Les murs de l'hôpital étaient aussi froids que l'île. Des dizaines de personnes dormaient sur les lits agencés tout le long du couloir de l'étage des soins intensifs. Ce n'était pas une disposition idéale, mais c'était le seul endroit où ils pouvaient être mis. Au milieu de toutes ces personnes albinos, malades et fatiguées marchait une jeune fille, Katia L. Ray. Toute de noir vêtue, elle arborait une robe hivernale confectionnée sur mesure. En dessous, des vêtements plus simples servaient de seconde couche, et étaient plus adaptés à des situations de combat. Elle n'espérait pas que ce genre de situation se produirait mais... Rien n'était moins sûr. Si elle était venu ici, en demande à Erwin de la transporter, c'était pour une bonne raison.

Prenant les escaliers, Katia monta à l'étage supérieur de l'hôpital. Le service de pathologie était un des plus développés parmi toutes les Blues, et un expert en maladies rares avait élu domicile dans le bureau le plus reculé du couloir. La porte en bois dont la partie supérieure était recouvert d'une vitre sur laquelle était inscrit : 

« Docteur Camille Campbell
Pathologiste »
Toquant deux fois avant d'ouvrir la porte, la demoiselle remarqua que la pièce était vide. Il était peut-être en consultation, ou alors avait-il décidé de ne pas venir au boulot aujourd'hui. Sans s'inquiéter de tout cela, Katia prit des dossiers sur la table et commença à les feuilleter, prenant place dans le fauteuil principal. Ces lieux étaient imprégnés d'histoire. Dans une pièce adjacente qui servait de réserve, un matelas d'une personne avait été disposé par terre. Les draps étaient tâchés de sueur et des affaires sales traînaient encore sur le sol, comme d'éternels compagnons condamnés à accompagner les grincements du parquet en bois usé.

Il ne fallut pas une heure pour que la porte du bureau ne s'ouvre. Avec une barbe de trois jours, un regard vitreux et une bouteille d'alcool bon marché dans la main, Camille Campbell entra dans la pièce et ferma la porte sans s'apercevoir que sa place était occupée. La maudite leva les yeux sur lui un court instant et reprit la lecture du dossier qu'elle avait commencé à feuilleter. Ses petites mains devaient s'y reprendre à plusieurs fois pour faire passer les pages détachées sans déverser tout le contenu de la pochette sur le sol. Lorsque le pathologiste alla s'étaler sur son matelas dans un fracas innommable, elle posa sa lecture sur le bureau et alla voir l'état du médecin.

Qui aurait cru qu'il s'agissait d'un des meilleurs dans son domaine ? Dans cet état-là, il semblait à peine conscient de ce qui l'entourait. Katia soupira et adapta la position de l'homme dans son lit. Elle s'empara de la bouteille d'alcool dans sa main et en déversa le contenu dans un lavabo du couloir avant de mettre la bouteille dans la poubelle du bureau. En dehors du bureau qui trônait au milieu de ce lieu d'études, deux étagères en métal avaient été disposées de part et d'autre de la pièce. Des caisses de dossiers avaient été méticuleusement rangées les unes à côté des autres, puis au milieu de l'an 1504, un bordel inconcevable semblait avoir pris le dessus. Les pensées du médecin s'étaient clairement détraquées à partir de ce moment-là. C'était à cette même époque que Katia avait rencontré Erwin et Hope, sur cette île.

La jeune fille y avait vécu pendant un an, dans une famille d'accueil détestable qui n'habitait aujourd'hui plus en ces lieux. Sa mère l'avait envoyée sur Shivering Island dans un seul et unique but : l'éloigner du mouvement révolutionnaire et des actions qu'elle était en train de mener. A cette époque, elle ne savait pas que sa vie changerait de cette manière-là. Touchant du bout des doigts les étagères sur son passage, Katia retourna dans la chambre de l'homme et commença à éclaircir le sol. Le linge sale eut bien vite disparue, suivi de près par les mégots de cigarette et les bouteilles d'alcool. En moins d'une demi-heure, les quelques mètres carrés qui n'avaient pas connu la propreté pendant une demi-année retrouvèrent leur couleur d'origine.

En revenant de la lingerie où elle avait déposé le linge pour qu'il soit traité par le personnel de l'hôpital, Katia remarqua que la porte du bureau était restée ouverte. Non, elle se souvenait de l'avoir fermée, et sa mémoire sans failles ne la trahirait pas. Quelqu'un était entré dans les locaux du docteur. Ouvrant la porte en grand, intriguée, elle prit le pistolet à sa cheville et se dirigea dans la chambre de Camille. Il était toujours là, endormi, et se tenant debout à ses côtés, un homme plutôt épais et petit tenait dans sa main un cigare d'une marque plutôt connue.

— Juge Dandin, que faîtes-vous ici ?

L'homme se retourna un instant et constata avec effroi qu'une arme était pointée sur lui. Il n'avait pas entendu la féline arriver, et encore moins la porte du couloir. La peur se lisait dans ses yeux, et il lâcha son cigare sur les draps de l'homme. Laissant son arme tombée à terre, la jeune fille rattrapa in-extremis la potentielle arme d'incendie.

— Qui... Qui êtes-vous ?
— Katia...

Camille Campbell venait tout juste de réveiller. Son regard globuleux indiquait que son état d'ébriété était plutôt avancé. Le Juge toussota un instant, sortit une lettre de sa poche et la jeta simplement sur le lit. Il se retourna et, sans saluer, sortit de la pièce. Un silence froid commença à régner alors que, sans gêne, la jeune fille s'empara de la lettre, l'ouvrit et la lut. Camille en profita pour se redresser sur son matelas.

- Une injonction du Juge... Tu dois te présenter lors d'un procès qui aura lieu ce soir et qui t'oppose à une plaignante du nom d'Anastasia Grey... comme LA Anastasia Grey, la princesse du Royaume d'Orphée ? Mais qu'est-ce que tu as encore fait, Camille ?

L'homme la regarda, abasourdi. Apparemment, il ne s'était pas fait disputer depuis longtemps. Alors qu'il allait lui répondre, dans un élan d'élégance et avec un sourire amusé, les relents d'alcool prirent le dessus et il envoya le contenu de son estomac s'étaler sur le sol propre de sa chambre. Son regard, rempli d'incompréhension, se tourna vers la jeune fille.

— Tu es... Mais qu'est-ce qu'il se passe sur cette île ?
— La pauvreté, la maladie, un autoritarisme armé... Tu crois quoi ? Que les choses ont changé depuis ton départ ?

Katia le regarda. Il était vraiment mal en point. Elle n'eut cependant aucun mal à l'aider à se relever, et dans son état il ne fut même étonné de se faire soulever par une gamine de onze ans. Alors qu'il était parti se débarbouiller, les souvenirs de la maudite commençaient déjà à se bousculer dans son esprit. L'état de cet île était réellement mauvais. Il n'y avait que trois centres d'activités qui s'étaient correctement développés : l'hôpital, parce qu'il y avait toujours des gens malades à cause du nuage de cendres qui recouvrait l'île, les ruines, parce qu'il y avait toujours des archéologues en quête de savoir, et le tribunal, car le Juge Dandin était sûrement l'homme le mieux entouré de l'île. Dans les faits, il ne régnait que sur ce qu'il voulait et laissait les autres se débrouiller. L'anarchie était dans ces lieux plus importante qu'ailleurs : les voleurs prenaient ce qu'ils voulaient et les personnes de bien subissaient. Les magasins qui s'étaient développés étaient des centres de dépense importants, mais surtout bien surveillés. Plus d'un commerce avait cependant fermé. Ceux qui étaient trop pauvres pour quitter l'île, ou trop malades, devaient simplement prier pour que tout ça se termine.

Lorsque Camille revint, Katia remarqua qu'il s'était rasé. Il paraissait plus jeune, et si ses cernes n'avaient pas été aussi marquées, son image aurait presque pu être celle d'une personne saine. Prenant place dans son fauteuil, comme le médecin qu'il était censé être, il invita d'un geste de la main son « invitée » à prendre place.

— Qu'est-ce qui t'amène ici, Katia ?
— Je veux changer les choses. Nous le voulons tous. Faire une différence, tout ça.
— Nous n'en avons pas le pouvoir...
— Peut-être pas tout seul, mais nous pouvons t'aider.
— « Nous » ? C'est qui ce « nous » ? Le Gouvernement ? La Révolution ? Laisse-moi rire. Ils ne sont même pas capable de balayer sous leur propre pallier alors si tu crois qu'ici...
— Mon frère. Mes amis. Moi. Tu as entendu parler de Micqueot ? Elle était autrefois sous l'autorité des pirates mais ce n'est plus le cas aujourd'hui. Un de mes amis a fait la différence et nous pourrons la faire ici.
— Si ton frère peut faire une différence, où est-il ?
— Il est occupé. C'est pour ça que je suis là. Plus on attend, plus les choses s'aggraveront et plus le pouvoir du Juge Dandin sera posé. C'est maintenant que nous devons agir.

Camille regarda Katia avec une pointe d'admiration dans le regard. Une voix posée, une envie de faire changer les choses... C'était exactement ce qu'il fallait à cette île. « Faire la différence ». Il n'y croyait plus depuis longtemps. Il croulait sous les demandes, ses recherches n’aboutissaient pas... Et plus le temps passait, plus les malades étaient nombreux.

— Est-ce que tes amis... et ton frère ont les moyens financiers de faire changer les choses ?
— Oui. Créer des emplois, aménager des routes, agrandir l'hôpital, améliorer le port... Tout ça sera fait. Mais il faut que le peuple ait envie de voir les choses changer, il faut leur redonner espoir.
— Qu'est-ce que tu attends de moi, Katia ? Je ne suis plus qu'un ivrogne.
— Tu es un médecin. Les gens ont confiance en toi. Avec le soutien du personnel de l'hôpital et peut-être celui d'autres personnes nous pourrons arriver à nos fins. Il n'y qu'une seule condition derrière tout ça...
— Tu... Je savais que c'était trop beau pour être vrai.
— Attend un instant, écoute au moins ce que j'ai à te dire !

Le Campbell s'était déjà levé, passant ses mains sur son visage. Il avait eu un soupçon d'espoir, mais à présent il se sentait assommé par la masse des informations.

— Quelle est ta condition, alors ?
— Accepter une base révolutionnaire sur cette île. Un endroit discret et protégé pour prévenir d'invasions gouvernementales ou pirates...
— Je ne peux rien te promettre. Si tu tiens les tiennes, j'en parlerai aux citoyens. Mais il faudra des lois, il faudra un système pour faire en sorte que personne ne se marche les uns sur les autres..
— Une démocratie militaire, pour un temps. Nous devrons assurer la protection de l'île et son développement. Pour permettre cela, un maire, un chef des armées et un commerçant seront élus pour prendre des décisions et représenter le peuple et ses intérêts. Si ce système ne fonctionne pas, nous en créerons un autre, et si le suivant ne fonctionne pas non plus, nous en ferons un troisième. Ce que je peux te promettre, c'est que nous ne laisserons pas l'île tomber sous le joug du chaos.

Un soupir échappa au médecin. La situation actuelle était la pire, et il sentait que les choses devaient changer. Est-ce que Katia avait raison ? Peut-être. Allait-il la suivre ? Certainement. Prenant son manteau et invitant la maudite à sortir, il se dirigea vers la salle du procès, accompagné par les murmures des habitants de l'île dans son dos.

Les rues de Shivering Island étaient sombres. Le manque de soleil avait depuis longtemps affecté le taux de mélanine dans la peau de ses occupants, et pourtant il était capable de reconnaître un déficit en mélanine et la peau d'un vampire. Lorsqu'il vit Shiro s'approcher de lui, il ne fut pas surpris de constater tant de pâleur sur un si faible minois, cachant une force de caractère plus que grande que lui. Il sembla sourire un instant avant de replonger son esprit dans un labyrinthe de remises en questions. On lui demandait une auscultation rapide. Sûrement pour un patient « spécial », sinon on ne serait pas venu le chercher. Il regarda Katia un instant, alors que celle-ci ouvrait grand les yeux en découvrant sur son épaule un gnome. Là encore, Camille Campbell ne fut pas surpris. Il se contenta de mettre ses mains dans ses poches et de refermer ses épaules, sachant que parfois la vie d'un patient ne tenait qu'à quelques secondes.

— Le procès...
— Je... je vais le retarder, fit Katia sans même penser à retirer le gnome de son épaule. Tu es ? Lança-t-elle finalement au petit être sur son épaule, en prenant la direction de la salle de procès.

Camille se tourna alors vers Shiro. Il soupira longuement puis, se dirigeant à nouveau vers l'hôpital, il commença à discuter avec elle. Quelles étaient les nouvelles, comment se passait sa vie à présent, avait-elle trouvé des personnes agréables avec qui voyager. Il semblait porter en lui plus d'un souvenir, heureux ou malheureux, en relation avec cette jeune connaissance. Continuant de marcher pour s'engouffrer jusqu'à l'hôpital, il fut interpeller par quelques infirmières qui s'étonnaient et s'inquiétaient de le voir ici. « Et le procès ? ». « Je dois d'abord voir un patient en urgence. ». Elles acquiesçaient et le laissaient passer, plongées dans l'euphorie de retrouver l'homme qui, autrefois, faisait passer les autres avant tout le reste, y compris le boisson.

Il pouvait changer, c'était l'avis général. Son naturel était bon, foncièrement bon, et ce n'était que les événements des derniers mois qui l'avaient rendu aigri et alcoolique. En arrivant dans le couloir où avait été posé le fameux individu, il comprit pourquoi il avait été appelé ici. Un autre vampire. Sans prendre en compte sa nature, le docteur commença à ausculter le patient. Il était pathologiste, son domaine de prédilection ce n'était pas la médecine générale.

— Tu n'aurais pas mangé quelque chose qui serait mal passé, récemment ? Fit Camille en posant son stéthoscope, emprunté à un de ses collègues qui passait dans le coin.

Sortant une feuille d'ordonnance chiffonnée de sa poche et prenant un crayon posé sur un chariot d'urgence, il écrivit le nom de quelques médicaments, puis se leva, se retourna et craquant ses épaules, jeta un nouveau coup d’œil à la jeune fille.

— Merci d'être venue me chercher. Je serai au tribunal si quelque chose se reproduit.

Il avait fait attention, en faisant sa liste, de ne pas donner de produits qui auraient pu être néfaste à la nature vampirique de ce jeune homme. Reprenant la route de la salle de procès, il espérait que Katia avait réussi à gagner assez de temps pour qu'il puisse parvenir là-bas sans être condamné d'office.

— Tu es ?

La question que Katia posait au gnome ne montrait aucune pointe d'hostilité. Elle semblait même apprécier le petit être dont elle sentait la voix naïve. Cid lui avait déjà parlé d'eux : les gnomes étaient réellement des êtres naïfs et gentils. Il n'en avait pas rencontré un seul qui dérogeait à cette règle, que ce soit sur Green Bits, dans le Nouveau Monde, ou sur Dwarf Town. Elle se demanda un instant d'où il venait, mais préféra dire d'une voix amicale :

— Je m'appelle Katia, je suis ici pour empêcher certaines mauvaises personnes de faire d'encore plus mauvais choix.

Elle marchait tranquillement. Il faisait froid ici, mais peut-être était-ce ses habits et ou sa nature de zoan, mais elle n'avait pas l'impression de frisonner. Son teint détonnait dans cette population albinos. Il n'était pas trop pâle, bien que pas assez hâlé pour être considéré comme bronzé. En entrant dans le tribunal, tous les regards furent attirés vers elle. La salle n'était pas très grande, une trentaine de personnes remplissaient les bancs de l'assistance, le juge était posé derrière son bureau, tandis qu'une jeune femme aux cheveux roses, coiffés élégamment et portant un manteau dans lequel elle semblait emmitouflée,

C'était Anastasia Grey. La princesse était entourée de deux gardes, plutôt discrets, et d'un avocat, tandis que de l'autre côté une place vide de supports attendait patiemment que le Docteur Campbell prenne place. Mais il n'était pas là, trop occupé à sauver la vie d'un inconnu. Secouant la tête, Katia observa un autre élément intriguant : deux hommes du shérif et le shérif lui-même s'étaient postés près de l'entrée. Lorsqu'il croisa le regard de la jeune fille, il se leva, semblant sentir la menace qu'elle risquait de représenter.

— Je m'excuse pour le Docteur Campbell mais il aura du retard. Il doit s'occuper d'un patient en urgence.
— D'autres médecins peuvent s'en occuper ! Lança le juge avec un air réjoui. Sa condamnation...
— Il y a peu de médecins aussi bons que lui, défendit Katia en faisant un pas vers le Juge, alors que sur sa droite elle ne sentit pas la main d'un homme du shérif tenter de lui attraper l'épaule, s'apprêtant à écraser Gnoméo.

A ce moment-là, Anastasia Grey se leva. Elle avait réellement la prestance d'une princesse, ses mains étaient croisées au niveau de son bassin, et d'un ton très solonel et réservé, elle dit :

— Nous attendrons.

Puis elle se rassit. Le Juge se mordit la lèvre, regrettant déjà de ne pouvoir abuser des pouvoirs qui étaient les siens. Il n'était pas la peine de provoquer la princesse d'un royaume avec qui il espérait de futurs accords commerciaux.

Le shérif semblait déjà avoir des intentions hostiles envers Katia. Alors qu'il se fait repousser par le dénommé Gnoméo, sous le regard surpris d'une partie de l'assistance, la zoan activa son Haki de l'Observation. Elle pouvait ressentir son hostilité, et même s'il n'y avait aucun doute quant à sa capacité à le repousser, elle voulait s'assurer de ne pas provoquer une tôlée à quelques minutes du jugement du Docteur Campbell. Pour le bien de ses objectifs, elle ne pouvait pas se permettre d'en arriver à de telles extrémités. La princesse lui avait déjà acheté le temps suffisant pour que Camille puisse arriver, alors si...

La porte s'ouvrit. C'était un Camille décoiffé qui entra, l'expression ronchonne, passant à côté de Katia sans lui adresser un regard. Il semblait avoir été apporté par la jeune fille devant lui. La regardant, Katia lui adressa un souvenir et s'inclina légèrement pour la remercier, avant de retourner, suivant le pathologiste de près. Elle ne prit pas la peine de s'asseoir, se tenant debout dans le couloir, droite comme un I alors que le procès commençait.

Lorsque le premier coup de marteau résonna, le shérif reprit sa place, suspicieux. Gnoméo était un être exceptionnel pour les habitants de cette île, mais en comparaison aux autres membres de cette communauté entièrement albinos, il n'était pas si anormal que ça. Appelant un silence déjà acquis, le juge entama le dossier. Les charges retenues contre Monsieur Campbell ? Harcèlement ! La princesse fermait les yeux, soupirant. Anastasia Grey avait cet aura que peu de personnes de ce monde possède. Le don d'attirer sur elle tous les regards, et d'envoûter la salle d'un simple mouvement. Elle ne souriait cependant pas, ce qui gâchait les traits de son visage si doux.

— Qu'avez-vous à dire pour votre défense, accusé ?! Lâcha le juge avec un sourire jusqu'aux oreilles.
— Je ne l'ai pas harcelée, je voulais juste lui parler de... quelque chose de privé, soupira Camille en lançant un regard vers le sol. Anastasia...

La jeune fille le regarda, cette fois-ci interpellée par son attitude. Elle ne semblait pas avoir de mauvaises intentions à son égard, et étrangement, lorsque leurs yeux se croisèrent alors que Camille relevait le sien, elle rougit et le retourna vers le sol. Katia ne put s'empêcher de lâcher un :

— Je comprend mieux.

Discret au milieu de l'agitation qui régnait dans l'assistance. « Quelque chose de privé ? Il voulait juste la harceler. Même les personnes les plus gentilles ont leurs travers. ». C'était la conclusion hâtive de certaines personnes, qui énerva bien rapidement Katia. Le juge semblait se délecter de cette situation. Comment ça en était arrivé devant le tribunal déjà ? Qui avait porté plainte ? Ah, mais il n'y avait pas besoin de porter plainte ici. La seule « voix du peuple » était celle d'un juge corruptible...

S'avançant, Katia ouvrit le portillon qui séparait les deux parties de la salle. Le juge abattit immédiatement son impitoyable marteau. Il commanda le silence, invoqua l'obstruction à la justice et ordonna au shérif d'arrêter Katia sur le champ. Celle-ci s'était cependant déjà retournée, faisant fis des paroles de l'homme au-dessus d'elle. Elle n'en avait cure, tout ce qu'elle désirait, c'était rétablir les vérités, et obtenir de cette île une aide dont le monde aurait bientôt besoin.

— Savez-vous ce qui se passe sur cette île ?! Hurla la jeune fille à l'assistance, faisant un geste large. Comprenez-vous le problème que vous rencontrez ? Cet homme se sert d'une fausse accusation pour tenter d'évincer Camille Campbell, un médecin dont le nombre de vies sauvés se compte par centaines.

Le shérif passa le portillon, mais Anastasia venait de se lever, mettant son bras entre la jeune fille et l'homme, invitant la première à continuer.

— Vous pouvez changer les choses. Camille est quelqu'un de raisonné, et je suis sûre qu'Anastasia Grey ici présent pourra vous affirmer la même chose. Cet acte n'est qu'un autre abus de pouvoir du Juge Dandin.

Elle n'eut pas besoin de pointer l'homme du doigt que tous les regards étaient déjà fixés sur lui. Se mordant la lèvre, il sembla chercher de l'aide auprès d'Anastasia. Celle-ci secoua la tête, avant de prendre à son tour la parole.

— Je suis désolé que ça en soit arrivé si loin, Camille. Je t'attire toujours des ennuis on dirait...

Il laissa échapper un petit rire alors que le Shérif finit par prendre les devants, sur un signe du juge. Son arme se dirigea sur la tête de la princesse qu'il attrapa avec son bras. Stupeur dans l'assistance, chacun retint son souffle alors que Camille se levait, faisant tomber sa chaise à terre.

— Lâche-la, Makmaleon !
— Maintenant, on va gentiment arrêter les conneries. Des témoins t'ont vu là-bas, mais ça ne sert à rien si cette femme est avec toi...
— Lâche-la ! T'as intérêt à la lâcher ou je vais...
— Violent en plus ?

Le regard du shérif se faisait provocateur. Katia, concentrée, attendait la première occasion pour agir. Près de la porte, deux hommes surveillaient de près la vampire qui avait amené le docteur sur les lieux. Cet endroit était réellement une anarchie : la loi du plus fort, personne n'intervenait.

Le discours de la jeune fille aux cheveux blancs, de Shiro, attira les regards et interpella l'assistance. Chacun avait du mal à se faire une place sur cette île. Pour cette séance étaient réunis les commerçants les plus influents, protégés mais exploités en retour, les familles les plus aisées, à qui la situation ne convenait que par à-coup, et quelques villageois dont l'intérêt envers ce jugement relevait plus de l'inquiétude qu'autre chose. Ainsi, lorsque le flot de parole se tue, personne ne pipa mot. Personne ne s'offusqua, mais la peur était toujours omniprésente. Ils déglutissaient, effrayés, inquiets pour le sort de Shiro. Katia, le regard perçant, sentait l'hostilité émaner des gardes... ils allaient attaqué.

Le shérif, sûr de lui, détourna alors le regard un instant pour ordonner à ses hommes de s'en prendre à la vampire. Il n'eut cependant pas l'occasion d'aller jusqu'au bout de son ordre, car le poing ferme et puissant de Gnoméo, héro de cette situation désespérée, envoya valser l'homme dans le bâtiment qui faisait face au tribunal de fortune. Un silence pesant s'installa alors, un frisson traversa l'assistance. Les représailles seraient-elles si violentes que cela ? Le Juge, décontenancé, tenta de recoller les morceaux rapidement. Il fallait...

- Enfin, souffla, les larmes aux yeux, une femme aux rondeurs pâles.

Elle laissa échapper quelques petits soubresauts de soulagement, portés par le liquide transparent qui coulait le long de ses joues. Certains arboraient un sourire satisfait tandis que d'autres préféraient garder leurs émotions cachées, au cas où la situation venait encore à changer. Le Juge, quant à lui, serrait son marteau dans sa main. Il l'envoya virevolter vers Katia dans un élan de rage, mais la jeune fille le réceptionna sans mal.

- Camille, je crois qu'il est temps de réunir les habitants du village et d'enfermer le Juge et le Shérif.

Le jeune médecin acquiesça, les traits à la fois fatigués et soulagés. Anastasia Grey, toujours digne malgré la situation périlleuse dans laquelle elle était quelques secondes plus tôt, se dirigea vers le Campbell et l'enlaça. Ils restèrent ainsi pendant quelques minutes tandis que les hommes du shérif étaient sommés par les villageois de rendre leurs armes, ce qu'ils firent après quelques brèves instants d'hésitation.

La Zoan Mythique, après avoir passé une corde autour des poignets du Juge, se dirigea vers Gnoméo et fit signe à Shiro de venir vers elle. Elle sourit, soulagée, et leur dit sur un ton amusé :

- Merci, grâce à vous cette situation a pu être gérée comme il se doit. Voulez-vous assister au reste des festivités ?

Elle leur fit signe de suivre les villageois qui prenaient la direction de la mairie, le bâtiment le mieux portant de l'île. Il allait falloir faire des travaux. Alors que le Juge et le shérif étaient emmenés en prison, les villageois se réunirent dans la plus grande salle du bâtiment. Chacun exposait son point de vue quant à la survie de l'île. Rapidement, l'île sombre accueillit un capharnaüm impitoyable. Camille, à qui Anastasia était restée coller depuis la fin de l'événement, se hissa sur une table et attira instantanément l'attention sur lui.

- Nous avons besoin de chefs, pour gérer les conflits, qu'ils soient internes ou liés au reste du monde. Notre île ne peut pas survivre, ni se développer, si nous ne prenons pas la décision d'installer un gouvernement ici-même.

Les uns acquiescèrent, les autres firent une moue désapprobatrice. L'anarchie était un concept radical. La loi du plus fort s'était installée et à présent, elle risquait de revoir le jour sous une autre forme. C'était là ce qu'ils pensaient.

- Je propose donc que nous fassions un vote. Mais tout d'abord, j'aimerais que vous écoutiez ce que mon amie a à vous dire. Elle fait partie d'un mouvement révolutionnaire, et possède des moyens de nous aider.

Katia se leva, sachant que c'était d'elle que Camille parlait. Tous les regards de la salle furent attirés par elle. Elle ne s'attendait pas à pouvoir parler sans contestations, mais c'était peut-être l'effet qu'avait eu son intervention dans le tribunal qui lui donnait cet aura.

- Je me présente, je m'appelle Katia L. Ray. Comme Camille l'a dit, je suis affiliée aux révolutionnaires. Notre influence est réelle, et nous pouvons permettre à cette île de se développer. Les fonds que nous investirons permettront de construire des emplois et de développer le commerce de l'île. Ils amélioreront les conditions de vie, les infrastructures et les échanges avec le monde.

Elle s'arrêta un instant. Certains acquiesçaient déjà.

- Cependant, notre objectif n'est pas de contrôler votre île. Nous serons vos protecteurs, et attendrons de vous votre soutien. Mais vos leaders, votre culture, votre histoire, c'est vous qui les aurez en main.
- Vous imposerez une présence militaire sur l'île ?
- Oui. Nous protégerons l'île des potentielles attaques et maintiendrons la paix en fonction de vos choix, tant qu'ils sont égalitaires pour tous les membres de la communauté. Par là, j'entends que chaque homme et chaque femme est libre, et que sa liberté s'arrête uniquement là où celle des autres commence. Nos conditions seront détaillées et transmises à celui ou ceux que vous aurez choisis pour vous diriger.
- Je vois.

Les inquiétudes seraient sûrement légions. Chacun semblait penser à une manière de s'en sortir, de se protéger. Au final, ils avaient tous un même objectif : vivre sous un régime qui ne ressemblait pas à l'ancien. Dans cette salle, des discussions émergèrent. Rapidement, il fut décider d'élire les trois représentants de l'île, après un vote à main levée, par élections. Celle-ci se dérouleraient le soir même, et chacun y serait convié. Une dizaine de personnes de confiance, selon la majorité des villageois, furent chargés de mettre en place les élections. La salle se vida rapidement. Katia soupira, soulagée. Ce n'était pas encore fini mais au moins elle n'aurait plus à se battre maintenant.

Se dirigeant à nouveau vers Gnoméo et Shiro, s'ils étaient dans la salle ou à proximité, elle lança sur un ton sérieux :

- Gnoméo, Shiro, est-ce que vous voulez que le monde devienne meilleur ? C'est le projet de toute une vie, mais si vous le désirez, est-ce que vous seriez prêts à venir à nos côtés ?

- Zayne ? S'interrogea Katia en regardant la jeune fille aux cheveux blancs.
Il doit s'agir du jeune homme qui est venu à l'hôpital tout à l'heure.

Le médecin s'était avancé en compagnie d'Anastasia. Ils se tenaient naïvement la main, comme si les événements de la journée les avaient rapprochés. Katia leur sourit et accueillit avec enthousiasme l'acceptation du Gnome. Elle répondit à Shiro qu'elle verrait ce qu'elle peut faire pour Zayne, après les élections, et laissa partir la vampire. S'asseyant sur un banc, soulagée, la féline lança à Gnoméo sur un ton amusé :

- Je pense que mes amis vont beaucoup t'apprécier, ce sont des héros eux aussi... Mon frère, Mike, Hope...

Elle bailla. La journée avait été éprouvante, et elle n'était pas encore terminée. Anastasia s'avança vers Katia et dit sur un ton sérieux :

- Je souhaite te rejoindre moi aussi. Je ne sais pas si mon Royaume acceptera de vous suivre, mais moi, Anastasia Grey, souhaite aider les révolutionnaires.

Camille fut surpris par cette nouvelle. Il regarda la jeune femme, mais sut à l'instant même où il posa les yeux sur elle que sa décision était irrévocable. Acquiesçant, Katia se laissa s'appesantir un peu plus sur le banc. Leur cause avait gagné quelques nouveaux alliés. Il fallait qu'elle aille voir Zayne après tout ça. S'il se trouvait encore à l'hôpital, ce serait chose aisée mais sinon... Ah, elle voulait se reposer un peu. Un semi-sourire étira ses fines lèvres, et après quelques instants de repos elle se releva.

Le bureau de vote fut installé dans la même salle que celle de la réunion. Les quelques cabines de fortune furent installées assez rapidement, et les urnes ainsi que les surveillants se mirent en place. En une heure à peine tout le village eut voté. Pour qui ? Chaque habitant semblait avoir son idée derrière la tête. Il fallut une demi-heure supplémentaire pour décacheter, sous surveillance Den Den, les bulletins. Alors, sortant du bureau de vote improvisé, le représentant des organisateurs lança sur un ton bienveillant :

- Sont nommés au poste de représentants des citoyens Camille Campbell, Vicky Parme et Soil Bourgeron.

Les trois personnes appelées étaient connues pour leurs idéaux pacifistes mais aussi leur bonté envers les habitants de l'île. Camille Campbell, médecin pathologiste à l'hôpital. Vicky Parme, tenante du bar le plus aimé et animé du centre ville. Soil Bourgeron, marchand importateur de l'île. S'avançant, résolus, ils commencèrent un long et émouvant discours de remerciements à l'adresse des habitants de l'île. Sans eux, ils ne seraient jamais arrivés là.

Souriant, Katia attendit la fin des festivités pour obtenir une entrevue avec les conseillers de l'île. Bien sûr, il s'agissait ici de parler des termes des accords. Anastasia et Gnoméo avaient l'autorisation d'accompagner la Zoan, puisqu'ils faisaient à présent partis du « mouvement ». Peut-être allait-il grandir, par ailleurs. Katia était pressée, elle aurait aimé qu'ils se décident vite. Elle devait retrouver cet homme, peut-être un nouvel allié.

- Nous sommes d'accords avec ces termes du contrat, et ceux-ci. Voici nos conditions.

C'était Vicky qui menait l'affaire. Elle tendait les papiers vers Katia, écrits à la va-vite. Les accords seraient retapés ultérieurement mais elle voulait que tout aille vite, la nuit était déjà assez avancée. Acquiesçant, la jeune fille les lut avec attention. Rien de bien faramineux : tout pourrait être diffusé sur l'île. Les plans des principales infrastructures seraient décidées aussi rapidement. Il fallait permettre à la population de retrouver un semblant de stabilité.

Sortant de la salle après trois-quart d'heure de négociation, la jeune fille n'en pouvait plus. Elle n'était même pas étonnée que tout se soit aussi bien passé, simplement soulagée. C'était là où elle voulait en arriver depuis le début. Prenant soin de se diriger vers l'hôpital, elle activa son Haki de l'Observation pour tenter de localiser hasardeuse Shiro, si celle-ci n'avait pas quitté les lieux. Mais c'était peut-être trop tard... Elle transmettrait le message à Erwin dans tous les cas. Keith Walker Leodan...