Cette petite rouquine lui manquait déjà. La collègue chasseuse de primes et lui-même avaient fini par se séparer, coupant court à toutes les intentions salaces qu’Ike entretenait en son for intérieur. Y’avait pas à dire, ça faisait quand même du bien de bosser autrement que tout seul, encore que ça ne se soit jamais vraiment appliqué pour lui... L’énergumène se retrouvait donc à peu près seul sur Torino Island, physiquement tout du moins, en rade de moyen de locomotion mais quelques Berrys supplémentaires dans les poches. Il se promenait les mains dans les poches, ne sachant trop où mener sa barque par la suite. Il avait de multiples projets, tant à court qu’à moyen terme, mais trop peu se concrétisaient à son gout.
Durant ces dernières semaines, il s’était battu, avait été capturé, torturé psychologiquement et physiquement, s’était échappé, rebattu, avait infiltré un bâtiment de la marine pour suivre un officier et sa frangine là où ça allait bastonner, s’était re-rebattu, s’était fait botter le cul par un lézard géant et avait rencontré une pulpeuse amazone pour se re-re-rebattre, cette fois contre un magicien fou et sa horde de macaques à la Dorothée... avant de se retrouver tout seul. Résultat des courses ? Bin il avait une tonne de choses sur sa liste ! Récupérer une licence officielle de chasseur de primes, se créer un costume de badass, botter le cul du lézard, devenir riche, explorer les possibilités de son fruit du démon, retrouver des potes perdus de vue, se faire payer une lap dance... et c’était que la première partie ! Mais avant toute chose, il lui fallait se trouver un moyen de locomotion pour éviter de dépendre des navettes ou des navires de la marine. Parce que bon, se cacher dans la calle ou se faire passer pour un docteur, ça allait deux minutes.
« Non, en vrai, c’est super fun ! », réalisa soudain Wade.
Au détour d’une ruelle, Wilson aperçut soudain un établissement qui arracha un sourire aux trois compères. L’édifice s’élevait au bord de l’océan, sur un seul étage, mais demeurait néanmoins imposant de part sa superficie : il obstruait littéralement la vision du chasseur de primes, raison pour laquelle il n’avait pu passer à côté sans le rater. Sur un mur banc décoré de motifs océaniques on pouvait lire « Chantier naval » en lettres bleu sombre.
« Lucky ! », s’exclama Wade avant de rechercher une porte des yeux.
Il finit par la trouver et franchit d’un bon pas le seuil de la boutique. La pièce où il se retrouva était entièrement décorée aux tons marins. Les poutres étaient sculptées en forme de vagues, les fenêtres ressemblaient à des hublots, des maquettes de bateaux en tous genres trônaient un peu partout et même le parquet ressemblait à s’y méprendre au pont d’un navire. Ike s’estima verni d’être tombé sur une bonne adresse et s’avança vers le comptoir, peint en bleu marine bien entendu. Un homme au costume blanc rayé de bleu et à la barbe hirsute l’avisa de son œil alerte, puis retira sa pipe fumante de sa bouche avant de prendre la parole :
- Bienvenue, l’ami, t’es pas du coin toi, j’me trompe ?
Ike passa sur l’odeur de tabac et la forte teneur en alcool de son haleine, car le proprio dégageait une aura qui lui plut beaucoup.
- Nope, « l’ami », mais je viens en paix, « live long and prosper », tout ça tout ça. Bref, on se fait un bateau ?
L’homme cligna des yeux d’un air éberlué devant la première partie de la phrase de son client, mais finit par reprendre contenance en comprenant que cet homme étrange désirait acheter du neuf. Il sourit, puis lança de sa voix graillonneuse :
- Haha ! Bien sûr, mon gars ! Tu recherches quoi exactement ? J’ai de tout, de la barque au galion. Z’êtes combien dans ton équipage ?
- J’suis tout seul, « mon gars », répondit Ike d’un ton amusé.
- J’ai une belle barque toute fraichement sortie de l’atelier, si tu veux, proposa le marchand.
- Ouais... Mais non. J’ai une demande bien spéciale en tête. J’ai fait un croquis et j’ai de quoi payer.
« J'espère. », ajouta-t-il en pensée.
L’homme jeta un coup d’œil au dessin, puis fronça les sourcils. Il étudia les traits du navire souhaité en se grattant la barbe, puis se racla la gorge un bon coup avant de reprendre :
- Euh... tu veux un... un bateau de pèche ?
- Ouais, en gros. Mais un spécial, hein ! Faut bien faire gaffe à toutes les améliorations que j’ai demandées !
De nouveau, l’homme cligna des yeux comme une chouette, puis éclata de rire tout à coup.
- Haha ! Pendant un moment j’ai failli me faire avoir ! Qui c’est qui t’envoie mon gars ? Allez avoue, c’est Jhonny qui me refait une farce ?
- Ouais... Toujours non. Si c’est pas possible, j’irai ailleurs, déclara Ike en reprenant le bout de papier.
- Ola, ola ! T’es sérieux, mon gars ? Tu veux que j’te fasse... ça ?
- La question c’est plutôt « est ce que tu peux, ou pas ? », car c’est ce bateau que je veux, ouais.
- Bien sûr que j’peux ! J’suis le meilleur artisan de l’ile ! Mais... c’est une demande un peu spéciale ! T’as pas l’air d’un pêcheur, mon gars, sauf ton respect. Pis même pour un pêcheur ce bateau...
- J’suis plutôt chasseur. Chasseur de primes même. Et, pour une fois, j’suis sérieux. On fait affaire ou pas, alors ?
Soudain, l’œil de l’homme brilla d’un nouvel éclat à la mention du travail d’Ike. Il sembla découvrir le jeune homme d’un nouvel œil, puis reprit la parole d’un ton plus pressant :
- Chasseur de primes, hein ? Dans ce cas on pourrait faire d’une pierre deux coups ! J’ai un job à te proposer contre un petit rabais. Qu’est ce que t’en dis ?
- Dis toujours, ma caille, répondit sans réfléchir Wade.
- Une partie de chasse, répondit l’homme sans se formaliser de la familiarité, mais le gibier est particulier. Tu connais un peu l’ile ?
- De nom seulement, je dois faire des trous dans quoi ? continua Ike, toujours très professionnel.
- En un mot comme en cent : un monstre. Le genre costaud, dangereux, rapide et très vorace. Cette saloperie a creusé sa tanière dans les bois et tue tous les bûcherons qui s’aventurent dans la forêt. Tu te doutes du problème, pour un charpentier, si les bûcherons tombent comme des mouches !
Ike comprenait surtout que, s’il ne s’occupait pas de « cette saloperie », il n’aurait pas son navire ! Il se trouva donc tout à coup très intéressé par la demande de l’homme et l’écouta attentivement.
- Mais, comme si ça n’suffisait pas, cette saloperie est assez forte pour aller s’attaquer aux grands oiseaux de l’ile. Elle va leur bouffer leurs œufs ! Alors, évidemment, ces maudits piafs commencent à s’énerver. Ça risque de mal se terminer si personne ne fait rien, mais on n’est pas franchement des combattants dans le royaume de Torino. Enfin, pour dire vrai, on a bien tenté de tuer cette maudite bête, mais la petite troupe qui est partie s’est faite massacrée ! Alors... j’me disais que ça pourrait t’intéresser, mon gars ?
- Combien de temps pour me construire mon bateau ? demanda soudain Ike.
- Euh... Et bin, en gros avec mon équipe si on planche dessus en priorité... une semaine ?
- D’ici là je me serai occupé de votre souci de monstre, les gars ! affirma Ike d’un ton assuré.
Il laissa son croquis et ses demandes d’améliorations au charpentier et la lui topa, comme pour signifier leur accord. Sur ces bonnes paroles, il tourna les talons et allait partir lorsqu’il se rappela soudain d’un détail :
- Ah ! C’est quoi déjà comme monstre ?
- Un des survivants dit que ça ressemble à un troll.
- Ok ! Considérez-le comme mort.
Tournant de nouveau les talons, le chasseur de primes fit un pas, puis se stoppa net. Il cligna des yeux, deux fois, puis fit vole face en hurlant :
- Un putain de troll ?! « Troll » comme dans... Genre... la saloperie qui a embroché Frodon ? Il était super casse bonbon comme personnage, alors je lui en ai pas trop voulu, mais... un troll ?! Le truc qui meurt jamais, là ? Pour de vrai ? Oh god...
- J’ai pas tout compris mais... Ça va aller, mon gars ?
- Ouais ! Haha ! Aucun problème, je gère la compote ! Enfin, j’vais en faire de la compote ! bafouilla Ike, soudain bien moins confiant dans ses capacités à éradiquer de la surface du globe un monstre aussi redoutable.
Cependant, comme sa ristourne auprès de l’artisan en dépendait, il préféra sortir en se grattant l’arrière de la tête, un grand sourire plaqué sur son visage, un brin inquiet. Le mec n’y vit que du feu. Enfin peut être.
« Dans quel merdier tu nous as encore foutu, gamin ? », soupira Wilson une fois dehors.
« Relax ! On va se trouver un pote pour nous accompagner et ça va le faire ! J’espère... », répliqua Wade, peu sûr de lui sur ce coup là.
« Si on réussi à s’en sortir, le cuir de troll peut être très utile en couture. », réussit à glisser Chuu.
« Tu sais ce qu’on en a à carrer de... », commença Wade avant de se rendre compte d’un détail. « Attends, couture, cuir... moustache ? Non c’est pas ça... Je sais ! On peut commencer le costume avec le cuir de cette saloperie ! »
« T’étais sérieux à propos de ce costume, gamin ?! », s’étonna Wilson.
Wade se tourna mentalement vers l’ex-mercenaire et lui asséna d’une voix sans appel :
« Le costume ça donne une aura de responsabilité et d'autorité. Et ceux qui sont pas d'accord avec moi ? Je les tabasse. Vu ? »
Le mercenaire dut rendre les armes, tant le petit magicien semblait convaincu de son fait. Enfin, ce fut surtout car d’expérience, Wilson se savait incapable de l’empêcher de faire ce genre de conneries lorsqu’il l’avait décidé. Au lieu de quoi, le rude gaillard tenta de tirer le meilleur de la situation : ils avaient du boulot, un futur moyen de locomotion sur mesure et, qui sait, ils trouveraient peut être quelqu’un pour réduire leurs chance de se faire pulvériser par une montagne de muscles et de crocs ?