Ressaisis-toi !

Il devait être midi. Le soleil était bien haut dans le ciel, donc il était forcément midi, non ? Donc ouais, midi… Pleine journée. Et pourtant dans cette ville, il y avait encore moyen de trouver des coins ou faire la fête. Mirror Ball Island, l’île qui ne dort jamais. Du temps de sommeil, c’était justement ce qu’il manquait à Mad, dont les grandes cernes sous les yeux témoignaient de la longue soirée de la veille. Moquette collante d’un vert douteux, odeur d’alcool, de tabac et peut-être aussi de moisissure issue des murs… Bienvenu chez George.

- Dites-moi que je rêve…

Il était là, étalé de tout son long sur le sol crasseux. Les gens l’enjambaient comme s’il n’était qu’un élément du décor. Comment pouvait-il même dormir avec tout ce bruit ambiant ? Mad se frayât tant bien que mal un chemin parmi les fêtards avant de s’agenouiller sur le corps allongé. Méticuleusement, il porta le bout de son petit doit à sa bouche, avant de l’enfoncer directement dans l’oreille de l’homme poisson dont le visage se déforma temporairement en grimace, tandis qu’il poussa grogna.

- Lève-toi, il faut qu’on cause !

Shindô ouvrit ses yeux rouges pour apercevoir, penché sur lui, ce visage familier. L’espace d’un instant, il se demanda pourquoi il avait mal partout, puis l’odeur ambiante déterra les souvenirs enfuis de la veille au soir. Tout avait commencé avec la lettre de Dust. Il avait décidé de partir, de tout laisser tomber… Un premier coup dur pour Renaissance et pour l’homme poisson, encore a Mirror Ball Island le temps d’un « voyage d’affaire ».

- Allez, suis moi dehors…

- Qu’est-ce que tu fais ici, Mad ? peina-t-il a articulé de sa bouche pâteuse.

- J’ai pas arrêté d’essayer d’appeler hier ! Il s’est passé quelque chose de grave.

- T’es au courant pour le boss ?

- Nan, je ne te parle pas du départ de ce traître…

Alors que le duo venait de quitter l’établissement, Shindô se dégagea de son partenaire – qui le soutenait sur son épaule – et arma un crochet du gauche. Mad, bien qu’inférieur au Fugu pour le combat, n’eut aucun mal à esquiver l’attaque fébrile et riposta avec une violente baffe, avant de saisir son partenaire par le col.

- Pourquoi tu joues les alcooliques névrosés, alors qu’on sait parfaitement toi et moi que tu n’as pas un gramme d’alcool dans le sang ?

- Je t’interdis de parler de lui comme ça…

- T’es juste trop fatigué pour être lucide. Mais bordel je me suis pas tapé toute la route, de nuit, depuis Whiskey Peak pour parler de lui !

Mad n’avait pas perdu d’avantage de temps et quelques secondes plus tard, Shindô fut mis au courant pour Noctis et Suki. Il encaissa étonnement bien la nouvelle, qui le remit même d’aplomb… La situation était mauvaise. Mad l’avait appris d’un des potes du maestro à la Villa, qui lui-même la tenait d’un autre pote sur une autre, qui avait directement discuté avec un témoin de la scène.

- Je veux parler à ce type.

- Chaque chose en son temps, ok ? Là, on doit surtout se tirer d’East Blue en vitesse, pendant que le Gouvernement pense tenir les responsables pour Logue Town.

Passer par Reverse Montain sans faire escale à Logue Town serait compliqué. Mais Mad avait déjà tout prévu. Dans la vingtaine de minutes qui suivit, le duo prit le large à bord d’une petite embarcation, direction le Royaume de Goa, sur l’île de Dawn.

2.0

Ils avaient laissé leur embarcation au port – ou en tout cas à ce qui servait de port – et s’étaient dirigés vers un petit marché de la ville. Un pêcheur leur avait vendu du poisson grillé, juste de quoi contenter l’appétit insatiable du Fugu. Le duo déambula paisiblement dans ce petit village, récupèrent ainsi un maximum de vivres. Ici, ce serait moins cher qu’à Goa.

- Bon, je vais là-bas et j’achète une petite embarcation solide, je reviens, on emballe tout ça et direction Villa Loca.

- Je devrais y aller. Les embarcations maritimes c’est mon domaine.

- Ouais, mais de nous deux, j’suis celui qui ressemble le plus à un humain.

- Si on te regarde bien, on devine que ce n’est pas tout à fait le cas.

- Ouais, mais personne ne va s’intéresser à moi.

Ils parlaient sans se regarder. Shindô soupira en observant les nuages au large. Comment en est-on arrivé là ? Qu’est-ce qu’on va faire maintenant ? pensait-il. Une main rassurante se posa alors sur son épaule.

- T’en fais pas, on trouvera une solution.

Et ils s’éloignât, laissant Shindô seul au milieu de ce petit village, Fuchsia. On trouvera une solution, hein ? Il ne restait plus rien, tout le monde était parti. Jujika, Suki, Noctis, Dust,… Il n’y avait plus que lui, Shindô le Fugu, le charpentier, l’éternel bras droit, le guerrier. Il n’était pas un leader, il n’était pas non plus très doué pour manipuler de grandes sommes de berry. Tiens, les berry, c’est vrai qu’il y en avait beaucoup aussi. Et pourquoi ne pas tout arrêter ? Pourquoi ne pas tenter de voler l’argent de l’organisation et retourner au royaume Ryugu ? Il y aurait largement de quoi se payer un appartement luxueux sur Gyoverly Hills. Oui, chasser les primes, ce n’était qu’un gagne-pain après tout. Il s’y était mis, quelques années plutôt à défaut d’avoir pu trouver. Il était peut-être temps de rentrer, de s’installer là-bas avec une compagne peut-être, d’aller s’engager au chantier naval comme son père autrefois, puis fonder une famille…

- Allô, Adel’ ?

Shin’ reconnut sur le visage de son escargophone les traits de sa sœur ainée, Adelaïde. Elle était là, mais ne semblait pas vouloir lui parler.

- Adel’, parle moi, je sais que tu m’entends.  

- ...

- D’accord, si tu ne veux pas parler, alors je le ferai. C’est vrai que je n’ai plus donné de nouvelles depuis cinq ans, mais j’avais mes raisons, j’étais occupé…

- Kryun est mort, Shin’ lui lança-t-elle de but en blanc.

- Quoi ? Mais comment tu peux … ?

- Son corps a été retrouvé dans les environs de Sabaody. Il a fait une overdose. Tu comprends ce que ça veut dire, n’est-ce pas ?

Shindô avait quitté son île natale avec pour objectif de retrouver et tuer Kryun, pour venger la mort de sa fiancée Umaya. Ce résumé de deux lignes est loin d’être exhaustif, mais permet au moins de comprendre ce qu’il se passe. Kryun mort, le fugu n’avait plus aucune raison d’être à l’extérieur. Adel venait d’hausser le ton, elle avait l’habitude de prendre un air autoritaire et de montrer ses dents de requin pour cacher ses émotions.

- Tu n’as plus rien qui te retient là-bas, alors ramène toi ici !

Dans la bouche d’Adel, ces mots sonnaient étonnement faux. « Plus rien » ? L’image de Noctis et de Dust lui revinrent en tête.

- Tu viens de me faire réaliser quelque chose d’important, merci…

Il la salua et raccrocha, determiné. Il ramassa un journal au sol et emprunta de quoi écrire à un passant, qui céda à sa requête partagé entre stupeur et interrogation. Renaissance n’avait qu’à faire ce qu’elle savait faire de mieux : renaître. Ainsi, ses doigts guidèrent la plume qui glissa sur le papier.