Il faisait bon vivre, sur Graou Island. Nakata était satisfait de pouvoir y remettre les pieds au moins brièvement avant de passer aux choses sérieuses : son existence au sein du corps des Corsaires était sérieusement compromise et risquait d'être avortée dans les heures à venir, si tout se déroulait selon son bon vouloir. Il avait juste une poignée de personnes à joindre au préalable... Une question d'instants, autrement dit. Malheureusement, c'était dans ces moments-là que tout devenait plus complexe à assumer : la charge de travail à assurer était conséquente pour le capitaine des Tengokus, qui revenait de surcroît tout juste d'un affrontement tendu livré aux côtés de Kyoshiro. En bref : il n'était pas fondamentalement de bonne humeur, et l'abruti qui venait de le harceler allait l'apprendre à ses dépens. Plaçant ses pieds sur son bureau tout en s'étendant confortablement, le combiné de l'escargophone dans sa main droite, le forban arbora un sourire railleur et répondit avec légèreté, non sans jeter un bref regard au bijou qui brillait à ses pieds :

-C'est pas super poli, de demander sans se présenter. J'en conclus que t'es sois un ennemi, sois un con. Potentiellement les deux.

Une façon distinguée et raffinée de convier son interlocuteur à décliner son identité : le Phoenix n'avait pas de temps à perdre en bavardages inutiles et en inepties futiles, plus depuis belle lurette.

Lorsque la réaction de son interlocuteur se fit à la fois aussi imprévisible et aussi outrancière, le visage du blondinet se déforma brutalement, mitigé entre dégoût et surprise. Les traits retranscrits par le Den Den Mushi étaient malsains, véritablement, pourvus d'une perversité épatante et d'un manque de civisme effarant. Sous le coup de l'incompréhension, le Schichibukai sursauta et recula violemment, manquant de tomber en arrière avec sa chaise, avant d'entendre la suite des dires de son homologue. Un Tenryubito... Manquait plus que ça. Non seulement c'était l'une des grosses têtes du Gouvernement qui l'appelait, mais en plus, il fallait qu'il tombe sur le cas social le plus imposant de la galaxie. Avec toute la peine du Monde, l'artiste se mit donc à rétorquer aussi poliment et gentiment que possible, consciencieux dans son exercice prioritaire : celui de ne plus susciter une crise aussi étrange chez son interlocuteur.

-Hé bien, je n'ai pas vraiment de prix, monsi... monseigneur ? Enfin, je n'ai aucune raison de le céder, ce bijou.

Il avait, pour la première fois depuis des années, le plus grand mal à trouver ses mots et à formuler des phrases cohérentes... Et cela risquait de se prolonger durant tout l'échange.

-Pardon ?

Le sang du mythique s'était glacé à l'annonce malsaine et dangereuse de son interlocuteur. Non, pire que ça, le capitaine corsaire s'était redressé, brutal et féroce, allant jusqu'à faire tomber son fauteuil à la renverse en posant sur son escargophone un regard assassin. Son poing gauche, serré, commençait à dégouliner de gouttes de sang tandis que des flammèches bleutées y naissaient, spontanées et vivantes. S'il eut besoin de toute la patience et de tout le calme qu'il était susceptible d'invoquer pour ne pas insulter dans la foulée son interlocuteur, il ne put toutefois pas se résoudre à continuer à arborer un masque de gentillesse et de politesse : ce type était un furoncle, une pourriture de la pire espèce, et ne méritait même pas les égards qu'il réservaient aux pavés qu'il foulait.

-Alors arrache-toi les deux yeux, connard, et je reconsidérerai ton offre.

Sa voix impitoyable et sèche ne souffrait d'absolument aucune hésitation. Si ce nobliau voulait jouer, il risquait fort de se confronter à plus puissant que lui, pour l'occasion...

-Enfoiré...

L'insulte avait fusé entre les mâchoires serrées du Phoenix. Celui-ci aurait voulu hurler sa haine à son interlocuteur, aurait tant et tant voulu lui exposer à sa face ses quatre vérités, mais savait avant même de les formuler que cela n'aurait été que du temps de perdu. Ces raclures de Tenryubito prenaient la vie d'autrui comme s'il ne s'était agi que d'une simple farce. Les autres n'étaient selon eux que des possessions, que des biens dont ils pouvaient jouir selon leur bon vouloir. Avec rancœur, Nakata se souvint de celui qu'il avait été, quelques années auparavant, tandis qu'il luttait face à Raphaël en protégeant bien malgré lui les exactions de ces pourritures. Il allait regretter cette erreur, qui avait coûté la vie à la jeune sœur de son ancien capitaine, probablement jusqu'à la fin de son existence. Et jamais la splendeur de ce bijou ne pourrait racheter la vie humaine, le Schichibukai n'en avait que bien trop conscience... Il ne pouvait pas se contenter de refuser l'offre de cette crevure, qui n'hésiterait pas un instant à provoquer un carnage chez ses esclaves dans le vain espoir de le faire changer d'avis. Autrement dit, le mythique devait jouer la carte de la raison... C'était le seul moyen d'éviter les morts inutiles, car il était le seul être raisonnable et intelligent, dans ce dialogue froid et cruel.

-Très bien. J'accepte. A condition que tu libères cet esclave, toute sa famille, et tous ses proches. Je veux qu'il bénéficie d'une réinsertion exemplaire, à Graou s'il le faut. Prends garde à ne pas refuser : ton bijou risquerait fort d'être broyé.

Le Phoenix, empli d'une animosité certaine, attrapa la pierre précieuse et l'enserra dans sa main gauche. Il aurait été facile, si facile de la briser... Plus encore que de tuer un homme.

-Area Eleven. Dans les heures qui viennent. Je n'y serai pas personnellement : mes lieutenants Damon et Danaé s'occuperont de l'échange. Pas d'entourloupe... Ils auront l'ordre de détruire le bijou, si vous tentez de court-circuiter l'accord.

Intransigeant et direct, le Phoenix ne laissait aucunement à son interlocuteur la chance de débattre de quelque manière que ce fut. Dès lors que Damon et les autres seraient prêts, ils auraient ordre de partir. Area était à mi-chemin entre Shabondy et Graou : ils parviendraient sûrement à y arriver pratiquement simultanément. Bien entendu, ce que décida de garder Nakata sous silence, c'était que Kernoza et les siens allaient profiter de leur anonymat pour se mêler dans la masse des forbans qui gravitaient autour d'Area Eleven pour surveiller le bon déroulement de l'échange. Dans le cas de figure où le Tenryubito ne respectait pas ses engagements, il s'en mordrait fermement les doigts...
Sans plus attendre, le musicien raccrocha, brutal comme jamais. Il n'avait guère envie de discuter davantage avec une telle ordure... Et il n'espérait qu'une chose, au nom de cet Oscar : que leurs chemins ne se croisent jamais directement.