Sans pour autant être une petite nature le jeune homme était habitué aux climats tempérés voire même aux températures un petit peu basses, mais en aucun cas à des chaleurs sèches ou tropicales : autant dire qu'il n'appréciait pas vraiment l'île sur laquelle il venait de tomber. Non mais vraiment, qui pouvait vraiment vivre ici, toute l'année, en transpirant en permanence ? Vêtu d'un simple t-shirt et d'un pantacourt l'épéiste errait donc à travers l'île en passant d'un coin d'ombre à un autre, comme un shinobi ne cherchant à vivre que dans les plus épaisses ténèbres. Cela faisait bien une bonne dizaine de minutes qu'il marchait à travers les rues de cette petite ville et sa recherche d'ombre lui avait fait rater au moins une taverne et une auberge sans qu'il ne s'en aperçoive. Quel idiot !
Mais bientôt le jeune homme ouvrit des yeux ronds comme des queues de pelle en voyant un homme-poulpe marcher devant lui comme si de rien n'était, ne remarquant même pas que les gens s'écartaient devant ce curieux individu. Oh non ce n'était pas la première fois que l'épéiste croisait un homme-poisson mais c'était toujours une surprise d'en rencontrer un. Le jeune épéiste laissa donc traîner ses oreilles à travers la foule pendant les minutes qui suivent, jusqu'à ce qu'un autre jeune homme vienne également s'enquérir de l'identité de cet homme-poulpe auprès des gens présents dans la foule.

Si le garçon était d'humeur curieuse, il ne put s'empêcher de s'approcher et d'entendre des propos qui ne lui plaisaient guère. Qu'on n'aime pas quelqu'un était une chose mais de là à souhaiter qu'il rentre chez lui, n'était-ce pas un peu exagéré ? S'approchant de l'individu anonyme et de son jeune interlocuteur, le maudit laissa sa curiosité prendre le dessus sur sa tempérance en posant une simple question :

 « Pourquoi donc ? Ce sont des gens comme vous et moi, non ? »

L'homme et deux de ses camarades se tournèrent vers le jeune curieux et, le toisant du regard, incrédules, se regardèrent avant d'éclater de rire de concert. Ne comprenant pas vraiment ce qu'il se passait, ne sachant pas quelle partie de sa question était drôle, il lâcha à haute voix :

 « Je ne pensais pas que j'avais des talents cachés de comédiens mais...merci. »

Les racistes rirent de plus belle en réalisant que le curieux ne comprenait pas quand on se moquait de lui. Quel crétin ! Mais le crétin en question, triste de ne pas comprendre ce qui provoquait l'hilarité de ces hommes, se tournant vers le garçon à l'origine de cette conversation.

 « Je ne vois vraiment pas ce qu'il y a de drôle. Pas vous ? »

Même s'il était encore un peu naïf et candide à cet époque, le logia de la lumière savait que tous ne voyaient pas les choses de la même façon de lui, mais était-ce une raison suffisante pour en rire ? Le jeune homme adorait traîner dans les tavernes et écouter les gens parler de leurs histoires et de leurs aventures, cela alimentait sans cesse sa curiosité insatiable, mais malheureusement ici c'était bien différent. Jusqu'à présent il n'avait vraiment cherché à comprendre d'où venaient les hommes-poissons mais, malheureusement, les gens d'ici ne semblaient pas aussi curieux et ouverts d'esprit qu'il pouvait l'être. Pourquoi ? Aux yeux de l'épéiste il n'y avait pas plus de différence entre un humain et un homme-poisson qu'entre un homme blanc et un autre noir de peau.
Désireux de passer au travers de ce voile d'humeur et de réellement comprendre la raison pour laquelle ces gens ne voyaient pas les hommes-poissons comme des personnes à part entière, l'épéiste se tourna vers la seule personne non loin de lui qui ne semblait pas prise de dégoût ou d'hilarité. Si Kyoshiro ne comprenait pas la réaction des personnes aux alentours, il comprit encore moins la réponse de son nouvel interlocuteur. Depuis quand la tolérance était-elle quelque chose d'amusant ? Était-ce une nouvelle monde qu'il avait ratée ? C'était vraiment à n'y rien comprendre et son air ahuri le montrait bien.

 « Être tolérant revient à être idiot ? C'est à n'y rien comprendre. »

Voyant que les personnes aux alentours ne semblaient pas désireuses de baisser le volume de leurs rires, le garçon se concentra sur son interlocuteur du moment semblant autrement plus intéressant et tolérant que les autres.

 « Vous et moi sommes différents, cela ne me donne pas pour autant le désir de vous rejeter. Je dois sans doute avoir raté un épisode. »

Réalisant enfin qu'il ne s'était même pas présenté jusqu'à maintenant, comble des mauvaises manières, l'épéiste tendit une main amicale à cet homme qui semblait vouloir suivre la trace de ces êtres différents et rejetés.

 « Oh, j'en oubliais mes manières. Kyoshiro. Enchanté. Cela vous dérange si je vous accompagne ? »

Le jeune épéiste ne savait pas vraiment ce qu'il s'attendait à trouver en suivant cet homme mais, de toute façon, il n'y avait pas grand chose qui l'attendait au beau milieu de ces tristes individus. Peut-être parviendrait-il également à trouver un peu de fraîcheur, là où son interlocuteur se dirigeait ? Il serait vite fixé.

Si le jeune homme n'était pas encore assez expérimenté et sans doute trop naïf pour croire que l'ignorance et la peur pouvait rendre les gens stupides, le candide qu'il était semblait persuadé qu'avec quelques paroles il pouvait briser cette barrière de l'ignorance et ouvrir les plus fermés d'esprit aux joies de la mixité et de la richesse que cela pourrait apporter à leurs vies. Bien entendu encore fallait-il que les gens aient envie de l'écouter et c'était bien là le cœur du problème : ils semblaient tous tellement persuadés d'être dans le vrai qu'une opinion différente leur paraissait inenvisageable.
Mais cet entêtement ne semblait pas entamer l'optimisme de ce maudit qui, une fois qu'il aurait aidé ces hommes-poissons, ferait tout son possible pour les faire être acceptés par la population de cette ville ou, à défaut de ne pas y arriver, il leur trouverait un endroit où ils n'auraient pas à se cacher. Après tout Kyoshiro voguait d'île en île avec la volonté d'y laisser sa marque dans le cœur des gens et, si aujourd'hui cette marque devait être laissé dans le cœur de ces hommes-poissons, s'il était ici pour améliorer leur vie, alors il le ferait avec joie.

Avançant avec son nouveau camarade du moment, étant rassuré de constater qu'il n'était pas le seul à s'indigner du comportement de la population de ce village, Kyoshiro tint à apporter une pointe d'optimisme en lâchant :

 « Je suis aussi attristé par ce constat, mais je suis certain que nous pouvons leur faire entendre raison. »

Un pas après l'autre, le duo se rapprocha de l'habitation de cette étrange famille dont le père semblait être le gardien. Après tout, au vu de la réaction des habitants de cette ville, son attitude défensive n'était pas surprenante ou injustifiée. Il faisait ce qui lui semblait juste pour défendre les siens et l'épéiste respectait cela. Éloignant sa main de ses sabres, mettant ses deux mains bien en évidence, le candide se présenté par un simple :

 « Nous venons en paix. »

C'était peut-être trop simple mais, si l'homme-poisson sembla méfiant de prime abord, il pivota vers l'intérieur de son habitation en attendant le bruit d'une quinte de toux provenir de là, avant de rentrer dans la cabane. Ne sachant pas s'il devait pénétrer dans cette cabane de fortune sans l'autorisation du maître de maison, l'épéiste prit son courage à deux mains et passa une tête par l’entrebâillement de ce qui semblait être la porte. Dans l'obscurité qui régnait en ce lieu le jeune homme parvint à discerner trois formes, sans doute le maître de maison ainsi que sa femme et sa fille.
Mais l'épéiste eut un pincement au cœur en voyant que la toux provenait de leur petite fille qui semblait avoir vécu des jours meilleurs. Au risque de paraître trop curieux, le jeune homme intervint en lâchant  :

 « Je ne suis pas médecin mais nous pouvons vous aider. Si vous pouvez nous décrire les symptômes, je suis certain qu'un médecin en ville pourra nous fournir les médicaments nécessaires. »

Il ne savait pas s'ils allaient accepter l'aide d'inconnus mais, au moins, le jeune homme ne pouvait rester les bras-croisés en voyant cette petite fille souffrir. Absolument pas.

Entre vouloir aider et réellement aider il y avait un monde que Kyoshiro avait de grandes difficultés à traverser. Oh oui il pouvait aider une vieille dame à ramener ses lourdes courses jusque chez elle, il pouvait aider à récupérer un chat coincé dans un arbre, mais pouvait-il faire plus ? Il pouvait se battre bien qu'il n'aime pas cela, mais quid du fait de sauver une vie en danger ? Malgré toute la meilleure volonté du monde l'épéiste devait admettre ses lacunes en médecine et, de ce fait, il ne pouvait que s'en remettre à des spécialistes dans ces cas-là. Fort heureusement il n'était encore jamais tombé sur une situation où le temps jouait contre lui et n'était pas pressé d'en rencontrer une. Que ferait-il si ses compétences n'étaient pas à la hauteur de sa volonté de sauver une vie ? Supporterait-il de perdre une vie à cause de son incompétence ? Pourrait-il vivre avec du sang sur les mains ? Pas à cette jusque-là mais, heureusement, son gardien était toujours là pour faire le ménager dans ses souvenirs si cela devait arriver.

Le jeune homme posa donc un regard hésitant sur la personne souffrante et toussant, se demandant bien ce qui pouvait causer ces maux. D'ordinaire un simple sirop suffisait à faire disparaître une toux mais, même si le garçon n'était pas médecin, il savait que toutes les maladies ne se traitaient pas de la même façon, même si certains symptômes étaient similaires. Et puis, à bien y réfléchir, la physionomie d'un homme-poisson était elle semblable à celle d'un homme « normal » ? Cela pourrait revenir à donner un médecin pour chine à un humain en espérant que cela fonctionne et, quand une vie était en jeu, il s'agissait de ne pas prendre des décisions aléatoires. Après quelques enquêtes le couple de cette souffrance fut un fruit mal préparé mais, en discutant un peu plus, il était tout à fait possible que le médicament prodigué par la médecin n'eut fait qu'aggraver les choses. Comment en être sûr ? En allant voir le concerné pour savoir quel médicament il avait prodigué et, si cela s'avérait nécessaire, lui acheter le bon médicament.
Se penchant en avant en signe de déférence et d'excuse face à cette douloureuse situation, l'épéiste lâcha à la famille :

 «  Nous ferons au plus vite. »

Pour un samouraï les promesses étaient aussi importantes que la vie elle-même, le devoir passait avant tout, aussi le garçon ne parla pas à la légère en promettant un retour rapide. Il ne retournerait pas vers cette famille sans avoir récupéré de quoi soigner la personne souffrante. Revenir les mains vides serait pire que tout. En chemin, même s'il n'était pas fin psychologue, le garçon n'eut aucun mal à observer que son camarade était encore plus révolté que lui par ce qui pourrait être une négligence médicale.
Oh non Kyoshiro ne reprocherait jamais à quelqu'un de prendre les choses trop à cœur, ce serait de l'hypocrisie caractérisée, mais il n'avait pas envie que cette indignation pousse son camarade à faire quelque chose qu'il regretterait. Ainsi, tout en interrogeant les villageois pour trouver la position du bureau du médecin, l'épéiste posa une main sur l'épaule de son camarade avant de se fendre d'un sourire qui se voulait rassurant.
Y avait-il besoin d'en dire plus ? Non, ce sourire voulait dire qu'il était là pour reprendre la main et calmer le jeu, qu'il était là pour éviter que les choses ne dérapent, qu'il était tout simplement là.

Après quelques minutes de recherche le duo arrive donc devant une modeste maison sur le mur de laquelle était affiché une plaque comportant le nom du médecin. Se raclant la gorge pour se donner le temps de rassembler ses pensées, le garçon s'avança et frappe trois fois du poing contre la porte.

 «  Médecin-san ? Nous désirons nous entretenir avec vous au sujet d'un de vos patients. C'est urgent. »

L'épéiste n'était pas du genre à acciser quelqu'un sans preuve, il ne sauterait donc pas à la gorge de ce médecin avant d'avoir quelques explications, surtout qu'il n'était pas là pour ça. Il n'était pas là pour connaître les raisons d'une éventuelle négligence médicale, il était là pour sauver une vie et rien d'autre.

N'y connaissant absolument rien à la médecine le jeune homme ne voulait pas mettre la charrue avant les bœufs, il était conscient que l'anatomie des hommes-poissons pouvait peut-être différer de la sienne et que les médicaments des uns pouvaient ne pas fonctionner sur les autres mais, même en sachant cela, il ne pouvait ignorer la souffrance d'une personne. L'épéiste avait promis de revenir avec de quoi la soigner et qu'il soit damné pour l'éternité s'il manquait à sa parole. Comment saurait-il si le médicament qu'on lui donnerait serait le bon ? Il comptait sur le professionnalisme d'un médecin dont le rôle, aux dernières nouvelles, était de venir en aide aux malades, toutes races confondues. Si le jeune homme était assez professionnel pour maintenir ses promesses contre vents et marées, il s'attendait à au moins autant de dévouement de la part du médecin à qui il s'en allait rendre visite.

C'est donc avec les meilleures intentions du monde – mais en étant surtout pressé par le temps – que le duo rendit une petite visite au médecin. Une gentille secrétaire se présenta et, après quelques courtes explications, le duo fut autorisé à rentrer pour expliquer le cas qui les inquiétait. Si le garçon fut quelque peu rassuré par la bonne bedaine du médecin ainsi que du calme qui se dégageait de son regard, il n'en oublia pas sa mission pour autant. Le médecin avoua ne jamais avoir donné de médicaments appropriés à des humains récemment, mais cela n'excluait pas les hommes-poissons pour autant. Ignorant ce que cela pouvait signifier, le jeune épéiste prit la parole à son tour :

 « Et si du Carilumia était ingéré par une autre espèce, disons un homme poisson par exemple, cela fonctionnerait-il ? »

De prime abord le médecin arqua un sourcil de surprise, on ne devait certainement pas lui poser cette question très souvent, puis entoura son menton de sa main avant de se mettre à réfléchir :

 «  Hum, très bonne question. Leur physiologie diffère quelque peu, le Gerozene pourrait fonctionner sans trop d'effets secondaires mais pas le Carilumia. Celui-ci est conçu spécifiquement pour la physiologie humaine. »

 « Je vois. Et si ce médicament était ingéré par une autre espèce, y aurait-il un médicament permettant de contrecarrer ses effets secondaires tout en soignant les symptômes initiaux ? »

 «  Nous parlons toujours au sens hypothétique du terme ? »

 « Bien sûr. »

 «  Dans ce cas quelques comprimés de Glofirion pour soigner les effets secondaires et, suite à cela, le Gerozene devrait fonctionner sans difficulté. »

Souriant en apprenant qu'il existait une combinaison de médicaments capables de soigner le mal dont souffrait la demoiselle, le maudit se fendit d'un sourire franc tout en lâchant :

 «  Parfait, je vous remercie. Dans ce cas je vais vous prendre une boîte de chaque. »

 «  Pour vous ? Vous ne semblez pas souffrant, pourtant. »

 «  Oh non, pas pour moi. Pour la famille d'hommes-poissons en bordure de la ville. L'une des leurs est souffrante et, de ce que vous me dites, il est possible qu'elle ait ingéré par erreur du Carilumia. Nous sommes ici pour régler ce problème. »

Contrairement à son camarade le jeune homme était beaucoup trop candide et franc pour chercher la partie vicieuse et sournoise d'un individu, il ne cherchait pas à lire entre les lignes et se contentait de ce qu'on lui disait sans chercher au-delà. Oui, peut-être que le médecin était responsable de la souffrance de la demoiselle mais Kyoshiro l'ignorait, il était juste venu ici pour obtenir des réponses et un remède. Oh bien sûr il ne pouvait ignorer la tête déconfite que fit le médecin en entendant sa dernière phrase, ce dernier craignant sans doute des représailles, mais si elles venaient Kyoshiro n'en serait sûrement pas l'instigateur.
Le problème allait-il être réglé ou les choses allaient-elles dégénérer, comment souvent ?

À cette époque le jeune homme n'avait pas encore ouvert les yeux sur ce que pouvait être le monde, sur la corruption qui le gangrenait et sur le vrai visage du malheur, aussi était-il toujours fermement convaincu que les mots étaient la seule et unique façon de résoudre un conflit sans s'abaisser à la barbarie et la violence comme pouvaient le faire des animaux. Il avait toujours été profondément diplomate et n'avait accepté d'apprendre le maniement des armes que pour défendre les autres, face aux personnes trop bornées pour comprendre autre chose que la violence. C'était donc avec les meilleures intentions du monde, sans aucune arrière pensée, que le jeune homme était entré dans ce bureau. Qui d'autre qu'un médecin saurait identifier un mal et prodiguer les médicaments adaptés ?
Mais, si le garçon était venu pour obtenir des médicaments et non pas pour démasquer un charlatan, la réponse qu'il eut ne fut pas celle prévue. Au lieu de se montrer prévenant en prodiguant les soins désirés, le médecin préféra se murer dans un racisme ridicule, traitant ces hommes-poissons avec autant de mépris que les autres habitants du village.
Lui aussi ? Lui qui avait fait le serment de soigner tout le monde, reniait sa parole quand cela l'arrangeait ? Bien vite la main gauche du jeune homme vint intercepter celle de son camarade, alors que ses épaules s'affaissaient et qu'il se faisait étrangement silencieux. Lorsque le visage de l'épéiste se tourna vers son camarade du monde, le concerné put clairement remarquer que quelque chose n'allait pas. Le regard de Kyoshiro fut étrangement plus glacial qu'il ne l'était la minute d'avant et, si son camarade n'en comprendrait pas la raison, il se douterait qu'un changement venait de s'opérer dans l'esprit du candide.

Lorsque les mots ne suffisaient pas et que Kyoshiro était en face d'une situation que son esprit ne pouvait gérer, quelque chose pouvant porter atteinte à son innocence, son ange gardien reprenait les rennes le temps de régler le problème. Son ange gardien ? Un pan de sa psyché fragmentée créée pour maintenir intact l'esprit de Kyoshiro le temps qu'il soit prêt à affronter le monde sous son plus horrible jour. Si aujourd'hui ce dernier n'apparaissait que très rarement, à cette époque-là ses interventions se devaient d'être beaucoup plus fréquentes.
Tournant ensuite la tête vers le médecin, celui-ci restant surpris par la tentative d'atteinte à son intégrité physique, c'est sur un ton cassant et sec que le gardien lâcha :

 «  Ce serait rendre un service à la communauté que de débarrasser le monde d'une telle pourriture. Mais, tout aussi répugnant que vous puissiez être, vous avez encore une utilité. »

Si le ton était plus grave qu'avant cela n'en restait pas moins la voix de Kyoshiro pour autant. Lentement, très lentement, le gardien se leva de la chaise et contourna le bureau de ce médecin qui peinait à balbutier quelques réponses. Avant qu'il ne put formuler la moindre réponse son coup se trouva entouré par la puissante main droite du jeune épéiste maudit. Le bourreau plaqua sa proie contre le mûr et la souleva à quelques centimètres du sol, avant de refermer sa prise contre la gorge du malheureux xénophobe. Plongeant ses prunelles de braise dans les petits yeux noirs du gros patapouf, c'est sur un ton qui ne souffrait d'aucune ambiguïté que le gardien enchaîna par :

 «  Nous avons été patients jusqu'à présent, mais c'est terminé. Donnez-nous les médicaments et nous repartirons aussi calmement que nous sommes arrivés, sinon je vous regarde suffoquer avant de vous briser la nuque. C'est ma première et seule proposition. »

Si le jeune candide était incapable de se montrer gratuitement violent envers qui que ce soit, son gardien n'avait pas de tels problèmes de conscience. Pour préserver son hôte il avait frappé, tué et torturé plus de fois qu'il ne pouvait le compter et cela ne le dérangerait pas de recommencer une nouvelle fois. Voyant que sa proie essayait mollement de se débattre, le gardien serra sa prise un peu plus avant de conclure par :

 «  Alors ? Tenez-vous plus à votre vie ou à votre xénophobie ? Dépêchez-vous de répondre car dans quelques secondes vous n'aurez plus assez d'oxygène pour le faire. »

Le gardien n'était pas vraiment le complet opposé de Kyoshiro, il pouvait être droit et juste tout comme son hôte, mais il existait surtout pour faire ce que le jeune épéiste était incapable de réaliser. Recourir à la violence ou ôter une vie étaient des concepts inenvisageables pour le garçon mais, malheureusement, certaines situations l'exigeaient et c'était dans ce genre de moment que la présence du gardien se faisait nécessaire. Bien sûr nombreuses étaient les personnes à rester perplexes face à un tel changement d'attitude mais, de manière générale, elles étaient des personnes que Kyoshiro ne serait probablement pas amené à rencontrer de nouveau. C'était donc à moindre mal. Est-ce que le gardien appréciait d'être le père fouettard, ne sortant que pour punir ceux qui le méritaient ? Non, mais de toute façon ce qu'il pensait ne rentrait pas en ligne de compte. Il était là pour remplir un rôle bien précis et il continuerait dans cette optique jusqu'à ce que son hôte n'ait plus besoin de lui. Mais, au vu des récents événements, ce n'était pas prêt d'arriver.
Était-il prêt à tuer ce médecin pour sauver une autre vie ? Le bourreau aurait brisé la nuque de ce monstre sans hésiter s'il était certain que cela aurait pu lui être bénéfique mais, à dire vrai, il savait aussi que la peur et la menace marchaient tout aussi bien. Il n'était pas besoin de mettre quelqu'un aux portes de la mort pour être pris au sérieux, il lui suffisait juste d'appuyer pendant assez longtemps pour que sa victime sente sa dernière heure arriver.

Malheureusement le pseudo médecin ici présent ne semblait pas être coutumier de ce genre de menace, si bien qu'il resta tétanisé face à cette démonstration de violence presque gratuite. Que devait-il faire ou dire ? Les idées s'échappaient en même temps que l'oxygène de ses poumons. Puis, alors que le gardien allait proférer une toute dernière menace avant d'encastrer la tête du médecin dans son bureau, la brute fut arrêté par le dénommé Shiki. Celui-ci le somma de stopper cette démonstration de brutalité et, à ces mots, le gardien ne put que répondre :

 « Et ? »

Contrairement à son hôte il n'était guère influençable et, de ce fait, ne voyait pas pourquoi il devrait accéder à la requête de cet inconnu. Fort heureusement le médecin finit par entendre raison, pour le plus grand plaisir du gardien qui se fendit d'un :

 « Vous voyez ? Ce n'était pas si difficile. »

Relâchant le charlatan qui fut sujet à une quinte de toux monstrueux, se massant la gorge douloureuse, le gardien hocha la tête et sortit de la bâtisse pour se diriger vers la famille nécessiteuse. Peut-être que le médecin finirait par appeler à l'aide, lorsqu'il aurait la force de parler, mais pour l'heure le duo avait une tâche beaucoup plus urgente. Ils s'occuperaient des problèmes supplémentaires par la suite.

Une fois son petit coup de bluff réussi et les médicaments en sa possession, le gardien ne préféra pas rester pour demander son reste. Après tout, une fois qu'il aurait retrouvé son sang-froid, le médecin serait tout à fait capable d'appeler à l'aide ce qui n'irait pas en arrangeant les affaires du duo. Après tout le but était bien d'aider une famille et non d'en faire une cible de toute la rage de ces villageois déjà suffisamment remontés. Le gardien se mura donc dans un silence de réflexion tout en arpentant les rues le menant vers le foyer qu'il avait quitté quelques instants plus tôt. Ces médicaments prouveraient-ils leur efficacité ou était-ce une ruse de plus de la part de ce charlatan ? Non, à bien y réfléchir sa peur semblait des plus réelles et, bien que n'étant pas le plus fin des psychologues, le gardien était tout de même capable de reconnaître ou couard quand il en avait un face à lui. Ce pseudo médecin n'avait guère la force de soutenir ses convictions xénophobes, se contentant de cracher son venin à qui voulait bien l'entendre sans jamais aller au-delà. Rien d'étonnant au final.

Au bout de quelques minutes le duo arriva à destination et le dénommé Shiki put remettre le remède à la famille désespéré, avant de les laisser tranquille. Il s'agissait là d'une réunion familiale à laquelle ils n'étaient points invités, le duo avait fait sa part du travail mais il était désormais temps pour la famille de panser ses blessures. Attendant à l'extérieur de la pièce, le gardien écouta son camarade du moment lui faire part de sa surprise quant à sa réaction de tout à l'heure. Pas plus étonnant que cela de cette réaction, le concerné répondit donc sur un ton neutre :

 « Pour que cela fonctionne, l'important c'est que la cible soit persuadée qu'elle va mourir. »

Laissant sous silence la possibilité de réellement tuer ce médecin pour obtenir ce qu'il désirait, le gardien jeta un œil au foyer de ces amphibiens dont les sanglots étaient désormais absents.

 « Nous n'avons plus grand chose à faire ici, apparemment. »

Alors qu'il envisageait de laisser les rennes au propriétaire de ce corps, cherchant encore de quelle façon il allait bidouiller les souvenirs du candide, le jeune homme tendit l'oreille droite après avoir capté un bruit lointain mais régulier. Sentant que ce bruit se rapprochait à mesure que les secondes défilaient, il ne fallut qu'un instant pour que le concerné identifie ce son : des bruits de pas.

 « J'ai peut-être parlé un peu vite. »

Le médecin avait-il finalement eu le cran d'appeler à l'aide ou était-ce totalement autre chose ? Quoi que ce soit, cela ne présageait de rien de bon. La famille se remettait à peine de cette épreuve, ce n'était pas pour l'embarquer dans un bain de sang de plus. Zut, zut, zut de flûte.

 « J'espère que ce n'est pas ce que je pense. »