En règle général si le jeune homme s'arrêtait sur une île c'était pour étancher sa soif de connaissances et satisfaire son insatiable curiosité, c'était l'évidence-même, mais la raison principale était toute autre. À cette épôque il avait toujours le plus pur des rêves, celui de changer la vie des plus miséreux pour le mieux, comme un chevalier sur son blanc destrier venant sortir les villageois de leur misère pour leur montrer à quel point la lumière pouvait être chaude et accueillante. C'était son rôle, son chemin de croix, la destinée ou tout autre terme qui voulait dire à peu près la même chose : aider les gens était la voie qu'il pensait devoir suivre. Certes verraient cela comme une simple recherche de reconnaissance ou de gratification, comme pour alimenter et faire vivre son égo, d'autres verraient cela comme de l'abnégation sous sa forme la plus pure mais, quelle que soit la réponse, seul le jeune épéiste la possédait.
Mais malgré ces nobles intentions le jeune homme devait tout de même penser à lui de temps en temps, s'accordant quelques heures de repos ou laissant de côté son désire d'aider les autres le temps du passage sur une seule île. Pourquoi ? Pour se détendre, profiter de la vie et que toute son existence ne soit pas entièrement régie par son besoin presque compulsif d'aider les plus nécessiteux. Aider les autres était une chose mais, à force de faire passer ce besoin avant tout le temps, il finirait par vivre au travers des autres ce qui ne serait pas recommandable. C'est donc à bord de sa modeste embarcation, une fois que l'archipel fut en vue, que le jeune épéiste décida qu'aujourd'hui il prendrait une journée juste pour lui.
Fini d'aller au devant des ennuis, terminées les prises de tête : le temps d'une journée il ne penserait qu'à se détendre et s'amuser si ce lieu le lui permettait. Sentant la chaleur tropical l'enserrer comme le plus doux des cocons, le garçon n'enfila qu'un t-shirt rouge et un pantacourt avant de se diriger vers le cœur du village à la recherche de quelque chose à faire pour s'occuper. Â peu de choses près c'était exactement ce qu'il faisait quand il débarquait dans un coin avec l'intention d'aider les gens mais, si les lieux de récolte d'informations étaient les mêmes, l'objectif derrière était bien différent.

Plusieurs minutes après son arrivée le jeune homme arriva devant ce qu'il identifia comme une auberge ou un bar, en tout cas un lieu de rassemblement où il lui serait très facilement de récolter des informations sur les activités possibles. Il y avait du monde et c'était peu dire, beaucoup de monde mais ce ne fut pas cette quantité qui attira l'attention du garçon. Beaucoup de personnes ici étaient armées ce qui était assez inhabituel dans un tel lieu.
Un petit garçon tendit à l'épéiste un papier avec le numéro 178 marqué dessus et, alors qu'il allait demander à quoi cela correspondait, il entendit une petite fille expliquer à un nouvel arrivant qu'il s'agissait d'un ticket pour une participation à un rite annuel. Laissant un sourire éclairer son visage alors qu'il venait enfin de trouver ce qu'il allait faire aujourd'hui, l'épéiste s'avança et se position à la droite du blondinet semblant aussi perdu que lui.

 « Ça me rassure de voir que je ne suis pas seul perdu, ici.»

Posant ses yeux de braise sur l'homme à côté de lui, Kyoshiro lui tendit la main et afficha un sourire franc avant de ponctuer son intervention par :

 « Loin de moi l'idée de me montrer trop entreprenant mais, puisque je crois comprendre que la participation fonctionne par binômes, voudriez-vous que nous participions ensemble ? »

D'un naturel curieux le jeune épéiste était toujours attiré par les rassemblements, même s'il n'en connaissait pas la nature. Certes il avait l'habitude de sillonner les tavernes et auberges à la recherche d'informations, à la recherche de moyens pour se rendre utile auprès de la communauté, mais il aurait très bien pu faire demi-tour devant cette foule d'inconnus qui ne semblaient pas prompts à le renseigner. Fort heureusement ce fut sa curiosité naturelle qui prit le dessus en le forçant à mettre un pied devant l'autre plutôt que de tourner les talons, restait encore à savoir si cela le mènerait à un événement heureux ou non. Curieux de savoir ce qui se tramait ici l'épéiste se rapprocha d'un autre homme semblant tout aussi perdu que lui, sans pour autant perdre de vue les deux sabres à sa ceinture. Amusé de voir que son interlocuteur semblait plus préoccupé par le fait de se nourrir qu'autre chose,  Kyoshiro ajouta un sourire discret à sa réponse.

 « À la fin, probablement. Pour récompenser les efforts fournis. »

Vint ensuite le moment pour un personnage haut en couleurs de débarquer sur la scène afin de présenter l'histoire de cette île de laquelle était né le rite que toutes ces personnes étaient venues célébrer aujourd'hui. Si le jeune épéiste se demandait toujours en quoi consistait ce fameux rite, il n'hésita pas à rejoindre la liesse collective en applaudissant discrètement la tirade du présentateur. Reportant ensuite son attention sur son interlocuteur du jour, ce fut l'origine du garçon qui attira l'attention du candide bien plus que son identité. Des îles célestes ? Si c'était bien la première fois que le samouraï entendait parler d'un tel lieu, son imagination fit émerger dans son esprit des images féeriques qui le firent rêver à en avoir des étoiles dans les yeux. Intrigué par ce concept d'île céleste, ce fut avec les yeux brillant d'intérêt que Kyoshiro déballa sa réponse.

 « Les îles célestes ? Wouah, ça  a l'air génial. C'est comment ? »

Alors que le calme ne semblait pas vouloir s'installer, voyant les enfants passer de groupe en groupe pour distribuer des bouts de papier ou autres parchemins, le candide fut ramené à la réalité lorsqu'il se rappela avoir oublié un point important. Tendant sa main droite vers son camarade du jour, il ajouta donc :

 « Ah pardon, j'oubliais. Kyoshiro, enchanté. »

Intrigué par l'enfant qui tendait à présent un de ses parchemins au natif des îles célestes, toujours intrigué par ce qu'était réellement ce rite ainsi que sa place dans l'histoire de l'île, c'est en arquant un sourcil d'interrogation que le candide demanda finalement à son partenaire du jour :

 « Cela raconte quoi ?  »

Il était vrai qu'en dehors de sa propre île natale le jeune épéiste n'avait visité qu'une poignée d'autres îles, autant dire qu'il ne connaissait pratiquement rien du monde dans lequel il avait mis les pieds. Tout curieux qu'il était il voyait donc chaque nouvelle découverte comme le plus inestimable des trésors et, pour le moment, plusieurs mois après sa sortie du dojo, cette curiosité naturelle ne sembla pas avoir diminué en intensité d'un iota. En serait-il toujours de même ? Difficile à dire mais heureusement le concerné ne se posait pas ce type de question, il se contentait d'apprécier l'instant présent le plus simplement du monde. Alors lorsqu'on lui parlait d'îles dans les cieux, d'un endroit aussi sublime qu'immaculé, inutile de préciser qu'une myriade d'étoiles brillaient alors dans ses yeux en imaginant dans sa tête à quoi pourrait bien ressembler un tel endroit. Désireux de voir tout ce que le monde avait à lui offrir, il nota dans un coin de sa tête d'aller un jour visiter un tel endroit, ne serait-ce que pour vérifier si c'était un lieu aussi merveilleux que son camarade du jour le laissait entendre. Bien entendu l'épéiste était beaucoup trop intéressé et émerveillé pour se rendre compte de l'inconfort de son interlocuteur, peut-être aurait-il l'occasion d'en parler un peu plus tard.
Pour l'heure le candide écouta d'une oreille attentive son partenaire lui dévoiler le contenu du bout de papier, à savoir une explication quant à la toute première épreuve de ce rite. Si Kyoshiro n'avait pas vraiment visité l'île jusqu'à présent il lui était difficile de se représenter une carte des lieux, certes, mais il n'aurait qu'à s'adapter en fonction de la situation. Pour le moment il se concentrait donc sur la compréhension de l'épreuve qui, pour le coup, était relativement floue. Certes il allait devoir prouver sa force et sa résilience, à n'en pas douter, mais le parchemin ne semblait pas expliquer quel type de danger attendait les participants dans cette forêt. Des obstacles ? Des bêtes féroces ? Des adversaires ? Autant de possibilités qui resteraient sans réponse.

 « Il y aura sans doute des adversaires à affronter dans cette forêt, il faudra rester sur nos gardes. »

En vérité le jeune épéiste était sans doute trop candide pour que, en plus de ces mystérieux obstacles, certains participants peu scrupuleux pourraient aussi s'en prendre à leurs adversaires pour éliminer la compétition. Il s'en rendrait sans doute compte bien assez tôt. Suivant la proposition de son camarade de partir dés maintenant, pendant que tous les autres étaient encore en train de se préparer et de réfléchir à la marche à suivre, l'homme aux yeux de braises hocha la tête tout en ajoutant :

 « Je suis du même avis. Allons-y sans attendre.»

Ni un ni deux, avant que d'autres n'aient la même idée, il mena donc la marche rapide en direction de la forêt en espérant que personne ne suive le duo. En moins de temps qu'il n'en fallut pour le dire les deux garçons pénétrèrent dans la forêt et, sans attendre, Kyoshiro commença à grimper sur la branche la plus proche afin de gagner de la hauteur. Le but de cette manœuvre ? Grimper tout en haut, jusqu'au sommet, pour identifier la direction à prendre si cela était possible.

Pendant de nombreuses années le jeune homme avait appris à se servir d'un sabre jusqu'à ce que cela devienne aussi fluide que naturel, mais si on laissait ce domaine de côté il ne connaissait pas grand chose d'autre. En plus de posséder un manque évident de culture il n'avait eu qu'une éducation assez sommaire et pratique par ses parents, si bien que tout ce qui touchait à la traque ou à la survie lui était clairement étranger. Une chose était au moins claire, l'ange n'aurait pas pu choisir pire partenaire pour se repérer et suivre une piste, car ce n'était clairement pas sa tasse de thé. Saisissant malgré tout l'importance de ce moment et du besoin de se tester lui-même, le jeune avait laissé ses puissantes jambes le porter jusqu'aux abords de la forêt avant de se réfugier en hauteur, afin d'y voir plus clair et peut-être même repérer le fameux pont naturel qui avait été mentionné plus tôt.
Certes l'épéiste aurait très bien pu laisser le blondinet guider le groupe rapidement, en espérant ne pas se faire rattraper par les autres concurrents, mais Kyoshiro était impatient de pouvoir faire ses preuves et de tester une fois de plus ses talents au sabre. Du hauteur de son arbre il balaya donc les environs de ses prunelles de feu et, au bout d'un moment, il repéré une zone plus clairsemée à quelques centaines de mètres au nord. S'agissait-il d'une clairière ? Sans doute. Se penchant ensuite vers son camarade du jour qui désirait quelques informations, Kyoshiro pointa du doigt la direction à prendre.

 « Il y a une zone dégagée, un peu plus loin. Ce doit être le point de passage. »

Évidemment au beau milieu de la forêt il était impossible pour l'épéiste de voir si d'autres concurrents se rapprochaient, mais le concerné supposait que c'était bel et bien le cas. Il n'y avait donc pas une seule minute à perdre. Ni une ni deux, le samouraï posa la main sur ses deux sabres et bondit de son arbre, atterrissant lourdement sur le sol avant de débuter une course à grandes enjambées dans la direction indiquée.
Au bout de quelques instants le jeune homme aperçut cette éclaircie et réalisa qu'il ne s'agissait pas d'une clairière mais bien du pont naturel mentionné tout à l'heure. Cette découverte aurait pu être la plus significative de la journée si elle n'avait pas été supplantée par quelques créatures qui patientaient de l'autre côté du pont, forçant le samouraï à se mettre sur ses gardes.

 « J'imagine que c'est cela, notre première épreuve.»

Face aux deux épéistes se trouvait une dizaine de loups qui, en plus d'avoir l'air féroces, semblaient plus affamés que jamais. Bien entendu la méthode la plus simple aurait été de foncer dans le tas en tranchant tout ce qu'il y avait sur leur passage mais, comme d'habitude, Kyoshiro ne pouvait se résoudre à tuer avec facilité. Il devait trouver un autre moyen de passer.

Au cours de divers évènements de sa vie chaque individu était mis à l’épreuve plusieurs fois, chaque personne était confrontée à de difficiles choix et ce qu’elle voulait et allait devenir était décidé par ces choix et la façon dont elle allait les affronter. Cela pouvait sembler insignifiant de prime abord comme le fait d’accepter ou de refuser de sortir avec telle ou telle personne lui faisant des avances, cela pouvait se révéler plus déterminant comme par le biais du choix de la voie professionnelle que la personne décidait d’emprunter. Mais il y avait aussi des choix un peu moins concrets, semblant presque irréels mais qui portaient en eux la possibilité de changer drastiquement la vie d’un individu si ce dernier décidait de ne pas lui tourner les talons. Kyoshiro avait connu de pareils moments durant deux évènements de sa vie qui le menèrent jusqu’au l’homme qu’il était aujourd’hui. Le premier choix fut d’écouter son cœur et de courir à la recherche de merveilles de ce monde en prenant la voie de la mort et, quelques mois  plus tard, un autre choix lui fut présenté lorsque ses pas le menèrent jusqu’à la porte d’un dojo d’une île anonyme. Il aurait pu tourner les talons et repartir d’où il venait, peut-être que son destin aurait été beaucoup plus court et funeste que celui qu’il était actuellement, mais il avait une nouvelle fois &couta son cœur et sa volonté de servir avait été plus forte que toute autre envie à ce moment-là.
Si le sabreur repensait à tous ces moments ce n’était pas par hasard ou par un quelconque élan de nostalgie, c’était parce que ce rituel lui rappelait l’importance de ses précédents choix. Ici il ne s’agissait pas de renier tout ce qu’il avait fait et de prendre une voie totalement différente mais bien de se mettre à l’épreuve, de voir si l’homme qu’il était devenu était à la hauteur de ses espérances, de voir si ses choix avaient pu créer  un homme capable de surmonter les épreuves à venir. Cela pouvait semblait ridicule de participer à une telle compétition, peut-être l’était-ce vraiment, mais c’était l’occasion de pouvoir mesurer le fruit de ses efforts et ses sacrifices passés.
Aussi, sans même le savoir le jeune homme était déjà en train de courir dans la forêt, au côté d’un inconnu, la main fermement posée sur le manche de ses deux sabres. N’y avait-il pas un jour où sa curiosité et son désir de faire ses preuves ne le mettraient pas dans de terribles situations ? Apparemment non mais ce n’était pas plus mal ainsi car, si le spectre de la violence semblait le suivre partout comme une épée de Damoclès au-dessus de sa tête, cette ombre avait au moins le mérite de le forcer à repousser ses limites un peu plus chaque jour. A cette époque il n’avait pas d’autre ambition que celle d’aider son prochain mais, en son fort intérieur, il savait que surmonter ces épreuves ferait de lui un meilleur être humain à défaut de faire de lui  un meilleur épéiste. Bientôt ses pensées furent balayées par la présence de loups à quelques pas de là, des loups que son camarade proposait de traverser  en évitant un bain de sang : une option que Kyoshiro ne put qu’accueillir avec joie d’un hochement de tête discret. Après tout il n’avait encore jamais ôté la vie à qui ou quoi que ce soit et, franchement, il ne se sentait pas de commencer aujourd’hui.

Agrippant le fourreau de son premier sabre en l’extirpant de l’emprise de sa ceinture, le samouraï débuta sa course face aux loups qui vinrent aussi à  sa rencontre. S’il put esquiver la charge du premier fauve d’un pas sur le côté il fut forcé de repousser le second d’un coup de pied, avant de bondir par-dessus le groupe en sentant des crocs venir lécher ses chaussures de très près. Son camarade s’en sortait-il mieux ? Il espérait que oui mais n’hésiterait pas à revenir en arrière si ce n’était pas le cas.

« On ne s’arrête pas ! A mon avis ils ne vont pas en rester là. »

Oh oui d’autres candidats ne tarderaient pas à se montrer mais les loups allaient prendre en chasse leurs toutes premières proies, leur tout premier repas depuis bien trop longtemps. Ainsi, si son camarade s’en était sorti, Kyoshiro poursuivait sa course en se demandant si cela en était fini de cette toute première épreuve.