Il est communément admis que lorsqu'un Homme se révèle condamné, par une maladie ou une quelconque pathologie physique voire psychologique qui va nécessairement mettre fin à sa vie, son esprit commence à suivre un schéma. En réalité c'est une suite d’événements logiques liée au fonctionnement du cerveau humain, à la réflexion de la personne. Si on ne peut que qualifier cette pensée de théorie (de par son improuvabilité) elle semble pourtant s'appliquer dans la majorité des cas. Son cheminement se divise en cinq étapes distinctes:
- Le déni. Le condamné refuse sa mort imminente. Cela lui semble illusoire, irréel, accusant probablement une erreur quelque part. A défaut d'être heureux, il se sent bien parce qu'il est convaincu de sa survie. Pour lui, rien n'a changé,il pense au moment où il rentrera chez lui après sa guérison.
- La colère. Son destin est scellé et il le sait. Il commence à chercher refuge, dans les chiffres, les probabilités. Il en vient à se poser des questions, sur le pourquoi, sur les raisons qui l'ont amené à cet état et vient alors le moment d'accuser un coupable. Il faut que quelqu'un paye pour sa mort: le médecin, la personne qui l'a abandonné, son animal de compagnie? Peu importe, il faut transférer sa frustration sur quelqu'un.
- Le marchandage. Un répit lui est nécessaire. Il n'est plus question de vivre, mais de vivre jusqu'à une certaine durée, pour profiter de quelque chose: la naissance d'un enfant, une fête familiale, une vengeance. Pour cela, le condamné le tourne généralement vers un médecin, à une puissance supérieure, à quiconque pourrait lui offrir ce qu'il désire.
- La dépression. Conscient de son destin, il perd toute énergie de vivre, de combattre. Tout lui semble subitement sans intérêt et il se morfond sur son sort en ne prenant plus soin de rien.
- L'acceptation. Une forme de sérénité s'empare de la personne. Un peu comme un rat arrête de se débattre des serres de l'aigle quand il prend conscience de sa fin. A ce moment certains tentent de magnifier leur conditions d'existence pour le peu de temps qu'il leur reste afin de les vivre de la meilleure manière qui soit.
Accompagné de Brume et des rennes, Halfken était parti en direction d'un petit îlot non loin de l'Archipel Shabondy. Pour la première fois depuis longtemps, Steve ne dit pas un seul mot, ni moquerie, ni plainte d'aucune sorte. Il se contentait d'avancer, comme ses congénères, les yeux fixant le sol. Halfken s'arrêta devant un tumulus naturel. L'herbe fraîche, grasse et verte qui le recouvrait ondulait sous le vent des souffles immenses. Ivan chuchota quelques ordres à sa troupe – lui qui habituellement hurlait son autorité – et tous se placèrent d'un côté et de l'autre formant une allée d'honneur. Le son des vagues s'écrasant contre les parois de l'îlot résonnaient comme un requiem accompagnant les pas lents du Solitaire. Au bout de l'allée, Halfken et Brume se stoppèrent. Il vint saisir la pierre tombale du dos de la tigresse et la déposa délicatement sur le sol devant lui. Il récupéra ensuite un magnifique bouquet de glaïeuls pourpres et de chrysanthèmes jaunes et blanches et se plaça face au monument funéraire.
- Tu ne sauras jamais le nombre de fois que j'ai eu ce discours dans ma tête. Depuis... depuis ce moment je n'ai cessé d'y repenser à tout moment. Et au final je n'ai jamais su organisé quelque chose de concis, un texte que j'aurais pu t'écrire et te réciter en ultime pensée. Quand j'apprenais encore dans mon école, il y avait ce livre dont je me souviendrais toujours relatant les cinq étapes de l'acceptation de la mort. C'était de la psychologie, des états dans lesquelles passent les personnes sur le point de mourir. Et quand je repense à ce que tu as fait, je me demandais si toi-même tu y avais réfléchi. Ce que j'en ai déduit c'est que pas une seule seconde tu n'as hésité à te sacrifier pour tous ceux qui étaient présents. Cette pensée me hantait, parce que moi je n'en ai pas été capable. Alors j'en suis venu à me demander ce qui m'avait stoppé. Ma famille. Malgré le fait que je l'ai abandonnée depuis longtemps déjà, je ne pouvais pas mourir car je me dois de rester à jamais à leur côté, comme un gardien silencieux. Il est évident d'ailleurs, que si je parviens un jour à retrouver les tiens, je leur expliquerai tout. Ce que j'essaye de te dire c'est que tu es meilleure que moi. Ton cœur était bien plus généreux que je ne le serais jamais, et pour ça je m'en excuse. Quel âge avais-tu, vingt ans ? Vingt-cinq ? Peu importe, la vie s'offrait à toi, tu allais fleurir et mûrir pour devenir une femme encore plus formidable. Ma vie, je l'ai déjà vécue, et j'ai tout gâché. C'est moi qui devrais être à ta place aujourd'hui. En fin de compte, tu m'as ouvert les yeux. Je pensais que quitter ma famille pour la protéger restait la meilleur des solutions, qu'ils vivraient tous beaucoup mieux en me sachant mort. Mais tu l'as démontré, on peut toujours protéger les autres, il faut simplement la volonté de le faire. Cette chance que tu m'as donnée, je ne la gaspillerais pas. Il me reste encore quelques choses à faire, mais je vais rejoindre ma famille, grâce à toi. J'ai réussi à apporter ton bâton. Je pensais le laisser avec toi, en paix. Pourtant, mon instinct me dit que tu aurais voulu que je le garde, comme flambeau de ta volonté. Alors sois sans crainte, il restera à jamais entre mes mains et j'espère que tu me fais confiance pour le remettre à celui qui l'aura mérité quand ma mort viendra. Je t'ai si peu connu et... je m'étais promis de ne pas pleurer. C'est raté je crois, dit-il tandis que les larmes tombaient le long de ses joues et qu'un sourire se formait sur ses lèvres. Je ne savais pas quelles fleurs tu aimais alors j'ai pris un bouquet de ma composition, j'espère qu'il te plaira. Foxy, où que tu sois, sache que je suis désolé, tellement désolé. Je ne pourrais jamais te remercier suffisamment pour ce que tu as fait mais je ferai de mon mieux. Merci, merci du fond du cœur, merci pour tout. Puisses-tu reposer en paix à jamais.
Après ces derniers mots, il déposa les fleurs devant ce qui était désormais la tombe d'une personne mémorable. Sur son épitaphe on pouvait lire les écrits suivants :
«A la mémoire de Foxy Kurosogami : Au printemps le sommeil ne cesse dès l'aurore Partout se font ouïr les gazouillis d'oiseaux La nuit s'achève enfin dans le souffle des eaux, Qui sait combien de fleurs seront tombées encore? »