Auto-destruction
L'ombre voguait sur son esquif brisé. Quelques planches assemblées en une barque misérable qui aurait fait rougir de colère n'importe quel artisan amoureux du beau travail, une œuvre ridicule qui n'aurait jamais dûe tenir face à la moindre vague, mais qui pourtant avait résisté à un long trajet, partant d'une petite île d'East Blue jusqu'à atteindre la vaste ouverture qu'était Reverse Mountain. Et même là, au milieu des tumultes fracassants de l'eau qui remontait, elle n'avait pas cédée, comme portée, immunisée, rendue indestructible par la volonté de son unique passager.
Un passager moribond, qui avait passé le plus clair du trajet à la barre, ne mangeant ou ne buvant que rarement, du bout des lèvres, comme dégoûté par cette habitude nécessaire à sa survie. Il avait évité le reste du monde durant son voyage, n'arrêtant jamais son embarcation, ne s'endormant qu'une fois l'ultime limite physique de son corps atteinte et jamais pour longtemps, parfois quelques minutes, parfois quelques heures, le tout dans un rythme chaotique réduisant son corps autrefois imposant et musclé à peau de chagrin, ce que certain de ses anciens contacts auraient pu nommer un corps de lâche. Un corps de lâche sans doute, faible, formant un ensemble étrangement harmonieux d'os et de restes de muscles, presque beau dans sa ruine, enveloppé d'un long drap noir déchiqueté tel une version contemporaine du nocher des Enfers.
L'ensemble du navire frémissait, tremblant de tout son corps alors qu'il dévalait la montagne, enlacé par un torrent destructeur qui se déversait dans la région la plus connue du monde, Grand Line. Le navigateur en revanche, restait figé, comme soudé à son embarcation, parfaitement droit au milieu du tumulte, apparaissant comme une Incarnation de la Colère juchée sur son son cheval mythique, empreint d'une confiance inébranlable en lui même et en son esquif, présentant presque un état de transe mystique à la face du monde et des éléments, un état de calme absolu où toute son âme ne vibre que d'une seule idée. Retrouver celle qui pourra l'aider.
Le canot s'effondra soudainement sur une eau quasiment plate, annonçant par là la fin du trajet mouvementé qu'avait été la traversée de Reverse Mountain. Le voyageur reprit la barre, continuant son trajet jusqu'à un lieu qu'il avait déjà visité par le passé, Whiskey Peak. La ville n'avait guère changée à l'exception de la disparition du manoir qui régnait autrefois sur l'endroit, une preuve de plus de l'agitation constante des chasseurs de prime qui dominait l'île. Mais il n'était pas là pour ça. Il était là pour une information. Il connaissait les coutumes du lieu et rabattit ainsi sa capuche sur sa nuque, révélant une toison de cheveux désormais blancs neige, que cela soit dû à ses mœurs récentes ou au choc qu'il avait reçu il y a peu. Le hérisson qui y avait si longtemps vécu était aujourd'hui pelotonné au creux du vêtement de l'homme, transmettant sa chaleur à son protecteur.
Sur son visage creusé de cernes, la résolution transparaissait et son regard comme fou indiquait au reste du monde que quiconque se mettait entre lui et ses objectifs y risquait plus qu'il ne voulait perdre. La porte du bar s'ouvrit violemment alors que l'ombre s'approchait du comptoir, ne demandant ni verre ni nourriture mais un nom. Ses lèvres s'ouvrent, craquelées comme un antique parchemin, et une voix rauque s'élève.
« Où est elle..... »
L'homme derrière le comptoir lève enfin les yeux, ne reconnaissant pas son correspondant, puis ses yeux descendent et tombent sur une bague qu'il reconnaît pour l'avoir déjà vue une fois auparavant. Si la bague elle même ne l'avait pas marqué, les clients eux y étaient parvenus, étant clairement au dessus du lot des chasseurs de primes qui vivaient à Whiskey Peak. Il ne parvenait pas à détacher ses yeux de cette bague, avant de remonter ses yeux et de les fixer dans ceux brûlants de l'homme emmitouflé. Il savait de qui l'ombre parlait. Il parlait déjà d'elle la dernière fois et avait laissé des instructions pour la retrouver, payées d'avance dans un lieu où l'argent faisait tout tourner.
Prudemment, une main se glissa vers un papier roulé en boule avec des noms, des dates et des lieux. Mais au final, un seul sortit de la bouche du barman.
« Les Shabondy. J'ignore quand, mais elle y sera bientôt normalement. »
L'ombre hocha la tête un instant, comme si celle-ci peinait à rester debout à travers la fatigue qui assaillait son possesseur, avant de se lever et de sortir du bâtiment sous le regard moqueur du barman. Celui-ci n'avait jamais effectué de recherches sur la cible de l'homme, trop peu utile, sans garantie de bénéfices futurs et s'était contenté de donner un nom au hasard. Il se rappelait vaguement l'avoir entendu parler d'une jeune marine et avait donc donné le premier nom qui lui passait par la tête qui serait susceptible d'attirer un membre de la marine dans le futur proche. Il s'arrêta un instant de respirer, craignant que l'homme aux cheveux blancs n'ai compris son manège lorsque celui-ci s'arrêta à la porte, avant de reprendre son souffle lorsque celui-ci s'en alla finalement.
Le tissu sombre retrouva sa place sur le chef de l'ancien chasseur de prime avant que celui-ci ne revienne à son embarcation. Les Shabondy étaient loin, et faire le trajet dans la barque serait absurde, mais il n'avait pas d'autre choix, prendre un plus gros navire était impossible seul, et il tenait à être seul pour le moment. Il poussa le navire, remonta à bord, et reprit sa route.
Sana Asante, récemment connu du gouvernement sous le nom de Kilroy, reprenait son chemin vers sa dernière lueur d'espoir.
© Jawilsia sur Never Utopia
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