In Media Res

- Je ne suis pas certain d’avoir compris, réexplique-moi en quoi tu pourrais être utile à l’organisation ?

L’avantage d’un début In Media Res est qu’il plonge directement dans l’action. Il désarçonne, prend au dépourvu et du coup toute l’attention est mobilisée dans les lignes qui suivent pour comprendre au mieux la situation. Il est alors assez intéressant de laisser planer un brouillard d’incertitude, aussi longtemps que possible. Le tout n’en sera que plus riche et original dans la forme.

- Non pas que ta présence me dérange. Simplement… il est important d’avoir au sein d’un groupe des aptitudes qui complètent celles de ses camarades.

Ce qu’il essayait de dire en tournant volontairement autour du pot était que, si par un malencontreux hasard elle ne pouvait rien apporter de nouveau à l’équipe, alors peut-être faudrait-t-il revoir les termes de son adhésion. Mais la comparaison était mauvaise, à ce stade Renaissance devait constituer un noyau solide, avant de penser à recruter en masse de la main d’œuvre. D’avantage qu’un larbin, elle serait l’un des éléments de ce noyau. L’avis de Noctis et l’accord de Dust étaient plus que nécessaire pour cela. Mais alors, si place lui était déjà réservée, à quoi servait tout ceci ?

- Nous ne sommes plus très loin.

Mock Town, Jaya… Certainement pas l’endroit le plus raffiné de cette partie du globe. En arrivant ici, Shindô s’était demandé si la ville avait été repaire de pirate avant de devenir crasseuse, ou si la crasse avait chassé les habitants et attiré les pirates. Il avait alors bloqué sur l’image de pirates attirés par l’odeur d’alcool, de tabac, d’urine et de vomis comme des petits grains de fer attirés par un aimant. Enfin, c’est beau de critiquer, mais ce genre d’endroit était rare. À Mock Town, la loi du plus fort était la seule chose que les gens respectaient et c’était un aspect de la ville que notre homme poisson appréciait tout particulièrement.  

- Tu m’as laissé une assez bonne impression, tout à l’heure avec Noctis. Tu ne renvoies pas une image de femme faible et fragile, et c’est tout à ton honneur.  Maintenant, on va voir si ce n’est qu’une façade ou si tu es vraiment faite de ce bois-là… Nous sommes arrivés.

Ils étaient devant les portes d’un immense bâtiment, dans la partie abandonnée de la ville, de l’autre côté du port. Le mystère qui les attendaient à l’intérieur n’en fut un que durant quelques secondes, puisque Shindô s’empressa d’ouvrir pour pénétrer à l’intérieur de la bâtisse, d’un bon coup de pied.  Il était tard, mais étonnamment clair à cause de la généreuse lune qui allait accompagner cette soirée et les rats qui avaient élu domicile dans la salle délabrée se faufilèrent hors du champ de vue des visiteurs. L’homme poisson posa sa gourde au sol, puis il posa son lourd sac et scruta les environs avant de lancer sereinement :

- Nous sommes au bon endroit… et nous avons plusieurs minutes d’avance apparemment, c’est parfait ! On va pouvoir discuter en attendant. Mais d’abord…

Shindô s’était assi en tailleur en plein milieu d’une grande pièce vide, entre sa gourde et son sac. Il pointa de son doigt palmé la porte, intimant ainsi Suki à quitter les lieux, si elle y était entrée.

- Si j’ai bien compris, tu peux te dédoubler et multiplier ainsi ce que tu touche. Je serais curieux de voir si tu pourrais le faire avec ce bâtiment.

Digression

- C’est tout ? Hmm... Le résultat est plutôt décevant, dit il en soupirant.

Decevant n’était pas le mot. Affligeant correspondait mieux. Tout ce qu’elle était parvenue à cloner – si on pouvait vraiment en parler comme tel – fut une réplique miniature de la bâtisse, avec une reproduction miniature du Fugu. Elle qui avait vanté les mérites de son pouvoir venait de perdre en un instant toute crédibilité. Les maudits pouvaient se montrer trop confiants par moment. Mais avant de livrer la suite des réactions de notre homme poisson, place à une petite digression.

[…]

- Vous n’avez pas autre chose ?

- Nan, il n’y a rien d’autre ! Et s’il est pas content le poisson, il peut aller voir ailleurs !

- Ok, calme... Bon, parlons argent maintenant.

Shindô quitta l’enseigne sous le tintement caractéristique de la clochette à l’entrée. Dans ses mains, une série de tenues plutôt étranges, qu’il s’empressa de ranger dans une sorte de grand bocal fermé, fixé sur son dos. Il était venu ici à la nage et devait repartir pour Whiskey Peak le plsu vite possible, car bientôt ils se mettraient en route vers Drum, sur le navire que le petit nouveau avait gentiment fournit à la toute jeune organisation. Cette opération serait risquée, mais elle était nécessaire. Plus tard, ils en riraient et en parleraient comme du jour où Renaissance était passé à la vitesse supérieure.

- Trois pour le prix d’un ! Et comme il m’aimait bien, j’ai reçu ça en bonus !

Il arbora fièrement le quatrième costume qu’il avait obtenu gratuitement de la part de Larry. Malheureusement, ce dernier était trop petit et aucun des chasseurs de primes ne pouvait le porter.  

[…]

- Tu penses en être capable avant notre départ de Jaya ?

Un diamant brute. D’apparence, ça n’est qu’un vulgaire caillou. Travaillez-le, polissez-le et vous obtenez une pierre précieuse. Agréable au regard mais aussi – et surtout – d’une grande valeur marchande. La métaphore était facile, mais avait le mérite de bien illustrer la situation. Il avait posé une question, mais en vérité il s’agissait d’une recommandation, d’un bon conseil. Même lui ne pouvait nier les nombreuses possibilités qu’offrait un tel pouvoir. Shindô eut alors l’idée de plonger son regard dans le sien, comme pour essayer de percer son identité.

- On dit que les yeux sont une fenêtre ouverte sur l’âme. Les miens doivent probablement montrer mon excitation quant à ce qui va suivre, par contre les tiens sont assez peu expressifs…

Un rapide coup d’oeil pour surveiller le temps. Ils seraient bientôt là. Shin’ sortit de son sac une feuille pliée en quatre. Comme il l’avait annoncé quelques secondes plus tôt, autant profiter du temps restant pour faire connaissance.

- Je ne te connais pas, Kagami Suki... En temps normal, ça ne me dérangerait pas de faire équipe avec des inconnus. Mais il faut toujours prendre ses précautions. Et c’est mon boulot en tant que bras droit. Les autres foncent, moi j’assure les arrières…  

Il déplia alors l’avis de recherche, lui dévoilant la face d’un forban particulier. L’espace d’un court instant, il eut l’impression que tout revenait toujours à lui… Une impression pénible qu’il s’empressa de chasser de son esprit.

- Nakata Fenice… Tu le connais ? Ca te dérangerait d’avoir à le capturer, ou même à le tuer ?  

Le retour tant attendu

- Evidemment je le connais, mais seulement de nom, je ne l'ai jamais croisé sur ma route pour le moment. Quant à le tuer ou le capturer, je suis prête aux deux. Ce serait probablement une belle prise.

- Je vois…

- Pourquoi me demandes-tu cela ? Il me semble que n'importe quel chasseur de primes se respectant voudrait connaître l'honneur de capturer ce pirate.

Quatorze minutes et vingt-sept seconde. C’était le temps qu’il lui avait fallu pour ENFIN poser une question, entre le départ depuis l’auberge et l’arrivée dans cet endroit délabré. Ce score était assez déroutant. Qu’elle ne soit pas curieux pouvait être une qualité en soit. Par contre, qu’elle suive aveuglement une « soi-disant » autorité, sans se poser de questions, sans même chercher à savoir ce qu’il pouvait se passer était – en un sens – plutôt inquiétant. D’ailleurs sa question ne portait même pas sur les raisons de leur présence ici, elle n’avait fait que réagir à la question de Shindô.

- Ouais, ça parait évident. Pour tout chasseur de prime qui se respecte, un pirate primé est une cible potentielle. Mais faut croire que certains, comme Noctis – encore lui – n’ont pas encore tout compris.

Le problème ne venait pas d’Archer... il venait du Phénix. Comme un aimant, cet homme avait la fâcheuse particularité d’attirer à lui toute personne environnante. En tant qu’individu, Shindô ne le détestait pas… il le voyait plutôt comme un test, une épreuve à surmonter. L’homme poisson sortit de son sac un sandwich et jeta un rapide coup d’œil vers sa montre avant de mordre dedans. Il en profita alors pour montrer à l’humaine deux nouvelles têtes primées.

- A droite, c’est Mitsu. Capitaine d’un équipage dont j’ai oublié le nom. Cet humain détient actuellement le record de la plus haute prime pour un pirate ne voguant pas sur Grand Line. Les quatre-vingt-trois millions sur sa tête ont peut-être l’air insignifiant comparé à d’autres forbans, mais ils sont au contraire un important indicateur de la puissance de ce type…  

Shindô avait déjà demandé auparavant que l’on fasse des recherches sur cet équipage. Il en parlait aujourd’hui à Suki car selon toute vraisemblance, ces pirates devraient bientôt se trouver à l’entrée de Grand Line. Il faudrait alors inspecter les lieux depuis Whiskey Peak pour espérer les attaquer en pleine mer et les capturer. Dans une telle conjoncture, un autre membre de la bande à Mitsu devait impérativement lui être présenté.

- A gauche, Drake Kotori (facile à deviner, c’est écrit en dessous). Les médias ne disent pas trop de choses sur lui, mais il est le second plus primé de l’équipage et semblerait se battre avec des sabres. Trente-deux millions… c’est assez largement au dessus de ce qu’on a généralement dans ces mers là. Rien qu’à eux deux, ils totalisent plus de cent millions. Ce seront nos prochaines grosse prises.

Mais pour cela, il était impératif que tous les membres puissent être opérationnels. Nous en arrivons donc finalement à la raison de leur présence dans cette bâtisse délabrée ! Il s’agissait d’un test, ainsi que d’un moyen de mieux cerner cette nouvelle partenaire. Cette fois-ci, lorsque Shindô regarda sa montre, son visage se fendit en un léger sourire, tandis qu’il commença à déballer ce qui prenait le plus de place dans son sac. Le moment tant attendu était enfin arrivé. Il en sorti un jaune et en balança un blanc et noir à l’humaine.

- Il est temps, ils vont arriver d’une minute à l’autre. Enfile ça et va te placer dans un coin de la pièce, sans bouger.

Le titre allait à présent prendre tout son sens. Shindô jubilait à l’idée de remettre cette tenue qu’il avait porté lors de leur opération à Drum : un grand costume d’ours jaune aux yeux rouges ! Le « ça » qu’il avait donné à Suki était une version pour enfant du même costume, mais de couleur différente. Le sien était blanc et noir – ouais, ça fait plutôt penser à un panda – avec un visage assez… dérangeant. Dès que Shindô eut enfilé sa tenue, il se laissa tout simplement tomber au sol et s’immobilisa, pour avoir l’air d’une peluche inerte. Elle devrait faire pareil pour que l’illusion soit parfaite.

[…]

- Je suis certain que tu me racontes des crack… Un navire entier ?

- Je te jure que c’est la vérité capitaine ! C’était rempli d’armes ! Comme on savait pas ou mettre tout ça après l’abordage, on l’a planqué quelque part dans ce quartier inhabité !

- Ouais bah y a un interêt... Sérieux, si on s’est déplacé pour rien…

Deux jours plus tôt, Les Nostrad pirates réalisaient l’abordage de leur vie en pillant ce qui s’était avéré être un navire marchand transportant de nombreuses armes. Pour ce petit équipage d’une trentaine de membre, il s’agissait là d’une véritable petite mine d’or. Non seulement ils comptaient se garder les meilleures du lot, mais en plus ils pourraient revendre chaque arme et en tirer un bon prix. Seulement voilà, la veille, une organisation de chasseurs de prime était tombé par hasard sur le butin des pirates. Grâce aux rumeurs qui circulaient en ville, ainsi qu’à un important travail de recherche, ils finirent par découvrir l’identité des propriétaires : des pirates peu primé, de l’argent facile en gros.

Wait & See

Parfiatement immobile depuis l’arrivée des humains, Shindô attendait patiemment le bon moment. En effet, il ne pouvait pas se contenter d’une attaque surprise sur le premier qui l’approcherait. Les autres étaient munis d’armes à feu, ils n’auraient aucun mal à le transformer en passoire. En plus, il ne pouvait pas bouger à son aise et les petites visières de ce costume limitaient fortement son champ de vision. Avant d’engager le combat, il fallait être prudent. Une gouttelette particulièrement froide glissa le long de son cou et manque de le faire frissonner. Elle n’était pas due à la chaleur, mais au stress.  

* C’est ça, interrogez vous sur la raison de notre présence. Approchez… Non… Non, pose cette arme… quel genre d’imbécile tirerait sur un ours en peluche pour s’assurer qu’il soit réel ? Noooon ! Ah, je préfère. Oui, c’est ça, porte moi, mais appelle peut-être tes potes parce que mes cent kilos de muscles, c’est un challenge trop difficile pour un gringalet comme toi…  *

Trois personnes chargèrent la première peluche jaune sur leurs épaules, tandis qu’un dernier s’occupa de la seconde, plus petite et bien plus simple à transporter. Sans trop comprendre ce qu’il se passait, l’homme poisson et sa partenaire furent ainsi trimballé à travers les rues de Mock Town. Toujours dans son rôle de peluche géante, Shindô ne bougeait pas d’un iota et espérait que Suki en fasse de même. En attendant d’avoir une idée plus précise de la situation, il faudrait faire profil bas. « Wait & See » comme l’expression.

[…]

- C’est vrai cette histoire ?

- Evidemment que c’est vrai ! Je l’ai vu comme je te vois actuellement ! Tu me connais, j’suis pas du genre à raconter des mensonges. Bon ok, parfois je déforme la réalité, mais bon, je l fais quand c’est nécessaire. Quel interêt j’aurais à te mentir Shindô ? En plus, ça me fait de la peine que tu me penses capable de faire ça parce que…

- J’ai compris Speedy... je veillerai à ce que tu sois remercié, comme il se doit.

Il prit alors congé dudit Speedy, son indicateur plutôt bavard. Le jeune garçon avait assisté la veille au soir à l’abordage d’un important navire de commerce par un chanceux équipage de pirates, ainsi que de l’obtention du butin et son transfert jusqu'à la fameuse battisse délabrée. Par la suite, ce même Speedy aida Shindô a déménager le tout vers un autre endroit, afin de leur tendre un piège.

[…]

Une digression mêlée à un Flashback. Cela brise la continuité et permet une sorte de pause. Parfois, ça peut également apporter certaines réponses. Ballotté de droite à gauche depuis plusieurs dizaines de minutes, Shindô n’avait littéralement plus les yeux en face des trous. Soudain, il sentit son corps projeté dans les airs, avant de lourdement s’écraser au sol, accompagné alors d’un second bruit sourd – probablement Suki – avant qu’une porte ne se referme. Après s’être assuré qu’il n’y avait plus personne aux alentours, l’homme poisson ôta la tête de son costume.

- A en juger par la manière dont le sol bouge, je pense que nous sommes à bord d’un navire… Moi qui attendais le moment le moins risqué pour agir, ça m’apprendra à craindre de me faire tirer dessus.

Mi homme poisson, mi peluche, sa tête d’ours jaune sous le bras, il arpenta la pièce exigue dans laquelle ils avaient été enfermés et son facies se déforma en un sourire équivoque, « comme si c’était suffisant pour nous retenir », probablement la pensée qui lui traversa l’esprit avant qu’il ne se tourne vers sa partenaire.

- L’un d’entre eux doit vouloir nous offrir comme cadeau d’anniversaire. Enfin bref, qu’est-ce qu’on fait maintenant ?

Les neuf commandements

Kagami Suki était... Non. Shindô n’y arrivait tout simplement pas. Sa force n’était plus à prouver, n’étant ni menotté, ni attaché, il avait de grandes chances de pouvoir quitter les lieux sans trop de difficultés. Mais il ne l’avait pas fait et ce pour une raison bien précise. Son but en tant que bras droit était de « couvrir les arrières ». Pour assurer cette fonction, il devait s’assurer de bien cerner chaque personne susceptible de faire partie de l’organisation. Il savait qu’elle avait déjà compris la raison de tout ce cirque depuis le début, elle était probablement plus maligne, plus cérébrale que lui. Faisait-elle donc semblant de ne pas comprendre ce qu’il se passait ?

- Comment veux-tu que je sache quoi faire alors que je ne suis au courant de rien du tout ? Tu pourrais au moins avoir l'intelligence de m'expliquer un peu ce qui se passe. Je ne compte pas être un gentil chien qui vous suit dans vos délires sans piper mot.

- Délire ou pas, que tu sois un chien, un hamster ou je ne sais quel autre oiseau… Il faut pouvoir réagir en toutes circonstances. Rester les bras croisés à protester est le meilleur moyen de se faire écraser.

Il avait appuyé son dernier mot en enfonçant son poing dans sa main palmée. Elle voulait jouer les froides et les distantes ? Shin’ n’avait aucun problème avec ce genre d’attitude, à vrai dire il préférait avoir ça plutôt que des personnes trop familières, trop vite – l’image de Noctis lui revint encore en tête. Ce qui le dérangeait était sa nonchalance face aux situations à problème.

- Pour le moment, il me semble que nous n'avons pas beaucoup de choix. Soit nous attendons ici et essayons de nous occuper intelligemment, soit nous sortons de cet endroit minuscule. Mais je ne t'apprends pas grand chose je suppose..

- En effet, merci capitaine Obvious.

Une cellule au milieu d’une embarcation, probablement au large de Jaya. A son bord, une bande de forbans, inquiets à l’idée de retrouver un important stock d’armes.

- Puisque on est parti pour rester ici un petit moment, discutons un peu. J’imagine que cette tête brûlée de Noctis ne t’a pas parlé en détail de ce que nous sommes. Déjà, on a un règlement.

Et il énonça presque religieusement les dix règles en vigueur au sein de l’organisation.
1- Ne jamais tuer sans autorisation
2- Ne jamais garder ses ordres de missions
3- Ne jamais parler de Renaissance
4- Ne jamais essayer de trouver l’identité du boss
5- Ne jamais revenir en ayant échoué
6- Ne jamais laissé de témoins
7- Ne jamais abandonner
8- Ne jamais se faire capturer par qui que ce soit
9- Ne jamais mentir
10- Ne jamais trahir Renaissance

- On travaille encore sur la quatrième, mais les autres sont vraiment d’une importance capitale. Ce sont ces dix règles qui nous amèneront au sommet. Chasser les primes faramineuses attribuées aux criminels donne souvent l’impression d’être une vie de luxe. Mais la vérité est tout autre, on n’attrape pas toujours de proie suffisamment grosse, il est alors compliqué de remplir son assiette le soir…

Deux personnes firent une bruyante irruption dans la pièce. Saisissant l’opportunité de quitter les lieux, Shindô se précipita sur l’un d’entre eux, mais reçut soudain une puissante décharge électrique, qui l’assomma sur le coup. Tandis que l’un bloqua l’unique porte pour empêcher la fille de sortir, l’autre chargea l’homme poisson inconscient et le transféra dans une autre pièce.

[…]

- Ouah... mon crâne...

- Cendrillon se réveille ?

- C’est la Belle au bois dormant… à la limite Blanche-Neige...

- On s’en fout, crétin ! Joue pas les malins, t’as envie de te manger une autre décharge ?

Il agitait dans ses mains le mystérieux objet à l’origine du choc électrique. Shindô recouvrait peu à peu ses esprits et remarqua la chaise ainsi que les chaînes en métal qui retenaient ses mouvements. Suki devait être en train de vivre une situation similaire…

- Où sont les armes ?

- Laisse tomber, cherche plutôt un moyen de quitter les lieux, tant qu’il en est encore temps. Parce que quand je me serai libéré vous allez tous … AAARGH !

Trop bavard aux yeux de son tortionnaire, l’amphibien avait donc été puni en conséquence. Son corps fumait légèrement et alors qu’il tendait de s’accommoder à la douleur, le pirate se pencha pour atteindre l’oreille du chasseur de prime et répéta sa question en articulant exagérément.

- Où sont les armes ?

Avec du coton

- Aaah ok ! Ahahaha, énorme son délire !

- J’ai dit quelque chose d’amusant le poisson ?

- Toi non, mais écoute l’autre, elle est en train de pleurer.

Il parlait bien évidemment de sa partenaire du jour. Elle pleurait. La première pensée à lui avoir traversé l’esprit à ce moment là fut : « faible ». Mais il se ravisa très vite en se rendant compte que c’était illogique. Elle qui depuis le début avait fait preuve d’un self control émotionnel terrifiant, ne pouvait pas d’un seul coup se mettre à pleurer, même sous la torture, ça n’avait aucun sens… à moins que…

- Elle est raisonnable et sait qu’on ne lui laisse pas la moindre chance. Et quand elle aura parlé, tu ne nous sera plus d’aucune utilité, si tu vois ce que je veux dire, à moins que tu ne la devance…

- Dans le fond toi et moi et on n’est pas si différent. La psychologie c’est pas trop notre truc… non, nous on préfère l’action, on communique avec nos poings.

Et punition. Nouvelle décharge électrique, nouveau cri, nouvelle perte momentanée de connaissance, suivie de cette douloureuse phase de réveille. Vision trouble, douleur vive dans l’ensemble du système nerveux (et même dans des recoins insoupçonnés), légère fumée s’échappant de son cuir chevelu. Shindô avait de plus en plus de mal à supporter les décharges, qui semblaient augmenter à chaque fois.

- De toute façon ton amie est passé aux aveux, t’es déjà un homme mort.

- « Mon amie, mon amie », moi j’ai une tête à traîner avec ce genre de personnes ? Je l’entends pleurer ça me fait marrer, et t’es encore capable de me sortir ce genre de bêtise ?

- T’as surtout une belle tête de monstre Haha !

- Peut mieux faire, mais je te mets onze sur vingt pour la répartie.

Pas de décharge, mais un bon gros coup de botte dans la face. La chaise se renversa, Shindô avec – forcément, puisqu’il y est attaché avec des chaînes en acier. Sa réaction face à l’évocation de sa partenaire n’était pas jouée, mais bien réelle. Elle était trop compliquée en tant que personne pour qu’il puisse s’y intéresser et encore trop peu impliquée dans l’organisation pour qu’il puisse la respecter. Elle avait sa carapace, il avait la sienne, les choses étaient bien mieux ainsi. C’était peut-être sa seule qualité – pour un membre d’une organisation à double face, oui, mais peut-être pas pour une personne – contrairement à Noctis par exemple, qui se laissait très vite dominé par ses sentiments. Il était instable lui, chose que Shindô n’appréciait pas, chez les individus.

- Hey, on a un souci ! La fille s’est fait la malle !

- On est à plusieurs centaines de mètres de la côte, elle ne n’a nulle part où aller. Retrouvez là simplement avant que l’information ne remonte au capitaine.

- Bravo, à cause de vous je vais passer pour l’incapable tas de muscles décérébré de l’équipe … Vous l’avez attachée avec du coton ou quoi ?

La décharge fut tellement forte, tellement soudaine, qu’elle lui arracha un puissant cri de douleur, avant de le faire sombrer dans les vapes, pour un plus long moment.

Main dans la main

Il évoluait dans un magasin de porcelaine, pieds liés, portant à bout de bras une grande caisse à peine moins large que le rayon. Il n’avait plus la vingtaine, mais était un garçon. Il devait avancer par petits sauts et sa marge d’erreur était donc assez restreinte. Premier saut, second, troisième… il chancela mais se rattrapa très vite, tandis que son attention se fixa sur une pile d’assiette à sa droite qui menaçait de chuter à tout instant. Cette pile était immense, en tombant elle l’écraserait. Il devait bouger, mais commençait à paniquer. Son rythme cardiaque s’affola, la caisse lui glissait entre les doigts. Mains moites. Le poison se répendit sur l’ensemble de son corps. Il fit tomber la boite, cette dernière fit chuter la pile d’assiette, qui entraina d’autres rayons dans une réaction enchaîne.

Shindô parvint à s’enfuir juste à temps. Mais une poigne puissante l’attrapa par les épaules. Sa sœur aînée. Ses dents pointues de requin à pointe bleu lui avaient toujours fait peur. Et elle le secoua, le secoua, le secoua…

- J’ai pas fait exprès Adel’ ! J’ai pas fait exprès ! brailla-t-il avec l’intonation d’un enfant.

Shindô émergea de son rêve. Pour l’accueillir dans la réalité, il y avait ce visage... ce visage qui obstruait son champ de vision, un visage qui le fit grimacer.

- Ah... Ce n’est que toi. Et tu n’arrives que maintenant… Chacun son rythme j’imagine.

L’homme poisson se redressa – tâche moins facile que prévu, à cause des brûlures. Du haut de ses deux mètres, il se baissa pour passer la porte de la petite pièce dans laquelle on l’avait enfermé, tenant Suki par la main. Il la guida ensuite jusqu’à ce qu’ils atteignent la rambarde du navire – empêchant toute tentative éventuelle de fuite en la maintenant fermement. Les bruits de coup de feu lui firent comprendre qu’il ne fallait plus traîner, il se tourna alors vers la jeune fille, posant sa seconde main au dessus de la sienne. Il la regardait d’un air grave, posant alors un genou à terre.

- Retiens ta respiration, j’arrive dans quelques secondes.  

Usant alors de l’élan qu’offrait sa position, Shindô n’eut aucun mal à balancer le corps frêle par-dessus bord. Bien sûr, il était au courant pour sa malédiction, elle n’aurait qu’à rester en apnée le temps qu’il vienne la chercher. Il ne tarda en effet pas lui non plus à plonger, mais se dirigea vers la coque du navire qu’il perça à l’aide de coups bien précis, un peu partout. Se dirigeant ensuite un peu plus en profondeur, il prit une posture de combat, exécutant d’amples gestes avec ses bras, avant de réunir ses deux mains pour leur donner la forme d’un bol, au niveau de sa taille.

- Mizugokuro... Kairyu !

Ses mains saisirent alors l’eau, comme s’il s’agissait de tissu et il se mit à nager de manière circulaire, créant ce qui commençait petit à petit à prendre la forme d’un mini tourbillon. Entre la coque percée et ce typhon artificiel, le navire entier irait rejoindre Davy Jones dans une poignée de secondes. Il n’eut plus qu’à se diriger vers Suki, et la remonter à la surface, avant que son corps ne se fasse happer par la spirale infernale.

Cette malédiction... quelle plaie.

Le typhon se portait bien, le navire coulait à vitesse régulière, les pirates beuglaient de rage et de frustration, bref, tout se déroulait comme prévu, ou presque. Shindô ne parvenait pas à se retrouver Suki. Il était certain de se situer près de l’endroit où il l’avait lancée, mais n’avait aucun signe de la présence de son corps. Il avait été vérifier un peu plus en profondeur, mais n’y avait vu aucune activité. Son attention s’était alors naturellement portée vers le tourbillon, peut-être que son corps avait été happé par ce dernier. Peu probable, vu que son diamètre ne dépassait que légèrement celui du navire, mais pas impossible. Certaines personnes sont douées quand il s’agit de se mettre dans le pétrin…  

En fait, Shindô en était entouré, entre Dust ou encore Noctis, il devait constamment passer derrière et réparer les dégâts et à vrai dire, il avait espéré qu’elle ne soit pas ce genre de boulet.

*Ah, ça y est je la vois ! Mais… comment elle a fait pour bouger jusque là ? Bah… pas envie de réfléchir à ça, y a plus urgent pour le moment.*

Il avait fini par retrouver l’humaine, mais à un endroit tout à fait différent, comme si elle avait sauté dans l’eau depuis le bord opposé du navire pirate. Fendant les eaux à toute vitesse, il l’attrapa d’un seul bras, avant de se mettre à nager vers l’île. Il progressa d’abord sous l’eau, puis se rendit compte qu’il valait mieux retourner d’abord à la surface, sans quoi elle se noierait assurément. Dans un monde principalement constitué d’eau, cette malédiction était vraiment une plaie. Eux qui débordaient de confiance sur la terre ferme devenaient des corps inanimé, aussi vulnérables qu’un nourrisson une fois plongé dans l’eau.

Il émergea et nagea donc jusqu’à la rive, mais du côté sauvage de l’île, pas au port de Mock Town. Shindô fut surpris du challenge physique de ce trajet pourtant relativement court et simple. Ainsi, lorsqu’il atteignit Jaya, il eut à peine le temps de se hisser sur les rochers, puis de lâcher Suki sur la berge qu’il s’écroula lui-même sur le dos, haletant de fatigue. L’eau avait soulagé ses brûlures, mais la douleur liée aux décharges était toujours là. De simples mouvements le faisaient souffrir. Le corps ainsi étalé sur le sol, il fixa le ciel, puis tourna son visage vers sa partenaire, réalisant qu’en fin de compte, contrairement à ce qu’il avait pensé, elle l’avait sauvé, là où il aurait pu subir bien plus que de « simples » décharges électriques.

- Je viens de comprendre pour le coup du clone. Pas mal Kagami. Tu es peut-être incapable de dupliquer correctement un bâtiment, mais tu as d’autres qualités, dit-il tout en essayant de reprendre son souffle.

Au large, un monstre marin semblait avoir tiré de la misère des pirates pour avoir un repas gratuit. Tant mieux, ça éviterait à nos chasseurs de primes de devoir aller achever les éventuels rescapés. Shindô ne quitta pas sa position allongée, qu’il trouvait agréable, avec cette vue sur les étoiles, et profita de la situation pour lui poser une ultime question, avant de prendre congé d’elle, pour aujourd’hui en tout cas.

- Je pense qu’il n’est pas exagéré de dire qu’on en a fait suffisamment pour ce soir. Mais je dois tout de même te demander une dernière chose : As-tu un but, un objectif que tu comptes atteindre ? Si oui, penses-tu que ce dernier puisse nuire d’une quelconque manière à l’organisation ?

“Tu peux m’aider ?”
“Non.”  

Une réponse satisfaisante pour l’instant. Elle n’avait pas besoin d’aller plus loin, ce n’était pas nécessaire. Les membres de l’Organisation avaient tous des objectifs plus ou moins sombre à accomplir, ils avaient le droit d’avoir ce genre de secret. Shindô ne le savait que trop bien, hormis peut-être Dust, personne ne savait vraiment pour lui. Il n’était pas du genre à étaler sa vie au premier venu, s’il l’avait mis lui, dans la confidence, c’était surtout parce que la relation qu’il avait avec le Corleone dépassait le cadre du « travail ». Avant d’être partenaire, ils étaient amis, quelque chose qu’il ne pouvait pas affirmer avec les autres membres par exemple. Sans directement la regarder, préférant resté concentré sur une étoile en particulier, il lui répondit calmement.

- Tant que tu ne feras rien de stupide, Renaissance n’entravera jamais tes projets personnels.

Le sien d’objectif impliquait qu’il monte en puissance. Une situation comme celle d’aujourd’hui ne pourrait plus se reproduire à l’avenir. Il aurait du être capable de s’en sortir. Il savait qu’il aurait pu gérer tous ces pirates, même en les combattant seul. Oui, c’était ça. S’il n’avait pas pu, c’était seulement parce qu’elle avait été là, parce qu’il avait voulu en savoir plus, parce qu’il avait tout de suite compris que de simples questions ne lui permettrait pas d’arriver à la connaître suffisamment bien. Ce fut sa voix à elle qui le tira de sa petite réflexion, elle était naturellement toujours enchaînée et lui demanda de l’aide. Il l’aurait bien fait, mais sans les clés, ça allait être compliqué. Il n’avait pas non plus la force de les briser à mains nues – sinon il se serait évadé, seul. En guise de réponse à sa demande, il se leva d’un bond et lui tendit une clé.

- La rue principale, numéro 117, c’est la chambre 8. Il devrait y avoir une scie à métaux dans l’une des armoires. Mais tu ne fais pas ça dans ma chambre, ou alors tu nettoies après.

Il mit la main devant sa bouche, grande ouverte puisqu’il bailla, puis se massa un peu la nuque, avant de lui tourner les talons, se dirigeant vers l’endroit où se trouvait véritablement le stock d’arme.

- Du coup, peut-être à demain, si t’es dans les parages. Je m’arrache, bonne fin de soirée.

De la plus belle des façons.

Le reste de la soirée fut long pour Shindô. Il dut transporter en plusieurs fois les armes, depuis leur stock jusqu’au port où mouillait l’une des futures embarcations de l’Organisation. Une tâche pénible, mais nécessaire. Ceci fait, il put finalement rentrer à l’auberge, pour s’affaler dans son lit et y passer le reste de la nuit. Il passa machinalement la clé dans la serrure, content de trouver sa chambre nickel et ses affaires intactes. Epuisé par les exploits de la journée, il se laissa simplement tomber sur son lit, sans prendre le temps de se changer et ferma les yeux.

« Purupurpurupuru Purupurpurupuru... »

Il grogna, tentant déséspérement d’atteindre l’escargophone posé sur la table de nuit, mais se saisit à la place de la lampe de chevet, qu’il balança donc par erreur à travers la pièce. Le bruit de la lampe se fracassant contre le mur le réveilla définitivement. Il poussa un long soupir, tout en se plaçant sur le côté de son lit, en position assise et décida de décrocher.

« Shin’ ? »

- Il est midi Mad’et j’suis fatigué…Qu’est-ce qu’il y a ?

« A toi de me le dire, crétin. Mais… t’as bu hier soir ou quoi ? Rappelle moi de ne plus jamais te confier mes clés quand je m’absente de l’île une petite journée. »

Comprenant soudain ce dont il était question, Shindô réprima une envie de rire de la situation, décidé à savoir à quel point Suki avait pu retourner la chambre de ce cher Mad’.

«  Je suis rentré ce matin… et bordel, t’as scié du métal ici ? Y a des bouts de chaînes partout, mes affaires éparpillées dans toute la pièce, mon lit tout mouillé, qui sent le sel. En plus, t’es même pas discret, avec ton dessin dégueulasse sur le mur. Tu trouves ça drôle ? Espèce de gamin.   »

- Je te promets que je n’y suis pour rien… Sinon, c’est quoi comme dessin ?

« Va te faire… !   »

Shindô raccrocha, ne voulant pas que son collègue puisse entendre le long et bruyant fou rire qui suivit. Kagami Suki, prévisible, mais aussi tellement « bizarre ». Un dessin ? Et un dessin qui avait fait conclure à Mad’ qu’il s’agissait d’un coup de l’Homme poisson. Qu’avait-elle bien pu inscrire sur ce mur ? Bah… il lui demanderait la prochaine fois. Alala, pauvre Mad'. Et dire qu'il fallait encore lui annoncer la mystérieuse disparition de la tenue d'ours jaune... C’était une journée qui débutait de la plus belle des façons.