| Jeu 19 Jan - 19:52
Liga D. Tengen, homme le plus fort du Monde, et Myô, son bras-droit. Myô détestait cette île. Où qu'il se trouve, elle ne cessait de rire. Oui, l'île riait, sans arrêt, sans jamais répondre à ses invectives : elle se fichait de lui, simplement et éperdument, ardemment et constamment, le harcelant de façon croissante au fur et à mesure du temps qu'il passait en son sein. Les arbres et les plantes, les animaux et les roches elles-mêmes, tout ici transpirait la mesquinerie et lui inspirait une sensation de colère stupéfiante. Les premiers jours durant, il avait bien entendu tenté de faire cesser ces éclats d'hilarité par la force brute, en cognant tout ce qui lui passait à portée de main... Mais il avait rapidement dû se faire une raison : cela ne suffisait pas. Pire encore : cela ne suffirait jamais. A sa connaissance, le seul homme dont l'île ne se moquait plus était son propre capitaine, Liga D. Tengen... Mifune, le Sword Master lui-même, n'avait jamais réussi à calmer les fous rires locaux. Et pourtant, il y avait consacré de nombreuses semaines, à arpenter la forêt au hasard, sans jamais s'en prendre pourtant aux nombreux pirates qu'il croisait là... Car, depuis belle lurette, cette île leur appartenait, même si cela déplaisait grandement au bras-droit du plus puissant des forbans. Celui-ci poussa un soupir las en avalant une nouvelle gorgée d'alcool tandis qu'il se dirigeait droit vers la forêt, abhorrant d'ores et déjà ce qu'il aurait à y découvrir. Malheureusement, Tengen avait décidé d'y élire résidence, sur un nouveau coup de tête... Un énième. Dans ces circonstances, difficile de lui faire changer d'avis... Impossible, même. Restait donc à supporter ce détestable endroit jusqu'à ce qu'il jette son dévolu sur un autre endroit glauque ou surprenant de cet océan terrifiant, qu'ils étaient à deux doigts de dompter définitivement.
Son capitaine, il n'eut pas besoin de le chercher longtemps afin de le localiser : le haki de l'observation était définitivement une invention des plus agréables. Il serpenta donc habilement entre les branches et les racines, puis déboucha dans une clairière calme, apaisante, où se trouvait celui qui, à ses yeux, serait à coup sûr le prochain Seigneur des Pirates. Tengen, à demi allongé contre un gigantesque chêne, le fixa placidement tandis qu'il progressait. Progressivement, les rires de l'île s'estompèrent, pour finalement laisser place à un silence qui, à première vue, sembla presque angoissant. Pourtant, en présence du Yonkou, l'île n'était pas plus hostile qu'un paradis d'East Blue... Avec la nonchalance qui lui était propre, le bras-droit envoya à son supérieur un journal, maculé d'eau de mer et de gouttelettes d'alcool, qui semblait avoir déjà vécu plusieurs semaines durant. Si le possesseur du D le rattrapa bel et bien, il ne se donna guère la peine de le lire, pas plus que celle d'y jeter le moindre coup d’œil. Tout au contraire, il le déposa à ses côtés, et continua de fixer Myô, un sourire énigmatique au lèvres, tandis que ce dernier prenait enfin la parole, le tout en s'asseyant en tailleur non loin de son vieil ami :
-Les nouvelles sont mauvaises. Les chasseurs s'enorgueillissent, mais on aurait du mal à leur en vouloir... Eko, sans allié digne de ce nom, a du mal à leur tenir tête. D'autant plus que le vieux commence à le harceler... Ils sont pris en tenaille. Ça risque de ne pas durer longtemps. -Possible. Il n'était pas dans les habitudes de Tengen d'être laconique : en général, il était plutôt du genre amuseur et bavard, et il passait son temps à se mettre sur le devant de la scène, à s'exposer, quitte à jouer le rôle d'une autre personne. Il était complexe de savoir ce qu'il était susceptible de penser dans ces moments-ci, mais c'était encore pire lorsqu'il décidait de ne pas être loquace. Dans ces cas-là, même ses plus proches amis ne parvenaient jamais à lui tirer les vers du nez... Pour autant, aux yeux de Myô, la situation était trop importante et trop urgente pour faire dans le vague et le flou. Il fit donc claquer sa langue, courroucé, puis souffla bruyamment avant de persister de façon plus tangible et plus directe :
-On devrait lui filer un coup de main. Depuis notre position, on n'aurait aucun mal à attaquer Hadès, pour le forcer à se tourner vers nous... Là-dessus, Eko aurait plus de facilité à combattre les Chasseurs. -Hors de question. Le visage du D s'était soudainement durci, avec une promptitude qui avait été jusqu'à faire sursauter son bras-droit. Celui-ci, sceptique et circonspect, arqua un sourcil interrogatif, comme pour encourager son supérieur à expliciter davantage ses propos. Constatant que son mutisme n'aboutissait nullement, le combattant du Nouveau Monde, sidéré, lâcha un énième soupir avant de se passer une main dans les cheveux, et d'enchaîner vigoureusement :
-Et pourquoi pas ? Eko ne nous a jamais causé le moindre problème, et... -Parce que des Empereurs ne peuvent pas être alliés. -De... Pourquoi ? -C'est une règle. -Une règle ? -Oui. Je viens de l'inventer. Là. Avec un sourire taquin et volontairement puéril, Tengen s'adossa un peu plus confortablement contre le tronc du gigantesque arbre, le tout en fixant l'air ahuri qui se peignait sur le visage de son éternel second. Ce dernier, incompréhensif, balbutia un instant durant avant de prendre pleine mesure des mots déblatérés par son capitaine. Il avait beau le suivre depuis deux bonnes décennies, il tombait parfois sur ce genre d'os, de mauvaises surprises... La majorité de ses subordonnés disaient de l'homme le plus fort du Monde qu'il en était également le plus imprévisible, et il aurait eu énormément de mal de leur donner tort. C'était par ailleurs ce qui avait fait de lui la bête noire absolue du Général Kamiji, à l'époque où il n'était encore qu'un amiral, malgré tout son génie tacticien et sa puissance incommensurable... Toutefois, malgré toute l'envie qui l'habitait de hurler sur son supérieur, de perdre son sang froid et de lui imposer ce qu'il considérait comme étant une évidence absolue, Myô n'en fit absolument rien. Certes, à ses yeux, aider l'épéiste aveugle contre ses assaillants ne pouvait avoir que de bons côtés : si les chasseurs de primes tombaient, les pirates auraient plus de facilités à se concentrer sur les Road ponéglyphes, afin de mettre la main sur Rough Tell et son One Piece... Toutefois, le capitaine ne tirait jamais de décisions avec une si solide confiance en lui sans de très valables raisons. Autrement dit ? Il avait songé à des pistes qui n'avaient pas même effleurées l'esprit de son bras-droit, dont l'esprit, certes brillant, demeurait trop raisonnable, trop terre-à-terre. Ils étaient sur le Nouveau Monde, après tout, plus sur les Seas Blues... En remarquant sa résignation, le Yonkou se permit enfin de continuer dans ses diverses explications :
-Eko a perdu beaucoup, c'est vrai. Mais il reste un Empereur, avec ce que cela implique. Si nous l'aidons... Sa fierté en prendra un coup, mais si ça n'était que ça, tu me connais, Hadès aurait déjà rangé ses barques et ses stupides larbins. Non, ce qui importe, c'est de savoir qui pourra en tirer profit. De sa faiblesse. -Qui ? Mais... C'est évident, Hojo et... -Trop prévisible. Trop... Naturel. Trop Paradise. Tengen accompagna sa remarque d'un nouveau sourire énigmatique, et pourtant terriblement explicite. Son bras-droit, soudain moins penaud, se rasséréna en commençant à comprendre où son capitaine voulait en venir. Celui-ci, avec un regain de vigueur, se redressa en grommelant puis épousseta ses vêtements avant de donner un coup de bien dans le journal posé non loin, sans le moindre ménagement. Myô, pendant se temps, commençait également à se redresser : l'air déterminé qui trônait sur le visage de l'Empereur était de bonne augure, à ses yeux. Ils allaient quitter l'île aux rires. L'aventure reprenait.
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