance à cette question… En garde !

A ces mots, il envoya vers Kilik, toujours assis au comptoir, un fulgurant coup de poing capable, d’après les dire, de pulvériser cent tuiles : Hyakumaigawara Seiken.

Un être vivant.

Kilik semblait peu enclin à se battre. La situation convenait pourtant parfaitement. Après tout, se battre n’était pas la meilleure manière de connaître l’autre ? Contrairement aux mots, les poings ne pouvaient pas tromper. La confrontation et l’adversité étaient certainement l’un des meilleurs moyens de faire connaissance. Avoir un évènement tragique ou conflictuel avec une personne était l’une des méthodes les plus solides pour souder une relation. Paradoxalement, c’était aussi le moyen le plus efficace de se faire un ennemi.
Mais à force de le côtoyer, Shindô commençait doucement à cerner le personnage et il avait deviné que celui-ci ne comprendrait pas de suite l’utilité de l’affrontement. C’était pour cela que sans attendre son accord, l’homme poisson avait frappé.

Mais à sa grande surprise, au lieu de fracasser son corps, son poing s’y enfonça sans l’endommager et alla fracasser le comptoir. Pire, Shin’ reçut à cet instance une violente décharge qui le projeta en arrière, avant qu’il ne retombe au sol deux mètres plus loin, son bras encore fumant. Il était soudain beaucoup moins confiant et retrouva un agacement, celui-là même qu’il avait éprouvé lors de son combat contre Nakata… Kilik possédait un corps éthéré, il n’était pas tangible. Mais contrairement au phénix, qui semblait pouvoir prendre des coups, par moments, lui semblait fonctionner différemment. Tout comme il s’était posé la question lors de sa rencontre avec Dust, il eut encore une réflexion sur l’apport de ces fruits du démon…

- Peut-on vraiment qualifier de « vivant » une personne qui n’est plus capable de souffrir ? Je pense que … ces fruits portent bien leur qualificatif de « maudit », si tu veux mon avis. , lacha-t-il en se relevant d’un bond.

La douleur, un aspect fort peu agréable mais pourtant inhérent dans la vie d’un combattant, d’un être vivant. En ce sens, ces fruits maudits dénaturaient le vivant, pour le transformer… en monstre dans le cas de certains, ou en fantômes, dans le cas ici présent. Oui, une entité oscillant entre deux réalité sans vraiment pouvoir interagir avec elles. Avec un certain amusement, Shin’ se demanda à combien de temps remontait la dernière fois que Kilik s’était pris un coup de poing au visage.
Faisant à nouveau usage de sa vitesse, l’homme disparut de sa place assise, dans une vive lumière bleutée et apparut en face du Fugu. Si son déplacement avait été impossible à suivre à l’œil, son attaque à l’arme blanche en revanche, demeurait tout à fait parable pour le combattant aguerri, qui se focalisa sur la lame dorée et cala son rythme dessus, à mesure que celle-ci s’approchait de son visage. Et au dernier instant, il la stoppa net en la coinçant entre ses deux mains. Une technique nommée
« Ren Shin Ken Shira Ha Dori »

Ainsi calée entre ses mains, il n’avait plus qu’à effectuer un mouvement sec sur le côté pour briser la lame en deux. Mais l’instant ne dura pas assez longtemps et Kilik se retracta.

- Si tu es toujours partant pour continuer, soit! J'aimerais juste savoir deux choses: Premièrement → Pourquoi désires-tu devenir plus fort? Deuxièmement → Pourquoi me combattre? Je croyais, que nous étions nakama à présent!

- Si je veux devenir fort, c’est pour pouvoir me tenir la tête droite… quand je le reverrai. Quant à toi, bien que nous ayons fait connaissance, seul l’avenir nous dira si nous sommes amis ou non.

Bref, mais intense. Shindô regarda sa main brûlée et avança en silence. Il avait eut ce qu’il voulait et se dirigea sans dire un mot, vers la sortie. Kilik rejoignait donc Dust et Nakata, sur la liste des personnes qu’il ne pouvait pas vaincre avec sa simple force. Il salua son adversaire d’un revers de la main, sans se retourner, avant d’arriver dans la grande allée principale. Conformément à ce qu’il avait prévu, les deux carcasses d’oiseaux étaient toujours au même endroit. Il les chargea sur son dos et se dirigea vers le port, où un Dust au regard fulminant l’attendait depuis un long moment…

- Désolé pour le retard, j’ai croisé… un ami.

Un peu paradoxal, non ?