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[Présent] Flottement (Solo)
Jiva
Jiva
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Feuille de personnage
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Dim 15 Oct - 10:01

Flottement

-Tu vas te rendre là-bas et larguer les amarres.

La voix de l'homme avait été entendue par tout le monde dans la pièce, ses mots venaient de rompre la bonne ambiance régnant jusqu'alors en ces lieux. La gueule sciée d'un canon accolée à l'arrière de son crâne, l'homme à la barre n'eut d'autre choix que de laisser son regard dégouliner le long de l'index subitement rentré dans son champ de vision, pointant un point particulier sur sa carte. Un coin perdu entre trois îles de la mer de l'ouest.

Sous l'oppressant poids de l'arme à feu, il n'eut de choix que d'opiner du chef. Se soumettre à son ravisseur. Évidemment, ce ne fut pas le cas de tous. Un simple flingue n'avait pas le pouvoir de faire se coucher chaque personne ici présente, certains membres de l'équipe du commerçant, propriétaire du navire, s'étaient subitement sentis pousser des ailes. Ils avaient perçu l'opportunité de devenir quelque-chose d'autre qu'un pauvre gars dont la seule fonction était de déplacer une caisse d'un point A à un point B. L'un d'entre-eux, un jeune homme à la chevelure blonde, venait de se lever, équipé d'une petite dague, et fondait sur le criminel.

Une détonation suffit à stopper net la course du courageux. Lorsque les quelques grammes de plombs se logèrent dans son crâne, son corps s'écroula mollement au sol dans un bruit mat.

L'effluve de la cordite imprégnant désormais la pièce, le malfrat serait peut-être enfin pris au sérieux désormais. Sa figure se tourna alors lentement pour que ses yeux pussent fusiller chaque personne figée sur place. Tous purent alors découvrir le visage du meurtrier, des cernes creusées bordant ses yeux, puis ils plongèrent un à un leur regard dans ces béances qu'étaient ses iris. Et à cet instant, ils perçurent une lueur sombre qui trahissait la noirceur de ses intentions.

-Seul celui-là m'est utile.-raconta-t-il en redirigeant le canon de son arme vers sa position originelle, contre l'arrière du crâne de l'homme de barre.

_____

Tu te demandes sûrement ce que je fais ici, adossé contre cette porte, à ramasser un coutelas tombé au sol durant mon court sommeil.

C'est normal, à ta place je me poserais la même question.

Depuis que l'Amar m'a déposé ici, je suis comme enfermé dans une même boucle, qui se répète à la quasi-perfection, jour après jour. Seuls quelques détails changent, ceux-là concernent le plus important. Je ne t'en parlerai donc pas, après tout je ne peux pas te faire confiance.

En revanche, je peux te parler de mes ressentis. J'ai besoin d'en parler, à vrai dire. De ce que je suis en train de vivre.

Je n'ai pas dormi depuis cette journée sur Nighty-Town. Depuis que j'ai tué Ashia, un membre du CP9.

Le CP9, tu sais ce que c'est ? Moi, je n'étais pas au courant jusqu'à ce que celui-ci ne vienne à moi. Et maintenant, je le vois partout.

Dans un recoin obscur d'une taverne. A la lisière d'une ruelle reculée. Au sein de ma propre ombre même. Il me colle au cul, j'en suis sûr, du moins c'est l'angoissant ressenti que j'ai, celui qui me pousse à ne pas fermer l’œil. Tant que je n'aurais pas trouver un coin sûr, je ne pourrai pas dormir, du moins volontairement.

Alors j'ai dû mettre en place un système D quand l'emprise de Morphée est devenue plus forte que ma volonté. Ses bras viennent constamment me chercher, elle ponctionne mon esprit, ma tête s'affaisse alors peu à peu, puis mes paupières, si lourdes, débutent leur lente descente. Au début, mon subconscient réussissait à me rattacher à la réalité dans un sursaut, en me balançant comme un coup de jus quand mon esprit était sur le point de s'estomper dans les méandres d'un obscur sommeil. Mais mon subconscient s'est avéré être moins fiable que je ne l'ai espéré, de fait quatre marques sont désormais gravées dans le plancher.

Ces marques constituent une partie de mon système D. Tu t'en souviens ? J'en ai parlé juste avant. Je place le coutelas que j'ai subtilisé à Poe, un gars sans grande importance, entre mon majeur et l'index de ma main droite. Celle-ci repose sur l'un de mes genoux, presque accolés à mon buste. Ainsi, lorsque je suis sur le point de perdre mon combat contre Morphée, la lame tombe et le fracas résultant est supposé me réveiller.

Que puis-je dire ? Ca n'a pas marché. Cette fois-ci c'est la première fois. Il me faut un nouveau système D.

Un troisième.

Mais tout ça, c'est bientôt fini. Demain est un jour nouveau, où la répétition de la boucle prendra fin, un jour où je quitterai cette île pour retrouver une place me permettant de dormir. L'idée me rebute, dormir constitue une perte de temps. Mais c'est aussi une obligation pour un être-humain, sans sommeil j'ai l'impression de perdre les pédales.

De dérailler.

Ma tête se redresse ainsi, me laissant découvrir le doux écrasement du Soleil, dans un chuchotement mourant.

Il annonce l'arrivée de la nuit, la phase la plus dure à supporter. Je dois donc me prendre un remontant chez Poe. De fait, ma main se dirige vers la lanière de mon sac.

_____

Lorsqu'il s'engouffra dans les ruelles marchandes, la majorité des boutiques se fermait. Les rideaux métalliques tombaient un à un devant les vitrines, cadençant ainsi l'avancée solitaire du criminel. Il eut, l'espace d'un instant, l'étrange impression que c'était à lui que l'on bloquait l'accès.

Il y avait dans les yeux de ceux qu'il croisait une pointe de méfiance qui les poussaient à s'écarter lorsqu'ils passaient à ses côtés. Ils percevaient le décalage, comme s'ils pouvaient estimer, d'un simple regard, la distance entre eux et lui, entre sa vie et la leur.

Après plusieurs minutes à arpenter la même rue, la silhouette à la démarche bancale bifurqua, sans crier gare, dans une ruelle plus étroite. Elle arriva finalement devant un petit bar dont la façade était grimée de maintes entailles. Le panonceau, étonnamment intact, était tourné du côté sur lequel était inscrit «FERMÉ».

Les portes battantes de l'établissement s'ouvrirent, laissant le vent glacial de la nuit s'engouffrer en son sein. Le malfrat s'avança alors, comme porté par ce courant d'air relaxant, dans l'allée principale menant au comptoir en forme de croissant. Il ignora les divers grognements de la main d'oeuvre de Poe, disposée de façon éparse autour de cette allée, qui semblait ne pas aimer être dérangée durant leurs travaux de restauration. Non, Fudo se fichait de ceux-là et de leur avis désuet à son égard. Son attention s'était fixée sur le barman aux larges épaules qui l'attendait bien gentiment de l'autre côté du bar, une tasse dans chaque main. Une fois à la bonne hauteur, les mains du mécréant s'extirpèrent des poches de son large gilet noir, l'une vint alors arracher une chaise au comptoir, pour qu'il pusse s'y asseoir, tandis que l'autre fondit sur le récipient en faïence, déjà rempli par un liquide brun. C'était ça son remontant, du café bien serré.

-C'est notre dernière soirée ensemble, Jim. Tu vas faire quoi, après ?


Pour toute réponse, le bruit d'une tasse heurtant la surface du comptoir. Poe sourit avant de la saisir pour la remplir une seconde fois. Il se doutait bien que le soi-disant Jim lui répondrait ainsi.

_____

Aujourd'hui, c'est le grand jour. Il me reste une dizaine d'heures à tenir, ça va être difficile, ici les secondes coulent comme une éternité. Mais je vais le faire, je vais tenir.

Je le dois.

Lorsque mes yeux sont sur le point de se clore, que mon champ de vision est restreint à une ligne pleine de couleurs, dénuées de sens en dehors de l'arrière-plan qu'elles sont vouées à former, je commence à les voir. Des lèvres ornées par de fines brûlures, ces même lèvres qu'elle tentait, en vain, de dissimuler derrière un masque au fin maillage. Puis des éclairs viennent déchirer cette image, sans le moindre bruit, aucun son.

Ashia, elle me hante.

Rassure toi, je n'ai aucun remord. Tu peux en être certain.

C'est juste que...

_____

Lorsqu'il émergea, une nuit d'encre régnait déjà en maître sur cette île ô combien méconnue de West Blue. Quand Fudo remarqua la teinte du ciel, il ne se fit pas prier, s'équipa de son sac, et tenta de se lever d'un coup. Il s'écroula contre le plancher de sa chambre d'hôtel, ses jambes engourdies ne lui permettaient pas de réaliser pareil mouvement. Un poing rageur vint alors percuter le sol, et signa le début de sa remontée. Durant tout le processus, et ce jusqu'à sa destination finale, la volonté du bonhomme se voyait alimentée par la litanie qu'il vomissait continuellement. Des noms, déformés par une articulation déficiente, de criminels qui le hantaient, des personnes nécessaires à son ascension jusqu'au sommet de ce monde.

La rue se vidait des restes de la populace diurne. Les regards se faisaient toujours aussi suspicieux, et personne ne désirait se retrouver sur la trajectoire du criminel, ils ne voulurent risquer de l'effleurer ne serait-ce que pendant une fraction de seconde. Seul un homme puant eut l'audace de l'accoster. Celui-ci était imprégné d'une flagrance particulière, celle de la pisse mêlée à la crasse. Sa silhouette courbée était sortie de nul part, et, une fois à hauteur du malfrat, sa main calleuse s'agrippa au bas du gilet à capuche de celui-ci tandis que son autre pogne s'ouvrit au regard de Fudo, lui laissant découvrir deux pauvres billets souillés, eux aussi, par la crasse et probablement un peu de pisse. Le bougre lui demandait finalement, non, lui réclamait de l'argent d'une voix éraillée.

Le malfrat n'entendit guère la requête du malheureux, aussi fut-il surpris lorsque, alors qu'il écrasa son talon sur le bitume glacé de la rue, l'horizon tangua. Il s'était arrêté, retenu par cette main accrochée à son vêtement, comme si un boulet venait d'être rattacher à ses chevilles. Il fallut au sans nom quelques secondes, pour que ses iris se figent sur le visage presque décomposé par la faim et la fatigue de l'homme dont l'un des genoux touchait sol.

Les lèvres de Fudo se pincèrent. Ce gars menaçait de lui faire rater son embarcation. Pire même, ils étaient les seuls à être immobiles dans ce reste de foule. Tous les regards s'étaient comme braqués sur eux. C'était trop risqué, et si un agent se trouvait ici. Et si...

Il s'arqua de sorte à ce que son visage se confronte à la face de cette ancre humaine. Les yeux de cette dernière s'écarquillèrent alors. Les lèvres de Fudo se muèrent un court instant, puis celui-ci se redressa lentement, zieuta à droite, puis à gauche, et continua son avancée. De l'autre côté, sur place, le pauvre homme, malgré tous ses efforts, n'arrivaient guère à se défaire de la paralysie qui l’étreignait, causée par un stress musculaire trop important : il s'agissait là d'un réflexe de thanatose. Son expression s'était figée, il venait de la voir, la mort.

La silhouette atteignit finalement le port et se dirigea vers l'un des nombreux bateaux appontés. Heureusement, il n'était pas encore parti. Des hommes finissaient de remplir la bâtiment naval de quelques caisses, leurs actions étaient cadencées par les encouragements, si on pouvait qualifier cela ainsi, du propriétaire du navire. Celui-là repéra Fudo une fois à sa portée, quand ce dernier laissa s’effondrer sa capuche dans son dos. Sa sombre tignasse, libérée de son habituelle cage de cire, flottait librement au gré du vent marin. Le regard du sans nom frappa le commerçant en pleine face, le poussant à accepter le criminel dans son bateau en l'échange d'une liasse bien fournie, un prix payé ultérieurement lors de leur première rencontre, quelques nuits auparavant. Les matelots, eux, ne décrochaient pas un regard sur cette obscure silhouette s'enfonçant dans les entrailles du navire, une grande sacoche rectangulaire dans le dos.

_____

La femme de ménage cogna la porte du dos de sa main. Aucun bruit ne se faisait entendre, de l'autre côté. Elle saisit donc la poignée avant de l'abaisser. Lorsqu'elle ouvrit, armée du matériel nécessaire pour réaliser un travail qu'elle avait appris à maîtriser au fil de longues années, elle eut la surprise de découvrir un lit propre. L'harmonie de la couverture n'était guère rompue par un quelconque pli, comme si celle-ci n'avait jamais été utilisée. Étonnée, elle fit le tour des lieux afin de comprendre ce qu'il s'était déroulé ici. Après quelques minutes, le constat était flagrant. Seul une trace de graisse sur le miroir de la salle d'eau démentait la propreté de la chambre, autrement, à part quelques marques incompréhensibles au niveau de la porte et une carte à moitié carbonisée, rien ne posait réellement problème. Le seul soucis qu'elle avait avec cette pièce c'était ce den-den mushi, pour sûr celui allant avec la chambre, retrouvé écrasé au fond de la poubelle. La femme ne savait guère comment expliquer cela à sa patronne.

_____

Le commerçant, un certain Todd, déboula dans le cadre de la porte. Il découvrit un de ses hommes, étalé au sol, tandis que les autres, tous debout, crispés au possible, se tenaient face à celui qu'il avait accueilli sur son navire un jour auparavant. Todd présenta sa paume en direction du criminel, il débuta alors un monologue, barbant, dans le but d'apaiser la folie qui, selon lui, animait leur ravisseur. Pendant ce temps-là son autre main s'enfourna dans l'arrière de son pantalon. Il n'y trouva rien, son flingue avait disparu. Puis, avec cette surprise lisible dans ses yeux, une qui eut le don de décontenancer un peu plus ses gars, Todd remarqua que son arme à feu se trouvait dans la main du criminel à la chevelure d'encre.

C'en était fini d'eux, le commerçant n'aurait jamais dû accepter cet inconnu sur son bateau. Il aurait dû flairer les emmerdes quand celui-ci lui avait proposé plusieurs millions pour un simple voyage jusqu'à Powder Island. Todd pouvait s'en vouloir. Il avait accouché de sa propre fin.

_____

Quelques heures plus tard, le bateau était au beau fixe, perdu dans la mer de l'ouest. Fudo, la main en visière, lorgnait l'horizon. Il ne lui restait que quelques instants à tenir. Derrière-lui se tenait la petite cabine dans laquelle une dizaine de corps statufiés par une inertie accablante reposaient au sol. Ils auraient pu tout balancer, une fois arrivés à bon port. Ainsi il avait trouvé cela nécessaire.

De ce navire ne resterait que des cendres.

Un sourire naquit alors sur la face de Fudo, un point venait d’apparaître au loin.


Jiva
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