Le silence régnait autour d'Erwin, comme si un mutisme avait été décrété depuis son retour de Seppen Town. Il regardait ses doigts, serrait ses poings et les ouvrait à nouveau. Sa tête semblait lourde par moments, et il lui arrivait de l'abriter entre ses genoux une heure durant tout en lorgnant sur les couvertures de livres qui couvraient l'étagère en face de lui. Il aurait pu les réciter par coeur, dans l'ordre dans lequel ils étaient placés, mais à peine avait-il détourné le regard de cet amoncèlement de savoir que déjà il ne savait plus quel était le titre du premier ouvrage.

Alors, lentement, il revenait à sa position initiale. Lorsque Katia lui apportait du thé, il finissait toujours par déplier les jambes. Elle était la seule à qui il acceptait d'adresser un sourire ou remerciement. Les autres, il n'en avait cure. La seule personne qu'il ignorait totalement, c'était Cid. A force de réfléchir, il avait fini par se dire que c'était sa faute s'il avait une prime sur la tête. S'il n'était pas revenu dans sa vie, rien de tout cela ne serait arrivé.

Le maître d'armes avait alors décider de déserter la mairie. Il ne supportait pas de se voir ainsi accabler, si silencieusement. S'il avait crier, ça aurait été mieux. Au moins il aurait compris. Là, il comprenait pas.

Quand le mutisme avait commencé à être trop pesant, Hope s'était remis aux réparations dans la ville. Il voulait pas rester sans rien faire trop longtemps, et maintenant il s'en sortait pas mal avec un marteau. Autant être utile, c'était mieux que de lambiner toute la journée sur le canapé. Quand ils furent tous partis, sauf Katia, Erwin prit son escargophone. Sa soeur ne lui demanda pas qui il allait appeler, elle le saurait bien assez tôt.

Après quelques instants, Erwin finit par marmonner dans l'appareil.

« - Salut Holly, c'est Erwin... Comment ça va ? »

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Le silence, c’est tout ce que je demandais. Je m’étais réfugiée dans ma nouvelle chambre, espérant trouver la seule chose que je souhaitais maintenant. J’étais de nouveau chez moi, pourtant je me sentais comme étrangère. C’est fou comme, en l’espace de quelques temps, tout peut changer. Areia se mit à me mordiller l’index, me faisant sourire. Au moins, eux, ils n’avaient pas changés. Volpha était toujours la même, se reposant paresseusement au pied de mon lit. Ils m’avaient manqués.

La sonnerie de l’escargophone blanc me fit sursauter. Celui de Nakata, un truc pouvant protéger des écoutes apparemment. Lentement, j’attrapai cette chose, le posant sur le lit près de moi. Alors, je saisi le combiné, attendant en silence les paroles de mon interlocuteur. Un interlocuteur qui ne m’était pas inconnu. Erwin. Ce nom me fit rappeler Len, sa mort. Mon regard se porta sur la petite boule de poil qui s’en prenait encore ma main, puis sur ma louve. Je n’avais pas de raison de pleurer, maintenant.

« Salut. »

Pourtant, comment répondre à sa question ? Après un soupir, je me décidais à lui répondre.

« On peut dire que ça va, même si le retour ne fut pas de tout repos. Et toi ? »

•••

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« - J'ai eu quelques journées mouvementées et... »

Silence. Un blanc s'installa un instant tandis que je cherchais mes mots. Qu'est-ce que je cherchais à dire ? Qu'est-ce que je cherchais à faire ? Katia me regardait, captivée, tandis que mon regard se reporta sur les livres sur l'étagère.

« - Il s'est passé quelque chose, Holly. Je crois que j'ai fait une erreur dont je ne vais pas être le seul à devoir assumer les conséquences. Il y a quelques jours, on est allé sur Shabaody avec Mike pour arrêter les massacres de Kotaro, un Supernova, et pour récupérer l'argent de sa prime dans le but de reconstruire Micqueot et de l'aider à prospérer. Mais... Les choses ne se sont pas déroulées comme prévu. Une chasseuse de prime, Jasmine, s'est mise en travers de notre chemin et a tenté de nous voler Kotaro. On a réussi à s'enfuir avec notre cible mais... »

Qu'est-ce que ça pouvait bien lui faire tout ça ? Pourquoi je lui racontais mon histoire ? Peut-être à cause de ce qu'elle représentait pour Katia, un lien avec Len, ou de ce qu'elle représentait pour moi, une amie...

« - Le Gouvernement Mondial a refusé de nous donner la prime pour l'instant. Je ne sais pas quelle instance, mais ils veulent me faire chanter pour utiliser mes pouvoirs. Apparemment j'ai une prime sur la tête... En échange de cette prime gelée, ils veulent que je travaille pour eux. Si je désobéis... Ils mettront sûrement aussi une prime sur la tête de Mike. »

Déglutissant, je finis par mettre une main devant mes yeux. J'avais honte de me plaindre comme ça alors qu'elle venait de perdre Len. D'une certaine manière, je ressentais ce que ça faisait de perdre la personne qu'on aimait, ou notre ami d'enfance. J'avais perdu les deux. Katia s'était approchée de moi et avait fini par laisser échapper un long, plaintif et pâle soupir.

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Des mauvaises nouvelles, donc. Je m’étais redressée dans mon lit, l’écoutant en silence. Il avait eu du courage, pour s’attaquer à Kotaro. Du courage, si ce n’était pas de l’inconscience. Dans tous les cas, il se retrouvait avec un gros problème. Une prime, ce n’était pas anodin. Ces millions allaient lui faire changer de statut. Il ne serait plus aussi libre qu’avant. Et cela risquait d’être pareil pour Mike, de ce qu’Erwin disait. Tout cela à cause des menaces du Gouvernement Mondial. Je détestais ces personnes qui pouvaient ruiner une vie s’ils n’obtenaient pas ce qu’ils désiraient. Ces types étaient pathétiques.

Mais s’emporter ne pourrait pas résoudre cette affaire. Il fallait réfléchir, calmement.

« Il y a un truc qui me chiffonne. Même si vous vous êtes enfuis avec Kotaro, je ne vois pas pourquoi le gouvernement aurait pris la peine d’écouter une plainte venant d’une chasseuse de primes. Après tout, les conflits pour une prime sont monnaie courante. Il y avait quelqu’un d’autre à ce moment-là ? Un marine ? Ou alors, vous avez eu affaire à quelqu’un du Gouvernement Mondial avant ? »

Car, après tout, il fallait bien que quelqu’un ait rapporté le pouvoir d’Erwin à un haut gradé. Et cela m’étonnait que cette chasseuse de primes se soit plainte aux autorités. Mais, même s’il me donnait un nom, cela ne changeait rien. Il était piégé.

« Après … Je peux demander à Nakata s’il peut faire quelque chose. Mais je doute qu’un Shichibukai ait son mot à dire sur les primes. C’est à toi de voir. Tu peux décider d’aller dans le sens du gouvernement et devenir un gentil toutou, ou bien garder ta liberté. »

Je soupirai. Ce que j’avais dit, il devait déjà y avoir songé. J’avais l’impression d’être inutile.

« Juste, si jamais tu décides de ne pas céder au chantage, on peut t’aider. Certes, on risque de ne pas pouvoir empêcher ta prime, mais si tu te retrouves en difficultés, il suffira juste que tu m’appelles et que tu viennes me chercher. Nakata voudra aussi t’aider, je pense. Après tout, il te doit mon retour en un seul morceau. »

Je me mis à sourire. Si Erwin n’avait pas été là, s’il ne m’avait pas permis d’emporter le corps de Len, j’aurais sombré. Mais, c’est parce qu’il avait su dire et faire ce qu’il fallait, que je pouvais sourire à nouveau. Sans lui, Len n’aurait pas eu le droit de revenir sur son île natale. Et, pour lui avoir permis cela, j’étais prête à faire tout ce qu’il fallait pour aider le rouquin.

•••

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« - Je... Je ne sais pas. Je crois que beaucoup de marines connaissent mon pouvoir, j'en ai aidé pas mal par le passé. »

Si j'avais des évènements précis en tête, l'un d'entre eux, tout particulier, me revenait. Il s'agissait d'un jour où une base avait été attaquée, je ne savais plus exactement où. Les marines et les civils avaient été touchés, et je n'avais alors pas lésiné sur l'utilisation de mon pouvoir pour leur venir en aide. Pourtant, là encore, aucun remerciement. Seule l'agonie des personnes que je n'avais pas pu aidé m'était resté en mémoire après coup.

« - Peut-être qu'il s'agit d'une demande de Jasmine, peut-être que le gouvernement a cédé à un de ses caprices pour aller dans le sens du poil, qui sait. Les privilèges ont toujours existé, je ne m'étais juste jamais rendu compte qu'ils pouvaient être utilisés de cette manière. »

Un long soupir, cette fois-ci c'était moi qui m'était sorti de mon mutisme. Katia s'était mise à tourner autour de la table, elle semblait marquer un schéma dans sa tête. Tout à coup elle s'arrêta et son regard devint sombre. Elle pensait à Len. Je le savais. Reprenant la parole, je finis par passer à autre chose.

« - Ne t'en fais pas, Nakata doit déjà avoir assez à penser avec le décès de Hato, et la réunion qui arrive... »

Les journaux sont d'incroyables commères.

« - Par ailleurs, j'ai besoin de quelque chose. De leur part, je veux dire. Je ne m'abandonnerai pas à tuer des innocents, mais s'ils ne me demandent pas cela, je ferai ce qu'ils disent. Katia a pensé à quelque chose qui pourrait nous aider à résister à l'oppression. »

Ma sœur se tourna vers moi et sourit. Elle ne souriait pas beaucoup ces temps-ci, et quand elle souriait comme dans ces cas-là, c'était avec l'esprit occupé, relevant légèrement le coin d'une lèvre sans vraiment se donner la peine. A quoi bon ?

« - Je n'ai pas réellement compris ce qu'elle voulait que je fasse, mais... La famille d'abord. »

Katia s'avança vers l'escargophone à ce moment-là. Elle s'assit à côté de moi, et sa voix d'enfant retentit dans l'appareil. Elle n'eut pas besoin de faire de transition, interrompant simplement la conversation. Son corps tout entier tremblait. Je pouvais le sentir, je n'avais pas besoin de Haki pour partager la peine qui la déchirait, qui détruisait son sommeil chaque nuit.

« - Je vais souvent sur la tombe de Len en ce moment. Presque tous les soirs en fait, Erwin m'y dépose et j'y reste une petite heure, et je repense à sa voix, à son visage, mais tout commence déjà à s'évanouir. La nuit, les cauchemars s'estompent peu à peu, mais il n'y a pas une nuit sans que je me réveille en ayant vu son visage. Il est... Len est... »

Des larmes coulaient le long des joues de ma sœur. La conversation sur ce qu'on devait faire était terminée. Je la serrai contre moi tandis qu'elle était toujours assise à mes côtés, tentant d'apaiser sa peine. Disant d'une voix posée, je rajoutai à Holly :

« - Si tu as besoin à n'importe quel moment de te recueillir sur sa tombe, n'hésite pas à m'en faire part. »

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Pourquoi fallait-il remettre le sujet sur la table ? Quand Katia prit la parole, mes yeux se mirent à me picoter. Cette petite fille, que je connaissais à peine, me disait se rendre sur la tombe de Len. J’étais partagée entre deux émotions : le soulagement et la tristesse. Du soulagement, car je savais que Len ne manquait pas de visiteurs. De la tristesse, car penser qu’il était plongé dans un sommeil éternel me piétinait le cœur à chaque fois. Une larme coula, tandis qu’Erwin reprenait la parole. J’hochai la tête doucement, laissant échapper un seul mot.

« Merci. »

Aller sur la tombe de Len pourrait me faire du bien, peut-être. Mais, si je le faisais, j’avais l’impression que je pourrais sombrer à nouveau, qu’il me serait impossible de reprendre pied. J’avais besoin d’accepter, de faire totalement mon deuil avant d’y aller. C’était purement égoïste.

« Je ne pense pas pouvoir y aller maintenant. Je n’ai pas le courage nécessaire … »

J’étais faible, même pour cela.

« Katia ? Je suis contente de savoir que tu y vas, que tu penses toujours à lui. Tu devrais lui raconter tes journées, même si cela peut paraître stupide. Et puis, même si tu penses que tout commence à s’évanouir, tu te trompes. Len est toujours quelque part dans ton cœur, comme il l’est dans le mien. Souviens-toi des comptines. »

Mes mots étaient peut-être déplacés, mais je ne voulais pas qu’elle souffre. Il fallait qu’elle vive, qu’elle ne se prive pas de sourire. Il fallait qu’elle soit une fillette normale. Après un silence, je repris la parole. L’autre sujet semblait terminé pour eux, mais j’avais encore quelque chose à dire.

« Sinon, faites attention à vous. Je ne sais pas ce que vous comptez faire, mais faites en sorte de ne pas dépasser les bornes. Surtout toi, Erwin. Je n’ai pas envie que Katia soit triste à cause de tes bêtises. »

J’étais inquiète pour eux, même si j’essayais de le cacher.

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J'acquiesçai dans un premier temps silencieusement aux dernières paroles de Holly avant de me rendre compte qu'elle ne pouvait pas voir un hochement de tête à travers l'escargophone. Katia avait cessé de pleurer et avait remercier Holly en préconisant de suivre ses conseils. Pour une fois, la pensée de la mort de Len ne l'abattait pas au point de ne plus pouvoir parler.

« - Je ferai attention. Toi aussi, Holly, fais attention... Tu es peut-être forte mais le danger est omniprésent dans ton monde. »

J'avais dit cela comme une évidence, mais aussi comme si mon monde était moins dangereux. Il l'était, peut-être avant tout ça, avant Kotaro. Aurais-je du m'arrêter avant de tenter de le capturer ? M'attaquer à quelqu'un de moins puissant ? Peut-être avais-je eu la folie des grandeurs. Soupirant, je secouai la tête et regardai par la fenêtre. J'aurais beau faire la gueule à Cid, ça ne m'empêcherait de voir la vérité en face : J'étais seul et unique responsable de mes actes.

« - Je suis content de pouvoir entendre ta voix, Holly. Si tu as besoin de quoique ce soit, je serai là pour t'aider, ne l'oublie pas. Au moindre danger, j'accourrai. Tu peux compter sur moi. »

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Je me mis à sourire, touchant le plâtre sur mon nez. Le danger, je savais bien qu'il était présent. Il était omniprésent, qu'importe la faction à laquelle nous pouvions appartenir.

« Ton monde n'est pas différent du mien, Erwin. »

Il était même entré dans "mon monde", avec cette histoire. Traîné dans un univers dans lequel il n'aurait jamais dû mettre les pieds. Il devrait vivre une vie normale, comme tout civil.

« En tout cas, c'est gentil. Même si cela risque de t'attirer encore plus d'ennuis si l'on te voit avec des pirates. »

Pour le coup, il n'avait pas vraiment besoin de cela, actuellement.

« Comme je l'ai dit tout à l'heure, tu peux compter aussi sur nous en cas de coup dur, que ce soit pour t'aider à vaincre des ennemis ou même pour fuir. Et, aussi si tu as besoin d'argent, cela t'éviteras de t'attirer des ennuis en voulant t'en prendre à des primés. »

Mon sourire s'accentua légèrement. Peut-être que ma proposition pourrait lui éviter de faire des bêtises.

« Il faut savoir se serrer les coudes dans un monde comme le nôtre. Surtout que le futur est plus qu'incertain. »

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« - Je me fiche de ce qu'ils peuvent penser, tu es notre amie à Mike, Katia et moi. J'ai pas peur de m'afficher avec toi ! »

Souriant, je sentis cette phrase légèrement enfantine, mais soit. Ce n'était pas comme si ça m'importait, j'étais définitivement quelqu'un d'enfantin dans ce genre de situations, et je préférais le rester. Dans un élan de malice, j'ajoutai :

« - Et puis vous êtes plus des Gouvernementaux que des Pirates avec ce titre de Shishibukai que porte Nakata ! Pour ce qui est de l'argent, ne t'en fais pas, on arrivera à se débrouiller. »

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