Je me tenais à une table, au fond de la pièce d’une vieille auberge quelque peu réaménagée, où la seule fréquentation représentait les nombreux malfrats du village. Ici, je m’étais fait une certaine réputation, en une semaine seulement. Il faut dire que, dès mon arrivée, j’avais su m’attirer facilement des ennuis, et malgré tout, je restais insaisissable jusque-là. De ce fait, quand je venais boire un coup dans cette auberge, rares étaient les personnes venant m’adresser la parole. Seuls quelques regards m’atteignaient, de temps à autre. Mais en général, les malfrats préféraient éviter. J’avais déjà commandé quelques verres. Heureusement que l’alcool ne me montait que très lentement à la tête… A chaque entrée dans l’auberge, je levai légèrement les yeux, afin de voir de qui il pouvait bien s’agir. En général, que des hommes gros et laids, seulement armés d’un pistolet ou bien d’un fusil pour certains. Rien de bien impressionnant, en somme. Cependant, depuis un moment, la présence d’un homme m’interpellait. Il était assis au niveau du bar, réclamant d’abord un verre, puis deux. Celui-ci me disait quelque chose, il me rappelait quelqu’un, et j’avais son nom sur le bout de la langue. Flint, voilà. Oui, c’était bien lui. Cela faisait un bon moment que je n’avais pas revu d’anciens compagnons. Nakata, j’avais voyagé avec lui pendant un temps, avant notre départ solitaire. Et les autres, je n’avais eu aucune nouvelles d’eux, depuis notre petit incident. Disparus ou morts, probablement. Peu importe. Aujourd’hui, je savais que nous étions au moins trois à nous en être sortis sains et saufs. C’était déjà une bonne chose, en soi. Je le regardai donc, de dos, jouant avec une pièce de monnaie, la faisant parcourir chacune de mes phalanges, de gauche à droite, puis de droite à gauche. Du coin de l’œil, je pouvais apercevoir quelques bandits, en train de parler, tout en me regardant. Je laissai simplement un sourire s’échapper, continuant de m’occuper avec la pièce de monnaie. Pendant ce temps, une jeune femme venait d’entrer. Elle était trempée jusqu’aux os. Je voyais Flint tourner la tête en sa direction, et ne pas la décrocher des yeux. Quel pervers… Celle jeune femme se posa alors à une table, seule, et commanda quelque chose à la serveuse.

J’en profitai pour me lever, déposant mon verre sur la table. Les regards étaient attirés sur moi, se demandant peut-être ce que je comptais faire. Seulement, je n’avais pas l’intention de faire quelque chose de mal, bien au contraire. Je m’approchai du bar, déposant la pièce que j’avais gardé en main, sur le comptoir. Même la dirigeante de l’auberge avait l’air de ressentir une certaine crainte puisqu’elle se mit rapidement à suer, lorsque j’eus déposé la pièce, avec violence. Peut-être avait-elle eu vent de mes actes, sur ces terres, elle aussi ? Sûrement. Mais je n’étais pas là pour cela. Je pris finalement la parole, faisant signe à la gérante de compter le verre du jeune homme, ainsi que de la jeune femme, sur ma note.

« Flint. Tu n’as pas changé depuis tout ce temps. Toujours cette même tête de déluré. Qu’est-ce que tu fais ici ? »

Sur ces mots, je lançai un regard vers l’arrière, afin de voir si la jeune femme était toujours présente, et si elle n’avait pas d’ennuis auprès de ces malfrats de toute catégorie.

Flint m’avait reconnu facilement, lui aussi. En même temps, cela n’était pas très compliqué, même si depuis notre dernière rencontre, mon style s’était quelque peu amélioré et surtout, je n’étais plus coiffé de cet absurde couvre-chef grenouille. Cela faisait de moi quelqu’un de plus sérieux, à première vue. De plus, la jeune fille aux cheveux roses, à qui j’avais offert un verre, en recommanda un, mais pour moi, pour me remercier. Je lui fis un signe de la tête en souriant, pour la remercier, sans avoir besoin de dire un seul mot, et je levai mon verre en hochant légèrement la tête, avant de vider celui-ci cul sec. Un léger soupir se dégagea, pour laisser s’échapper la chaleur venant se loger dans ma gorge. Sur ce, Flint me retourna la question. Il me demanda ce que j’étais devenu. Je devais lui répondre sincèrement. De toute façon, je n’avais plus rien à cacher. Je me penchai alors un peu en avant et je croisai mes mains, juste devant mon visage, déposant mes coudes sur le comptoir.

« Eh bien disons que je suis devenu un solitaire. Je voyage, d’île en île, à la recherche de nouvelles espèces végétales pour compléter ma collection et préparer de nouvelles choses. Autrement, je travaille à mon compte. Je suis un Hors-la-loi. Je vole, je tue, je massacre… pour de l’argent, la plupart du temps. »

Le jeune homme attrapa un siège, pour la jeune fille et moi, afin que nous puissions nous asseoir en sa compagnie. J’acceptai alors, et je m’assis, prenant le verre de saké que Flint venait de commander, à pleine main, pour le savourer. La jeune femme semblait bien silencieuse. En même temps, je la comprenais. Cela pouvait être difficile d’entrer dans une conversation entre deux anciens compagnons, se retrouvant après un an de séparation. C’est pour cela que nous devions la mettre en confiance, en quelque sorte. Mais alors que je m’apprêtais à lui adresser la parole, Flint me prit de court, et me posa une autre question. Il me demanda ce que j’avais bien pu faire pour que l’ambiance soit si calme, dans la pièce. Je tournai légèrement la tête, regardant derrière moi, les mines confites des nombreux bandits, puis je fis le mouvement inverse, regardant finalement la demoiselle, et Flint, avant de répondre.

« Je ne suis pas sûr que tu tiennes réellement à le savoir, mon cher Flint. Vous non plus d’ailleurs, mademoiselle. Appelez-moi Fran. »

Je devais leur sembler plus mystérieux que jamais… Mais j’aimais garder certaines choses pour moi. Le jeune blond reçu alors l’assiette qu’il avait commandé, et il s’empressa de se jeter dessus, essayant tout de même de dévorer son sandwiche avec un minimum de délicatesse, pour ne pas paraître trop goinfre. Puis, un morceau encore à la bouche, il nous demanda si nous voulions quelque chose à manger. Je souris, comme à mon habitude, fermant mes yeux au même moment, et j’annonçai.

« Non, merci. Occupe-toi plutôt de notre invitée. A ce propos, quel est votre nom ? »

Kururu, très jolie nom féminin. Cette jeune fille avait réellement l’air sympathique. Voyant Flint commander sa nourriture, elle désira faire de même, demandant exactement la même chose. Personnellement, ce genre de sandwich ne m’avait jamais particulièrement attiré. Au contraire, cela avait plutôt le don de me dégoûter, car j’aimais plutôt manger gourmet. Je les regardai donc tous les deux, mangeant l’un après l’autre, avec appétit. Comme cela, la situation était plutôt marrante puisque, Flint, ayant terminé le sien, mourut d’envie de manger celui de la jeune fille, dès son arrivée. Je pouvais le voir à son regard, et au changement d’expression soudain de son visage. Il n’avait vraiment pas changé, décidément. En tout cas, l’ambiance n’avait toujours pas changée, dans cette auberge. Et ce, depuis mon arrivée. Le bâtiment était tellement silencieux que l’on pouvait entendre une mouche voler, à quelque chose près. Pour ma part, je restai assez calme également. J’écoutai mes camarades parler de leur nourriture et autres. Jusqu’à ce que le blond commande d’autres verres, à déguster ensemble. Avaient-ils envie de me saouler, tous les deux ? Ahaha. Malheureusement, il en fallait beaucoup pour provoquer le moindre effet sur moi. Après cela, il essaya d’impressionner la demoiselle, comme à son habitude, avec un petit « tour de magie », utilisant ainsi son pouvoir d’invisibilité, sur la pièce qu’il voulait qu’elle retrouve. Je connaissais son tour de passe-passe, mais ce n’était pas son cas. Elle allait probablement se faire berner par cet escroc de Flint. Mais je ne disais rien. Aucune indication. Aucune prévention. Rien du tout. Je restai impassible, regardant les verres sans aucune émotion visible sur mon visage.

Peu de temps après, il lui demanda de retrouver la pièce. Je lui lançais alors un regard, afin de voir si elle avait compris la supercherie, ou si elle était réellement tombée dans le panneau, jusqu’à ce que Flint ne m’interpelle. Il voulait savoir s’il fallait se préparer à combattre, ou si tout allait pour le mieux. Je me contentai d’un sourire, seule chose visible sous mon haut de forme prenant presque l’entièreté de mon visage.

« Ces hommes ne sont pas là pour faire joli. Mais si tu tiens tant que cela à savoir ce que j’ai peut-être fait, je pense pouvoir affirmer que tu le sauras très bientôt… »

Terminant ma phrase, je plongeai délicatement la main dans l’une des poches intérieures de ma veste, et en sortit quelque chose, que je gardai en main. Puis, je sortis mes deux sabres de leur fourreau, très lentement, avant de les coller l’un contre l’autre, avec le plus de discrétion possible, créant petit à petit un brouillard commençant à envahir la pièce, et à s’épaissir, au fur et à mesure. Celui-ci réduisait énormément la vue de chacune des personnes présentes, jusqu’à la masquer presque totalement. Alors pour remédier à cela, je passai sous forme hybride, toujours assis sur mon grand tabouret, me permettant ainsi de facilement me repérer, à l’ouïe et à l’odorat.

« Il arrive… »

Prononçant simplement ces deux mots, je reposai mes sabres à l’intérieur de leur fourreau, et ouvrit la main, apportant ce que j’avais pris, à ma bouche… Il s’agissait d’un harmonica. Et je me mis à jouer un morceau, particulier, que j’avais pu apprendre en faisant escale sur une île…

Il était là, oui… Je le sentais s’approcher de plus en plus de notre position. J’avais reconnu son odeur. Cette odeur craintive que j’avais déjà pu sentir, lors de cet évènement des plus sinistres… Dans la salle, je voyais différents bandits, tentant de s’échapper. Peu importe, ils pouvaient courir tant qu’ils en avaient encore le temps, car je tenais à ne laisser aucune trace, dans ce groupe de malfrats. Après, j’allais réfléchir, en ce qui concernait les employés de l’auberge. Après tout, ils ne risquaient pas de vendre la mèche. Enfin, à part s’ils tenaient à mourir. Je continuai alors à jouer de l’harmonica, ce morceau que j’avais utilisé, lors de cette même soirée… Pendant ce temps, Flint avait l’air confiant. Il se déplaça, afin de se poser à une table, dans le fond de la salle, jouant avec ses cartes. Il semblait prêt à passer à l’offensive. Tant mieux. De son côté, la jeune fille aux cheveux roses, sembla s’équiper d’une croix métallique. Drôle d’arme de combat, mais pourquoi pas. Au moins, cela montrait qu’elle pouvait être apte à se battre, et c’était une bonne chose. Je me levai de mon siège, interrompant la musique que j’étais en train de jouer, laissant un silence total envahir la pièce. La porte s’ouvrit, plusieurs hommes apparaissant à travers l’épaisse fumée blanche qui s’était formée dans toute la salle. Oui, c’était bien lui. Le silence était tellement perturbant qu’il pouvait glacer le sang de beaucoup d’hommes. Seul l’homme, à l’esprit vengeur, vint interrompre celui-ci. Il m’annonça, en criant de toutes ses forces, qu’il était venu prendre ma vie, à cet endroit même, quoi qu’il lui en coûte. Un sourire m’échappa. Un sourire de satisfaction, d’envie, de soif… Ayant dit ce qu’il voulait, il tenta de me trouver, essayant de voir à travers le brouillard. Seulement, il lui était impossible de m’apercevoir. Pas avec ses sens d’humain. La porte se referma alors. Je me déplaçai donc tel un assassin, me rendant très rapidement et surtout très facilement au niveau de l'une des fenêtres arrières, grimpant finalement sur le toit. Puis, une fois de l'autre côté, au dessus de l'homme voulant ma peau, je sautai, avec une délicatesse sans égale, et sans le moindre bruit, atterrissant juste derrière lui, un couteau à la main. Léchant mes lèvres, je pris la parole, sur un ton froid…

Poussant un rire presque sadique, je m'écartais, exécutant plusieurs acrobaties, en continuant de rire. Je voulais le voir terrifié, encore une fois. Le voire me craindre, tel un monstre…Quelle allait être l'issue de ce combat ?

« Te sens-tu réellement capable de venger ta famille..? »