L’enjeu était de taille. D’avantage que la simple survie, il s’agissait ici d’avoir le contrôle, le pouvoir ; n’importe quel prétexte était bon, du moment qu’il permettait de se faire bien voir aux yeux des dirigeants. Chacun essayait de tirer son épingle du jeu et à ce dernier, D2537 se révéla d’une étonnante efficacité. Son passé au sein de la Révolution constituait une véritable mine d’information dont aucun gouvernemental avisé n’oserait se passer. Prenez Tequila Wolf par exemple, chantier aux proportions gargantuesques, progressant inexorablement à travers les âges et les mers sous le regard attentif d’un Gouvernement Mondial souverain. Ajoutez-y la volonté d’un ennemi public numéro un déterminé à briser la Terre Sainte ainsi que tout ce qui la représente et vous obtenez un réseau de rebelles infiltrés un peu partout, qui n’attendent qu’à être dénichés.

— Le repas est prêt, annonça la gamine à l’égard des hommes occupés à toute sorte d’activités.
— Ah, merci Roza ! Remercie ta tante Lise de notre part.
L’enfant se contenta de déposer la marmite presque aussi haute qu’elle – le trajet depuis les cuisines fut laborieux – avant de repartir pour effectuer un nouveau service. Un début d’après-midi en apparence normal sur le Pont, à un ou deux détails près. Lorsque Roza arriva dans la zone où de nombreuses femmes s’affairaient autour de plusieurs établis de cuisine en plein air, sa tante Lise prétexta auprès de ses camarades une urgence avant d’inviter sa nièce d’un discret signe de tête à la retrouver derrière les dortoirs.

— Alors ? demanda Lise avec formalisme, du nouveau ?
— Grâce à cette apparence, je suis littéralement invisible pour les adultes, répondit-elle sur un ton similaire. Ils restent prudent mais j’ai réussi à en surprendre deux de plus.
La masse de travailleurs à Tequila Wolf était majoritairement composée d’esclaves et de leur progéniture ou de prisonniers. On vivait rarement au-delà de la quarantaine sur le Pont, ainsi parmi les livraisons mensuelles, il était fréquent de voir de nouveaux ouvriers (esclaves ou prisonniers) venus remplacer la main d’œuvre usée. De là, le raisonnement pour cette mission fut le suivant : quoi de mieux pour infiltrer une population de taulards qu’un groupe d’ex-taulards ? C’était comme ça que les membres de la Suicide Squad s’étaient retrouvés parmi le convoi de prisonniers arrivé deux semaines plus tôt, épaulés par tante Lise – ou agent Honest du CP5, pour les intimes. D’ailleurs l’idée s’était avérée plutôt efficace : une semaine à peine après leur arrivée, les membres de la Squad s’étaient tous plutôt bien acclimaté à leur nouvel environnement, fondus dans la masse et bien intégrés au sein de plusieurs sous-groupes de la masse ouvrière. De plus, grâce aux indications de l’ex-commandant, repérer un révolutionnaire leur était assez simple. Il suffisait alors de les identifier puis de les faire discrètement disparaître du Pont.

— Six disparitions en deux semaines… Des rumeurs circulent partout sur le Pont, les ouvriers veulent trouver le responsable et le faire payer. Plus le temps passe et plus on risque d’être exposé, se plaignit-elle de sa voix juvénile.
— Ce risque est la raison d’être de cette « escouade ». La mission continuera jusqu’à ce que le QG…
L’agent Honest perdit subitement l’attention d’une D2537 qui préféra scruter l’horizon. Puisqu’elles s’étaient toutes deux retranchées derrière les dortoirs, zone active la plus éloignée de l’avant du pont – relativement peu occupée à ce moment de la journée, précisons-le – elles furent aux premières loges des évènements qui suivirent.

— Il faut qu’on s’éloigne d’ici en vitesse, déclara-t-elle alors que la focale de son nouvel œil gauche s’ajustait de manière à ce que se dessinent sur sa rétine les silhouettes des nouveaux arrivants. Dites au reste de la Squad de se regrouper près de l’entrepôt d’outils, ajouta-t-elle en balayant l’océan du regard, à la recherche d’une embarcation mouillant au large du Pont.
Le déclenchement soudain de l’alarme d’urgence confirma la nature hostile de cette visite impromptue. Détalant à travers les frêles bâtisses en bois progressivement mangées par les flammes de l’ennemi, l’agent du CP5 contacta rapidement le reste de l’équipe tandis qu’à ses côtés, l’ex-détenue avait troqué sa bouille d’enfant contre une apparence adulte plus austère.

_________________
C'est monsieur, hors-rp...

Contrairement aux autres, Shima n’avait pas été choisi pour cette mission pour ses connaissances ou sa furtivité, mais plutôt pour son profil. Il représentait en effet le modèle type du prisonnier agressif et impoli. Un cliché sur patte bien utile pour se fondre dans la masse. Il n’avait eu qu’à être lui-même pour faire connaissance avec les autres et gagner leur confiance. Si jouer les esclaves enchainés sur un chantier à transporter des poutres à longueur de journée relevait presque de l’acte contre nature pour lui, il avait tout de même accepté la mission sans broncher tant l’opportunité de se promener à l’air libre lui parut de loin meilleur que ses ennuyeuses journées à Impel Down.

— Ah, enfin de l’action,dit-il sans même avoir vérifié qu’il fusse à l’abri des regard avant de répondre à l’appel.
Nathanaël Brakmer par contre ne put sortir son escargophone pour répondre à l’appel de l’agent. L’ex-détenu faisait en effet parti de l’équipe maintenance, chargée en ce début d’après-midi de consolider l’une des nouvelles colonnes érigées pour maintenir le chantier. Suspendu dans le vide par un jeu de cordes, il tirait parti de son agilité pour effectuer au mieux cette tâche, sans avoir à se soucier des rayons du soleil – habituellement handicapant pour les vampires. Bien qu’il n’ait pu répondre, sa relative proximité avec l’eau l’avait mis aux premières loges lorsque dans un premier temps, un navire inconnu fit son apparition au large, puis que dans un deuxième temps une horde de poisson se mirent à attaquer les anciennes colonnes.

Cette mission étant mandatée par le CP5, l’agent Honest n’était pas certaine que les autorités responsables des lieux soient au courant de sa présence. A ses côtés, D2537 s’interrogeait sur la nature de l’attaque, incertaine de la réaction à adopter. Lorsqu’une voix au cœur de l’incendie interpella au loin le duo, l’ex-révolutionnaire se retourna et zooma sur l’homme qui venait de parler en espérant voir un visage connu.

— Ce sont peut-être des révolutionnaires, s’exclama-t-elle de sa voix enfantile.
— Peu importe qui ils sont, les maitres lieux ne vont certainement pas les laisser faire.

_________________
C'est monsieur, hors-rp...