La musique qui résonnait légèrement dans la grande salle était triste. Une chanson d'amour chantée avec pour seul accompagnement une guitare sèche. Le chanteur, inconnu sur les mers, avait une voix mélancolique. Les paroles, dont le sens était caché par des métaphores, prenaient tous leurs sens une fois le refrain engagé. Finalement, l'homme s'en alla après quelques applaudissement. Le public n'était là que pour une seule et même chose, le groupe qui suivait. Une super star du moment, Gyo ! Alors que leur réputation s'était faite avec les chansons « Ultime danse » ou « Le détour », il revenait avec un nouveau tube : « Tout envoyer par terre » ! Aux premiers tintements de cymbales, les spectateurs scandèrent le nom du chanteur à tout va. C'était fou... Et Daisuke se trouvait au centre de tout cela. Pourquoi donc ? Pour une seule bonne raison : il voulait se rapprocher du peuple qu'il souhaitait protéger. Comprendre le monde pour mieux le sauvegarder. Il ne pouvait faire valoir sa justice si elle n'apportait rien à personne...

Puis, une heure après la fin du concert, qu'il apprécia beaucoup, il se permit de se balader dans les rues sablonneuses de Rainbase. Il aurait très bien pu se promener encore quelques heures, histoire de s'enlever les fourmis qu'il avait dans les jambes, mais il ne pouvait pas faire comme bon lui semblait. Il ne devait pas se faire remarquer. Ce n'était pas comme s'il était hors-la-loi, mais c'était l'impression qu'il reconnaissait avoir de lui-même. Encapuchonné dans un large manteau, il traversait la ville. Il avait un rendez-vous. Un homme devait lui vendre un petit embarcation, qui lui serait utile pour voyager. Étant maintenant accompagné par Sue, il n'avait plus à naviguer avec une goélette, comme avec son équipage, mais devait avoir suffisamment de vivre pour couvrir de longue distance.

Alors qu'il arrivait à destination, le vendeur, à la carrure plutôt disproportionnée, l'invita à rejoindre son intérieur. Détaillant sa création – car c'est bien lui qui l'a construit – avec tellement d'énergie et d'envie que Daisuke ne pouvait que sourire aux explications. Ne comprenant que la moitié (et avec difficulté), il acquiesça la demande du vieil homme. Il voulait seulement montrer son ''chef-d’œuvre''. Après une pinte d'un alcool régional, ils sortirent rejoindre un hangar. Le bateau y était entreposé depuis bien des années et ne servait plus qu'à entreposer... A l'intérieur de l’entrepôt. L'odeur de la poussière était omniprésente et asséchait la bouche. Le marine ne tarda pas à respirer par le nez dès lors. Il toussa aussi, par moment. Passant un coup sur un bout du bois, il pu remarquer qu'il semblait être de bonne qualité. Enfin, ce n'était l'avis, là, que d'un simple amateur.

« Je vous apporterais l'argent dans quelque jour. Juste le temps de rassembler le tout et nous pourrons, si vous le voulez toujours, faire la transaction.
- Oh oui, mon bon m'sieur. Je serais d'avis de l'faire d'suite, mais si vous avez pas l'argent, c'tant pis. »

Remontant sa capuche par dessus ses cheveux d'or, Daisuke s'éloigna en rajoutant une petite phrase :

« Je ferais de mon mieux pour avoir l'argent le plus rapidement possible. »

-  -  -  -  -  -  -  

La journée maintenant bien entamée, il se dirigea vers l'auberge où il logeait depuis son arrivée à Alabasta, mais c'était sans compter sur sa rencontre avec...

La mescaline est une puissante substance psychotrope capable d’amener ceux qui l’ingère dans un état de conscience second. On la retrouve à l’état naturel dans certains végétaux, comme le Mescal Cactus,  poussant notamment dans les étendues désertiques d’Alabasta. Lors de sa dernière visite,  Zora avait eu l’occasion d’en apercevoir de beaux spécimens. Hélas, trop occupée à tenter de semer ses poursuivants, elle n’avait pas eu le temps de s’arrêter pour mieux les observer. Un tord qu’elle venait de réparer à l’instant. On l’attendait ailleurs pour une importante réunion mais elle avait opté pour un petit crochet sur l’île ensablée. Panda, jeune tortue île lui servant de moyen de transport, n’avait eu aucun mal à remonter le fleuve en toute discrétion en nageant sous l’eau, lui permettant d’atteindre le cœur de l’île sans trop éveiller les soupçons.

Accroupie pour mieux observer ces petits cactus ronds, à l’aide de sa lentille grossissante, elle ne prêta pas attention aux Hérons Barboteurs faufilés dans son dos afin de lui voler ses provisions. En plus d’être sournois, ces oiseaux de malheurs étaient également très rapide. Elle les avait poursuivis tant bien que mal sur une centaine de mètre, avant de finalement baisser les bras. Comme pour la narguer, les volatiles étaient restés dans son champ de vision, consommant bruyamment les provisions qu’ils lui avaient dérobées. Trop éloignée du fleuve, il ne lui restait plus qu’à atteindre la ville la plus proche. La course du soleil dans le ciel lui indiqua la direction de l’ouest, qu’elle emprunta avant de finalement débarquer à Rainbase.

- Vous avez eu de la chance de ne tomber que sur eux. Cette zone du désert est plutôt dangereuse…

- Nos définitions du mot « chance » doivent être bien différentes alors, soupira-t-elle en terminant sa tasse de thé vert.

En ce début d’après-midi, le soleil était encore bien haut dans le ciel et ses rayons tapaient toujours avec autant d’insistance. On ne s’aventurait normalement pas à l’extérieur par une telle chaleur ; les gens restaient généralement chez eux, à l’ombre et au frais et se reposaient jusqu’à ce que la température retombe. Ce genre de climat n’était en général caractérisé que par deux saisons, l’une sèche et l’autre humide.

En entrant dans cette auberge, la première chose a avoir attiré son attention fut le mur de fond, sur lequel figurait de nombreux avis de recherche. Elle y avait vu celui d’une jeune Révolutionnaire à la tenue légère, aux cheveux argentés et au regard déterminé, lui ressemblant beaucoup, mais ça ne pouvait être elle. Presque la cinquantaine, une chevelure grisonnante, d’amples vêtements bleus et un visage creusé par l’âge, Zora était méconnaissable. Contrairement à ce qu’on pouvait penser, cette apparence était son apparence normale, la version jeune par contre n’était qu’une sorte de déguisement. Elle s’en était toutefois tellement imprégné qu’elle avait par moment véritablement eut l’impression d’être revenu en arrière. A force de passer de la gamine pleurnicharde à l’octogénaire sénile et décrépite, l’âge était pour elle devenu une notion éthérée, abstraite et vide de sens.

Le rez-de-chaussée de cette auberge servait également de bar. Assise à une table, elle venait de discuter avec un serveur – l’unique employé de l’établissement après le barman et gérant – plutôt bavard. Dans le baluchon qu’elle mit sur son épaule se trouvait de quoi se sustenter le temps de traverser le désert et de rejoindre le fleuve. Et après avoir laissé quelques Berry sur sa table pour le service, elle s’apprêta à quitter les lieux lorsqu’elle tomba nez à nez avec…

- …

Le temps se figea. Elle le fixa droit dans les yeux. Cette seconde semblait ne pas vouloir s’écouler. Son esprit vif, grâce auquel elle avait pu surmonter toutes ces épreuves dans sa vie, venait d’arriver à une terrible conclusion. Elle était seule, toute seule. Lui était Officier de la Marine, il était forcément accompagné… Cinq, dix, vingt personnes ? Avait-elle la moindre chance de s’en sortir ? Non, alors elle devrait assurément fuir, mais où ? A l’extérieur de la ville, un océan de sable s’étalait à perte de vue. Une goutte nerveuse perla sur son front et s’écoula lentement le long de sa nuque.. La froideur de cette dernière lui rappela que rien n’était encore perdu. Il était également surpris, alors peut-être qu’en prenant l’initiative et en le poignardant rapidement, elle s’en sortirait… Oui mais, sa malédiction rendrait le coup inefficace. Et puis, il y avait cette petite voix, cette intuition qui lui disait de se calmer, de respirer un bon coup et d’engager une conversation. Elle avait l’habitude de refouler cette petite voix, mais cette fois là, sans vraiment pouvoir donner de justification, elle décida de l’écouter.

- Il existe une célèbre théorie selon laquelle on a d’avantage de chance de croiser une connaissance lorsque l’on est au bout du monde, plutôt que près de chez soi… Je n’y ai jamais vraiment cru, mais en pensant au faible taux de probabilité de tomber ici et maintenant sur toi, ça parait plausible.

Elle avait prit un ton détaché, comme un professeur en pleine digression. La rencontre prenait des allures de Western. Les interlocuteurs se faisaient face, dans l’enchevêtrure de la porte de l’auberge.

- Que fais-tu ici, Aurola Daisuke ?

Le soleil avait déjà pas mal amorcé sa descente alors que Daisuke ouvrit la porte de l'auberge. Ce n'était pas du tout une porte comme dans les westerns, qui grinçaient et qui vous rendez visible aux yeux de tous en un clin d’œil. C'était une simple porte, qui coulissait sur la droite quand on entrait et à gauche quand on sortait. L'ensemble de la pièce était très lumineux, les murs, d'un blanc presque parfait, reflétait efficacement le soleil qui passait par la multitude de fenêtre présente. Les tables, recouvertes de nappe en tissus violacés, étaient assez espacées pour pouvoir se déplacer sans problèmes. Le marine ne faisait pas réellement attention à tout ce qui l'entourait ici et se dirigeait calmement vers le bar, prendre la clé pour monter dans sa chambre. Il observait les stries du parquet lorsqu'il vit une paire de pied s'interposer face à lui. Il leva immédiatement les yeux vers la tête de leur propriétaire.

Une femme assez âgée, comme décrit dans le post de Zora. C'était en fait elle, mais totalement différente que dans les souvenirs du blond. En effet, elle était bien plus jeune, et la couleur de ses cheveux la rendait méconnaissable, mais il ressentait comme un sentiment de déjà vu, sans pouvoir mettre le doigt dessus. Elle s'était mise à parler, comme pour s'adresser à lui, mais il ne l'écoutait pas vraiment, d'une oreille distraite, si on peut dire. Cependant, lorsqu'il reconnu son nom dans la conversation, un choc le prit. Il la reconnu et il changea totalement d'expression.

« Harlock... ? »

Comme tout le monde ferait ou aurait l'idée de faire, je vais faire en sorte que Daisuke se mette à se poser tout un tas de question en un laps de temps hyper court. Genre... Trois secondes. Durant ce petit intervalle bien silencieux entre eux, il eut le temps de se poser les questions banales comme : « Comment se fait-il qu'elle soit si vieille ? » ; « Comment se fait-il qu'elle soit là ? » ; « Veut-elle l'attaquer ? », mais aussi des questions plutôt extraverties comme : « Elle n'aurait pas rétrécie ? » ou « Ses chaussures ont une couleur étrange, non ? ». Bref, il se posa tout un tas de question que seule cette femme pouvait donner réponse. Il se mit alors à agir tout à fait normalement en lui demandant directement.

« Pourquoi es tu ici ? »

Alors qu'il attendait la réponse, il comprit pourquoi elle avait l'air si ''pâle''. Elle devait, sans doute, s'imaginer qu'il était lui-même là, pour l'attraper. Enfin, c'était encore une de ses hypothèses. Il rajouta, presque immédiatement :

« Je suis pas là pour toi, tu n'as pas t'inquiéter. »

Il passa à côté d'elle et posa un coude sur le bar, leva la main pour appeler le barman et entendit la réponse de Zora...

- Je suis venue cueillir des plantes… Mais peut-être suis-je en pleine préparation d’un mauvais coup.

L’ironie. Il lui posait bien évidemment la question pour la forme. C’était un jeune homme bien éduqué comme on en croisait de moins en moins, une vraie espèce en voie d’extinction. Après cette brève interaction, il passa à l’action, réduisant considérablement la faible distance qui les séparaient. Machinalement, la main de Zora serra vigoureusement le manche de l’arme encore logée dans son fourreau. Peut-être qu’en prenant l’initiative, elle parviendrait à le prendre par surprise. Peut-être avait-elle alors une chance… Que pouvait-elle faire d’autre après tout ? Se résigner ? Baisser les armes et se rendre ? Non, pas sans combattre. Pas maintenant, alors qu’elle effleurait son but du bout des doigts.    

- Je suis pas là pour toi, tu n'as pas t'inquiéter.

Il y a des moments où souhaiterait d’avantage avoir tord. Après l’angoisse, l’inquiétude cèda sa place à un soulagement temporaire. S’il n’était pas là pour elle, peut-être était-il là pour quelqu’un d’autre, auquel cas ses hommes ne devraient pas être bien loin. Daisuke s’était tranquillement accoudé au bar avant de commander à boire. Avant d’aller le rejoindre – parce que forcément, elle n’allait pas partir sans avoir au moins une bonne explication (ah… la curiosité, un jour elle en mourrait ) – elle balaya furtivement les alentours du regard, mais n’y vit aucun soldat.  

*Ils peuvent être déguisés. Si ça se trouve, le bâtiment est déjà cerné… Si je suis foutue, autant profiter de ces derniers instants de liberté. *

Il était encore temps de fuir, mais elle décida tout de même d’aller s’asseoir sur l’une de ces chaises hautes caractéristiques. La scène lui paraissait beaucoup trop clichée pour être naturelle. Alors pour briser cela, au lieu de commander quoi que ce soit, elle demanda des crayons, une feuille et commença à dessiner, sans tenir compte du soldat dans un premier temps. Son niveau n’était pas excellent sans être médiocre. Elle préférait dessiner des paysages, d’avantage que des personnages. Cinq, six traits et une première dune apparut.

- J’ai du temps devant moi. Il fait vraiment trop chaud et même à dos de chameau, je n’aurais pas le courage de quitter la ville, pas sous ce soleil de plomb.

Après quelques traits carbonnés, la sphère brouillone était devenu un soleil, qui irradiait de sa lumière la ville qui prenait forme à l’horizon. Alubarna, comme dans ses souvenirs. Un ciel sans nuage, un paysage sec, parcouru de temps à autres par des courants d’air chaud.

- Suite à notre rencontre, j’ai mené quelques recherches et je suis tombé sur des éléments assez intrigants…  Mais tu pourras très probablement m’éclaircir sur certains points. Si je te parle de Ragnarock par exemple, ça t’évoque quelque chose ?

Toujours en train de se poser les mêmes questions, Daisuke attendait pour voir la réaction de la vieille femme. S'en irait-elle ou resterait-elle là. Il s'en fichait un peu, à vrai dire. Il n'avait pas du tout envie d'avoir des problèmes et encore moins d'être remarqué. Sa commande – un jus de payus, comme d'habitude – arrivait et Zora approchait en même temps. Elle restait donc. Alors que le barman posait le verre devant le marine, il se tourna vers la vieille révolutionnaire et attendit inutilement qu'elle daigne commander quoique ce soit. Le blondinet le regarda et lui fit signe de la tête, avec un mouvement explicite du visage. Vous savez, un peu comme quand on sait pas quoi dire, mais qu'on comprends ''vaguement'' la situation, exactement comme ça.

Elle prit alors une inspiration et demanda des crayons et une feuille. Drôles d'expressions que firent les deux hommes qui la côtoyaient. Ainsi, le barman s'acquitta de sa tache et amena les objets voulus à Zora. Durant ce temps, le gradé eut le temps de boire quelques gorgés de son jus et de se concentrer sur son questionnement. Elle était certainement au pied du mur pour accepter ce genre de ''rencontre''.

« J’ai du temps devant moi. Il fait vraiment trop chaud et même à dos de chameau, je n’aurais pas le courage de quitter la ville, pas sous ce soleil de plomb. »

Sans vraiment écouter ce qu'elle disait, Daisuke regardait le dessin se formait. Il avait déjà pu apercevoir ce paysage. Une autre ville d'Alabasta, là où il était arrivé avec Kazuma et son équipage, la dernière fois qu'il était venu sur cette gigantesque île. La femme reprit alors de plus belle et le marine écouta un peu plus attentivement.

« Suite à notre rencontre, j’ai mené quelques recherches et je suis tombé sur des éléments assez intrigants…  Mais tu pourras très probablement m’éclaircir sur certains points. Si je te parle de Ragnarock par exemple, ça t’évoque quelque chose ? »

Il serra son verre un peu plus fortement son verre et son regard se plongea dans le dessin. D'abord, plusieurs dunes s'enchevêtraient devant de petits bâtiments. Le tout était encore crayonnait rapidement, mais avec ses souvenirs, il pouvait clairement s'y repérer.

« Ragnarock... Fit-il. Et bien, je ne pensais pas qu'on parlerait de ça directement. »

Il esquissa un petit sourire crispé, relâchant par la même occasion son verre. Il le rapporta alors immédiatement à sa bouche et prit une gorgée. Il reposa son verre, vide, sur le bar et le lâcha. Il se tourna alors et s'accouda totalement dessus.

« Je me souviens de tout maintenant, j'ai bien l'impression. J'ai quitté mon équipage pour cette raison. Je ne savais pas comment vivre avec mes deux vies. Ragnarock... Tu me demandes... »

Il se permettait, dès lors, de prendre un ton un peu plus familier avec la femme.

« … Tu me demandes, mais je suis sûr que tu es plus au courant que tu en as l'air... Pour faire simple, mon frère fait partie des hauts commandants, je pense que tu le connais déjà : Shigure. Il y a de cela quelques années, avant que j'entre dans la marine, je faisais aussi parti de ce groupe... »

Il convoqua le barman une nouvelle fois, il avait envie de parler.

« Un autre, s'il vous plaît... En fait, quand j'ai dit que je me souvenais de tout, c'est pas tout à fait vrai. Je me souviens de ce que je t'ai dit, mais c'est assez flou. Je ne sais pas comment j'étais avant... »

Il aurait bien voulu continuer, mais le barman l'interrompu en lui apportant sa nouvelle boisson...

Dans l’histoire de la lutte contre le Gouvernement, il y a eu un avant et un après Arias. La « Révolution » au sens large, comme on l’imagine aujourd’hui n’était en réalité qu’une institution très récente. Avant tout ça, on parlait plutôt de rebelles, de mouvements contestataires, d’anti-gouvernementaux. Chacun de ces petits groupes était localisé. Chacun agissait à sa manière contre le représentant local du gouvernement. Là où Arias avait fait très fort – le propulsant parmi les hommes les plus recherchés au monde – c’était en parvenant à aligner la grosse majorité de ces petits mouvements rebelles locaux et de les réuni sous une bannière commune : la Révolution. .

- Et bien, je ne pensais pas qu'on parlerait de ça directement.

Elle avait donc visé juste ! Sur le coup de “l’émotion” – le mot est peut-être trop fort ici – la mine de crayon se brisa sur la feuille,  laissant le toit du Palais de la capitale inachevé, mais Zora n’y fit pas attention. Daisuke confirma par la suite le nom de Shigure, sur lequel elle était tombée et continua sur sa lancée. Dans ces moments là, plutôt que de le harceler de questions, il valait mieux le laisser parler. Lorsque le barman arriva pour prendre la commande du blond, elle en profita pour lui demander un nouveau crayon.

- Ah et vous pourriez également m’amener des crayons de couleur ? Merci.

Il allait ouvrir sa bouche pour protester, mais elle ne lui avait pas laissé la moindre ouverture. Son « merci » avait mis fin à toute possibilité de répartie, en plus elle s’était immédiatement tournée vers l’officier, qui avait reprit son récit. Ce qu’il lui révéla par la suite l’interpella tout particulièrement. Le jeune homme savait qu’il avait appartenu à ce groupe, mais n’en avait aucun souvenir. Il connaissait son frère Shigure ainsi que son groupe de rebelles, mais n’avait rien de concret. Lentement mais sûrement, le voile de mystère entourant cette histoire se levait et les différentes pièces de ce petit puzzle s’assemblaient, à commencer par Ragnarock. Si le nom du groupe avait attiré l’attention de Zora durant ses recherches, c’était parce qu’elle le connaissait, de nom. Lors de la  manœuvre de réunification des Rebelles d’Arias, seuls quelques groupes ne furent pas séduits par sa proposition. Ragnarock avait été l’un de ceux-là..

- C’est tout ce que vous avez pu trouver ? fit-elle au barman, désappointée.Bon on va faire avec, enfin « sans » plutôt.

D’avantage branchée scientifique qu’artiste, elle était partie sur un croquis de dessin réaliste, mais munie pour seules couleurs d’indigo, de bleu et de rouge, elle ne pourrait faire qu’une oeuvre plus abstraite. De toute façon, la première étape de la coloration n’avait rien de passionnant. Elle se mit donc à remplir machinalement les blancs de la feuille, alternant les nuances pour avoir un effet d’ombre et de lumière.

- Tu faisais parti d’un mouvement Révolutionnaire avec ton frère, mais tu perds la mémoire et pouf, te voilà soudainement devenu un super soldat de l’institution que tu combattais. Je trouve ça étrange comme coïncidence…

Un important traumatisme émotionnel ou un grand coup sur le crâne pouvaient, dans certains cas, mener à une amnésie. A partir de là, trois possibilités : soit c’était le résultat d’un malencontreux accident, soit c’était une initiative de Daisuke lui-même, soit c’était une idée de son frère. Mais pour quelles raisons ? Shigure avait-il crée le double agent parfait ? Ou alors, soucieux de devoir balancer son frère, Daisuke l’avait-il délibérément effacé de sa tête ? A moins que ce ne soit pour oublier quelque chose d’encore différent ! Poussée par sa curiosité – qu’on peut qualifier de maladive, oui Zora est excessivement curieuse – elle posa son crayon, plaqua avec insistance ses deux mains sur le comptoir, se leva d’un bond et fixa Daisuke droit dans les yeux.

- N’aurais-tu pas envie de te souvenir ? De pouvoir démystifier cette partie de ton passé ? J’en ai la capacité… Mais pour ça, je dois absolument connaître tes plus profondes intentions, Daisuke.

Un peu plus serein, le jeune se prenait à apprécier le moment. Comme si cette conversation, avec son ancienne ennemie, était normale. Ils parlaient déjà depuis quelques minutes et rien au monde ne pouvait montrer une quelconque animosité entre les deux protagonistes, pourtant, de par leur camp, tous les opposés. C'est à croire que rien de tout ceci, ici et à cette heure, importait réellement.

Et alors que le barman apportait sa boisson, ainsi que les crayons de la révolutionnaire, celle-là même se permit de le réprimander, à la façon d'une bonne vieille femme.

« C’est tout ce que vous avez pu trouver ? Bon on va faire avec, enfin « sans » plutôt.
- Merci. Fit simplement Daisuke, un sourire aux lèvres. »

La situation était, pour lui, quelque peu comique. Voyant le barman légèrement plus étonné qu'exaspéré par la demande de Zora, il se serait bien amusé à le taquiner aussi s'il ne pensait pas encore à son frère. Il prit une gorgée, laissant l'autre parler.

« Tu faisais parti d’un mouvement Révolutionnaire avec ton frère, mais tu perds la mémoire et pouf, te voilà soudainement devenu un super soldat de l’institution que tu combattais. Je trouve ça étrange comme coïncidence…
- Coïncidence ou pas, tout est la faute de Shigure. J'en ai la certitude. C'est lui qui m'a fait ça... Comment, j'en sais rien, mais c'est forcément lui. »

Ne disant cela que parce qu'il en était convaincu, il ne pouvait pas réellement savoir. Sa mémoire lui jouait défaut. Son passé artificiel, se mélangeant à son ''vrai'', il ne savait plus quoi croire. Ses parents étaient-ils vraiment ceux qu'il croyait être ? Tout n'était-il que mensonge, invention, manipulation ? Réalisant, toujours un peu plus, dans quel gouffre il s'enfonçait, le marine se perdait souvent dans ses pensées ainsi et il perdit le cours de la discussion, et ce n'est que lorsque la femme à qui il parlait lui indiqua qu'elle pouvait lui rendre sa mémoire. La vraie, sans doute. Ce n'est qu'à ce moment qu'il resurgit.

« Comment ça ? Je ne comprends pas. Mes plus profondes intentions ? De quoi parles-tu... Récupérer mes souvenirs... Je ne sais pas si c'est vraiment une bonne chose. »

Il ne pourrait certainement jamais prendre cette décision seul. Sans aucun moyen de retour en arrière. Il ne voulait pas changer, en apprenant qui il était, avant.

« Est-ce que le processus est irréversible. Je veux dire. Pourras tu me faire oublier, si ce n'est pas ce que je veux ? »

Si elle acquiesçait, il serait capable d'accepter immédiatement. Ce serait sans doute précipité, mais il n'avait pas d'autre choix. Rester dans la perplexité n'était pas bon, il le savait. Alors, il finit une nouvelle fois son verre et se prépara à entendre sa réponse. Il avait bu d'une traite son jus de payus et fit reculer le verre jusqu'au bord du bar, pour que le barman puisse le récupérer...

Il avait oublié cette partie de sa mémoire, mais semblait convaincu qu’il n’en était pas responsable. La faute reviendrait à son frère. Elle possédait le moyen de la lui rendre, mais ne pouvait décemment pas agir à l’aveugle. D’où sa précédente question. En le questionnant sur ses véritables intentions, elle voulait qu’il s’interroge, qu’il se demande s’il était bien certain de connaître celui qu’il était réellement. Parce qu’il y avait un risque ! Le Daisuke Aurola actuel était un soldat du Gouvernement oeuvrant activement pour le bien des gens – d’après ses quelques observations – or, elle venait d’apprendre qu’il existait une probabilité que ce Daisuke ne soit en réalité qu’une création de Shigure. Peut-être qu’en réalité, il n’était pas cet homme soucieux des autres, mais quelqu’un de tout autre. Une brute, capable de tuer sans la moindre hésitation ou encore un monstre prêt à tout pour avoir le pouvoir, Zora n’arrivait pas très bien à savoir ce qui serait le pire.

- Oui, tes intentions, ce à quoi tu aspires dans la vie. Mais sois sincère, je ne suis pas une civile à laquelle il faut dire ce qu’elle veut entendre.

Pour l’avoir expérimenté elle-même, Zora était certaine qu’il pourrait trouver des traces de cela quelque part au fond de lui. D’ailleurs, s’il était incapable de répondre à cette question en donnant des éléments précis, comme les raisons qui l’auraient poussé dans tel ou tel moment de sa vie à aboutir à tel rêve, alors forcément cela voudrait dire que ce qu’il pense être son objectif a été inventé de toute pièce. Une autre possibilité serait qu’on l’ait forcé à mémoriser une série de fausses informations avant de lui faire perdre la mémoire, mais Zora exclua rapidement cette possibilité. S’il y avait eu lavage de cerveau, ce serait forcément après retrait de la mémoire. Le seul intérêt de le faire avant serait de duper une personne qui voudrait par la suite restaurer la vérité – comme dans notre situation actuelle – mais Shigure n’aurait jamais pu prévoir cela. A moins que…

- Raah, je commence à m’embrouiller moi-même dans mes pensées…  

- Est-ce que le processus est irréversible. Je veux dire. Pourras tu me faire oublier, si ce n'est pas ce que je veux ?

- Mmm... Bonne question. Je crois que… Enfin non, je vais plutôt faire un schéma.  

Elle retourna alors brusquement sa feuille, ignorant totalement le dessin qu’elle avait pourtant élaboré avec soin et traça une première longue flèche horizontale, en bleu. Cette dernière représentait la vie de Daisuke. Elle marqua d’un point rouge le moment de la perte de mémoire et repassa sur le morceau restant de la flèche en rouge, histoire de bien montrer comment cet incident avait faussé la vie du jeune homme, jusqu’à aujourd’hui. Ensuite elle attrapa le crayon indigo et dessina une nouvelle flèche, partant cette fois depuis la pointe de la précédente. La ligne violacée, en forme d’arc de cercle revenait alors juste avant le point rouge, qu’elle recouvrit d’une croix indigo. Elle représentait l’effet qu’aurait la technique de Zora sur la mémoire de Daisuke. Enfin, à l’aide du crayon bleu, elle continua la ligne bleu d’origine, mais bifurqua au moment d’atteindre le point rouge – à présent barré d’une croix – donnant ainsi une flèche bleue unicolore.

- Voilà, je ne sais pas si c’est super clair, mais en gros, on peut voir que même si je reviens en arrière sur la flèche bleue, je ne peux plus retourner sur le rouge, qui correspond à ton état actuel, puisque la voie sera condamnée. Après mon intervention, tu retrouveras tes souvenirs perdus, mais ça sera définitif.  

Occupé à essuyer le verre que le blond avait lâché quelques secondes plus tôt, le Barman s’approcha du duo, intrigué. Il les écoutait d’une oreille discrète depuis un moment et se posait des questions.

- Dîtes, vous êtes des écrivains, ou quelque chose dans le genre ? On a souvent des célébrités dans le coin et je ne sais pas trop sous quelle forme votre scénario verra le jour, mais ça m’a l’air plutôt bon.

Peut-être serait-il plus judicieux pour nos deux comparses de discuter de manière moins « exposée ».

Dans ces conditions, il faut savoir prendre des décisions. Que ce soit une bonne ou une mauvaise, on ne le sait qu'une fois choisi, mais comme on dit, mieux vaut regretter de l'avoir fait que de regretter de ne pas l'avoir fait. D'un sens, il regrettait de ne pas avoir pu le faire avant, mais il sentait qu'il regretterait s'il le faisait. C'était ce sentiment étrange qui se mélangeait à son questionnement. Ses intentions. Depuis peu, il cherchait à comprendre la vraie signification du mot justice. En arpentant les rues, tel un simple civil, au milieu de ceux qu'il était censé protéger. Il avait vu des hommes le remercier juste parce qu'il les avaient aidé à se lever. Ça lui avait simplement réchauffer le cœur. A contrario, il avait vu d'autres hommes se pervertir en frappant ces mêmes hommes, mais aucun moyen n'était disponible pour les en empêcher.

« Mmm... Bonne question. Je crois que… Enfin non, je vais plutôt faire un schéma. »

La feuille de papier fit un bruit significatif. Tout le monde connait se son, et, parmi une dizaine, voire une centaine, on saurait le rappeler. Alors, sans savoir si tout été prévue, Daisuke regarda la vieille femme faire son shéma. Elle débuta par une ligne bleue et finit par une autre bleue, mais entre-temps, les deux autres crayons furent usé. Rouge d'abord, puis enfin indigo. Comme si c'était explicite, le marine comprit que c'était en fait un simple retour dans le passé. Comme si elle pouvait faire rajeunir sa mémoire. De fil en aiguille, il fut aiguillé sur la réalité du pouvoir de Zora, mais inconsciemment, il n'y fit pas réflexion. Mais ça voulait dire plusieurs choses : d'une part, il oublierait tout, comme sa vie dans la marine, ses rencontres, ses amis, ainsi que toutes les choses qu'il avait vécu. D'autre part, il redeviendrait le Daisuke d'avant. S'appelait-il vraiment Daisuke ?

« Perdre tout, ce serait... »

Il fut coupé, dans son chuchotement, par le barman.

« Dîtes, vous êtes des écrivains, ou quelque chose dans le genre ? On a souvent des célébrités dans le coin et je ne sais pas trop sous quelle forme votre scénario verra le jour, mais ça m’a l’air plutôt bon.
- Vous trouvez ? »

Le marine répondit instinctivement. Sa voix et son regard, bien plus dur que d'habitude, ajoutons à cela sa barbe naissante et son capuchon. Tout en lui, cette journée, le rendait facilement menaçant. Avec ça, l'homme aux vêtements impeccable s'éloigna sans dire un mot de plus.

« Je pense qu'on devrait se trouver un endroit plus ''pratique''. Pour discuter plus tranquillement. J'ai justement une chambre dans cette auberge. Ce sera mieux là-haut. »

Il s'éloigna de quelques centimètres du bar et attendit Zora. Voir ce qu'elle ferait. Elle pouvait toujours refuser, mais, pour Daisuke, ce ne serait pas la meilleure chose. Il avait encore des choses à apprendre sur elle. Il comptait bien apprendre tout ce qu'il a envie de savoir.

« Alors ? »

La perspective de retrouver sa mémoire semblait l’emballer, bien qu’il paraissait encore réticent vis-à-vis de certains paramètres. Comprendre clairement ce genre de phénomène n’était pas évident, encore moins si celle qui l’explique cafouille et se trompe. Avant de se lever pour rejoindre Daisuke - qui l’invitait à poursuivre la discussion dans un lieu moins exposé – elle inspecta rapidement le contenu du petit baluchon qui contenait ses échantillons. Y avait-il encore moyen d’y ranger autre chose ? Dans le pire des cas, elle n’aurait qu’à le tenir en main. Afin de ne pas faire langui son interlocuteur, Zora lui fit discrètement signe qu’elle arrivait, avant de se tourner une dernière fois vers le Barman.

- Vous n’auriez pas… du poisson ?

- Ce n’est pas que je ne veux pas vous en donner mais… vu ce que coûte leur acheminement jusqu’ici, on doit les vendre à un prix particulièrement élevé pour les rentabiliser… Autant se payer un bon gros repas...

- Merci du conseil, je tacherai de m’en souvenir. Sinon, je peux tout de même avoir le poisson ?

Elle le lui avait demandé en lui tendant les mains, le visage orné d’un sourire sincère. Mais elle le perdit très vite. Ce petit poisson fut le plus cher qu’elle n’ait eu à acheter de toute sa vie. Alors que normalement quelques centaines de Berry suffisaient pour trouver son bonheur sur un étal de marché, ‘était en milliers que se comptaient ce qu’elle avait du débourser. Elle arbora la poiscaille, tel un trophée, lorsqu’elle arriva à hauteur de Daisuke. Il devait se poser des questions, mais elle ne lui expliquerait rien à ce sujet, pour leur sécurité. Tout en montant vers sa chambre, elle reprit à vois basse.

- Pour en revenir à la flèche, je l’ai peut-être mal expliquée…

Ainsi, en illustrant à l’aide de ses mains elle se lança dans une explication plus concrète, plus directe et moins ambiguë. Le Daisuke actuel a eut la mémoire altérée par le passé. Du coup, sa personnalité a peut-être changé. Le processus qu’elle comptait lui faire subir se déroulait en deux étapes. D’abord, rajeunir la zone des souvenirs de son cerveau jusqu’à une période antérieure à l’accident. A ce moment là, Daisuke n’aurait plus aucun souvenir des dernières années écoulées, mais retrouverait sa personnalité originale. Ensuite, Zora devrait annuler sa propre technique, effaçant donc le rajeunissement de la mémoire, permettant donc à Daisuke de retrouver ses souvenirs actuels. Sauf qu’en procédant de la sorte, elle ne pourrait reproduire les effets du traumatisme.

- Ainsi, tu retrouveras tous tes souvenirs actuels, mais auras en plus retrouvé ta mémoire perdue. Jusque là… tu me suis ?

En pénétrant dans la petite pièce, sa première inquiétude fut de savoir où déposer le poisson. Sa main oscilla entre le lit, l’intérieur de la petite commode et la petite table de chevet. Elle finit par trancher et ce serait la commode qui accueillerait la poiscaille. Le meuble se sacrifiait pour le bien de tous les autres, son geste altruiste ne serait pas vain.

- On se lance ?

Il avait alors tant envie de lui poser la question. Pourquoi !? Quel esprit pervers pouvait penser à du poisson dans ce genre de situation. Et puis, que voulait-elle en faire ? Le manger ? Daisuke venait de l'inviter à aller dans un endroit plus calme, et à l'abri des oreilles et des yeux indiscrets et elle prit le temps d'acheter un poisson. Mais quelle folie habite donc cette vieille femme ?
Tentant de ne rien laisser paraître, il laissa passer la révolutionnaire en lui indiquant les escaliers. Elle prit ainsi la parole.

« Pour en revenir à la flèche, je l’ai peut-être mal expliquée… »

Elle continua, le long des marches, à expliquer avec de larges mouvements de bras et de mains, mais cette fois plus en détails, plus clairement aussi. Elle termina donc son léger récit par :

« Ainsi, tu retrouveras tous tes souvenirs actuels, mais auras en plus retrouvé ta mémoire perdue. Jusque là… tu me suis ? »

Le marine acquiesça simplement d'un mouvement vertical du visage et ouvrit la porte, après avoir devancé la femme aux cheveux rosés. Il n'entra une fois qu'elle l'eut fait. Sa chambre avait certainement été ouverte par les propriétaires durant son absence. Une odeur fraîche parfumait la pièce. Alors, semblant hésité, la révolutionnaire se dirigea vers la commode. Elle y engouffra le poisson et se retourna, sans aucune expression d'injustice (pauvre commode) vers Daisuke.

« On se lance ?
- Euh... Il mit alors un temps qui pourrait paraître extrêmement long pour ajouter quelque chose ensuite. Je dois dire que te faire confiance est assez difficile, mais j'ai peine à croire que tu mens si bien. C'est peut être une erreur de jugement de ma part, mais je n'arrive pas à me méfier de toi. J'accepte de faire comme tu dis. J'aurais le temps de regretter plus tard. On se lance ! »

Mais dès le moment où il finit sa phrase, il ne savait déjà plus où se mettre. Quoi faire. Il attendait les instructions de Zora. Fallait-il qu'il se couche ? Devait il se déshabiller, comme chez le docteur ? Ou bien fallait-il qu'il ne fasse rien, justement...

« Alors, je fais quoi ? Finit-il par dire ? »

- Tu me laisses faire et surtout, tu ne bouges pas.

Devinant aisément à quel point il pouvait être perdu, elle décida de le guider en prenant l’initiative et s’approcha doucement avant de plaquer ses mains de part et d’autres de son visage, au niveau de ses tempes. Elle y balada alors délicatement ses doigts, à la recherche du point anatomique qui lui servirait de repère, de guide. Pas encore habitué à la manœuvre, elle s’efforçait de maîtriser son corps ; trembler nuirait à la précision. De nombreuses analyses et déductions avaient permis aux médecins de dresser une « carte du cerveau ». On savait par exemple que la zone en charge de la mémoire se situait dans les lobes temporaux.

- Trouvé. Bon, je me lance. Il y aura peut-être une désagréable impression de vertige.

Aussitôt, elle activa sa malédiction. Une faible lueur indigo émana depuis le bout de ses doigts et recouvra bientôt Daisuke dans son ensemble. Physiquement, il était difficile de voir les changements. C’était au niveau mental que ce serait différent. L’opération terminée, elle se recula pour laisser le temps au nouveau blond de prendre ses repères. Mais elle s’assura d’avoir son arme à portée de main. S’il se montrait hostile, elle devrait se défendre. D’une voix douce, elle accueillit le nouveau venu, à la manière d’une mère voulant tirer son enfant d’un long sommeil.  

- Daisuke ? N’aies aucune crainte, je ne te veux pas de mal.

Lorsqu’il voulait communiquer avec un compère, un animal devait d’abord lui signaler ses intentions en lui montrant qu’il n’était pas une menace. Les humains n’échappaient pas à ce principe. En levant ses mains, paumes face à lui, Zora lui montrait qu’elle n’était pas un danger pour lui. Plutôt que de perdre du temps à tenter de lui expliquer le pourquoi du comment, elle devait à présent s’assurer de lui faire manger le poisson, afin de retrouver le Daisuke actuel, mais alors munis de ses souvenirs perdus.

- Tu dois avoir faim, non ? Regarde, il y a du poisson dans cette commode, je ne sais pas si tu aimeras, mais c’est tout ce que j’ai pu trouver comme viande.

C’était donc le moment de vérité. Si ça perte de mémoire n’était pas liée à une blessure, alors en mangeant ce poisson, Daisuke retrouverait tout. Dans le cas contraire, le seul moyen de connaître le passé serait d’interroger ce Daisuke-ci, prendre note de son récit, puis seulement lui donner le poisson.

« Tu me laisses faire et surtout, tu ne bouges pas. »
Le marine s'exécuta, enfin, façon de parler. Elle déposa délicatement ses mains sur sa tête et chercha un quelconque point de repère sur la base du crane de Daisuke. « Trouvé. Bon, je me lance. Il y aura peut-être une désagréable impression de vertige. »
Ca commença...

/FLASHBACK/

Le long couloir de pierre faisait résonner chacun de ses pas. Il ne pouvait pas voir le bout du tunnel. Comme il se trouvait caché dans un des QG du groupe. Il savait qu'il y en avait plusieurs dans le monde, mais ne connaissait que celui-là. Meka-Island, ou l'île flottante, voilà où il vivait depuis plusieurs mois déjà. Son frère en était le chef et il n'était là que pour le seconder, dirons-nous. Il devait justement le rejoindre et terminer ainsi sa mission.