Le ketch s'avançait dans cette mer agitée, il fendait sa surface sans son accord, laissant dans son sillage qu'une fine plaie qui se refermerait bien assez tôt. Mais la mer, aussi bénignes étaient ces blessures d'un instant, ne semblait guère accepter un pareil acte. Ainsi, ses crocs glacés vinrent mordre la coque du vaisseau naval, le faisant tanguer à plusieurs reprises, mais jamais assez pour le faire couler. Judal observait le spectacle depuis le pont, dans cette nuit apaisante, les étoiles constellant un ciel tâché de quelques nuages. Il se tenait là, à l'avant du bateau, comme s'il la narguait. La mer lui répondit alors, cette fois-ci, en lui crachant son écume salée à la gueule. Celle-ci l'atteignit que sous la forme d'un torrent de gouttes, dont il esquiva la majorité avec une certaine aisance.


Il n'était pas le bienvenu, apparemment. Et pourtant, à terme, West Blue devrait l'accepter. Car il comptait bel et bien devenir une figure importante des tréfonds de cette mer. L'underworld.

A l'horizon apparut un point, celui-ci grandissait au fil du temps, à mesure que le ketch s'en approchait. Le point devint alors tâche, puis, à force d'élargissement, cette dernière se révéla être une île.

Cette île. Celle qui avait été sélectionnée au préalable pour servir le dessein de l'Ouri et son acolyte.

Lorsque le basané jaugea que la distance était correcte, il se retourna et fit signe à un de ses subordonnés de demander à l'homme de barre de débuter la seconde phase. Le navire dévia ainsi, sous l'impulsion d'un simple geste, de sa trajectoire quasiment rectiligne. Celle-ci se courba peu à peu, jusqu'à devenir un cercle dans lequel était inscrit cette île qui devrait bientôt être leur. Alors, le rayon du cercle diminua, et de fil en aiguille, lorsqu'il ne restait que quelques dizaines de mètres entre le navire et la côte, laissant paraître une dense foret, le navire perdit en vitesse.

Dans la cabine principale, un peu à l'arrière du pont, une trappe s'ouvrit. Ève en sortit, seule, un cône fiché dans ses lèvres, dont l’extrémité était embrasée. La blonde platine resta en haut de la trappe l'espace d'un instant, observant la forêt à une trentaine de mètres sur sa gauche, à travers la vitre de la cabine. Une dernière inspiration, plus longue qu'à l'accoutumée, et elle vint fermer la trappe dans un brusque fracas.

Le bleu de la nuit sembla en frémir.

Elle quitta finalement la cabine et se dirigea vers la rambarde, les yeux grand ouverts, pour y contempler l'île aux coutumes si particulières.

Les arbres se succédèrent alors, dans son champ de vision, l'écart les séparant se faisant de plus en plus important. Puis, subitement, ils disparurent, pour passer le relais à des palmiers jonchant une plage.

Bientôt ils seraient au port.

Judal préparait ses hommes en leur rappelant à tous ses directives, puis il se déporta vers Ève afin d'être le premier à mettre pied à terre. Prêt à être accueilli.

Au sein de cette forêt dense et humide, un volatile, perché sur une branche, scrutait les lieux de ses deux yeux orangés. Il remarqua alors un pan du sol découvert de son habituel duvet de feuilles mortes, une crevasse y était inscrite comme si celle-ci avait accueilli un nouvel être, un potentiel prédateur. Puis, soudain, un éclat brillant vint titiller la cornée de l'oiseau. D'un simple clignement son œil gauche se porta sur l'origine de l'étrange phénomène.

Le hurlement du vent ascendant fit frémir le plumage de l'animal lorsqu'il découvrit une silhouette se matérialiser, à la lumière d'un rayon lunaire vacillant. Celle-ci s'enfonçait d'un pas assuré dans les entrailles de la forêt, un bruit sourd l'accompagnait le long de son entreprise, prévenant les différents animaux vivant ici de sa présence. Un cylindre fait de métal laissait dans son sillage une terre labourée. Cette personne, encapuchonnée, traînait cette longue tige dans le sol, imbibé des restes d'une fine pluie, comme s'il s'agissait d'un boulet qui lui était rattaché.



Le ketch avait finalement atteint le port, l'ancre fut ainsi balancée à l'eau. Une main posée sur la rambarde, Judal observait un amas amorphe de silhouettes s'approcher du bâtiment tout juste apponté. Le basané lorgna alors Ève un instant, avant de rejoindre la terre ferme d'un simple saut. La jeune femme le rejoignit lourdement, un rectangle de toile obscur embrassant ses épaules.

L'espion s'avança alors à hauteur du barrage humain se présentant à lui. Des hommes lui barraient la route tandis q'un des leurs se démarqua pour s'adresser aux deux personnes issues du bateau. L'Ouri ne fut guère surpris lorsque ces autochtones lui indiquèrent qu'il lui fallait se dévêtir, s'il désirait franchir ce cap et s'engouffrer ainsi vers l'unique village de ce bout de terre reclus de West Blue. Les yeux du basané se fermèrent donc, alors qu'une percussion se fit entendre.

Derrière lui, excentrée de la masse, une noix de coco fut réceptionnée dans les paumes de la blonde platine. Cette dernière, un large sourire aux lèvres, déposa le fruit dans le sac qu'elle portait jusqu'alors sur son dos. Sa tâche accomplie, son pied vint porter un second coup au tronc du cocotier : elle dut réitérer une troisième fois pour qu'un autre fruit vienne se décrocher du sommet de l'arbre. Celui-là se fit ouvrir d'un puissant coup de talon. Quand la carapace de la noix céda sous la violence dont la femme faisait preuve, le lait gicla de toute part dans un son mat. Il sonnait exactement comme le bruit que faisait un crâne quand on le fendait en deux, via le même procédé.

La belle se pencha finalement pour étancher sa soif. Une fois la noix vidée de son contenu, Ève passa son avant-bras sur ses lèvres tout en reportant son attention sur son collègue.

-Je suis ici pour m'entretenir avec votre cheffe. -lança-t-il.


L'oiseau s'était envolé, il contemplait désormais l'île depuis les hauteurs que lui offraient ses ailes. Depuis sa position, l'animal avait une vue d'ensemble sur la végétation. Il pouvait distinguer, au sein de celle-ci, deux béances. Une au centre de toute chose, l'autre légèrement excentrée de la première. Dans cette dernière, des torches embrasées étaient disposées en cercle tout autour des résidus d'une base marine. Au milieu de cette couronne de braises s'érigeait une statue de bois à l'effigie du supposé conquérant des lieux. C'était sur cette sculpture que le volatil se posa pour mieux surveiller la scène. Rien ne pouvait échapper aux lames noires aiguisées fichées dans ses yeux. Ceux-ci s'étaient dirigés à la limite des arbres où différents bruits caractéristiques se faisaient entendre de plus en plus fort.

Là-bas, les ombres s'assemblaient jusqu'à atteindre une certaine densité.

Il venait d'arriver.

L'homme s'étant avancé à hauteur du basané venait de lui balancer les deux seules options se présentant à lui sur un ton sec et autoritaire, ponctué par le frémissement des lances de ses comparses. Comme seule réponse le garde put voir les lèvres de l'Ouri s'allonger, témoignant son mécontentement. Aucune des deux voies présentées ne lui convenait, et Judal savait qu'il ne pourrait rien obtenir d'eux par la parole avec pareille nervosité dans l'air. Son regard se déporta un instant vers les cieux, alors qu'un soupir franchit ses lèvres.

Le vent marin souffla sur la plage, revêtant sa robe de sable de motifs ondulés.

Lorsque le regard de l'espion transperça celui du garde lui faisant face, sa paume vint embrasser l'estomac de cette cible sans crier gare. Le heurt creux résultant raviva l'intérêt de la jeune femme qui observait la scène en retrait. Elle lâcha alors le fruit vidé pour rejoindre à toute allure son collègue qui était désormais en train d'élever ses mains à hauteurs de sa tête, en signe de reddition. La pointe du pied de la blonde platine terminerait sa course dans l'estomac du gaillard à terre, aux pieds de Judal. Puis, imitant l'espion, elle aussi se rendrait en présentant ses mains, poignets accolés, aux autres gardes.


Le criminel lorgnait la vulgaire création de bois érigée au centre de ce cercle de flammèches. Dans le voile obscur couvrant son visage, les prémices d'un rictus s'esquissèrent. Cette statue lui serait bien utile une fois qu'il aurait pris possession des lieux, elle se dresserait ici tel un épouvantail, éloignant ses potentiels ennemis pour les rediriger vers son bouc émissaire : l'homme dont les traits étaient hasardeusement taillés dans le bois.

Fudo s'avança, après quelques instants, dans le cerceau de lumière afin de préparer la suite des événements. Il fut cependant bien vite interrompu quand la mélodie, issue de la rencontre du crépitement des torches avec le sifflement de la brise nocturne, se fit pourfendre par une voix inconnue. Une silhouette émergea alors de la forêt, projetée dans les airs, et semblait fondre vers le sans nom.

Désormais posé sur la statue, le volatil put voir une vague bleutée prendre d'assaut l'atmosphère autour de l'homme tout juste interpellé. Kiwaldo, lui, n'aurait guère le temps de s'interroger quant à la nature de ce phénomène, il en serait de même quand il découvrirait sa lame apparaître à la place du cylindre brillant jusqu'alors traîné par l’intrus : d'un soudain geste la machette s’élèverait en hauteur, découpant tout ce qui se trouvait sur son chemin.

Le bras du gardien se détacha de son corps au passage de la lame. Le membre coupé s'écrasa au sol un peu de temps après l'égide artisanale qu'il portait jusqu'alors. Son possesseur, Kiwaldo, se reprit un instant en hauteur, il semblait se poser quelques questions quant à la nature des pouvoirs du malfrat.

Son agresseur restait figé près de la statue, la lame embrassant sa cuisse, sa tête s'était quelque peu redressée, permettant à l'inconstante lumière des torches de découper les traits de sa face : il détaillait sa proie de ses deux billes sombres.

L'oiseau prit alors son envol, au même moment que l'autochtone, équipé d'une arme ne le seyant guère, s'élança vers l'intrus dont la malédiction régnait désormais sur les lieux. Il ponctua son départ d'une question hurlée à l'adresse du hors-la-loi : le gardien n'était pas prêt à courber l'échine, pas encore.

Il n'eut qu'un battement d'aile comme réponse.

Fudo demeurait stoïque, bien ancré sur ses deux jambes légèrement pliées. Il n'était pas un expert en combat, contrairement à certaines de ses connaissances, et pourtant il savait dores et déjà que le combat finirait à son prochain mouvement. C'en était risible. Lorsque son opposant débuta sa lente chute sous l'effet de la gravité, le sans nom ne sourcilla point. Il laissait l'inertie faire son boulot tout en pivotant sur son pied droit.

Puis, d'un coup sec, la lame s'éleva une seconde fois. Son fil passerait sans aucun doute au niveau de l'épaule du bras armé de Kiwaldo, brisant son attaque, et son coup se trouverait dans la prolongation de la machette.

Il avait suffit à Fudo de conserver son sang froid, observer la situation pour trouver la faille et l'utiliser à bon escient, au bon moment.

Il n'était plus question d'adrénaline, de sensation de grandeur, le jeune homme se faisait dorénavant pragmatique : il lui fallait être efficace. Pour cela le sans nom se devait de devenir un esprit rationnel, d'une froideur sans bornes.

Lorsque les différentes parties découpées, quelles qu'elles fussent, tomberaient au sol, Fudo dresserait son index, masqué par la manche bien trop longue du large gilet à capuche dont il était affublé, sa batte se serait alors mise en mouvement sous l'impulsion de sa malédiction. Elle se dirigerait vers sa main qui se révélerait alors à la lumière pour saisir son manche.

-Je désire m'entretenir avec la reine de cette île, ici-même. -balancerait-il d'une voix glaciale et autoritaire.


De l'autre côté de l'île, Judal et Ève se laissaient guider par la garde. Ils n'avaient aucune raison de contester quoique ce soit : on les menait droit à leur but. Les joues de la jeune femme étaient parcourues de nombreux frissons, elle luttait pour ne pas éclater de rire.

Le corps du manchot se réceptionna dans un nuage de particules, à deux pas de Fudo. Celui-là lorgnait sa batte qu'il venait de récupérer, quelques temps après lui avoir préférée la machette dans le but de neutraliser au mieux son adversaire. Une idée bourgeonna alors dans son esprit, peut-être aurait-il besoin de se procurer une lame lui aussi, ça lui éviterait de devoir réaliser ce petit échange qui pourrait se révéler être un mauvais coup dans l'avenir : s'il tombait sur un adversaire capable de résister à sa tranche maudite, comme ce fut le cas sur Nighty Town. Ou, tout simplement, si son opposant ne possédait point d'épée.

Quoiqu'il en fut, un bruit tira le malfrat hors de cette pensée passagère pour le ramener au concret. Son inattention, bien que très courte, avait permis au gardien de l'île de se lancer dans une entreprise désespérée. Ce type venait de se redresser avant de lancer son pied en direction du sans nom, il se trouvait un peu en retrait de lui afin d'atteindre sa nuque. Le visage de l’encapuchonné se froissa de mécontentement : ce type masqué n'avait pas encore compris ce qu'il aurait dû faire, aussi le hors-la-loi allait lui montrer de la manière la plus brutale qui soit.

Ses phalanges refermèrent leur emprise sur le manche de sa batte, puis il débuta une vive rotation pour faire face à son opposant. D'un simple swing, le cylindre percuterait la longue jambe d'appui du gardien : celui-ci valserait brutalement. Cependant, violence pour violence, Fudo ne s'arrêta pas là. Il continuait sa rotation, augmentant même sa vitesse, tout en élevant sa batte dans les airs.

Lorsque l'homme masqué réapparaîtrait dans son champ de vision, le buste quasiment à l'horizontal du fait de sa subite chute, la batte frapperait celui-ci de plein fouet et le suivrait jusqu'au sol.

Mais Fudo ne désirait pas tuer cet homme, cela ne lui était point permis. Ainsi, il avait utilisé sa malédiction afin de ne pas porter de dégât au corps de Kiwaldo quand le cylindre aurait percuté son corps. Ce coup le propulserait simplement à toute vitesse, telle une balle de baseball, contre le sol. Ce dernier s'affaisserait quelque peu sous le poids de la carcasse coupée du gardien. Il se retrouverait dans un semblant de cratère.

Une fois après avoir ramené cet adversaire au sol, Fudo planterait l’extrémité de sa batte dans la roche, à côté de la tête de sa cible. Alors, un sifflement s'élevant dans les cieux parviendrait à ses oreilles. Il était évident que Judal et Ève avaient atteint, d'une façon ou d'une autre, le village.

-Ne me force pas à te tuer.

La main de Fudo s'engouffrerait ainsi dans l'une de ses poches, pour y sortir un mini den-den mushi. Il composerait le numéro de Judal, machette dans son autre main, avant de le porter à ses lèvres.


Les deux collègues étaient finalement parvenus à leur fin, leur cortège les avaient bien accompagné jusqu'au village : un amas de hutte, disposées en un cercle dont le centre était une tente plus grande. L'un des hommes étaient d'ailleurs entré dans la construction avant qu'un sifflement fendent les cieux.

Un murmure sourd naquit alors dans la veste du basané. Tout d'abord gêné, celui-ci se permit de briser les éventuels liens, censés lui interdire le moindre mouvement, pour plonger sa main dans sa poche intérieure. Il en sortit un escargophone, beuglant constamment, avant de décrocher sans se soucier de ce qui se trouvait autour de lui. De toute façon, si quelqu'un souhaitait lui interdire quoique ce soit, l'Ouri aurait simplement couché l'homme au sol. Il en était capable, s'il ne muselait guère sa force. Judal s'ouvrit alors un chemin vers la demeure de la cheffe pour y rentrer sans autorisation. Une fois à l'intérieur il lèverait son appareil vers sa face.

-On y est. -lancerait-t-il avant de tendre le den-den mushi vers la principale hutte, supposée demeure de la cheffe des lieux.

-Je souhaite m'entretenir avec vous. Vous avez une heure pour me rejoindre aux ruines de l'ancienne base marine. Passé ce délai j’abats l'homme masqué se trouvant à mes pieds, et mon collègue vous faisant face fera de même avec les personnes qui se trouvent à vos côtés.

Si Kiwaldo avait quelque chose à grogner, Fudo tendrait son escargophone vers lui.

Judal n'avait eu aucun mal à neutraliser les diverses personnes qui suivaient aveuglément les décisions bien trop spontanée de leur reine. Le basané replaça finalement le col de sa veste une fois le peu d'action terminée : des gars de ce niveau, l'Ouri s'en était tapé quotidiennement alors qu'il était tout petit, bien avant qu'il ne croise le chemin d'Aben'Gal. L'espion reporta alors son regard de glace sur le visage froissée de la reine, celui-ci trahissait son actuel état : elle n'avait déjà plus rien en main, aussi le basané ne fut pas surpris lorsqu'elle sortit de sa hutte pour suivre les directives transmises par un vulgaire gastéropode. Judal lui emboîta le pas, il fut bien assez vite rejoint par une Ève toute guillerette, faisant valser le sac cylindrique, qu'elle tenait par sa anse avec ses deux mains, sur tout le chemin.

Contrairement à la blonde platine, le basané prit soin de détailler l'obscur environnement dans lequel il s'engouffrait. Puis, au bout de plusieurs minutes, le cortège parvint à destination.

Quand Ève arriva devant le cercle de flammèches, elle ne put se retenir et cavala jusqu'à se poster derrière Fudo. Ce dernier était assis sur un siège, une motte de terre compacte, formée par le biais de sa malédiction. Il semblait lorgner le reflet de son visage à moitié dévoré par l'ombre de sa capuche dans le tranchant de la machette qu'il avait subtilisée à Kiwaldo. Le garde, toujours immobile, reposait toujours aux pieds du criminel. La reine s'avança alors et se lança sans plus attendre, tirant le malfrat hors de ses réflexions. Lorsque le sans nom redressa sa tête pour découvrir la face de son interlocutrice, Judal tourna les talons et se mit en route vers le village.

-Mais allez-y, appelez le.-lança le sans nom à la reine, d'un ton presque amusé. Puis, après un laps de temps, la lame de Kiwaldo se mua pour pointer un siège similaire à celui sur lequel Fudo était installé. Il reprit finalement, d'une voix grave, pour se lancer dans le vif du sujet, ne laissant guère le temps à son interlocutrice d'éventuellement contacter ce soi-disant propriétaire. - Prenez place je vous prie.

Sans plus attendre, il continuerait en dirigeant l'extrêmité de la machette vers la statue de bois.

-Je désire connaître les termes du contrat qui vous a été, semble-t-il, imposé par cet homme. Mon objectif est simple, je tiendrai ce contrat à votre place en échange de votre silence et tolérance.

Le bruit d'une fermeture éclair tirée d'un coup sec vint ponctuer les derniers mots du brunet. Ève sortit alors du sac la noix de coco qu'elle avait récupérée en arrivant sur l'île, la jeune femme la fit tomber au sol avant de la faire rouler d'un coup de pied jusqu'à ceux de la reine. Quand le fruit arriva à bon port, les doigts de Fudo se croisèrent pour transposer le corps, du moins le gros, de Kiwaldo.

-Je souhaite me baser ici, bientôt mes hommes viendront installer quelques infrastructures sur cette île, loin de votre village. Vous et votre peuple n'aura qu'à ignorer notre présence, nos faits et gestes : vous nous laisserez librement utiliser le port et ne viendrez pas perturber nos entreprises. Et si un jour le gouvernement mondial se pointe ici, vous n'aurez qu'à omettre notre présence et diriger votre doigt vers cette statue. Ainsi, tout ira pour le mieux, pour vous comme pour nous.

La main d’Ève se posa sur son épaule, Fudo soupira longuement avant de conclure d'une voix terne.

-Ce sont les termes du contrat qui nous lierait.

Les paroles de la femme s'écrasèrent mollement sur les tympans de Fudo. Elle semblait déjà être réticente aux clauses du contrat que le malfrat désirait lui imposer de la plus douce des façons, sans avoir à passer par la violence comme ce qu'il avait imaginé lorsque cette île fut choisie comme point d'établissement. Aussi, le jeune criminel se voyait confronté à une situation qu'il avait aisément pu imaginer, bien sûr si elle avait accepté d'entrée de jeu, cela aurait été trop simple : idéal. Il ne fut alors guère surpris, après tout si quelqu'un savait à quel point l'écart à l'idéalité pouvait être immense c'était bien lui.

Les crépitements des torches prirent l'ascendant un instant, ils couvraient le lourd silence présent. Fudo s'était contenté d'abaisser sa main arméE, le bout de la machette touchant désormais la terre meuble, il réfléchissait. Tout n'était pas perdu, de fait le brunet n'avait guère à en arriver aux extrêmes, pas maintenant, pas tant qu'il résidait une lueur d'espoir, celui d'une négociation en bonne et due forme.

Une chaleur se distingua alors que son esprit faisait le vide, la main de la blonde platine était toujours posée sur l'épaule du sans nom. Elle ne lui offrait pas un soutien, c'était un signe que pouvait interpréter Fudo, la jeune femme lui rappelait les mots qu'elle lui avait prononcés lorsque le pacte avait été conclu. Quoiqu'il arrivait, elle demeurerait sienne.

L'index et le majeur de la main libre de l’encapuchonné s'enchevêtrèrent, la carcasse de Kiwaldo apparut dès lors à sa place, sur le siège improvisé, tandis que Fudo prit la sienne. Il se retrouvait ainsi face à la reine, et, ne lui laissant guère le temps de réagir, sa main sortit de l'obscurité de sa manche pour saisir l'arrière du crâne de la femme. Il tira d'un coup sec, tout en s'abaissant quelque peu, afin que celle-ci pusse découvrir les traits de son visage, plonger son regard dans ses yeux bordés de cernes. Le métal froid du plat de la machette s'apposa alors contre la cuisse dénudée de ce simulacre de régente.

-Je vais établir une base souterraine, au sein même de cette forêt. Celle-ci servira à mener à bien la synthèse et la coupe de différents produits. Je m'apprête à transformer une partie de cette île en une usine mortelle, l'origine des maux de ceux qui cherchent leur salut dans l'illusoire.

Il raffermit alors son étreinte sur la tête de son interlocutrice, son front collant presque le sien, avant de lui murmurer ses sombres desseins.

-Cinq millions par mois, deux pour le contrat te liant à cet homme, trois pour ton silence. Si le gouvernement mondial vient ici récupérer son soi-disant dû, tu te contenteras de les orienter vers celui qui leur a arraché par la violence : cette statue. Et si ma base vient à être découverte, alors parle, crache tout ce que tu sais à mon propos. Dis leur ce que t'auras vu, dis leur que ça t'a été imposé si ça te chante : je m'en ficherai, car à partir de ce moment, où les lieux seront découverts, ils ne me serviront plus à rien.

Fudo relâcha finalement la reine tout en se redressant, ses yeux transperçant toujours ceux de la cheffe du village. Il finit alors, tout en conservant son ton bas, afin que ses mots ne soient toujours entendu que par cette femme et seulement elle.

-Tant que cette base n'est pas découverte, tu devras porter le fardeau du silence à toi seule. Tu n'as pas le luxe de pouvoir le partager, à moins de vouloir mettre tes camarades dans une situation précaire : un mot, rien qu'un seul, prononcé de travers et tout pourrait mal tourner. Il serait stupide d'en arriver à pareil extrême.

Et, pour accompagner ce dernier mot, son regard bifurqua vers la machette. Lorsque celui-là se replanta dans les orbites de la reine, Fudo conclut d'une voix autoritaire.

-Tu peux accepter maintenant ou encore repousser l'inévitable.

Lorsque la femme abdiqua finalement, le malfrat se redressa quelque peu, prêt à tourner les talons vers son Ève, mais voilà il semblait y avoir un autre problème. Un soucis de compréhension. Peut-être celui-ci était-il dû à la peur que pouvait ressentir cette pseudo reine, peut-être que le fardeau qui venait de s'écraser sur ses épaules l'empêchait de réfléchir correctement, aussi. En tout cas, lorsque ces mots supplémentaires furent prononcés par la cheffe du village, le regard de Fudo s'abattit sur le frêle corps de son interlocutrice, un timide sourire aux lèvres. Celui-là, la blonde platine se tenant derrière son homme le capta, dès lors elle voulut l'éteindre d'un brutal coup de talon. La voix de l'encapuchonné interrompit les rouages de sa violence.

-Tu n'as pas bien compris, cet argent je te le fournirai chaque mois. Quel intérêt aurais-je à tirer profit de votre village déjà bien appauvri ? Je me charge de payer la taxe imposée par ce gars, en plus de vous fournir une somme supplémentaire.

Il la regardait de toute sa hauteur, un certain mépris sis au sein de ses orbites. Pendant un moment, Fudo se demandait si cette personne était vraiment digne d'être à sa position. Un soupir las mit fin à ce questionnement, pour l'heure il n'avait pas à se poser ce genre de problématique : il lui restait beaucoup de choses à réaliser, et tuer cette femme pour ensuite choisir une nouvelle régente et la faire courber l'échine constituait une pure perte de temps. La sphère bleutée s'estompa.

-Bien, je pense que nous sommes tous deux d'accord.

A ces mots, Eve s'approcha de Fudo, le sac en toile dans les mains.

-Mes hommes débarqueront dans une dizaine de jours, ils ne vous dérangeront pas tant que vous faites de même. Aussi, assure toi qu'il y ait peu de monde ce jour-là, au port, histoire d'éveiller le moins de question au sein de ton peuple... Enfin c'est à toi de gérer cette situation, désormais. Je ne te paye pas pour rien.

La blonde platine déposa le cylindre aux pieds de la reine. La fermeture éclair du bagage était à moitié ouverte, laissant à ceux qui plongeraient leur regard dedans le loisir de découvrir plusieurs liasses de Berrys.

-Voici pour le premier versement. Concernant ton garde, tu peux recoller ses membres toi-même.

Et le duo tourna les talons pour se diriger, silencieusement, à l'extérieur de ce cercle de torches. Ils disparaîtraient dans les ombres de cette dense forêt pour se diriger vers la côte sans aucune forme de détour. Si la reine désirait poser une question à Fudo, probablement sur son identité, elle aurait le droit au souffle du vent pour seul réponse. Une fois la côte atteinte, le duo attendrait le passage de leur ketch, et alors Fudo se contenterait de les transposer au sein du navire, comme il l'avait fait pour atterrir ici, seul, en lançant une simple balle de baseball pour la transposer avec lui. Ici, il comptait le faire avec d'autres noix de coco. Judal recevrait un appel pendant le trajet de ses collègue, celui-là lui indiquerait que l'opération était belle et bien terminée. Le basané quitterait alors le village qu'il avait rejoint auparavant, pendant que le brunet papotait avec la reine, pour préparer le départ du ketch : il longerait la côte avant de quitter une bonne fois pour toute l'île. Concernant la Reine, celle-ci pourrait trouver un den-den mushi au sein de sa hutte, cet objet avait été laissé ici par l'Ouri.