- Joli costard.

L'agent secret H se retourna vers son collègue, lui jetant un regard à mi-chemin entre l'indifférence et la distraction sous ses lunettes d'une noirceur si opaque que l'existence d'yeux cachés en dessous en devenait presque sujette à questionnement. Bras aux devants du corps, les mains croisées, il resta sans réponse face à la remarque de son homologue qu'il trouvait d'une inutilité fracassante. Le costume, c'était le cœur même de leur apparence... bien sur, qu'il était joli.

- J'aime surtout le petit pli là. Vraiment... non, franchement t'es au top.

Cette nouvelle remarque fut ignorée, comme la première, alors que l'ascenseur continuait sa lente descente vers le parking. Maintenant qu'ils avaient trouvé la cible, ils n'allaient pas la laisser s'en tirer à si bon compte. Avec un peu de chance, ils seraient pile à l'heure pour lui tendre un piège et à la ramener au QG. Mais le plus important restait de lui soutirer les informations demandées : la récurrence des attaques de Gnarloks n'était vraiment pas naturelle. Foutus Gnarloks, pensait H. Faire peur et couper des gens en deux, ils savaient faire ! Mais c'était pas très sympa, et pire encore : ils avaient vraiment très peu de respect envers la vaisselle. À cette pensée, son visage encadré par des cheveux bruns mi-longs afficha une mine renfrognée, le bruit fictif de la porcelaine brisée résonnant dans ses oreilles.

- J'ai faim. Pas toi ? Moi si, j'ai vraiment faim.

- Tu parles trop, K.

L'air complètement absent, l'agent K laissa son visage partiellement recouvert d'un cache œil (lui même surplombé des caractéristiques lunettes noires) s'illuminer d'une lueur de satisfaction alors qu'il imaginait un bon gros Hot Dog plein de sauce américaine tout en se tapotant le ventre. Néanmoins, un gargouillement le plaqua rapidement contre une barrière appelée "réalité", et il fit une moue déçue en se rendant à l'évidence : il n'avait rien à grignoter. Soupirant, il balança son crane vers l'avant en emportant son épaisse tignasse grise semblable à une coiffure de super saiyan (vous savez, le truc venu du machin japonais là, Dragon Ball Z) dans un ample mouvement de tristesse. H n'y fit guère attention, habitué aux complaintes idiotes de son partenaire.

- Tu sais, l'autre jour je me disais, peut-être que les Gnarloks sont autant en colère en ce moment parce qu'ils ont faim. Si on fait bien gaffe...

Un "ding" sonore retentit alors que les portes de l'ascenseur s'ouvraient sur un vaste parking souterrain aussi gris et triste que tous les parkings souterrain que vous avez sans doute vus durant votre existence toute entière. Quelques lumières faiblardes éclairaient le tout de ça de là, mais rien de très rassurant. Même si il trouvait la propension de mauvaises actions commises dans les parking souterrains, tard le soir, assez ridicule, H ne pouvait s’empêcher de comprendre la motivation des malfrats : y'avait de l'atmosphère, ça pour sur.

- ... considérant le fait qu'ils sont vachement costauds quand même, ils doivent sacrément bouffer. Et considérant le fait que y'a toujours plein de trucs qui se passent dans l'espace, entre les exodes, les étoiles qui s'effondrent et tout le toutim...

Complètement imperméable au débit de parole surnaturel de son co-équipier, qu'il avait appris à subir de façon continue et non négociable, H s'engagea dans le parking en direction de l'allée C, celle où devait, selon ses sources, tout le temps se garer la cible. Qui était cette dernière ? Un type qui se faisait appeler Ness Kafy. Enfin, un type... ça devait être un Alien, à coup sur. Restait à savoir de quel type il était.

- ... bah c'est possible qu'ils se soient retrouvé sans la moindre forme de bouffe pendant un temps donné, et...

Au détour d'un 4x4 rutilant qui devait sans doute faire la plus grande joie d'un propriétaire soit passionné, soit matérialiste comme un Zlyrax, l'agent H aperçut un homme de taille moyenne, aux cheveux blonds et raides, portant une chemise hawaïenne et des sandales. Il était en train de charger de façon hâtive une petite ford transit beige mal entretenue, du style qui passait partout sans éveiller le moindre soupçon... ce qui le rendait justement encore plus sujet à soupçons, selon les mécanismes professionnels de H. Il fit signe à K pendant que celui-ci finissait son laïus sur le pourquoi du comment des événements récents.

- ... les voilà, crocs dehors, prêts à bouffer tout ce qui passe sur terre !

- Tu parles toujours trop, K. Et voilà la cible, concentre toi un peu. On a un job à faire. Et pas de geste brusque, ok ?

Le brun s'avança donc calmement, laissant ses souliers impeccablement cirés produire un bruit léger sur le bitume usé du parking. Ses pas résonnèrent rapidement jusqu'aux oreilles de Ness, qui se retourna avec un air anxieux. Ses pupilles se dilatèrent alors qu'il voyait devant lui arriver ces foutus corbeaux du MIB. Il fit un pas en arrière, plaquant son dos contre son véhicule. Il le savait. Merde, il était foutu ! Ces gars là ne faisaient pas de concessions !

- Ness Kafy ? Vous allez gentiment nous suivre, on doit vous poser quelqu-

- TU VAS NOUS DIRE TOUT C'QUE TU SAIS, CONNARD ! J'VAIS T'FUMER !

Un pas en avant de plus que son collègue, K avait l'air véritablement furibond et semblait déjà prêt à dégainer un gadget pour atomiser le pauvre hère qui était déjà à deux doigts de faire dans son pantalon. Surpris, H jeta un coup d’œil à son partenaire alors que Ness Kafy choisit la dernière option qui lui restait face à ce fou furieux qui semblait décidé à l'abattre malgré tout : dans un bruit très désagréable de métamorphose physique peu engageante, il reprit finalement sa forme. Sa véritable forme... qui fut accueillie de deux façons différentes.

- Mais... Mais... c'est... c'est quoi ce truc ?

Dans un éclat de rire franc et vigoureux, K pointa du doigt le minuscule extra-terrestre qui ressemblait à une version mutante d'un petit hamster. Si H fut d'abord surpris par le changement de taille peu avantageux pour Ness, qui semblait donc ne pas être un mécanisme d'agression, son cerveau eu vite fait de lui rappeler à quelle espèce appartenait l'individu qu'ils devaient interroger... et donc que K venait d’allègrement menacer au point qu'il en jetait sa couverture aux oubliettes...

- ... merde. K, fais gaffe ! C'est un Runja ! Le genre de truc qui...

La petite bestiole poussa soudainement un rugissement tonitruant alors qu'une autre métamorphose s'opérait. Elle commença à grossir, lentement mais surement, écartant petit à petit les véhicules autour d'elle, écrasant même le capot de l'un deux avec une de ses pattes arrières devenues énormes. Une paire de pattes avant poussa également, alors que de grosses antennes proéminentes sortaient de son crane. Ses yeux tournèrent à un rouge infernal et des plaques écailleuses apparurent sous la fourrure dense.

- ... est pas sympa...

Lorsque la chose se laissa tomber sur le sol du haut de son impressionnante stature, les lieux tremblèrent et un peu de poussière s'échappa même du plafond. Le Runja observa les deux agents du MIB, lentement. Doucement, H porta sa main à l'ouverture de sa veste de costume, prêt à dégainer de quoi affronter l'Alien. Pour sa part, K avait déjà la main sur son propre outil personnalisé, mais semblait captivé négativement par le fait que le minuscule machin d'un peu plus tôt mesurait désormais facilement vingt à trente fois sa taille d'origine. Prenant une grande inspiration, Ness hurla avant de se jeter vers l'avant, décidé à vendre chèrement sa peau contre les agents d'élite. Dégainant un petit cylindre métallique doté d'un bouton, H appuya énergiquement sur ce dernier, déployant ce qui semblait Etre une louche faite d'un alliage particulièrement solide. Oh ouai, il adorait cette louche.

- Plan B ! On frappe PUIS on questionne !

Alors que K sauva sa peau en sautant sous le ventre de la chose, H esquiva un charge de la créature et lui asséna un formidable coup dans les flancs qui la décala assez sur le coté pour qu'elle aille paître dans une rangée de voitures qui se mirent à sonner énergiquement. Merdes... les anti-vols allaient rendre la chose compliquée. Si ils ne se hâtaient pas, ils devraient gérer un combat PUIS faire oublier à tous les témoins. Tout un processus chiant et long, mais nécessaire. Et comme K n'aimait pas réfléchir plus que nécessaire, c'est H qui allait devoir s'y coller... autant dire qu'il voulait plutôt mettre KO son adversaire au plus vite. Le Runja se releva, agacé et prêt à hacher menu le premier des agents qui se présenterait devant lui.

- J'te tiens ! AHAH !

Présentant l'un de ses propres cylindres comme un duelliste aurait tenue sa rapière, K semblait triomphant. Il appuya sur le bouton et... du cylindre se déploya un système d'arrosage certes très efficace pour maintenir en vie les plantes pendant les périodes de canicule, mais très peu approprié pour affronter un hamster mutant géant.

- Heu...

- Idiot ! C'est l'arrosoir intégré du boss pour ses géraniums ! Mais comment t'as obtenu ce truc, d'abord ?!

K n'eut pas le temps de répondre : balayé par un coup de patte large, il se retrouva encastré dans un mur non loin de là, retombant mollement. Il avait visiblement perdu connaissance. L'assaut se poursuivi sur son corps immobile, néanmoins contré par un coup de louche vengeur. Lorsqu'il reprit conscience, H était en difficulté : maintenu immobile par les quatre pattes supérieures du Runja, ce dernier semblait bien décidé à l'écarteler vivant. Se reprenant rapidement, K fouilla dans sa veste jusqu'à trouver un autre cylindre. Il en était sur, c'était le bon !

- Hé, l'affreux !

Dans un grognement interrogatif, Ness se retourna vers un K qui sautait droit sur son visage. Lorsqu'il appuya sur son gadget, ce dernier se déploya sous la forme d'une énorme ancre qui faisait facilement sa taille. D'un maniement expert, il la plaça rapidement dans son dos avant de frapper un grand coup sur le haut du crane du Runja.

- Mange moi ÇA !

L'impact fut d'une violence surnaturelle et les yeux de Ness semblèrent prêts à sortir de leurs orbites. Il relâcha immédiatement H, ce dernier s'écroulant au sol dans un râle avant de se relever difficilement. Pour sa part, K atterrit avec aisance sur ses pieds avant de se retourner vers un Alien qui s'écroulait vers l'arrière tout en revenant à sa taille initiale : celle d'un hamster ridiculement petit. Il était sonné mais encore conscient. H s'approcha et le ramassa dans la paume de sa main avant de le serrer juste assez pour lui faire comprendre la menace qui pesait sur son petit corps fragile, dans l'immédiat. Un signe de la tete à K, les deux quittèrent les lieux avant qu'un témoin ne les aperçoive. La campagne de désinformation, ce serait ces feignasses du service communication qui s'en chargeraient, pas eux... ils s’arrêtèrent dans une petite ruelle lugubre, cachés par des bennes à ordures.

- Je disais donc, Ness... tu vas nous dire tout ce que tu sais sur ce qui se passe avec les Gnarloks en ce moment. Depuis quand un Runja aide ces brutes, hmm ?

- Mais... mais... si je vous parle, ils...

- Dépêche...

Impatient, K frappa du bout de son ancre sur le bitume dans un son peu rassurant. Une goutte de sueur perla sur le front de Ness Kafy alors qu'il prenait un air paniqué, se débattant tant bien que mal mais en vain.

- O-O-O-Ok ! L-Les Gnarloks, i-ils ont prévu de vous envahir ! Mais d'abord, il faut qu'ils se débarrassent de v-votre président pour prendre sa place ! J'y suis pour rien moi, je devais juste leur donner des infos ! Pitié !

Les deux agents se regardèrent l'un l'autre suite à cette révélation. Alors le plan des Gnarloks, c'était ça... pas qu'ils furent vraiment étonné, ça devait être la quatrième ou cinquième espèce en deux ans à vouloir remplacer le président en espérant pouvoir en tirer une domination totale sur le pays. Vraiment, ces extra-terrestres... m'enfin, ça n'en rendait pas les choses très dangereuses pour un certain autre type en costard cravate. Le QG devait être prévenu.

- Si ce qu'il dit est vrai... on va devoir l'emmener au QG pour interrogatoire, et les prév... AIE !

Profitant d'un moment d'inattention des agents, Ness avait mordu la main de H suffisamment fort pour lui faire lâcher prise avant de se jeter au sol. Se réceptionnant comme il le pouvait, il s'engouffra ensuite dans une bouche d'égout où il était le seul à pouvoir passer. K tenta de l'attraper, mais H le retint d'une main, secouant l'autre pour chasser comme il le pouvait la douleur dans son pouce.

- Laisse tomber. On a nos infos. Vite, contacte le QG.

- Ouai.

Il dégaina un autre petit cylindre de sa veste. Ce dernier semblait se terminer par un capuchon, ou du moins une partie distincte qui... se déploya devant le visage de nos deux agents alors que K s’apprêtait à appuyer sur le bouton. Pour sa part, H ne comprit que trop tard l'erreur terrible qu'allait commettre son partenaire et tenta donc de l'en empêcher... En vain.

- PUTAIN K ! ÇA C'EST POUR EFFACER LES...



Un grand flash éclaira la ruelle et nos deux agents s'immobilisèrent sur place, l'air visiblement complètement perdus et vides de pensée l'espace de quelques secondes. K continuait de maintenir l'outil devant leurs visages, tel un zombie. Finalement, lorsqu'il revint à ses sens, il secoua la tete avant de ranger le cylindre dans un pan de sa veste, se frottant les cheveux. H, pour sa part, cligna plusieurs fois énergiquement des yeux comme si il tentait de se réveiller. Puis finalement, ils se regardèrent longuement, dans un silence religieux, restant impassibles derrière leurs lunettes noires.

- Joli costard.