La navette ralentissait peu à peu, ramenant son allure à peu ou prou celle d’un gastéropode des mers. Comme cela avait été le cas durant la majorité de la traversée, Ike rongeait son frein et tentait de faire profil bas. Il avait bénéficié d’un rabais sur le trajet, au vu de ses précédents combats sur une île sans nom, peuplée de bouseux sans visages, et à l’inintérêt sans égal... si ce n’avait été un combat de cowboys entre un officier de la révolution et lui-même. Ses poings en tremblaient presque, rien que d’imaginer la force avec laquelle ce fichu lézard pouvait se battre ! Enfin bref, il avait ramené de cette petite péripétie surprise un paquet de bonbecs, notamment un numéro. Pas d’une fille, hélas, mais le p’tit prince et son frère avaient des beaux cheveux... c’était déjà ça.

« Restons sérieux deux secondes, Wade. », demanda Wilson en pensée. « Les deux frangins pourraient être utiles pour le boulot un de ces quatre ! Pis on a appris un truc intéressant, pour le coup... »
« C’est vrai ! Il nous faut une carte de... euh... »
« Une accréditation officielle de chasseur de primes. », rappela la bêcheuse de service.
« Merci, captain’ obvious ! J’le savais, voyons ! », se défendit, sans convaincre personne, le pitre de service.

Mais, effectivement, le chasseur de primes avait beau se réclamer de ce bord, encore leur fallait-il un titre en bonne et due forme, avec la carte stratifiée et tout le bordel ambiant... C’était pas gagné. Pour l’heure, la navette à la con et à la vitesse d’escargot, rappelons-le, entrait dans le port d’une petite île sympathique. Cette dernière présentait comme particularité immanquable de jouir d’un arbre monumental qui trônait au beau milieu des terres. Le royaume de Torino que ça s’appelait. De ce qu’Ike avait compris, il pourrait trouver un mec qui lui vendrait un bateau ici. Il avait quelques idées et sans doute assez de pécule pour se payer une ou deux petites fantaisies à sa sauce... Ça promettait ! Une fois la carcasse rachitique et lente au possible qui lui servait de d’embarcation amarrée, il se précipita sur la terre ferme. Avant de se mettre en quête d’un charpentier qui lui vendrait sa petite merveille, il devait respecter ses priorités :

« À boire et à manger ! », s’exclama Wilson en son for intérieur.
« Un bain ! », lui répondit Chuu.
« Un... », commença Wade avant de se recevoir en pleine face une affiche qui volait au vent.

Après s’être vaillamment débattu avec la sournoise petite feuille, et accessoirement lui avoir mis la misère, Ike regarda de quoi il en retournait. Le petit Wade écarquilla les yeux et un sourire goguenard étira son visage de couillon de première. Wilson, à présent au fait de la stupidité de son hôte, ne put que s’asseoir dans un coin de sa parcelle mentale et regarder l’énergumène jeter la feuille par-dessus sa tête et courir, les bras au dessus de la tronche et la gueule enfarinée, en direction de la grande place. Cette dernière semblait abriter un spectacle de magie, proposé par un artiste fort connu de la part de Wade qui avait grandi dans un cirque. Une fois sur place, il joua des coudes et s’approcha autant qu’il put de la scène, des étoiles plein les yeux.

Devant lui se tenait Vai Dernon, aussi appelé « le professeur » dans le milieu ! Une véritable putain de légende qui... avait à peine la trentaine ? Un petit ventre ? Des cheveux bruns, un physique à la con et... depuis quand il utilisait un chapeau ? Ola ola ! Ike se ressaisit à temps, en se disant que, forcément, il avait du se tromper ! Mr. Dernon était connu pour ses tours avec les pièces et des cartes. Le coup du lapin qui sortait du chapeau ou les foulards sans fin... c’étaient des trucs de débutant ! Ou alors il voulait monter en puissance ? Oui ! Forcément, ce n’était pas comme si...


- C’est l’heure de ma pause ! Je vous retrouverai après mon déjeuner pour d’autres tours fabuleux !

« Bordel de... Ce fumier est un imposteur ! L’enfoiré de communiste enfumeur de coléoptère ! Il traine le nom du « professeur » dans la boue ! C’t’une honte, j’vais le dépoper sur place le salopiaud ! »
« Euh Wade, y’a un singe qui te regarde... », le tira de sa fureur Wilson.
« Ooooh qu’il est mignon avec ses petites fringues ! », changea instantanément d’humeur le trublion. « Et sa petite corbeille, comme si j’allais donner quelque chose à un salopard de macaque aux bottes d’une pale copie d’un... »
« Relax, bro’... »
« T’as raison. J’vais lui attendrir la viande à coup de crosses, ça devrait calmer mes nerfs. Thanks bro’ ! »
« Euh... ouais, on va dire ça comme ça. EH ! », s’exclama soudain Wilson en sentant un singe lui faire les poches.

Avant qu’il ne puisse réagir, Ike sentit que la raclure de primate lui avait subtilisé une partie de ses économies. Par chance il avait gardé le principal : Ducky, ses flingues et ses balles. Malgré tout, ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase. Alors que le chasseur de primes le plus taré de la galaxie allait mettre ses menaces mentales à exécution, une tornade rousse attira son attention en braillant tout haut ce qu’il pensait tout fort :


- Bon, j'en ai marre de cette île de merde, de cette journée de merde, de cette barbe à papa de merde et de ces cheveux de merde ! Tsuzu, ce soir, on mange du kebab de singe fourré avec le chapeau de ce magicien de merde !


Néanmoins, dans la vie, les choses n'étaient jamais aussi simples. Lui laisser botter le cul du magicien ? Y’avait pas moyen ! C’était à lui de mettre un peu de plomb dans la cervelle de ce charlatan... dans tous les sens du terme ! Aussi, il ne se gêna pas pour avancer d’un pas décidé vers la rousse au charme certain :


- Hop hop hop ! On se calme là... Le magicien est pour moi ! commença Wade avant que Wilson ne le coupe en voyant de plus près la plastique de la dame.
- Salut, moi c’est Ike. But you can call me... anytime ! lui lança ce dernier avec un clin d’oeil entendu.

La punchline était lancée, aussi « cheesy » qu’il était possible de l’imaginer, aussi rapide et efficace qu’une hirondelle africaine (ou européenne) non chargée et lancée à pleine vitesse. Autant dire qu’il y était allé fort sur ce coup ! Et pourtant, la demoiselle ne réagit pas de la manière escomptée. Au lieu de lui tomber dans les bras aussi sec devant son assurance et le fait qu’il assume une intro aussi... osée, elle le lui reprocha vivement ! En de pareilles occasions, Ike avait développé une capacité forte intéressante : le filtre universel. Il se contentait de laisser trainer ses oreilles en paraissant vaguement intéressé, ne laissant parvenir qu’à lui les infos essentielles. Ainsi, entrecoupés de bruits de trombones, de trompettes et de cors de chasses, voilà ce qu’il retint du discours de la fougueuse rouquine :


- ... Grande guerrière Kuja... chasseuse de primes... magicien... ton devoir... poitrine... sain... ou sein ?...suis moi... je te ramène... je dois aller à la commission.


Avant qu’il ne puisse lui dire que c’était tout à fait naturel et qu’il ne pouvait que respecter une femme assez à l’aise avec le concept pour en parler ouvertement, la grande guerrière aux formes plantureuses et hypnotiques s’en alla en courant. Après un bref temps à compiler les informations, Ike se dit qu’il ferait mieux de lui laisser un peu d’intimité pour la première partie de son plan. En effet, la suite des opérations lui étaient apparues sans aucun souci grâce à son intellect supérieur et sa capacité à trier avec efficacité les informations :

« Primo, on la laisse évacuer des confettis, des papillons, des arcs-en-ciel ou whatever she says... pendant qu’on part à la pèche aux infos. », lança mentalement Wade.
« Deuzio, on se trouve quelque chose à becter pour requinquer les troupes. », continua Wilson.
« Tercio, on lui demande où elle a trouvé son ravissant petit haut ! », plomba l’ambiance Chuu.
« Tercio... », reprit Wilson d’un air exaspéré. « We kick some magical ass ! »

Fort de ce nouveau plan infaillible, Ike se dirigea vers divers marchands pour récolter quelques informations sur les foutus macaques et le sombre et funeste abruti qui venait de signer son arrêt de mort en plagiant une star internationale de la magie ! La récole fut bien maigre, malheureusement. Entre l’achat de deux paquets de chips et de cacahuète, une bouteille de cidre, deux parts d’omelettes aux champignons et un régiment de bananes flambées... Ike fit presque choux blanc. Les seules infos utiles qu’on lui servit pourraient peut être l’aider, mais il espérait bien que la Kuja aie eu plus de succès !

Il se mit donc en route à la recherche de la petite rouquine, prêt à assumer la brulante passion inavouée qu’elle semblait éprouver pour lui. Une timide ? Il aimait ça ! Il s’aventura dans la direction qu’elle avait prise, les oreilles grandes ouvertes alors qu’il commençait son paquet de chips... il avait encore faim ! Et soif... mais ça il attendrait la demoiselle. Bref, puisqu’il n’était pas si dur de la feuille que ça (encore que...), Ike surprit rapidement une discussion mouvementée, au dessus de lui. Il leva les yeux et aperçut la crinière flamboyante de sa collègue de passage. Elle avait pris de l’altitude pour commencer le repérage ? Bon plan, fallait l’avouer. Tout en jetant par-dessus son épaule le paquet de chips qu’il venait de finir, Ike ouvrit la porte du bâtiment en question et commença à gravir les marches quatre à quatre. Arrivé au niveau du toit, il ouvrit le paquet de cacahuètes devant une autre fringale et commença à les gober tout en avançant vers la charmante chasseuse de primes... qui parlait à son serpent ?

« Alerte à la tarée... La fille parle à un animal, putain ! »
« Y’a vraiment des gens pas nets qu’on laisse en liberté, god dammit ! »
« Elle a bon gout, pourtant... pourquoi fallait-il qu’elle soit folle ?! C’est un désastre... »
« Ouais, bin vos gueules un peu ! On s’entend plus penser et j’arrive plus à la mater en paix. », demanda Wade en son for intérieur, en s’avançant néanmoins vers la Kuja.

Arrivée assez proche, Ike reprit la parole à haute voix pour s’annoncer, de peur qu’elle lui tape un autre caca nerveux et ne joue à cache cache plus longtemps... En d’autres circonstances ça ne l’aurait pas dérangé, mais il était un peu occupé là. Il avait des trucs à faire, mis à part répondre à ses avances ! Certes ça n’se voyait pas trop, mais entre son bateau, son costume, ses armes et cet étrange morceau de papier avec « K.M. » dessus qui frétillait dans sa main quand il l’y plaçait... il avait de quoi s’occuper l’esprit. Enfin bref, une fois n’était pas coutume, Wade s’avança, sûr de lui, et tendit le paquet de friandises salées à... et bin... euh... c’était quoi son nom déjà ?


- J’me suis dit que t’aurais faim. Cacahuète ? lança-t-il à la cantonade d’un air guilleret. J’ai aussi du cidre, des omelettes et des bananes... et un dessert spécial. If you know what i mean...

Le premier rendez vous est toujours un moment compliqué. Mais cette fois ci, Ike se sentait un peu déboussolé. Il avait pourtant tout fait dans les règles de l'art ! Une phrase d'accroche drôle et sans ambiguïté quant à ses intentions ? Check. Un ou deux compliment verbal ou gestuel ? Check. Pourvoir à ses besoins élémentaires et la rassasier ? Re-check ! La rouquine était une coriace... Alors qu'Ike se creusait le ciboulot pour résoudre le mystère de « la dame qui ne veut pas succomber à son charme fou », un événement inattendu se produisit. La femme au physique avantageux fut interrompue par un argument aussi bien placé qu'inapproprié : « un étron dans le bol de punch » qu'on appelait ça dans le jargon. Sauf que là c'était en pleine tête.

« Holy monkey shit ! », s'exclama Wade en pensée.
« Surtout ne ris pas, sinon tu vas ruiner nos chances ! », le rabroua Wilson de la même manière.

Et le chasseur de primes se retint de justesse, même lorsque la tigresse s'élança pour occire le salopiaud qui venait de lui tartiner la face d'excréments faits maison. Elle hurla sa rage sans grace aucune ni même... Wait what ? Encore une fois, Wade fut arrêté en plein milieu de ses pensées : un macaque moins farouche encore que ses comparses venait de pointer le bout de son nez. Il le regarda de sa petite tête simiesque, avant de lui adresser un sourire et un geste de la main. Immédiatement, Ike lui répondit de la même façon, liant ainsi les deux êtres d'une bien belle manière en ce début d'amitié inter-raciale du meilleur effet en ce monde de brutes. Car aussi fou qu'il ait pu paraître, Ike savait que l'amitié traversait les espèces et les années, pouvait se passer du langage et de ses mensonges si les bonnes intentions et les esprits adéquats se rencontraient. Y'avait qu'à voir « Croc blanc ».


- Enfoiré de primate ! coupa court à la discussion un Wade passablement remonté devant l'acte de traitrise du singe. C'est mes bananes, que j'ai acheté pour saouler l'autre rouquine ! Pareil pour le cidre, t'en auras pas !


Comprenant immédiatement qu'il venait de se planter dans sa tentative d'approche, le macaque passa à l'attaque. D'un saut périlleux il se rapprocha du trésor tant convoité et attaqua d'un coup de pied fouetté qu'Ike para sans souci. Néanmoins le petit être était rapide ! Il enchaina coups de pieds et de poings, de griffes et de crocs en un capharnaüm sans queue ni tête pour Wilson, mais qui rappela vaguement un style de combat chelou que Wade connaissait sans trop savoir comment. Un truc qui pouvait se danser aussi, mais qui lui cassait bien les bonbons actuellement ! Le combat coupa court lorsque le singe laissa une ouverture au chasseur de primes, qui en profita pour lui coller un coup de tatane dans la tronche et l'envoyer valser. Le pauvre petit singe se recroquevilla alors, sous l'effet de la douleur, et se mit à pleurnicher. Ike ne parlait pas le singe, alors il ne savait pas qu'il pleurait, mais il le sentait en son cœur d'artichaut : son coup avait blessé le primate autrement que physiquement. Toujours le cœur sur la main, le petite Wade s'excusa sous l'oeil atterré de Wilson :


- Raaah ! Te mets pas dans des états comme ça ! Tiens, j't'en file une si t'as tant faim que ça...


Joignant le geste à la parole, il attrapa une banane flambée et la tendit à son ancien adversaire, revenu au stade d'ami précaire qui avait intérêt à mieux se tenir. Le macaque se releva doucement et, l'air craintif, s'approcha à pas comptés de Wade, avant de lui chiper la banane et de se reculer vivement. Il engloutit son repas en un éclair et émit un gémissement de satisfaction. Amusé, Ike lui en refila une autre et, ainsi, réussit à conquérir le cœur du primate. Il lui versa même un verre de cidre de l'amitié, n'ayant pas de Saké sous le coude, et ils trinquèrent pendant que la rouquine, en contrebas, luttait avec acharnement contre les autres singes. La boisson plut au singe et, bien vite, la bouteille y passa sous l'oeil amusé d'Ike.

Soudain, un bruit de clochette se fit entendre et le singe se raidit. Il commença à s'en aller en courant mais, en un instant, il tomba face contre terre et lâcha un râle reconnaissable entre mille pour un connaisseur comme Wilson : le mec qui avait surestimé son foie. Triste que ça arrive déjà après une simple petite bouteille de cidre... quoi que la bouteille faisait la taille du singe, en fait, réalisa le chasseur de prime l'instant d'après ! Il s'approcha et trouva le macaque complètement saoul, en train de lacher des petits cris et jappements incompréhensibles. C'est alors que les deux compères se rappelèrent que le singe était lié au magicien et que, en se débrouillant bien, ils pourraient s'en servir pour le retrouver ! Quoi que vu l'état du machin, ça semblait mal parti...


- Vomis pas sur mes pompes, Fluffy, tu veux ? lâcha Wade.
« Fluffy ? », demanda un Wilson amusé.
« J'sais pas, ça m'est venu comme ça. Cool comme nom, hein ? »
« Mouep. En attendant, va falloir attacher Fluffy et retrouver la rouquine. Avec un peu de chance notre nouveau pote nous rapprochera du magicien ! »

Et l'instant suivant, le petit singe se retrouvait ligoté, les deux mains derrière lui mais les jambes libres. Tout d'abord Ike estima plus simple de le porter dans les bras, vu son état, mais une fois qu'il aurait décuvé, il ne doutait pas que Fluffy l'amènerait à la cachette de l'usurpateur ! Fort de son plan tout génial qu'il l'avait trouvé tout seul, le chasseur de primes rejoignit rapidement la rouquine qui fulminait sur les pavés devant la situation qui lui paraissait emmerdante à souhait.

« On va se la jouer grand sauveur, mon gars ! », claironna Wilson.
« Dommage qu'on ait pas de lunettes de soleil pour se la péter encore plus... », regretta Wade avant de s'avancer vers la jeune femme, son cadeau entre les bras.

- Eh beauté ! Regarde ce que j'ai trouvé qui trainait ! Avec lui on va pouvoir retrouver l'autre enflure de magicien et lui poncer la face ! Enfin, quand le dit cadeau aura décuvé... Hum. Dommage collatéral dû à la capture, un truc de pro'... Il s'appelle Fluffy sinon. Mis à part ses tendances alcoolique et cleptomane, plus le fait que ce soit le larbin de l'autre tache... bin il est sympa !
« Boom ! Savior mode activated ! Deal with it ! », s'exclama Wade en pensée.