Moteur ! Ca tourne !

Maillot de bain rouge flashy, bouée de sauvetage à la main, simple uniforme de la marine sur le dos, Alphonse était en train de courir au ralenti sur la plage. C’était pourtant simple : il venait de trouver LA personne à sauver… elle s’était sans doute noyée ! Elle marchait ? Normalement ? Quoi de plus normal pour un esprit dérangé comme celui de Alphonse Gratz pour penser que ce n’était que pour garder la face et faire bonne figure.

Alphonse, un bras devant l’autre, la bouée attachée à son corps svelte courait au ralenti. Et quel ralenti ! L’un des plus beaux qui lui fut donné de faire. Mieux encore, il parvenait par on ne sait quel procédé à se recoiffer en laissant des étoiles scintiller au bout de ses pointes capillaires. Resplendissant, il laissa alors tomber son uniforme de la marine au sol pour courir, toujours au ralenti, vers l’homme aux pieds palmés.


J’aaaaaariiiiiiiivvveeeeeuuuuuhh !

Même ses paroles étaient modifiées pour coller à son interprétation. En réalité, dans la tête du jeune homme, il parlait tout à fait normalement. Des explosions avaient lieu à droite ou à gauche de lui et il tentait de les esquiver comme il se devait de le faire avant de lancer dans un élan phénoménal sa bouée en direction de la mer… seulement, comme la scèn était au ralenti dans la vie réelle, la pauvre petite bouée tomba aux pieds du jeune homme qui chuta… pas au ralenti cette fois ci.

Imaginant qu’il était tombé sur une mine qui avait explosé à ses pieds, Alphonse s’imagina alors être dans les airs et rouler en effectuant des figures acrobatiques avant de s’arrêter et de se réceptionner sur le sol près de la victime à prendre en charge.

En réalité… il n’avait fait que rouler jusqu’aux pieds de son homologue de la marine. Okay, les gênes Gratz étaient peut être un peu plus présents que prévu pour le jeune homme. Reprenant son souffle, le jeune marin dirigea son regard hagard dans celui de l’homme fort et déclara alors d’une voix particulièrement grave et suave.


Vous en faites pas… je suis là pour vous sauver…

Une entrée en matière fracassante à tous les égards !

Moteur ! Ca tourne !

L’homme était impressionnant. D’un coup après avoir pris la bouée, il était parvenu à parcourir de belles distances laissant le jeune marin seul dans son coin. Plusieurs secondes passèrent ainsi et Alphonse ne put faire autrement que de se retourner et se mettre accroupi. Attrapant un petit bâton et bougonnant, le jeune homme tournicotait l’objet sur le sable pour faire quelques gribouillis. Sans queue ni tête, les dessins ne faisaient rien d’autre que de trahir l’état émotionnel du jeune matelot. Lui qui pensait être à la hauteur du grand contre-amiral Gratz tombait de haut. Incapable de sauver le moindre de ses collègue ou le moindre civil, voilà tout ce qu’il savait faire.

Alphonse aurait voulu se cogner le crane devant son incapacité totale ! Comment osait-il espérer rejoindre le Compost, plus grand équipage de la marine, s’il n’était même pas capable de porter secours à quelqu’un. Un raté, voilà ce qu’il était.

Son homologue rejoignit finalement le jeune homme sur la plage tandis qu’il broyait du noir. La question qu’on lui posa alors fut la pire qu’il puisse lui être donné d’entendre à ce moment là. Trop tard… Alphonse était arrivé trop tard, tel le loser qu’il était.

A l’entente de la question, le petit-fils Gratz s’effondra au sol et se mit en position latérale de sécurité. Une fraction de seconde plus tard, il attrapa ses genoux pour se retrouver en position fœtale.


Oui… on est arrivés trop tard…
C’en devenait presque théâtralement gênant. Les lèvres tremblotantes, c’était presque en larmes qu’il avait répondu. Il serait difficile de lui redonner du baume au cœur. Depuis toujours Alphonse n’avait accompli que des choses simples et ne supportait pas l’échec. Voir qu’il n’était pas parvenu à réussir sa mission principale venait de le mettre dans un état pitoyable dont il se relèverait difficilement, c’était certain.


J’arrive toujours trop tard…
Et voilà c’était le mot de trop. Resserrant un peu plus son étreinte sur ses genoux, la jeune recrue se referma dans sa bulle. Il n’était pas l’élu, il n’était pas celui qui irait côtoyé les grandeurs du gouvernement mondial aux côtés de son illustre grand-père. Non, il resterait Alphonse Gratz, le pauvre petit marin incapable de sauver son prochain.

Le plus paradoxal était qu’avec son état d’esprit, ses capacités quasi inexistantes, ses supérieurs avaient plus d’une fois pensé à l’envoyer au Compost mais chaque fois le jeune homme avait refusé. En réalité, il n’était pas si mauvais et montrait toujours de la bonne volonté lorsqu’il parvenait à faire quelque chose : une fois, il avait même réussi à apporter un café à son supérieur. Dans son esprit, tout avait retenti dans cette réussite comme un événement national.

Comment allait-il faire pour se ressaisir maintenant qu’il était au plus bas ? Une question restait d’ailleurs en suspens : que faisait-il ici sur cette plage ?

Moteur ! Ca tourne !

La tristesse envahissait tout le corps du pauvre Alphonse qui tremblait maintenant de dégout pour lui même. Son homologue vint tenter de le réconforter une première fois avant que la flèche ne perforre la bouée. Le bruit singulier vint faire se retourner le Gratz qui n’eut alors d’yeux que pour cette masse se dégonflant… Bien vite, l’homme aux pieds palmés vint à sa rencontre pour le remercier de l’avoir sauvé…

Cruel dilemme pour le jeune marine qui sentait un tiraillement lui déchirer l’intérieur. D’un côté, il était particulièrement fier d’avoir réussi à sauver la vie de son homologue de la marine mais de l’autre… mon dieu… de l’autre côté ! Heureusement que son collègue l’avait pris dans les bras… mais était-ce suffisant ?

Le visage fermé, Alphonse sentit ses lèvres inférieures se retrousser tandis que de ses yeux commencèrent à couler des larmes discrètes. Au prix de quoi avait-il sauvé la vie d’un homme ? Etait-il nécessaire de sacrifier quelqu’un pour en sauver un autre ? Il se détacha alors de l’homme pour avancer vers sa destinée.

Il n’en revenait pas. Dans l’esprit du jeune homme, la bouée s’était personnifiée et avait vécu des moments intenses avec le maitre des films. La ramassant lentement, Alphonse pensa alors à tous les moments qu’il avait pu vivre avec cette pauvre petite bouée percée maintenant. La plaquant contre son cœur contre toute attente, le marine se mit à hurler à genoux dans le sable.


C’était pas ta guerre putain !
C’en devenait presque théâtralement gênant. Les lèvres tremblotantes, c’était presque en C’était pas sa guerre… il le savait et pourtant… il se devait d’honorer la mémoire de son camarade tombé au combat. Dans des gestes particulièrement lents qui rendraient fier le grand Gratz lui-même, Alphonse déposa soigneusement le cadavre de la bouée à côté de lui avant de se mettre à creuser dans le sable. Lentement, une nouvelle fois, il déposa la bouée au centre du trou avant de l’enterrer dignement. Il attrapas également du sable un peu plus mouillé, sans doute par ses propres larmes, pour y faire une pierre tombale avec un épitaphe… tout était bon, ou presque.

Rattrapant le cigare tombé de l’homme à moitié poisson, Alphonse s’en servit comme d’un encens avant de commencer la première messe mondiale en l’honneur d’une bouée. Malheureusement, sans qu’Alphonse ne puisse prévoir grand chose, une seconde flèche se dirigeait vers lui dans le même bruit caractéristique que la précédente. Seul problème… le jeune marin était incapable de la percevoir, bien trop concentré dans sa cérémonie. Etait-ce ainsi la fin pour lui ? Allait-il pouvoir rejoindre Gérard la bouée partie trop tôt ?


Nous sommes réunis ici aujourd’hui… pour célébrer la grande vie de Gérard, la bouée.
Ca allait être long.