Le soleil, la chaleur, tout ce qu’on pouvait espérer ne pas avoir dans un climat comme celui-ci.  L’île d’Ennies Lobby était une sorte d’aberration. Les portes du jugement qui se trouvaient à des kilomètres d’ici avaient été créées des mains de l’homme, mais pour l’endroit même où se trouvait la construction en forme de cercle, et qui donnait sur un Impel Down rempli de malfrats, il n’y avait que des légendes. Certains contaient des mots que la Olsen n’aurait su croire : elle voulait une vérité ferme, même si finalement elle s’y intéressait assez peu. Avec un air absent, elle regarda le dossier de la mission qu’elle allait devoir accomplir d’ici quelques jours. On recueillait encore les informations au Cipher Pol 2, puis ce serait son tour. Une chaîne bien huilée, qu’elle n’était pas prête d’enrailler.

- Reutsuna, lâche la salle de bain deux secondes veux-tu ?

La jeune femme sortit avec une serviette autour du corps. Elles habitaient à présent ensemble, dans leur petit Q.G. : un appartement spacieux de centre-ville que ses contacts lui avaient dégoté. Cela avait été facile, et lorsqu’elle s’était installée, elle avait pu profiter de l’endroit pour se reposer de ses dernières émotions. Depuis quelques semaines, tout s’était enchaîné si vite… Et ses missions étaient devenues de plus en plus tendues, de plus en plus difficiles. Certains auraient pensé à se reconvertir, mais les ambitions qu’elle suivait étaient impossibles à arrêter. Sereine, elle fut captée par les formes lisses de la jeune femme… Avant de comprendre que celle-ci trouvait cela amusant. A chaque fois.

- Tu m’as appelée, alors arrête de me reluquer. Tu n’es plus la même personne, Lidy. On dirait que la Vice-Directrice t’a changée.

La Kasano était en effet responsable de ce bouleversement. Elle et ses filles à vrai dire : leur contact offrait à la jeune agente aux talents indéniables une bouffée d’air frais. Elle se sentait en sécurité, tandis que son don était protégé dans l’esprit de sa supérieure… Et cela lui faisait du bien. De temps à autre, elle laissait tomber sa garde… Avant de se rappeler qu’elles étaient en passe de repartir à l’action, elle et son équipe composé de trois femmes et deux hommes. Leur nouvelle venue était relativement discrète… Elle avait élu domicile dans son bureau, d’ailleurs, et ne semblait pas vouloir le quitter. D’une certaine manière, c’était une personne spéciale, qui possédait des talents particuliers en matière de technologie. Lorsqu’elle lui avait présenté le système d’oreillettes de la Section Scientifique, elle avait passé des nuits à travailler dessus.

Pour l’instant, le dossier qu’elles avaient composé était intéressant. Un Colonel de la marine, un homme d’une grande valeur, possédait un compte à Holliday Island. Il y avait déposé une grosse somme d’argent, bien plus grosse que son salaire, et personne n’était capable de dire d’où sortaient les fonds. L’affaire était inquiétante, mais il n’avait apparemment rien détourné de la base où il travaillait. C’était le devoir du Cipher Pol 6 d’enquêter là-dessus. L’affaire était banale, et Lidy hésitait à se déplacer elle-même… Cependant la mention d’un haut-gradé l’obligeait à vérifier et à se rendre sur le terrain. Des colonels véreux, il n’y en avait heureusement pas tous les jours.

- Oui, j’ai besoin de toi pour déterminer sur quelle affaire envoyer Kid. Il a fait des progrès, c’est certain, mais j’aimerais que toi et lui vous fassiez équipe.

L’agente de terrain acquiesça. Le petit être habitait logiquement avec elles, mais il s’éclipsait régulièrement chez Alistair Prometheus qu’il semblait plutôt apprécier. Cette relation rendait les liens du groupe plus solide. En réalité, Lidy l’impressionnait. Elle mit une main sur le côté et fronça les sourcils :

- Le dossier n’est pas là… Je l’ai laissé au bureau.
- Tu m’as juste demandé de sortir pour pouvoir me reluquer, n’est-ce pas ?
- Tu sais que tu fais une charmante colocataire ?

Elles se sourirent et finalement l’ancienne chasseuse de prime repartit dans la salle de bain tandis que la Olsen se dirigeait vers les bureaux du Cipher Pol pour y récupérer ce dont elle avait besoin. En chemin, elle heurterait peut-être quelqu’un…

Elle était étrangement guillerette. La Olsen était passée au bureau qu’on lui avait attribué, et s’était saisi du dossier qu’elle cherchait à s’accaparer pour ses subordonnés. Il en allait de leur mission future : elle venait de l’expliquer à Reutsuna, et ce qu’elle économisait en copie, elle aurait pu largement l’y dépenser grâce à sa mémoire. Cette affirmation, elle la conservait en elle comme un secret : même si personne ne semblait s’y intéresser, elle avait une mémoire parfaite. Elle se souvenait de chaque chose : chaque sensation, chaque événement, tout ce qui ne la quittait pas. Ainsi, lors de ses missions, elle avait pu vivre des choses qui étaient restées gravées en elle, et les décuplaient encore chaque jour.

Saluant ses collègues, encore étonnés qu’une telle « nouvelle » soit arrivée au poste d’agent d’élite, elle passa à l’étage du Cipher Pol 6 en coup de vent. De là, on avait une superbe vue sur le reste de Ennies Lobby. Ces bureaux étaient heureusement fortement bien gardés. La sécurité y avait été augmentée pour une raison qui échappait à la demoiselle : à vrai dire, elle n’avait pas cherché à le savoir, et elle préférait l’ignorer. Savoir que cet endroit était perméable aurait été… à moins qu’il le soit à cause de la corruption latente, mais la plupart du temps il s’agissait de volontés individuelles de puissance.

Lorsque son regard passa au-dessus des terres de la Justice, son regard put s’arrêter sur le terrain d’entraînement. Elle souleva un sourcil. De là où elle était, elle pouvait voir Alistair, son collègue, qui s’entraînait contre d’autres hommes. Il avait une politique bien triste de jamais s’en prendre aux enfants et aux vieillards : heureusement ceux-là ne courraient pas les rues. Haussant les épaules, elle s’apprêtait à partir lorsqu’elle aperçut une ombre qui descendait d’un toit.

- Près du terrain d’entraînement ? Et si nous allions voir cela…

Elle avait réussi à sentir quelque chose de l’ordre de l’abnégation dans cette silhouette, sans avoir le temps d’y discerner une quelconque pensée. A l’image d’un Haki de l’Observation, elle gardait sa lecture d’émotions savamment ouverte pour se protéger des émotions hostiles d’autres personnes et avoir toujours un coup d’avance. Elle ne dépensait pas d’énergie, à vrai dire, en tout cas pas plus que celle d’une utilisatrice de fruit du démon habituel. Pour dire qu’elle mangeait comme quatre, il n’y avait qu’un pas… Mais les autres agents de son groupe ne dînaient en général pas avec elle. Et en dehors de Mathilda, aucun n’avait eu l’habitude de côtoyer de maudit ou ne s’y connaissait dessus.

- Oh, on dirait que le soleil va se couvrir, fit la jeune femme en sortant.

Les nuages menaçaient de prendre place, étonnement, dans le ciel bleuté de l’île. C’était sûrement un bienfait : malgré tout, il n’y aurait pas de tempête, elle ne l’envisageait en tout cas pas. Se dirigeant vers le terrain d’entrainement à pieds, elle put y apercevoir son collègue : il était en train de faire quelques passes d’armes, affrontant des novices avec sa lance en titane fournie par la Olsen. Elle était estampillée du nom d’un forgeron célèbre du coin.

Quand il vit arriver la gradée, il se mit au garde-à-vous militaire, et fut immédiatement imité par ses collègues. Ils faillirent hurler un « Agent d’élite » mais cela aurait été trop précipité, et la jeune femme n’avait pas besoin qu’on la nomme par son grade : ainsi, elle fut la première à prendre la parole.

- Repos, s’il-vous-plaît. Je viens assister à l’entraînement… Et observer quelque chose.

Elle laissa son regard chercher la personne dont elle reconnaitrait certainement la signature mentale, et fouillerait dans son esprit avant d’aller s’adresser à elle, tandis que l’entraînement reprenait de plus belle. En s’approchant, elle dirait :

- Bonjour, je suis Lidy Olsen, Agente du Cipher Pol 6, je vous ai vu tout à l’heure… Puis-je me permettre de vous demander qui vous êtes ?

Bienveillante, et souriante, la jeune femme était au fond d’elle plus ferme. Elle voulait écarter la potentialité d’une menace.

Les pensées de la personne en face d’elle étaient… bien particulières. Elle fantasmait constamment sur un Cipher Pol, le 0, celui qui s’occupait de la protection des Dragons Célestes. Lidy connaissait au final peu de choses sur cette caste, sinon qu’elle était la dirigeante suprême du Gouvernement Mondial, et qu’il n’y avait pas à discuter un seul de ses ordres. Elle régentait le monde, et toucher à un de ces hommes signifiait la pitance, sans accès direct à Impel Down. La pensée même de les faire tomber de leur siège d’or ne touchait pas la jeune femme, qui débectait simplement la corruption présente dans leur caste. Ils s’amusaient du sort de l’humanité qu’ils observaient, tel un théâtre macabre. Avec un air cependant fermé elle observa son interlocutrice qui lui répondit par un mensonge : il s’agissait d’un faux nom, et de cette fausse identité découlaient deux choses. Il s’agissait soit d’un membre du Cipher Pol 9, soit d’une espionne qui était entrée dans le système de maintenance pour un dessein étrange. Sinon la mesquinerie d’un mensonge gratuit, il n’existait rien d’autre qui aurait pu corréler à un tel mensonge.

S’asseyant cependant, la Olsen observa un instant le combat. Elle n’avait pas réellement besoin de réfléchir à son plan d’action. Pour le moment, elle supputait simplement. La jalousie qu’elle tentait de mimer ne correspondait pas à ses émotions, là encore un véritable mystère d’abnégation. Les pensées de cette demoiselle étaient totalement tournées vers ses rêves…

Les échanges de coups se poursuivaient sur le terrain d’entraînement. Alistair avait réussi à désarmer plusieurs de ses adversaires en un temps très court. Il excellait avec son arme d’une dextérité rare chez un Agent du Cipher Pol 6. Un sourire se posa sur les lèvres de Lidy tandis qu’elle se félicitait d’avoir « recruté » cet homme. Il avait bien sûr été forcé au début, mais cela était loin d’être dans ses préoccupations à présent que de repenser à ce genre de choses. Et c’est en abandonnant les mouvements fluides du lancier qu’elle se tourna finalement vers son interlocutrice :

- C’est un beau mensonge, mais je n’y crois pas. Qui êtes-vous réellement ?

Elle assénait ce coup comme une dague en plein cœur. Si la jeune femme lui demandait comment elle le savait, elle lui expliquerait que les agents de maintenance ne venaient normalement pas sur les terrains en pleine journée, et qu'elle avait eu un instant très bref avant de donner son identité. Suffisamment en tout cas pour qu’elle puisse associer cela à un mensonge. Enfin, le moment de vérité sonnerait dans l’esprit de son interlocutrice, et tandis que Lidy se tairait un instant de plus, elle finirait par sous-entendre quelque chose sur un ton bien énigmatique :

- Certains agents du Cipher Pol en savent plus sur les Cipher Pol que d’autres. Certaines fonctions ne sont remplies que par des cadres particuliers… Vous voyez ce que je veux dire, n’est-ce pas ?

L’appartenance au CP9 était quelque chose qu’elle ne pouvait deviner, mais qu’elle induisait par ses paroles. Si son interlocutrice se confiait finalement, en admettant qu’elle comprenne le sous-entendu presque explicite de la jeune femme, elles pourraient reprendre une conversation à l’abri d’oreilles indiscrètes, couverts par les bruits tonitruants des armes et des attaques des personnes qui se trouvaient sur le terrain.

En tout cas, si la personne en face d’elle était une espionne, elle aurait tôt fait de l’arrêter et de la mettre aux arrêts, justifiant qu’un mensonge méritait au moins une petite enquête sur ses antécédents. Elle pouvait bien sûr se tromper, cela lui était déjà arrivé… Mais elle évitait aujourd’hui de mettre en péril des vies de cette île : parmi les personnes qui s’y trouvaient, il y avait des êtres chers à son cœur, à présent… Dont les filles de supérieure.

La Olsen haussa un sourcil. Ce mensonge était plausible, si les pensées en arrière-plan n’avaient affirmé le contraire. Il s’agissait bien d’une couverture, pour éviter d’éveiller les soupçons, et elle se mit brusquement à penser à la religion qu’elle entretenait et à sa dévotion à Saint-Constantin. Cet homme était partout : ses dévots commençaient à pulluler dans le Gouvernement Mondial, et ils montraient une certaine force de frappe dans leurs propos. Ils étaient intransigeants, et le moindre petit égarement pouvait valoir la mort. C’était typiquement le genre de personnes qui n’aurait pas compris en quoi le point de vue de Lidy avait pu évoluer ces derniers mois pour s’affirmer favorable à l’organisation mondiale. Elle aurait aimé corriger ses abus, mais ce n’était pas de son ressort : tout ce qu’elle pouvait faire, c’était lui retirer les traces de souillures qui se trouvaient à la surface, et gratter la couche de ténèbres autour du cœur.

Ainsi, elle était agacée d’avoir à nouveau  était découverte. Son rôle d’acteur était sûrement confronté à des talents similaires à ceux de la Olsen qui s’érigeait en tant que pilier dans son domaine, bien loin que Chairoka malheureusement, mais suffisamment proche pour que la Vice-Directrice ne trouve en elle un indéniable atout. Finalement, elle avait bien couvert ses traces, à une exception près. Seuls les agents du Cipher Pol 9 étaient amenés aussi tôt sur les terrains d’entraînement. Les autres agences n’avaient pas le privilège de recruter leurs membres en bas âge, à de très rares exceptions et dans des circonstances qui dépassaient souvent toute logique. C’était du moins ce qu’en avait déduit la Olsen des pensées de l’agent d’élite Ashford qui menaçait d’intégrer Sakura, la plus jeune des Kasano, à cette agence. Si elle était contre cela, la demoiselle comprenait aisément la nécessité que cela représentait.

- Je suis une agent d’élite du Cipher Pol 6, avoua la demoiselle tandis qu’un nouvel adversaire d’Alistair se mordait les doigts devant sa défaite.

Elle était sereine et en peu de temps, elle pourrait briser le mur qui s’était dressé entre elle et son interlocutrice. Cependant, si elle considérait que cela, plus le badge qu’elle pourrait lui montrer étaient des preuves suffisantes, elle se tairait simplement pour reprendre sa contemplation : elle ne désirait pas s’exprimait plus sur le sujet si cela menaçait le secret qu’elle renfermait dans ses pensées. Il ne fallait pas que l’agente en face d’elle, ou l’aspirante, ne se doute de quoique ce soit. Elle avait sûrement des compétences, malgré tout elle avait un esprit bien bavard.

- J’ai été promue suite à l’affaire de Kasumi Imejo… Vous l’avez peut-être lue dans les journaux ?

Si elle était de l’agence, elle saurait que l’infiltrée avait travaillé avec une de ses homologues. Bien sûr, c’était quitte ou double : rien ne pouvait affirmer à la bleue que les choses étaient allées aussi rapidement. Un sourire sur les lèvres, la demoiselle se souviendrait brièvement des événements qui l’avaient amenée sur cette île. L’affaire avait permis de lié une sorte de lien entre le Cipher Pol 6 et le Cipher Pol 9 : les deux proposaient des services bien différents, mais ils étaient amenés à collaborer pleinement dans le futur. Ainsi, ils pourraient éradiquer les graines de malveillance dans les rangs du Gouvernement Mondial, chose à laquelle aspirait la Olsen. Si elle réussissait un coup de maître quelconque, elle pourrait arriver à gagner un peu plus d’échelons. C’était un pari qu’elle serait prête à prendre pour le rôle de Directrice, une fois Ayme Ko à la retraite. Celui-ci pourrait d’ailleurs partir plus tôt que ses collègues : il avait un certain âge et sûrement assez d’économies de côté pour profiter paisiblement de la vie jusqu’à la fin de ses jours.

- Je ne suis pas ta supérieure, sourit la jeune femme aux cheveux bleutés.

Les Cipher Pol avaient beau avoir le même nom, ils n'étaient pas moins des agences distinctes. En dehors d'une mission de terrain conjointe où un supérieur était nommé, ils n'avaient pas d'ordre à recevoir des autres corps. De même, si l'Amirale en Chef avait un poids non négligeable et qu'il serait mal vu de lui désobéir, les Cipher Pol ne répondaient qu'à leurs directeurs et aux ordres qui émanaient de plus haut : les Dragons Célestes, et les Cinq Etoiles. De même, le Lieutenant Général était aussi à même de leur donner des ordres.

Enfin, les murmures lui parvinrent comme une douce mélopée. La demoiselle avait enfin l'aveu qu'elle espérait, et fut essentiellement surprise par une information qui venait de lui être transmise : elle avait en face d'elle l'autre agente qui se trouvait sur l'île. Elle avait donc survécu. Si après la mission elle ne s'en était pas inquiétée, elle était soulagée de voir que la trahison dont ils avaient été victimes n'ait pas trop réduit leurs rangs. À d'autres endroits, peut-être que la portée avait été plus importante.

- C'est bien cela, répondit-elle à mi-mots.

Et elle écouta la suite. Ainsi, elle lui proposait de la retrouver à l'abri des oreilles indiscrètes. Le lieu n'était pas idéal pour tout type de conversation, et si Lidy aurait bien proposé son bureau ou son appartement, elle n'en eut pas l'occasion. De toutes les manières, le matériel de brouillage n'était pas installé chez elle. Contrairement à la Vice-Directrice, elle ne possédait pas encore de contact dans la Section Scientifique pour faire cela, du moins c'est ce qu'elle supposait, n'ayant jamais posé la question. Un appel pourrait lui permettre d'avoir le nécessaire, mais encore eut-il fallu qu'elle fasse ses preuves. Elle laissa donc la jeune femme en face d'elle prendre les devants et s'adresser à un agent du CP2. Alistair se retourna alors, interrompant son enchaînement comme pour écouter les paroles de la CP9.

Une fois la demoiselle rousse éclipsée, l'Agent de terrain sous les ordres de la Olsen se dirigea vers celle-ci. Il fronça les sourcils et semblait suspicieux : sa supérieure préparait un mauvais coup. Ou à défaut, elle était en train de fomenter quelque chose dans son esprit : son visage la trahissait parfois quand elle n'était pas sur ses gardes.

- Lidy, est-ce que....
- Tu viendras dîner chez moi ce soir. Je pense que nous aurons des choses à discuter, fit-elle en souriant.

Ainsi, elle quitta le terrain d'entraînement pour prendre la direction de la laverie. Son esprit était en pleine ébullition. Il fallait qu'elle se saisisse de cette opportunité nouvelle pour renforcer ses liens avec le Cipher Pol 9, permettre à cette agente de s'illustrer ou de la mener à de nouveaux contacts. Elle était peut-être constantiniste, mais elle avait le mérite d'être suffisamment intéressante pour qu'on la mette sur une mission comme celle d'Imejo. Enfin, lorsqu'elle arriva à l'endroit où les machines tournaient à plein régimes, la jeune femme tenterait de trouver du regard son interlocutrice.

Quand elle l'aurait trouvé, elle lui demanderait si le lieu était sûr : elles pourraient sinon aller dans le bureau de l'agente d'élite, où elle congédirait sa secrétaire pour la journée avant de parler. Dans tous les cas, elle finirait par aborder ce qu'elle avait en tête.

- Parlons librement. Tout d'abord, le Cipher Pol 9 est une agence de l'ombre. Je voulais m'assurer que vous en faisiez bien partie, étant donné que je n'ai pas l'habitude de vous croiser, vous ou vos collègues.

Elle se tairait un instant. D'un côté, les hypothèses avaient été rapides grâce au contexte dans lequel elles se trouvaient. De l'autre, il lui fallait avouer qu'elle n'était pas encore apte à pouvoir nommer chaque agent de la base, malgré sa mémoire parfaite. Ainsi, elle continua sur un ton sérieux :

- N'y allons pas par quatre chemins, j'aimerais savoir si vous savez quelque chose sur une organisation qui se nomme « La Triade ».

Elle interrogerait à la fois l'esprit et les paroles de cette jeune femme. Lidy avait quelques informations, mais celles-ci étaient bien maigres. Elles avaient au moins le mérite d'exister. Les informations étaient maigres ou inexistantes, et à vrai dire il fallait en avoir entendu parler de la bouche de personnes impliquées dans leurs affaires très secrètes pour savoir ce qu'il en retournait.

Subitement, cette personne révéla son vrai visage. Installées dans le bureau de l’Agente Olsen, celle-ci aurait détaillé avec une certaine patience son interlocutrice tandis qu’elle s’assiérait. Il en fallait peu pour définir la vraie nature d’une personne, car les pensées étaient bien souvent en adéquation avec la réalité…  Mais elle pouvait aussi faire des erreurs, comme avec cette Commandante qu’elle avait mise sous les barreaux et qui avait réussi à mener son pouvoir en bateau. Il ne fallut pas longtemps pour qu’elle parle de son dévouement à Saint-Constantin, et la Olsen ne se vit pas jouer la fervente pour entrer dans les bonnes grâces de cette agente : une collaboration entre Cipher Pol était toujours une épreuve, car les modes de fonctionnement étaient divers. Finalement, elle dit qu’elle détenait quelques informations sur la Triade, mais elles étaient bien succinctes. Elle n’avait pas d’intérêt à réunir des informations, et ce fut avec une certaine froideur qu’elle enchaîna.

La jeune femme ne perdit pas son sang-froid. De toute évidence, son interlocutrice n’était pas inconnue du bataillon des fruits du démon, et elle pourrait tout à fait être à même d’en parler, mais ce n’était pas dans l’intérêt de la Olsen de dévoiler ses atouts. Elle savait, comme l’avait indiqué sa supérieure, que dans de mauvaises mains ce pouvoir pourrait être mal utilisé. Ainsi, se contentant de hausser les épaules et de garder un air détendu, elle répondit à la dernière assertion.

- Je vais vous expliquer mon cheminement de pensées. J’ai vu quelqu’un descendre des toits, vers les terrains d’entraînements. Cela m’a mis la puce à l’oreille : je me suis demandé ce qui se passait. D’ailleurs, mon erreur est de supposer que vous étiez cette personne. Cependant, j’ai peu de doutes à présent. Je vous y ai donc trouvé, à l’écart, et me suis demandé ce que vous faisiez là-bas. Votre histoire m’a paru étrange : vous avez commencé par J’ai autrefois postulé aux Cipher Pol, et n’avez pas indiqué que vous continuiez votre entrainement, cependant vous vous êtes corrigée par la suite. Un agent de maintenance ne venant pas pendant les heures d’entrainement, j’ai trouvé cela suspect. Vous avez indiqué ensuite que « depuis que j’ai quatre ans », vous veniez vous entraîner… Or, à cet âge, la seule agence qui semble pouvoir entraîner des membres est le Cipher Pol 9. Ensuite, vous avez été réceptive à mes sous-entendus, et avez finalement confessé, ce qui m’a permis de le déduire. J’aurais pu me tromper, et découvrir que vous étiez une espionne, bien sûr. La marge de manœuvre était assez courte.

Elle s’arrêta un instant, réfléchissant à ce qu’elle allait dire ensuite, puis décida finalement.

- Les fruits du démon ne permettent pas tout, Mademoiselle. Ils sont le risque d’une confiance aveugle en des capacités inexistantes. Si j’en avais un, il ne m’aurait été d’aucune utilité.

Cette fois-ci, Lidy avait tapé fort. Il était rare qu’elle se plaise autant à réfuter des dires. Son fruit du démon ne lui était réellement d’aucune utilité, sinon que de confirmer des hypothèses dans ce cadre-là. Il lui permettait de diriger la conversation. Des agents d’élite, il y en avait des tas. Ils étaient tous capables de bien des miracles, mais avaient surtout été recrutés sur leurs capacités de déduction dans le Cipher Pol 6. Si Ashford était monté aussi haut avant elle, il méritait son titre pour avoir échafaudé des plans dignes de son grade… Et il fut simplement aveuglé par sa course au pouvoir.

Finalement, la Olsen passerait à un autre sujet : il n’y avait rien à ajouter et elles n’en étaient pas encore au moment de se confier leurs aptitudes respectives et de se serrer dans les bras. Les objectifs de cette rencontre étaient devenus liés au travail de toutes les manières, et toujours aussi détendue, la demoiselle à la chevelure bleutée reprit la parole :

- La Triade est un groupuscule néfaste au Gouvernement Mondial. Elle doit avoir des agents infiltrés dans les basses et hautes strates. J’ai plusieurs hypothèses à ce sujet, des pistes de réflexion, mais je pense qu’il est possible que certains de leurs membres aient réussi à investir les plus hautes strates du Gouvernement. C’est une hypothèse, entendons-nous bien. A votre avis, comment fait-on pour passer sous les radars de nos institutions ? On ne fait pas de zèle, c’est-à-dire que l’on va éviter de trop s’agrandir. Or, cette organisation a l’air suffisamment puissante pour nous tenir tête dans son milieu. Je penche plutôt sur la seconde hypothèse donc : des infiltrés leur permettent de s’en sortir en masquant progressivement leurs traces.

Elle s’arrêta un instant. Cette réflexion, cela faisait des jours qu’elle en émettait l’hypothèse. Ce gros gibier qu’était la Triade, elle souhaitait le tailler en pièces. Ce serait à la fois un bénéfice pour le Cipher Pol 6, mais aussi pour sa carrière. Un avancement si elle réussissait : il lui fallait cependant trouver le bon poulain pour l’aider dans cette aventure, et elle ne savait pas si son interlocutrice la suivrait. Elle continuait cependant à faire mine d’ignorer ses pensées.

- Voilà donc pourquoi j’aimerais une collaboration entre nos deux agences, dès que j’aurai trouvé ma première piste parmi les infiltrés. J'aimerais d'abord votre avis sur la question.

Elle savait aussi de par déduction que le patron de cette femme serait ravi de démembrer cette organisation. Il n’avait pas fallu longtemps à Lidy pour savoir que la Triade était responsable de la fuite d’informations sur leur mission. Comment ? Aucune idée. Elle n’avait de toutes les manières par eu le loisir de s’occuper de cette question.

Une fois encore, la réponse de la Nostradame fit réfléchir la Olsen. Elle était en face d’une personne qui était capable de réflexion et d’auto-analyse. Elle défendait les fruits du démon avec ferveur, ce qui semblait indiquer qu’elle y avait trouvé son compte. Qu’importe, dans tous les cas l’Agent du Cipher Pol 6 avait déjà obtenu ce qu’elle désirait, et n’irait pas chercher plus loin. Bien au contraire, il fut un temps où elle aurait voulu tout savoir. Aujourd’hui, si elle en avait les moyens, elle ne les utilisait pas à outrance, surtout en relation duelle. Le Cipher Pol 9 était « connu » pour ses redoutables combattants, et en matière d’assassinat il n’y avait rien de pire qu’un agent qui soit capable de vous tuer d’un coup de Shigan quand vous avez le dos tourné.

Elle termina sur une analyse de la situation concernant la Triade, et détermina la marche à suivre pour la contacter lors d’une mission. Lidy acquiesça lentement : cette fois-ci, elle n’avait pas l’intention de détailler son plan. Elle cherchait juste des alliés. De son côté, il lui faudrait juste un peu de patience. Elle éplucherait les dossiers, retrouverait des noms, tomberait sur la bonne proie… En terme de connexion, elle savait déjà que le terme « Triade » apparaissait dans bien moins d’affaires qu’il n’était impliqué, car personne ne prononçait son nom. Les rares personnes à le connaître étaient muettes comme des carpes. Quant à la tête de cette organisation, elle était encore bien loin des préoccupations de la demoiselle. Il faudrait aussi qu’elle envisage de trouver un moyen pour que leur enquête ne fasse pas que faire céder les criminels devant leurs victoires, mais que leur capital et leurs actions ne reviennent pas aux hors-la-lois derrière. Ce serait une belle victoire pour le Gouvernement Mondial… Une qu’elle comptait s’arroger si possible.

- Et à quel nom devrai-je vous demander, quand l’occasion se présentera ?

Sa réelle identité était un conte pour enfants. En somme, rien de bien spectaculaire : le Cipher Pol 9 devait élever des assassins, pas des êtres humains. L’Odono était un parfait exemple de cela : elle avait, durant sa mission, montré une résolution à mourir sur place. Elle aurait d’ailleurs pu l’abandonner. Seule, il aurait fallu peu de temps pour que les gardes ne la trouvent. Au bout d’un certain temps, ils seraient sûrement même parvenus à la tuer. En repensant à cet événement, la jeune femme s’interrogea sur les compétences de son interlocutrice. D’un coup, elle ne put retenir sa question qui lui brûlait les lèvres :

- Dîtes-moi, vous avez des compétences en Rokushiki en tant que membre du Cipher Pol 9 ? Je m’adonne à cet art depuis peu, je débute en quelques sortes… Auriez-vous du temps pour m’instruire sur le principe ?

Si c’était le cas, elle ajouterait qu’elle réserverait un terrain d’entraînement à l’écart pour qu’elles puissent faire montre de leurs aptitudes particulières : l’art des six techniques. Bien sûr, la Olsen en connaissait les principes et les différentes techniques qui le composaient. Elle n’avait cependant jamais réellement eu l’occasion de voir l’intégralité des techniques en œuvre à la suite, comme lors d’un entraînement. Il était courant que certains en maîtrisent plusieurs, mais rarement le panel entier, ce à quoi elle aspirait.

Une fois qu’elles seraient sur le terrain d’entraînement, et si la CP9 avait dévoilé ses talents à la jeune femme ou que Lidy avait tenté un Rankyaku savamment échoué, des applaudissements retentiraient au niveau des escaliers qui descendaient depuis la porte qui menait sur ce terrain pourtant censé être privé. Lidy se retournerait alors pour observer la personne qui se trouvait à présent près d’elles… Avec méfiance, au moins dans un premier temps.

- Vous êtes en train de vous entraîner, félicitations ! On dirait presque des agents du Cipher P… Ah, vous en êtes une, vous.

Il désigna Lidy, et celle-ci se souvint bien rapidement avoir pu observer cet homme, le jour où Ashford avait été arrêté. Il faisait partie du Cipher Pol 7, une information qu’elle se garda bien de transmettre à la personne à ses côtés. Après tout, elle aurait aimé voir sa réaction. En tout cas, l’homme était plutôt intéressant. Chargé de la traque des primés, il faisait partie de cette jeune génération de prodiges qui arrivaient, comme Lidy, à des postes de responsabilité très tôt. On disait même qu’il aurait pu être chargé de retrouver le « Faiseur de Coups d’état », dans le service. En plus de cela, tout le monde le trouvait plutôt mignon, ce à quoi Lidy avait peu de choses à objecter.

- J’suis l’agent d’élite San Chi, du Cipher Pol 7. Enchanté, m’dame.
- Vous faîtes quoi ici, agent ?
- J’ai vu d’la lumière. Eh, ça vous dirait un p’tit entraînement ? Deux contre un, sourit-il avec un air intéressé en direction de la Nostradame. On n’va pas faire de chichis, hein.

Notant mentalement chaque conseil de la demoiselle, Lidy ne put s’empêcher de les analyser progressivement. Si elle n’aurait pas une démonstration, chose qu’elle attendait avec ferveur, elle pourrait au moins anticiper chacune des prochaines attaques en fonction de leur portée. Ainsi, et comme en parla la fausse « Dash », le Rokushiki était un art on ne peut plus physique. Le corps de la Olsen n’était à vrai dire pas taillé pour quelque chose de ce genre, et si elle appréciait grandement l’idée de se spécialiser un jour dedans, elle savait que son fruit du démon serait un frein à cela. Il lui prenait une grande partie de son temps, et de l’entraînement qu’elle pourrait fournir il n’en restait plus que des miettes. Avec un air concentré, elle continua en direction du terrain, et observa les mouvements fluides de son interlocutrice. Bien sûr, elle retenait ses coups. Lidy n’était pas une experte, loin de là, et le combat revêtait bien des mystères à ses yeux, mais elle souhaitait être capable de « se débrouiller » dans les situations épineuses. L’art des Cipher Pol était tout à fait adapté puisqu’il ne nécessitait que son corps, et lors des infiltrations quelle meilleure arme que celui-ci ?

- Je vois… « plier son corps », répéta-t-elle en rêvassant.

En dehors de leurs missions, la demoiselle aux cheveux bleus sentait qu’elles n’avaient rien à se dire. La rousse et elle-même appartenaient aux antipodes de deux mondes. A vrai dire, la caste entière des constantinistes était à part, et il n’y avait pas plus de points communs entre eux et les personnes lambdas qu’entre eux et des animaux. Pas le même univers, pas les mêmes croyances, et un extrémisme à toutes épreuves.

- Nous allons tenter un entraînement à deux. Cela ne pourra que nous être bénéfique, si vous le voulez bien, fit elle en sortant un magnifique pistolet.

Cette arme, elle avait appartenu à leur ennemi commun, mais cela Vénus ne pouvait pas le savoir. Ainsi, en se mettant en position de combat, Lidy changea les balles pour des balles à blanc. Elles seraient suffisamment puissantes pour arracher la victoire le moment venu : pas la peine de blesser gravement leur opposant. Le fameux jeune agent d’élite tira la langue, comme une provocation, avant de s’élancer directement dans la bataille. Il était rapide, au moins autant que la Olsen. Celle-ci le visa en tournant sur elle-même, et lorsqu’il lui sauta dessus, elle se laissa tomber en arrière pour qu’il passe par-dessus elle. Un coup de feu retentit et il reçut une balle à blanc en plein dans l’estomac. Il s’écrasa à terre, toussant ses poumons.

En à peine quelques instants il fut remis et provoqua à nouveau ses interlocutrices. Celles-ci avaient un avantage : elles étaient deux et pouvaient profiter d’une collaboration qui s’avérerait sûrement efficace. Cette fois-ci, Lidy fit signe à la CP9 de passer par le côté. Elle allait faire diversion, pendant que sa collègue porterait un coup derrière.

- T’es une peste… J’voulais voir ce que valait la nouvelle « Agent d’élite », mais c’est presque pitoyable.

Celle-ci aurait pu hausser les épaules si l’assaut n’avait pas déjà commencé. Prise par le combat, elle attendrait tout de même que Vénus ne bouge pour pouvoir suivre la tendance. Elle prendrait les devants, et affronterait de visu le CP7 dont les intentions se dévoilaient clairement dans ses pensées. C’était un jeu, une facette : il n’était ni odieux, ni mesquin. Son esprit bouillonnait de pleines intentions, même s’il ne se mettait pas à ses pleines capacités. Par rapport à ces deux personnes, Lidy se sentait à la traîne du point de vue du combat. Elle ne se laisserait cependant pas faire, et si son alliée réussissait à porter son coup, elles arracheraient une deuxième victoire sur cet homme.

Alors qu’elle donnait un uppercut de moindre qualité, l’agent du Cipher Pol 7 reçut l’attaque sans broncher. La Olsen, elle, savait que son alliée retenait ses coups. Elle ne s’attendait juste pas à ce que ce soit à ce point-là. Résultat des courses, leur opposant ne fut qu’à peine décontenancé et il profita de sa supériorité pour faire s’avachir Lidy sur le sol. Cette dernière vit son corps valdinguer par-dessus l’homme qui, un sourire victorieux, tenta d’improviser une prise de catch. Il était cependant tombé sur la mauvaise pomme qui lui prit l’entrejambe, menaçant celui-ci ouvertement. Une perte de virilité plus tard, les deux agents d’élite se relevèrent. L’expertise en combat n’était pas demandé dans leurs agences, même si elle se trouvait être plus nécessaire lorsqu’il s’agissait de traquer des primés que quand il fallait réunir des preuves.

Un soupir las, Lidy se tourna vers la membre du Cipher Pol 9 en haussant les épaules. Elles avaient perdu cette deuxième manche, mais elle-même se lassait : il n’y en aurait pas de troisième. D’un simple mouvement, la bleue se dirigea vers son alliée, tournant le dos à l’homme qui dit alors sur un ton à nouveau faussement provocateur :

- On abandonne déjà ? Ce n’était que l’échauff-
- Je vous en prie, ne faîtes pas votre naïf. Nous sommes à deux niveaux de combat différents. Nous débutons à peine, là où vous avez déjà fait vos armes.

Elle fusilla du regard l’homme qui ne put que lui répondre par un sourire charmeur. De toute évidence, c’était la première fois qu’on le mettait à bas si rapidement, mais il ne pouvait qu’avouer sa défaite en ce domaine. Il s’approcha donc des deux jeunes femmes, et pour s’excuser glissa un :

- Je peux vous inviter à dîner ce soir ?
- Vous êtes lourd. Viens, Evie, je pense que nous avons mieux à faire.

Un tutoiement non pas pour créer une proximité mais pour inventer un lien entre elles. Après tout, lui s’arguait de cette pratique comme un macho sans bornes. C’était agaçant, et triste. Elle mit un terme à leur échange, et se dirigea hors du terrain où elles n’auraient passé que quelques instants. L’homme sourirait tout du long, les observant sans les embêter plus. Il n’avait pas de mauvaises intentions, même si sa manière de faire était maladroite.

Une fois dehors, la Olsen s’excuserait rapidement pour ce tutoiement. Elles n’avaient pas de liens de proximité, et en dehors du boulot, un pantin du constantinisme ne risquait pas d’en créer. Cela serait, de toutes les manières, inutile.

- Je vous donne mon numéro d’escargophone, au cas où nous pourrions échanger des informations pour notre affaire.

Sortant un papier, elle ajouta :

- J’imagine que vous devriez demander l’avis de vos supérieurs. Une collaboration entre nos agences sera bien vue, et permettra d’endiguer un peu plus les ténèbres qui se sont installées dans le Gouvernement Mondial.

Elle se tut un instant, avant de conclure par :

- Vous pourriez aussi avoir besoin d’une expertise à un moment donné sur une situation. Sachez que vous pouvez me contacter pour tout ce qui concerne les fraudes et la corruption. C’est bien entendu mon domaine.

Ce n'était pas sorcier : le Cipher Pol 6 traitait principalement de cela, parmi d'autres sujets.

Bien sûr, elle ne pouvait pas se permettre de n'avoir que des liens succincts avec les autres agences. Si un jour elle espérait atteindre les plus hautes strates, la Olsen savait qu'elle aurait tôt fait de les construire avant d'arriver au pouvoir. Il lui fallait des soutiens, et pour cela, elle était prête à s'investir dans des affaires où le Gouvernement Mondial n'avait pas encore pied. Il lui fallait se montrer meilleure... La meilleure, à vrai dire. Elle pouvait sortir autant de Colonels corrompus de leur placard, cela n'aurait pas d'importance si elle n'avançait pas vers le poste de direction qu'elle convoitait. Tout fonctionnait à deux échelles : le talent, et les relations. Si le premier pouvait permettre d'aller haut, le second était sûrement le plus à même de la rendre rapidement indispensable. Elle avait cependant une vision bien vierge de cela : ses relations de bureau ne seraient construites qu'à force de travail acharné, et non de corruption sous le bureau.

- Nous nous reverrons, acquiesça la jeune femme avant de laisser son interlocutrice s'éclipser.

Elle aurait bien sûr pu, en tant qu'Agent d'élite, trouver quelqu'un de plus facilement joignable mais... à quoi bon ? Il lui fallait simplement un contact, autre que la Odoni dont les soins avaient été apparemment prodigués, du moins l'espérait-elle. Sa blessure était sévère, même si l'intervention d'Alistair et de son gryphon lui avaient sûrement sauvé la mise. Enfin, la Olsen s'assit quelques minutes plus tard à son bureau. Elle avait repris les papiers qu'elle feuilletait plus tôt pour choisir la prochaine mission de son équipe. Après quelques dizaines de minutes de recherche, elle trouva finalement quelque chose qui attirerait son attention et ferait transmettre le dossier à ses supérieurs pour qu'ils sachent qu'elle s'en chargeait.

Quelques heures plus tard, l'équipe se trouvait sur le départ, dans un navire en partance d'Ennies Lobby. Leurs destinations étaient différentes pour la plupart. Si Mathilda resterait pour l'instant au bercail en compagnie de la Valentine, Kid, Alistair et Reutsuna seraient réquisitionnés pour aller sur des missions. La demoiselle, ancienne chasseuse de prime, était d'ailleurs la première à être satisfaite de ce départ : elle trouvait l'atmosphère de cette île relativement étouffante, surtout pour quelqu'un qui était habitué à bouger librement, sans se poser de questions.

Sur le navire, Alistair s'approcha de sa patronne avec défiance. Il était sûr qu'ils allaient droit vers une mission qui pourrait les porter à la réponse que cette femme à ses côtés cherchait. Sans savoir pourquoi, il comprenait la signification derrière tout cela. Il se taisait, n'en disant pas un mot à ses camarades. Cela était drôle d'ailleurs, car s'ils avaient tous tout mis en commun, ils auraient pu découvrir le secret de la Olsen en quelques minutes seulement.... Un secret qu'elle avait à nouveau réussi à garder.

Quelque part dans le monde

- Nikolas, vous pouvez entré...

L'homme portait une cimeterre dans son dos en s'avançant dans la salle dont les portes venaient de s'ouvrir. Il avait les cheveux tout aussi bleutés que sa sœur. Celle-ci avait disparu des radars, mais qu'importe : il n'était dans Némésis que par principe. À présent, il se trouvait dans une salle où une demi-douzaine de personnes étaient installées autour d'une table. On aurait pu entendre les mouches voler, et quelques instants plus tard ce silence fut brisé par la réunion qui avait pris place.