Chairoka. L'amirale-en-chef Asya Lida. Une brillante militaire, dotée d'un intellect certain et d'un charisme non dérisoire, que le Phoenix avait lui-même souligné à plus d'une occasion. De la réunion sur Mariejoa aux discussions ayant succédé à la trahison de William Lancaster, il avait à quelques reprises eut l'occasion de s'entretenir avec elle. Elle était à la fois l'une des rares gouvernementales qu'il estimait sincèrement, et l'une des encore plus rares marines dont il craignait véritablement le pouvoir. Quel était le sujet de son appel ? Qu'est-ce qui pouvait motiver une haute-gradée aussi émérite qu'elle à contacter un fugitif de son calibre ? Sa trahison médiatique au possible avait dû remuer un couteau dans la plaie qu'Akainu avait causée au préalable... Oh, certes, Nakata n'avait nullement la prétention d'égaler, aux yeux de l'amirale-en-chef, l'ancien amiral fricotant désormais avec Centes et ses sbires... Pas sur un plan affectif et personnel, à tout le moins. Quant au militaire, en revanche, c'était un tout autre débat : ils étaient tout deux des éléments jeunes, prometteurs, dotés d'une malédiction efficace et redoutable... La seule nuance, qui n'était pas des moindres, c'était que l'amiral félon avait décidé de trotter comme un caniche derrière un autre criminel, là où le Phoenix se faisait son propre maître et disposait de ses propres subordonnés. Considérant le potentiel brut de Kyoshiro, seul, force était d'admettre que Tengoku no Seigi considérait un sacré poids à prendre en compte dans l'équation de la menace qu'ils représentaient respectivement...



Pourquoi l'appelait-elle ? Il demeurait curieux. Ses yeux plissés tentaient de déchiffrer les maigres expressions que l'escargophone qu'il tenait entre ses mains pouvait retranscrire de son interlocutrice : et ça n'était pas mince affaire, considérant le fait qu'il s'entretenait avec celle qu'il soupçonnait être la plus fine psychologue que le Gouvernement Mondial ait jamais pu compter en ses rangs. Il était loin d'être le premier corsaire à déserter... Mais il le savait. Il n'était en rien comparable au mercenaire Mozero, à l'électron libre Yorkshire Mendela ou à l'instable Horus. Et elle le savait également, sans doute même mieux que lui.

Elle y croyait. Le sourire sardonique par le biais duquel Nakata lui répondit valait mieux qu'une myriade de discours interminable : il n'y croyait pas. Le Gouvernement Mondial ne l'avait à la vérité jamais réellement inquiété et ça n'était pas maintenant, à l'orée des eaux troubles du Nouveau Monde, que cela risquait de changer. Cela ne changerait jamais. La Marine n'était pas faite pour la traque d'individus isolés, et elle n'était plus assez ferme pour s'en aller jusqu'à l'autre bout de Red Line dans l'optique de faire tomber un Empereur à l'influence grandissante. En somme, il ne serait jamais plus accessible qu'il ne l'était actuellement, et il ne l'était déjà pas du tout... Pas pour eux, en tout cas. Il avait bien d'autres ennemis qu'il tenait à l’œil, bien sûr. Des rivaux, également, un florilège, susceptible de lui glisser des bâtons dans les roues et de tenir ses stratégies successives en échec... Mais pas des prétendus justiciers. Et sûrement pas à la solde de la Louve Brune. Son impertinence, toutefois, mourut dans sa gorge avant même de naître : le véritable objet de l'appel de l'amirale-en-chef n'était pas une bête provocation, comme il s'y attendait. Une guerre s'annonçait : une guerre contre l'un de leurs rares ennemis communs. Centes Decima... Le Phoenix avait été le premier pirate à s'ériger sur son chemin, quitte à faire cause commune avec les légions de l'AOI et de la Marine. Il n'éprouvait à ce titre pas l'ombre d'un regret, ni même d'un remord, tant il portait le faux Monarque en basse estime... Comme à l'accoutumée, pareil à sa réputation de fanfaron, il afficha un air railleur et ne tarda guère de mettre en exergue sa répartie, profitant de cet instant pour taquiner quelque peu sa prestigieuse interlocutrice avant de s'en retourner au sérieux austère et adéquat.



Là-dessus, le mythique se fit songeur. Il avait été marine, révolutionnaire, Schichibukai et pirate, mais jamais, ô grand jamais chasseur de primes. Les quelques relations cordiales qu'il avait pu entretenir avec ce corps singulier, à la réputation sulfureuse, avaient pour l'immense majorité été brèves et éphémères... Allait-il devoir en rajouter quelques unes ? Mijushike Hojo était un gros poisson : si lui et Hadès Tenryon s'affrontaient à armes égales, que ce soit en haute mer ou sur des terres désolées, le chaos risquait fort d'être au rendez-vous et l'issue de l'affrontement serait pour le moins incertain. Tengoku no Seigi pouvait faire basculer l'équilibre précaire de ces forces, dans un sens ou dans l'autre, et Chairoka le savait : voilà pourquoi elle envisageait sérieusement de faire appel au Phoenix renégat, malgré le tort qu'il avait pu lui causer en désertant de la sorte. De surcroît, il était célèbre pour son tempérament philosophe, pour ses habitudes certes immatures et provocatrices mais néanmoins plus calculées et plus réfléchies qu'elles ne semblaient l'être. Il le savait : d'une certaine manière, il renvoyait l'image d'un opportuniste, qui avait basé sa carrière certes sur de fulgurants coups d'éclats, mais aussi et surtout sur des accès exceptionnels d'une chance insolente. Comme beaucoup d'autres forbans, Nakata avait simplement tendu les perches que la vie avait pu lui tendre : et il allait continuer de la sorte. Mijushike, Hadès... Ou les deux ?



Quelle serait leur conduite, précisément ? Il n'en avait pas la moindre idée. Il n'était pas homme trop prévoyant : il se contentait de vivre et d'affronter les périples que son parcours lui présentait mécaniquement, tel un automate réglé pour le triomphe, calibré pour la réussite. Cette bataille qui s'annonçait comme un amoncellement de nuages lourds à l'horizon serait sans nul doute possible d'un danger fiévreux. Combien de ses camarades risquaient d'y passer, en l'état des choses ? Trop, il en avait fort conscience : à la vérité, seuls Kyoshiro, Damon, Alidia et Hiko semblaient être capables de le suppléer efficacement, au sein d'un tel marasme guerrier. Restait à voir s'il se cachait au sein de son actuelle formation quelques pépites susceptibles de défrayer les chroniques et de causer la surprise... Il en avait, de son côté, la plus intime des convictions.