Paul Titanos, Sophie Titanos.
Le regard franc, posé sur la mer devant lui, Paul Titanos avançait fièrement en direction de l’île. Il y allait en conquérant, ou plutôt il comptait utiliser sa réputation durement acquise pour conquérir le cœur des habitants qui se trouvaient là-bas. L’Inquisition était en mouvement : les membres d’un des plus gros réseaux de révolutionnaires au monde étaient en train de s’activer. De Luvneel à Trader, de Las Camp à Shell Town, toutes les mers étaient occupées par les manigances de Katia L. Ray et de son frère, Erwin Dog. L’expansion de leur territoire n’était cependant pas prioritaire : ils recherchaient l’occasion ultime de mettre la marine dans une situation précaire et de l’obliger à mobiliser des forces.

La conquête de Yakoutie Island était devenue nécessaire depuis la disparition de Kokuro Elina, la marchande et maîtresse de l’île dans l’ombre de celle-ci. Hope Stanley était venu déjà une fois pour entrer en contact avec les maires et prendre la température, cependant l’île en elle-même était encore en proie à des conflits internes.

Le chef de l’assemblée des maires portait une oreille attentive aux besoins de son peuple, et il observait avec crainte la position des révolutionnaires. Sous l’influence de Anastasia Grey, la princesse du Royaume d’Orphée, la position des verts devenait malheureusement pour leurs ennemis majoritaire sur North Blue. C’était du moins le calcul qu’avait fait Paul Titanos.

Enfin, suite à la réunion de crise à laquelle il avait participé quelques jours plus tôt à Luvneel, une série de décision avait été prise. L’important était qu’Erwin Dog n’était pas censé intervenir dans les quatre opérations majeures décidées : l’aide à Eken Sor dirigée par Katia L. Ray, la prise de Yakoutie Island aux mains de Paul Titanos, la prise de Shivering Island confiée à Ken Shuri, et enfin la libération de révolutionnaires prometteurs qui avait été évoquée pour Hert. West Blue et North Blue risquaient d’être en pleine effervescence, bientôt.

- Père, nous allons aborder sur le flanc de l’île.
- Bien. Dis à nos hommes de se préparer à la bataille, au cas où.

Il n’était pas sûr que l’île se plie si facilement que cela. Les maires risquaient de vouloir ordonner une riposte. Heureusement, il n’était pas venu seul, et quelqu’un pouvait bien l’aider à mener les négociations à bien.


Rollon.
Chef de l'Assemblée des Maires.
L’assemblée des maires avait lieu en cet instant même. Rollon avait réuni tous les représentants des villages de l’île, dans le but de les préparer aux changements qui risquaient de survenir. Lui-même n’était pas entièrement convaincu par les plans de la Révolution, mais il avait au moins le mérite d’y porter une oreille attentive. Ainsi, après quelques éclats de voix, les maires se dirent « Au revoir » sur un ton plutôt froid, annonçant clairement que l’avis populaire était divisé.

Remettant son casque d’ours, Rollon sortit alors de son bureau pour commencer à se promener en ville et observer les commerces qui ouvraient petit à petit.

Rollon.
Chef de l'Assemblée des Maires.
Ce costume d’ours était à la fois confortable et chauffant. Rollon prenait plaisir à le porter. C’était l’une des innovations qu’un scientifique avait laissé sur l’île, et il était le seul à en profiter actuellement puisque l’homme était parti avec la recette de ce chef d’œuvre. Il faisait donc bien attention à ne pas le casser. Ses pas s’enfonçaient dans la neige qu’il traversait assurément, et il s’arrêta devant les deux agents qui se présentèrent à lui, intrigué, et inquiet qu’une information ait fuité.

- C’est… fort aimable, fit-il avec un air un peu perdu.

L’annonce de but en blanc le déstabilisait. Il visualisait mal ce que voulaient dire les deux personnes en face de lui, et s’éclaircit la voix, à la manière du politicien qu’il était, comme pour gagner du temps dans sa réflexion.

- Je m’excuse, mais… J’ai du mal à croire deux personnes qui débarquent de nulle part, même si vos intentions sont louables.

Une idée commença cependant à germer, doucement. Il sourit sous son masque, avant de se retourner et d’inviter les agents à se diriger vers son bureau. Les deux semblaient plutôt confiants, et il devait leur permettre de développer leurs propos. Il avait quelques questions aussi, peut-être plus pointues cette fois-ci.

- La présence d’une milice nous semble nécessaire, détailla-t-il. Nous en parlions avec les autres maires récemment, et voulions nous organiser en interne sur l’île. Les habitants auront du mal à croire à des étrangers, et se sentiront oppressés par la présence de la marine en trop gros effectifs. Nous avons peur d’avoir une révolte sur le dos si un changement brusque devait survenir. C’est le premier point qui nous pousse à être vigilants…

Il s’arrêta, passant une main sur la fourrure de son ventre.

- Quant au second point, combien et comment voudriez-vous investir dans les « jeunes pousses » de l’île ? Nous pouvons nous former nous-mêmes, mais qu’est-ce qui garantit que notre jeunesse ne va pas aller gonfler les rangs des marines ou du Cipher Pol sous prétexte d’une « aide » extérieure ? Nous avons besoin que nos jeunes restent ici après tout.

Il était assez vindicatif, mais c’était peut-être son côté politicien qui parlait. Après tout, il était le leader du rassemblement des maires, et il avait sûrement quelque chose en tête. Pourtant, il faudrait que les Shielda défendent leur bout de gras avant qu’il ne cède du terrain : c’était sûrement un moyen de tester leur résolution.

Rollon.
Chef de l'Assemblée des Maires.
Il évoquait les révolutionnaires. Etait-il au courant ? L’espace d’un instant, les yeux du maire s’éclipsèrent comme pour organiser ses pensées, et rapidement il reprit le fil de la conversation. Il ne pouvait que répondre assez laconiquement aux deux réponses apportées par son interlocuteur :

- Si les révolutionnaires décident de nous envahir, une milice ne serait pas suffisante pour les arrêter. Disons qu’il nous faudrait de façon stationnaire des personnes capables de s’opposer aux révolutionnaires, au moins de façon à les retenir jusqu’à l’arrivée de renforts… Ce que notre population n’est pas capable de faire.

Il n’y avait pas un combattant sur Yakoutie Island qui ait l’ébauche d’un grand artiste martial. Il était évident que cela était un frein à leur économie. Créer une milice permettait principalement de se protéger des petits pirates et des problèmes internes, mais fut-ce un Constella ou les Révolutionnaires, North Blue était un endroit bien trop dangereux. Koro Talpan, qui avait été défait par le Vice-Amiral Nils Gratz, était l’exemple même du Constella qui pouvait porter préjudice à l’île à l’époque.

- Ce que vous me proposez n’a pas encore de sens pour moi. Nous pouvons instruire nos jeunes sans votre aide, à moins que vous nous apportiez des instructeurs. Vous voulez protéger nos terres, mais vous ne nous offrez pas de la main d’œuvre ? Si vous pouvez apporter des forces maigres mais suffisantes à la défense de l’île, je pourrai considérer assistance. Par ailleurs, vous voulez investir dans notre île mais concrètement sur quel projet ?

Il avait croisé les bras, signe qu’il était sur la défensive. En réalité, il était encore facile de lui donner une raison de croire en eux : les révolutionnaires n’avaient pas d’influence particulière sur l’île, et ils avaient seulement proposé récemment de s’installer ici pour ériger des défenses sur l’île. En réalité, Paul Titanos, qui devait venir en personne car il jouissait d’une réputation tenace sur cette mer, arrivait sûrement avec son lot de propositions. Le Cipher Pol avait l’avantage de les présenter en amont et de permettre au maire de maintenir sa neutralité… Ou de pencher vers les gouvernementaux si l’offre était alléchante.

- S’il s’agit d’investir sur notre île, je peux garantir l’anonymat de votre patron quelle que soit sa faction. Vous aurez votre rendement, et nous aurons un avantage économique grâce à vous. Cent millions est une belle somme d’investissement, c’est sûrement plus qu’aucun investisseur depuis notre ancienne garante.

Il évitait de l’évoquer car il ne la connaissait en réalité pas trop. Elina Kokuwo avait toujours été un mystère pour lui.

- Evidemment, un contrat demande une contrepartie. Si j’accepte de vous informer sur les mouvements suspects, que me proposez-vous ?

Le Cipher Pol 4… Une instance intéressante, car relativement peu critiquée. Elle faisait son travail, et c’était suffisant.

Rollon.
Chef de l'Assemblée des Maires.
L’homme en tenue d’ours observa d’un œil attentif les deux personnes en face de lui, et émit un soupir : le plan n’était pas mauvais. Il manquait cependant de concret, et il ne pouvait pas se permettre de renvoyer les révolutionnaires sans avoir de garanties… Ces personnes n’avaient amené aucune preuve de leur bonne foi, et c’était sûrement là leur ultime erreur. Ils n'avaient pas la réputation pour supplanter totalement les événements qui s'enchainaient ce jour-là. Enfin, il se gratta la tête. Le pari était risqué, mais les révolutionnaires ne venaient pas avec beaucoup plus d’objectifs. Ils étaient intéressé par cette terre parce qu’il pouvait s’agir d’un tremplin en direction de Seppen Town, et pour court-circuiter les trajets en direction de Dwarf Town.

- D’ici quelques minutes, des révolutionnaires vont arriver. Je ne sais pas combien, je ne sais pas qui, mais ils viennent avec le même objectif que le vôtre… Les habitants de l’île ne s’en mêleront pas, mais celui qui restera pourra investir dans l’île, et aura le soutien de l’Assemblée des Maires. Nous ne mettrons pas en danger nos habitants contre…

Paul Titanos, Sophie Titanos.
Il n’eut pas le temps de finir, que déjà Paul Titanos observait les alentours d’un regard inquisiteur. Ses yeux se baladaient sans problèmes sur la masse de personnes qui se trouvaient en face de lui, et il était suivi d’une trentaine d’hommes. Au moins autant se trouvaient encore sur son navire, à l’orée de l’île, après avoir dû affronter la banquise qui entourait les terres.

Il s’approcherait des habitants, et s’il n’était pas interrompu, il dirait d’un ton imposant le respect :

- Je m’appelle Paul Titanos. Je suis le représentant de l’Inquisition, et je viens réclamer ces terres pacifiquement au nom de notre organisation.

Il était un leader respecté sur North Blue. Sa petite prime venait du fait qu’il n’était pas un danger virulent : c’était un homme qui savait écouter l’ennemi, et ne mettait pas sa lame au-dessus de tout. Plus encore, il ne s’était jamais engagé dans une opération qui menaçait la vie des citoyens d’une île. Il prônait des résolutions calmes, et Erwin Dog les lui permettait, ce qui l’avait poussé à le rejoindre, parmi d’autres raisons. Certes, s’il fallait participer à une guerre, il le faisait, et il était alors un redoutable commandant de troupes. Qu’allait être le choix de ces deux personnes devant la figure d’autorité présente devant eux ?

Paul Titanos, Sophie Titanos.
Qu’est-ce qui empêchait Paul Titanos de lancer les hostilités ici et maintenant face à la déclaration de ces personnes ? Stan Kubrique. Le vieil homme était aussi un des stratèges de l’Inquisition, et l’ordre avait été très clair : s’emparer de l’île de manière pacifique. C’était un des défauts de ce plan : si le sang était versé, ils ne pourraient pas imposer le gouvernement qu’ils désiraient intégrer. L’état des choses, sur une île neutre, ne serait pas propice à l’instauration d’un « conseil » élu par les habitants de l’île… Bien sûr, la chose était tendue, mais ils savaient qu’ils avaient les cartes en main pour résoudre cette situation, ou du moins ils le pensaient.

- Il en va de même de votre côté, lança Paul Titanos avec flegme. Vos ambitions de marcher sur les territoires révolutionnaires ne nous ont pas échappées depuis la conquête de Shivering Island. Le Gouvernement Mondial n’a pas su maintenir le cap économique lancé sur cette île, et le peuple a subi des effets néfastes de votre positionnement. Nous sommes capables d’offrir aux populations des avantages financiers conséquents.

Il ne le démentait pas cependant : s’ils conquéraient l’île, elle servirait d’avant-poste à leurs ambitions en direction de Seppen Town. Les plans sur Dwarf Town avaient été sévèrement ralentis depuis la disparition d’Elina Kokuwo, jusqu’à être reportés à des dates bien ultérieures.

- Vos actions entraineront tout autant de réactions de notre part que de la vôtre, c’est un combat sans fin. Abandonnez ce territoire, fit-il d’un ton sec. Nous saurons faire preuve de clémence, tuer l’ennemi est moins important que conquérir ce lieu pacifiquement…

Même s’il était prêt à répondre à la moindre agression. Sur ses gardes, il semblait déterminé à obtenir gain de cause. Il allait sûrement falloir défendre son point de vue devant les maires du village, et ce fut de toute évidence l’avis partagé de Rollon.


Rollon.
Chef de l'Assemblée des Maires.
Ce dernier était en train de réfléchir, mais il leva la patte pour prendre la parole :

- Défendez votre point de vue devant les maires. Je vais convoquer immédiatement une assemblée exceptionnelle. Nous aurons le dernier mot.

C’était une manière de résoudre les choses : le plus convaincant serait le vainqueur de ce duel pacifique. Si Paul Titanos semblait confiant, il ne fallait pas oublier qu’appuyer sur la corde sensible pouvait parfois permettre d’avoir gain de cause.

S’ils acceptaient, les maires seraient alors convoqués dès le soir même, et bientôt une dizaine de représentants entreraient dans le bâtiment principal, où les gouvernementaux seraient invités à s’exprimer en premier devant une foule intriguée, mais surtout inquiète.

Rollon.
Chef de l'Assemblée des Maires.
L’Assemblée des Maires sembla d’abord perplexe : peu de personnes avaient sur North Blue une résonnance plus importante que la Révolution, cependant offrir à cette île un statut quo était important, et les termes seraient négociés paisiblement. Là où la Révolution pouvait offrir une prospérité économique, elle était limitée par son instabilité. Le Gouvernement Mondial durait depuis suffisamment longtemps pour que les quelques arguments avancés par les deux agents du Cipher Pol suffisent à convaincre la plupart d’entre eux. Le regard de Paul s’assombrit alors, mais il ne s’arma pas : celui qui blesserait l’autre perdrait assurément.

Si son discours fut ferme et posé, il relevait trop de l’aspect militaire et cela rebuta un peu les membres de l’assemblée. Ils auraient sûrement été tout aussi effrayés sans la mention d’un Amiral de la marine. De plus, en aparté, la mention du Colonel Sakuga Keigo fut bénéfique car les quelques réticents eurent à l’idée que cet homme jouissait d’une bonne réputation depuis son entrée dans la marine, qui avait permis de lui octroyer quelques hauts faits suffisamment médiatisés pour avoir atteint une île neutre.

Ce fut finalement dans cette idée que les maires se réunirent quelques instants seuls, votant à main levée la décision finale, et qu’ils sortirent en regardant les deux camps, déglutissant à l’idée que les choses pouvaient toujours mal tourner :

- Nous avons décidé de nous allier à la majorité aux Gouvernementaux. Nous ne partagerons pas toutes leurs valeurs et voulons un accord qui soit relativement souple au niveau de la mobilisation des hommes, de notre côté, en dehors des conditions de défense de l’île… Nous souffririons trop que nos jeunes partent à la guerre.

Ils avaient déjà vécu des pertes démographiques à cause de cela, et ne voulaient pas que ça se reproduise. En plus, le travail devenait plus pénible et cela réduisait l’espérance de vie de ceux qui restaient.

Paul se contenta de lâcher un soupir las et tourna les talons. Ils pourraient y revenir, c’était une première bataille et ils avaient perdu. Un jour, ils gagneraient cependant la guerre… Une guerre idéologique et diplomatique.

Ce fut finalement la conquête la plus pacifique de cette moitié d’année 1507.