Les températures étaient si basses que les plus grosses rivières s'étaient figées, et que la mer qui entourait l'île se trouvait désormais transformée en une vaste plaine glacée, une solide banquise de deux mètres d'épaisseur. Ce matin-là, le temps semblait s'être arrêté. Silence, à l'exception d'un hurlement bestial qui résonnait, quelque part dans la poudreuse. En effet, dès l'aube, les membres de l'équipage mercenaire de la Corne avaient décidé, en compagnie de leur malheureux passager, de mettre les rênes vers le village de Tournebrume, réputé pour son commerce de cervoise et ses richesses archéologiques.
L'état de la mer n'étant pas propice à la navigation, ils filaient à une allure déraisonnable sur un gigantesque traîneau tiré par sept énormes chiens de traîneau blancs comme neige. L'épouvantable cri jaillissait de la gorge de l'homme qui tenait les rênes de l'attelage. Baldin le Mercenaire était à la tête d'une petite troupe vaguement incompétente qui sillonnait North Blue, et n'avait de mercenaire que le nom vu que leurs seules actions notables consistaient à piller les villages et ruines alentour.
A l'extrémité de son bras musculeux, le fouet décrivait dans l'air de fougueuses arabesques. De l'autre main, Baldin secouait frénétiquement les rênes. Les chiens affolés effectuèrent de grands bonds désordonnés, et l'attelage prit de la vitesse. Entassées dans le traîneau, cinq des compagnons de Baldin braillaient à l'unisson de leur commandeur. Ecrasé entre Tony le Grizzly et Barney le Mal Léché, deux hommes aux visages disgracieux et aux chevilles ayant la circonférence d'un tronc d'arbre, Silas n'en menait pas large. Il ne se souvenait que vaguement de la soirée d'hier - il avait bu, beaucoup, avec cette bande de mercenaires plutôt sympathiques. Il avait bien décelé un certain intêret dans les yeux de leur chef lorsqu'il avait mentionné être un archéologue, mais il n'avait pas imaginé qu'ils iraient jusqu'à l'assommer pour le garder prisonnier ! "Tu vas nous guider jusqu'à la Grotte Figée.". Ou quelque chose de cet acabit ; il n'était pas certain d'avoir bien compris, avec ce mal de tête et l'alcool d'hier...
- YIIIIIHAAAAH !
Le véhicule bondit par-dessus un escarpement enneigé, puis plana longuement dans les airs avant de retomber lourdement sur le sol.
- YIIIIIHAAAAH !
- Je suis content, lâcha Silas au moment où le traîneau virait sur un patin en produisant un grincement à faire dresser les cheveux sur la tête. Oui, je suis content d'avoir sauté le petit déjeuner, car mon estomac n'aurait sans doute pas tenu le choc. - T'as dit quelque chose, l'écrivaillon ?
Silas secoua la tête et regarda avec envie une bouteille de rhum qui roulait le long du plancher. Le traîneau subit une nouvelle embardée qui coupa court à ses pensées et le renvoya au fond de son siège.
- Par tous les Dieux, faites que ça s'arrête.
Sa prière était sur le point d'être exaucée, car le traîneau fonçait à toute allure vers quelques silhouettes qu'on avait du mal à distinguer dans la poudreuse. Baldin le Mercenaire se redressa en poussant un grand cri puis se pencha en arrière en tirant sur les rênes de toutes ses forces, si bien qu'il se retrouva pratiquement à l'horizontale. Les chiens émirent quelques protestations en s'immobilisant brutalement. Un à un, les hommes descendirent, certains titubant légèrement. L'un d'eux se retourna vers Silas :
- Si toi il essaie de s'échapper, le tête je te coupe et tes jambes aussi, avertit-t-il avec un accent déplorable en passant amoureusement la main sur sa massue.
L'archéologue resta parfaitement silencieux alors que ses ravisseurs (son ego lui interdit aussitôt d'utiliser ce mot) se dirigèrent vers le groupe de personnes. Il distinguait une femme et d'autres personnes -impossible de savoir combien, avec cette purée de pois. Les contours de quelques bâtiments se dessinaient non loin derrière, ce qui signifiait certainement qu'ils étaient parvenus jusqu'à un point de civilisation. Silas retint son souffle, espérant que ces silhouettes soient son salut.
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Kokuro Elina
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Ven 9 Jan - 20:07
Shattered Ice
Elina, Shiro et Seika patientaient sur la banquise, quelques centaines de mètres devant le village de Tournebrume. Des rumeurs lui étaient parvenues, la veille, selon lesquelles un groupe de mercenaires serait descendu dans un village et aurait pris un otage parmi la population, avant de parler d’une « grotte » au nom étrange des environs. Son statut de protectrice de l’île devait donc déjà lui valoir assez de confiance pour qu’un rescapé du spectacle soit venu la trouver à l’auberge où elle logeait. Il faut dire qu’elle n’avait pas chômé depuis son arrivée... Surtout avec le passage du gardien d’Impel Down en transit ! Avec un plan de l’île, elle avait mené sa petite équipe de manière à intercepter les ravisseurs. Mokuso quant à lui gardait le village en lui-même, refuge d’une population d’archéologue selon les locaux. Il les appellerait si leurs proies les contournaient et se dirigeaient plutôt vers lui.
- C’est trop long... bailla Shiro. Vous êtes sûre qu’ils vont passer par ici, patronne ? - Je ne suis sûre de rien. Selon la carte, le trajet le plus rapide traversait cette zone. J’ai supposé qu’ils emprunteraient... - Quelqu’un vient, la coupa Seika.
Tous trois se concentrèrent sur leur objectif principal. Ces bandits se sentaient pousser des ailes trois jours après l’exode de la marine. C’était sans doute une pure coïncidence, mais elle préférait tuer le serpent dans l’œuf et adresser un message clair aux autres bandes. Elle serait bien moins permissive que son prédécesseur ! L’ombre d’un gigantesque traineau se dessina peu à peu dans le brouillard. Sans doute était-il tracté par des chiens de neige... Ils ne pourraient jamais les rattraper s’ils ne s’arrêtaient pas !
- Shiro... commença, Elina. - Aucun souci ! comprit le colosse en s’avançant avec un sourire mauvais.
Cet homme était un être simple au possible : se battre, boire et s’amuser, voilà qui suffisait à le contenter. Les bandits décidèrent de le contrarier et il n’eut même pas à se jeter sur le traineau pour le renverser, comme il souhaitait sans doute le faire. Les chiens et les hommes crièrent et, bientôt, l’attelage s’arrêta. D’un coup d’œil au mastodonte, Elina s’amusa de le voir s’assombrir ; les brigands allaient regretter de ne pas s’être enfuis.
- Essaye de ne pas blesser l’otage, Shiro. -Hmm... grogna-t-il en s’avançant de quelques pas, l’air bougon.
Ses pieds laissaient de lourdes traces dans la neige, mais plus lourde encore était l’aura qui l’enveloppait à ce moment précis. Il allait encore faire des siennes. D’un soupir, l’araignée lança un regard à Seika qui comprit son travail. Elle s’occuperait de ce pour quoi son frère ne serait jamais doué : les finitions. Un à un, les malfrats descendirent et s’avancèrent en prenant des poses intimidantes. Ils étaient ridicules. Le chef sembla prendre confiance en ne voyant que deux femmes et un homme, puisqu’ils étaient six quant à eux. Elina repéra l’otage, ficelé dans le traineau. Elle s’en désintéressa totalement pour l’heure, et regarda plutôt le leader des bandits tenter d’intimider Shiro. Spectacle amusant s’il en était !
- T’es qui du con ? T’vois pas que t’es en plein milieu du passage ?! Dégage, ou on t’étripe toi et tes deux gonzesses !
En réponse à quoi le géant se contenta de sourire comme un forcené. Le connaissant, il avait du mal à ne pas foncer et décoller la tête du brigand de ses épaules ! Il se retenait jusqu’à ce que ses comparses s’éloignent du prisonnier, ou du moins l’araignée l’espérait.
- Laissez je s’occuper lui, chef ! s’exclama un balourd disgracieux avec un accent à couper au couteau.
Ce dernier s’avança en caressant amoureusement sa massue en bois. À peine arrivé au niveau de Shiro, il frappa à deux mains sur sa tête ! Sa massue se brisa net. L’assaillant blêmit, tandis que son adversaire hurlait de rire. Il lança son énorme main à la rencontre de la tête du balourd et lui écrasa le crane contre le sol d’un seul coup. L’homme resta à terre, inerte. Avec un cri sauvage, Shiro fonça dans la masse de brigands sans plus attendre. Elina soupira derechef devant la bestialité de son subalterne. Lorsque la cage thoracique d’un de ses collègues se brisa en un bruit horrible, un scélérat plus malin que les autres tenta de s’en prendre aux deux femmes restées en arrière. Son idée n’eut pas le temps de totalement germer que Seika avait déjà séparé sa tête du reste de son corps.
« Si faibles que ça ? Je m’attendais à pire ! Je perds mon temps... », se lamenta Elina.
Le cerveau de la bande ne sachant plus où donner de la tête, entre la jeune fille au Kusarigama qui venait de découper un de ses alliés et Shiro, sur qui les armes en bois et les poings se brisaient, il tenta le tout pour le tout. Il fonça vers le traineau, sans doute pour menacer son otage et tenter de s’enfuir la seconde d’après. L’araignée fonça sur la glace et l’intercepta alors qu’il posait le pied sur le bois. Elle sauta directement par dessus le traineau et le cueillit au niveau du menton d’un coup de talon bien placé. Il n’eut pas le temps d’utiliser son fouet, ni même de se rendre compte de ce qui lui arrivait. Il recula de quelques pas, tomba, puis tenta de se relever avant de s’affaler au sol, complètement sonné.
« Si seulement ils pouvaient tous êtres aussi incompétents, l’île serait pacifiée depuis longtemps... », rumina Elina.
Elle entendit un ennemi rugir derrière elle et jeta un coup d’œil vers lui. Sans lui porter plus d’attention, elle se baissa pour se mettre au niveau du visage de l’otage, tandis que Seika le fauchait en plein vol. Un torrent de sang éclaboussa une partie du traineau et la neige, mais épargna les deux occupants encore vivants à son bord. Elle laissa Shiro s’énerver dans son coin, vexé d’avoir attendu tout ce temps pour un combat aussi rapide ! De son côté, elle était bien plus intéressé par l’homme en face d’elle.
Elle nota tout de suite ses traits fins, ses habits élimés et son sac au contenu à moitié renversé sur le côté, laissant apparaitre des carnets de notes et des livres. Elle s’était attendue à ce que les brigands jettent leur dévolu sur un quidam quelconque et l’utilisent comme monnaie d’échange pour accomplir un forfait sur son île. Mais ce qu’elle avait sous les yeux ne correspondait pas à cette description. Bien qu’à l’aspect sale et dépenaillé, l’homme respirait l’intelligence. De plus, ses habits trahissaient une origine autre que Yakoutie : il était à peine paré pour l’hiver ! Pour que des idiots tels que ces mufles s’en prennent à un voyageur et non à un habitant qui aurait eu bien plus de valeur aux yeux des maires... Elle se tourna vers la fratrie aux cheveux blancs avant d’ordonner :
- Seika, empêche ton frère d’achever le chef, veux-tu mon ange ? J’ai des questions à lui poser. - Patronne ! C’est pas juste ! J’ai à peine commencé à m’échauffer que c’était déjà terminé ! - Je ne veux pas le savoir, trancha-t-elle. Tu t’amuseras avec Mokuso si tu as encore de l’énergie à revendre.
Elle sortit soudain un couteau de lancer et s’en servit pour libérer le prisonnier de ses liens. Alors seulement, elle se présenta :
- Mes excuses pour cet accueil des plus musclés. Je me nomme Elina, protectrice de l’île, et voici mes associés. Shiro est le géant, sa sœur s’appelle Seika. J’espère que vous n’avez pas été trop violenté par ces brutes ?
Ce sur quoi elle se leva et lui proposa son aide pour faire de même, d’une gracieuse main tendue vers cet inconnu, assis au fond d’un traineau qui commençait à se remplir d’une neige teintée de vermeil.