-Papa ? Dis... C'était quelle genre de personne, ma mère ?
La question, prononcée à mi-voix, comme si son émetteur ne s'en souciait au final que très peu, força le prestigieux chasseur de Yonkous à arquer un sourcil tout en se redressant légèrement sur son siège. L'homme attrapa la pipe qui demeurait jusque là entre ses dents et la retourna, tapotant le bois du manche sur un cendrier non loin de là tout en expirant un léger nuage de fumée. Ses yeux semblèrent renvoyer une certaine mélancolie avant de se clore soudainement, froids et sérieux, tandis que son fils lui jetait un bref regard tout en continuant d'écrire sur un bout de papier qui traînait devant lui :
-Une faible. Et c'est pour ça qu'elle est morte.
Intransigeant et sec, le chasseur de primes montrait qu'il n'avait aucune compassion pour la plèbe grouillante qui se contentait d'encaisser les aléas de la vie en serrant les dents, en priant pour que les malheurs passent éternellement du côté des voisins. Si un fils normal s'en serait probablement allé à une crise de nerfs, le sien demeura silencieux avant de hausser les épaules, retournant à ses écrits sans plus de cérémonies. Pourtant, Mijushike ne semblait pas satisfait de sa propre réponse... Pas tout-à-fait, tout du moins. Il chassa la demoiselle peu vêtue qui se trouvait proche de lui jusque là d'un signe de la main et ne prit à nouveau la parole qu'une fois à nouveau totalement seul dans la pièce, face à sa progéniture.
-Tuée par un pirate. Pourquoi cette question ? -Pourquoi m'intéresser vaguement sur la personne qu'était ma mère, tu veux dire ?
Le quarantenaire poussa un soupir amusé avant de prendre une nouvelle bouffée de tabac. La réponse de son fils n'avait pas été surprenante, et il aurait même dû l'anticiper, à vrai dire... Les deux hommes avaient toujours évolués seuls, sans avoir à converser outre mesure jusque là. Toutefois, maintenant que Liao avait plus de la vingtaine et qu'il était sur le point d'affronter des hordes de pirates plus menaçants les uns que les autres, il était logique qu'il ait le droit à user d'un tant soit peu de curiosité. Ainsi son paternel entreprit donc de donner quelques menues explications à son fiston :
-Robert Sullivan, alias l’œil fou. J'avais seize ans quand j'ai commencé à le traquer, deux ans après que je sois entré dans le métier. Un ancien Schichibukai d'une cinquantaine d'années, primé à 419 millions de berrys. Coupable de centaines de crimes plus odieux les uns que les autres... -Jamais entendu parler. -Pas étonnant. Le Gouvernement a toujours été doué pour manipuler les informations.
En effet, tous les rapports et les journaux qui traitaient du cas Sullivan s'étaient mystérieusement évaporés après la capture de celui-là. C'était toutefois de coutume pour les criminels possédant une telle carrière derrière eux, et le chasseur savait pertinemment qu'Impel Down et Enies Lobby n'étaient pas vraiment étrangers à ces manipulations de masse. Quoiqu'il en fut, il ne se laissa pas démonter et poursuivit son petit récit, semblant apprécier de pouvoir enfin ressasser ses souvenirs :
-Je l'ai affronté trois fois en un an. Trois défaites. Je lui dois même ça.
Mijushike pointa du doigt les cicatrices qui tranchaient son visage, blessures dont il avait écopé à cause de son ardeur et de sa témérité d'antan. Si ni l'une, ni l'autre n'avaient songé à disparaître, elles avaient été rejointes par une puissance hors norme : c'était très certainement la meilleure des armes lorsqu'il s'agissait de combattre des forbans de tout horizons. Si Liao lui jeta un bref regard, il ne s'en formalisa guère et continua son discours, comme un exposé raconté par un enfant un peu trop studieux :
-Il a fini par me détester... Surtout quand j'ai réussi à lui prendre son bras gauche. Alors il a décidé de se venger, et il a appris pour toi, et pour ta mère. Elle en est morte. -Tu t'es vengé ?
Le rire cristallin du chasseur de Yonkous sembla étonner son fils. Le plus âgé des deux aspira une nouvelle bouffée de tabac avant de placer sa pipe sur une table proche de son siège. Il se redressa ensuite et alla attraper un pinceau, continuant une peinture aux couleurs vives et puissantes avant d'expliquer son hilarité soudaine :
-J'ai essayé. Mais j'ai pas eu le temps. -Comment ça ? -Alucard... Enfin, Kamiji lui était tombé dessus avant que je ne bouge le moindre orteil. Plus jamais entendu parlé depuis. -C'était quand ? -Un an après ta naissance, tout juste. Ça fait plus de vingt ans, maintenant...
Il en avait tout juste vingt de plus, mais en discutant ainsi, le quarantenaire avait l'impression d'être un vieillard emprunt de nostalgie, qui avait fait son temps. Ça n'était pourtant pas réellement le cas : il avait désormais l'occasion de changer le monde, de briser l'équilibre que les pirates avaient instauré d'eux-mêmes dans le Nouveau Monde, et de régner sur la première union officielle de chasseurs de primes. Mijushike comptait bel et bien, malgré sa carrière déjà exceptionnelle, montrer aux jeunots qu'il n'était pas sans reste et qu'il n'allait pas leur laisser les rênes de la nouvelle ère sans esquisser le moindre effort... Il poussa un nouveau soupir, déjà lassé par cet excès de souvenirs, et replaça le pinceau là où il l'avait pris avant d'ajouter, comme pour clore la discussion :