Et l’histoire commença ainsi, sur un lever de soleil, les matelots se levant de leurs hamacs, mettant en place leurs holsters, remettant leurs casquettes à l’effigie de la mouette, le bois de la frégate l’Iroquois grinçant à chacune de leurs entrées sur le pont. Les marins armés, assignés à la garde du vaisseau, se déployèrent en deux lignes à partir de la porte de la cabine du colonel. Aussitôt que le dernier soldat se mit en place, dans un timing presque parfait, la porte s’ouvrit. Un grand homme à moustache de près de deux mètres se montra, la veste des officiers rabattue sur ses épaules et un grand smoking bleu clair, le cigare à la bouche. Une mâchoire tombante, des cernes marquées autant que ses rides indiquaient qu’il n’attendait que le moment d’une retraite paisible dans un coin confortable.
Un colonel comme tant d’autres sur North Blue.
L’officier s’avança d’un pas lent, prenant un véritable soin de vérifier chacune des tenues de chacun des soldats. Il était réputé pour être l’un des rares officiers à encore faire une chose pareille. Lorsqu’il remarquait quelque chose qui manquait, il la montrait du doigt, et renvoyait le soldat aux cales pour corriger la bévue. Il était comme ça, lui. Il ne tuait pas les gens pour un oui ou pour un non. Ce qui du coup, n’était pas si commun que ça, dans la Marine.
Mais alors qu’il s’arrêta au dernier marine, il serra les poings. Le colonel était un homme qui jugeait les gens en fonction de leur bonne volonté ; à celui qui oubliait quelque chose parce que ce n’était pas son jour, il n’en tenait aucune rigueur. Par contre, à celle qui avait décidée de ne pas se présenter...
« Lieutenant Katherine Lockheart, m’avait-il appelé sans lever la voix. Veuillez-vous présenter immédiatement à l’inspection comme chaque Marine ici présent. »Ce n’était vraiment que pour me faire chier, et il le savait bien.
Les pieds sur le bastingage, les fesses sur le transat orienté vers la mer, les lunettes de soleil sur les yeux, j’étais partie pour une belle journée. Mais il fallait que cet abruti me la gâche.
« J’suis pas un marine. J’suis une ingénieure. »« Je n'en ai rien à secouer, répondit-il d’un ton égal.
Vous portez un flingue sur votre hanche et un tatouage de la mouette sur la fesse droite. Ce qui signifie que vous répondez à mes ordres. Levez vous pour l'inspection. »Le tatouage était sur la fesse gauche, mais vrai qu’il marquait un point. J’avais pas envie de me lever, mais j’avais pas le choix. Un ordre était un ordre. Et puis au fond, c’était pas un salaud.
Je me suis alors levée. Doucement. Je me suis étirée dans tout les sens, avant de me rendre compte que j’avais ouvert un bouton de trop sur ma chemise rayée rose. C’était plus confortable, mais la moitié de la division avait une vue panoramique sur mon soutien-gorge quand je me tirais dans tout le sens. Je me suis avancée alors en ligne avec les autres, son regard me perçant. Il a tiré un bon coup sur son cigare, cramant un peu plus ses poumons à chaque seconde d’inspiration. Il s’est alors penché au niveau de mon front, et a soufflé toute la fumée. Je me suis retenue de pas tousser.
« Vos chaussures, Lockheart. »Ah putain, c’est vrai que j’avais oublié ces trucs. Les soldats se retenaient de rire, voyant mes petits pieds aux ongles vernis rouge prendre l’air. Petits... Je mettais quand même du 39. C’était assez grand, mais j’étais assez grande de taille par rapport aux autres, donc ça s’équilibrait. Bref. J’ai mis mes pompes, je l’ai laissé se foutre de moi une minute de plus, et on était reparti au boulot, vérifiant s’il n’y avait pas de fuites dans la cale, et pas de bris de coque ou quoique ce soit de bien foireux durant la traversée. Trois heures après, je reprenais ma place sur le transat’, jusqu’à la fin de la journée. C’était ça, ma vie dans la Marine.
...Mais comment savait-il que j'avais un tatouage de la Mouette marine là où je pense?