Ser Galaad Seraph, membre de la Garde Royale de Kingadomu, et ancienne Vice-amirale Sonia Jibeli. -Je suis désolé, Sonia. Je ne peux rien faire de plus... Il ne nous écoutera pas davantage.
-Ne t'excuses pas. Tu n'y es pour rien.
C'était un fiasco. L'entrevue avec le Roi s'était bien déroulée, de façon cordiale et courtoise de bout en bout, mais il n'avait pas daigné écouté leurs avertissements multiples au sujet de Centes Decima. Pour le Monarque de Kingadomu, la guerre qui opposait Decimas et Gouvernementaux ne regardait qu'eux. Il était hors de question que leur Royaume, déjà fréquemment harcelé par les troupes de l'odieux et tyrannique Hadès Tenryon, se jette au devant d'un conflit qui ne se déroulait même pas sur le Nouveau Monde et qui ne semblait même pas y avoir d'incidence quelconque, sur le court comme sur le long terme. Leur Royaume, quoi qu'ouvert au commerce, s'était toujours targué de son indépendance et de sa puissance militaire : œuvrer de concert avec le Gouvernement Mondial, c'était quelque part admettre une alliance voire un lien de subordination tacite avec une puissance extérieure, à laquelle ils ne devaient rien. Et si la fierté n'était pas une motivation fiable et digne de ce nom, rien ne pouvait l'être, pour ces chevaliers engoncés dans leur honneur... Le verdict était celui-ci et il ne changerait en aucun cas : Kingadomu ne s'engagerait pas. Leur périple avait été vain et il leur fallait désormais revenir de l'autre côté de Red Line de toute urgence s'ils voulaient prendre part à ce conflit qui s'annonçait plus limpidement que jamais, d'une manière ou d'une autre... Leurs pas les guidèrent promptement le long des couloirs que Galaad connaissait impeccablement, pour les avoir arpenté des dizaines, sinon des centaines de fois. Son Roi avait tout de même accepté, dans son immense bonté, qu'il retourne auprès de la Marine afin de livrer bataille à leur côté : il avait une dette à expier, puisque c'était grâce à la Couronne qu'il avait retrouvé sa liberté. C'était la moindre des choses que de leur offrir un coup de main... Et Sonia partageait amplement son point de vue.
-Alors ? Comment ça s'est passé ?
Jorgen Jorgensen, Nebula, 210.000.000 berrys. -C'est un échec.
-C'était à prévoir... Ne te morfonds pas, Galaad. Vous avez fait de votre mieux.
-Et ça n'était pas suffisant...
-Peu importe. Nous nous battrons, nous. Venez. On va vous ramener.
Jorgen aussi avait pu recouvrer sa liberté : grâce à la mansuétude de Caligula, il s'en était retourné promptement dans le Nouveau Monde où, en tant qu'aventurier et explorateur aguerri, il avait su retrouver les siens en évitant les dangers qui le guettaient aux creux des innombrables vagues scélérates. Il avait pu, ainsi, poser à nouveau ses mains sur le bon vieux gouvernail qu'il imaginait, au sein du Quartier Général de Mars, égaré à tout jamais... Et il allait désormais mettre ses compétences de navigateur à profit pour offrir à Galaad et à Sonia toute l'aide qu'il pouvait leur apporter. Bien sûr, il était difficile d'imaginer qu'un Nebula, même ami avec un contre-amiral, soit susceptible de prendre part au conflit qui s'annonçait aux côtés de la Marine : il n'en avait de toute façon pas forcément l'intention. Lui aussi souhaitait ardemment rendre la pareille à la Couronne, mais il n'était pas certain que l'heure soit arrivée pour ce faire : cette bataille ne serait pas la dernière à laquelle Caligula prendrait part, il en avait conscience, et il imaginait que d'autres occasions de le suppléer se présenteraient, tôt ou tard.
Désormais accompagné du pirate, le duo de bretteurs poursuivit son chemin mais fut bientôt interrompu par des bruits de pas précipités, qui résonnèrent sur leurs talons. Interloqué, Galaad marqua un arrêt et pivota lentement, sans conviction véritable : il était curieux, mais savait qu'aucun miracle ne saurait se produire. Le Roi souffrait bien sûr d'une relative hostilité parmi les Grands Ducs de Kingadomu, mais aucun n'irait jusqu'à lui désobéir frontalement, surtout pas pour prendre part à une guerre qui ne les regardait en aucun cas. Toutefois, lorsqu'il parvint à reconnaître la silhouette qui s'avançait en trottinant, il retint une exclamation enthousiaste pour n'afficher qu'un sourire amical et bienveillant : c'était là un autre membre de la Garde Royale... Un de ses collègues, par conséquent, et l'un des chevaliers qui lui avait le plus longtemps tenu compagnie. Un homme aux côtés duquel il avait livré plus d'un combat, par ailleurs...
-August ! Je ne te pensais pas au palais... Si j'avais su, j'aurais essayé de venir te voir avant de quitter le Royaume...
-Les rumeurs disaient donc vrai... Galaad, en chaire et en os ! Bon sang, vieux frère, ce qu'il est bon de te revoir...
Ser August Clonwood, membre de la Garde Royale de Kingadomu. Les deux hommes échangèrent une étreinte respectueuse une fois parvenus à un pas l'un de l'autre, toutefois légèrement empêchés par leurs armures respectives. Leurs sourires se ternirent et se crispèrent toutefois promptement, lorsqu'un souvenir commun revint à la surface et leur remémora une sinistre nouvelle à laquelle ils avaient été confrontés bien différemment. Fut un temps, ils avaient été trois bons amis, au sein de la Garde Royale de Kingadomu : eux deux, et un certain Ser Mc Rory, décédé dans des circonstances troubles, dans les bras d'August lui-même, selon les rumeurs, au sommet d'High West...
-J'ai appris pour Mc Rory... A l'instant. Bon sang, quel imbécile... Je suis navré, August. Navré de n'avoir pas été là.
-Tu n'y aurais rien changé. Il était décidé... Et rien n'aurait pu le pousser à réviser son ambition à la baisse. Tu le connaissais aussi bien que moi, il n'a jamais baissé les bras...
Leurs deux visages s'étaient ternis, mais c'était étrangement Galaad qui semblait être le plus amer... Et pour cause : il avait toujours éprouvé, à l'égard de Mc Rory comme d'August, un respect infaillible. Ils étaient deux modèles, et deux bretteurs avec lesquels il n'avait jamais, ô grand jamais su rivaliser, envers et contre leur grade et leur prestige qui était pourtant similaire à bien des égards. Apprendre la mort d'un épéiste aussi talentueux, c'était donc, par conséquent, remettre en question ses propres compétences et ses propres chances de survie dans des conditions périlleuses... Un silence lourd d'émotion s'instaura pesamment avant que le nouvel arrivant n'en vienne à le rompre : il avait eu, de son côté, le temps de faire le deuil et savait que ça n'était pas forcément le cas de son camarade d'antan. Il s'orienta donc dans la direction de Sonia et de Jorgen, qu'il salua chaleureusement en inclinant la tête exagérément, marquant distinctement son respect, puis prit la parole plus légèrement, non sans railler son vieil ami au passage.
-Et bien ? Tu ne nous présentes pas ? Ser August Clonwood. Membre de la Garde Royale, et ancien compagnon d'arme de Galaad...
-Sonia Jibeli. Ancienne vice-amirale, et actuelle compagnon d'arme de Galaad.
-Et Jorgen. Aventurier.
-Et pirate. J'ai déjà été mis au courant, ne vous en faîtes pas. En tout cas, vous êtes lucide, si vous prenez la liberté de taire votre culpabilité sur Kingadomu.
-Il l'a fait sur mon conseil, après avoir bien failli engendrer une émeute dans un tripot où nous étions de passage...
L'air gêné de Jorgen suscita chez August un rire grinçant : il était vrai que les hors-la-loi étaient parfois bien peu estimés sur Kingadomu, notamment car ils causaient bien du tort aux populations locales et submergeaient parfois les armées de chevaliers, pillant et incendiant à tout bout de champ. Evidemment, la présence à ses côtés d'un Garde Royal avait potentiellement de quoi calmer les ardeurs de certains paysans armés d'intentions néfastes et sanguinaires, mais il valait mieux passer pour un simple voyageur plutôt que pour un affreux forban, sans foi ni loi... A la suite de cette brève note d'humour, qui eut a minima le mérite de désamorcer quelque peu l'ambiance austère que le souvenir macabre de Mc Rory avait pu susciter, la curiosité de Galaad revint au galop. Il avait besoin de savoir pourquoi son collègue avait si ardemment souhaité le rattraper, au détriment de son apparence nobiliaire et soignée : sa crinière était toute désordonnée, et quelques gouttes de sueur perlaient le long de son front, causées autant par la brève course qu'il avait pu effectuer que par la chaleur qui l'étourdissait, directement causée par les innombrables couches d'acier qui courraient sur sa peau. Il prit donc la parole, tâchant de ne pas se montrer trop abrupt ou trop inquisiteur, comme les bonnes mœurs pouvaient l'exiger...
-Qu'est-ce qui a précipité tes pas de la sorte, vieux frère ?
-J'ai appris pour ton entrevue avec notre Roi. Ne lui en tient pas rigueur... Même le mariage d'Abigail n'a pas pu soigner le Royaume de toutes les tensions dont il avait à souffrir, à ta disparition. Mais la menace que ce Centes incarne... Tu ne serais pas venu la conter si elle ne te préoccupait pas réellement.
-C'est exact. Il est dangereux. L'un de ses sbires a réussi à nous réduire à l'état d'esclaves, tous les trois... Nous devions obéir à la moindre de ses requêtes, sans possibilité de lui tenir tête durablement. Je ne sais pas ce dont Centes est capable, lui-même... Mais le fait que ses subordonnés puissent être aussi redoutables d'eux-mêmes me pousse à prendre la chose avec tout le sérieux que tu soulignes.
Avec lenteur, August hocha la tête puis afficha finalement une moue dépitée. Il était déçu de ne pas pouvoir aider davantage son vieil ami, qui aurait manifestement grand eut besoin d'un coup de main... Malheureusement, même l'insistance d'une nuée de gardes royaux auréolés de prestige ne pouvaient conduire le Roi à changer d'avis. De toute manière, une fois de plus, c'était la pérennité du Royaume qui était à protéger, autant que possible. Ils ne pouvaient décemment pas s'engager dans un conflit qui ne les regardait ni d'Eve, ni d'Adam : leur isolement avait toujours été une marque de fabrique, un moyen de se prémunir des dangers extérieurs. Si la moitié de leur armée s'en allait au secours du Gouvernement Mondial, les Empereurs se rueraient sur leurs terres afin de les mettre à sac... Et ils ne seraient potentiellement pas les seuls. Ce n'était pas un luxe que le Monarque de Kingadomu pouvait s'octroyer, et il le savait d'ailleurs parfaitement. Sa lucidité était sans doute la seule de ses qualités qui maintenait leur état parfaitement soudé... Les Ducs qui lui étaient hostiles, quant à eux, étaient bien trop obnubilés par l'idée de le démettre de ses fonctions pour s'en aller chevaucher sur des mers dont ils ne connaissaient rien. Diviser l'armée, à un tel moment, c'était amener sur le devant de la scène un conflit interne qui briserait leur unité et souillerait le moindre de leurs Comtés du sang des innocents...
-Dans ce cas... J'ai peut-être un conseil de t'offrir. Avant de partir, file voir le Prince Carl. Dis-lui que tu viens de ma part, et que tu cherches à contacter Loreck. C'est un mercenaire. Ce n'est pas très glorieux, de recourir à ses services, mais il m'a déjà sauvé la mise à plus d'une reprise, et... Puisque je ne peux pas t'accompagner, il est naturel que je fasse tout ce qui est en mon pouvoir pour te faciliter la tâche.
-Merci. Nous allons visiter le Prince, dans ce cas...
-Veille sur toi, Galaad. Reviens-nous en forme. Je ne supporterais pas de perdre un autre de mes frères. Pas maintenant.
-Je rendrai honneur à notre patrie, et à notre fonction. Et nous reviendrons, auréolés de gloire, et nos lames couvertes du sang impie de nos ennemies. Parce que nous sommes notre serment, et qu'aucun champ de bataille n'aura jamais raison de notre vaillance.
-Parce que nous sommes notre serment, et qu'aucun champ de bataille n'aura jamais raison de notre vaillance.
Ces derniers mots, qu'ils avaient claironné de concert, étaient les mots qu'on leur apprenait dès l'instant où ils brandissaient pour la première fois leur lame qui serait celle qu'ils useraient dans leurs fonctions de Gardes Royaux. C'étaient des mots qu'ils répétaient fréquemment, à la veille de batailles qui promettaient d'être âpres et épiques : elles rappelaient leur dévouement absolu au Royaume et à son intégrité, et, bien sûr, le courage qui devait être le leur y compris dans les situations les plus inextricables et les plus désespérées. Nul ne devait jamais les voir fuir ou seulement tourner le dos aux conflits : si tel était le cas, ils étaient couverts d'opprobre jusqu'à la fin de leur existence. La mort était préférable à l'infamie : tous le savaient, car tous savaient que leur vie n'avait en elle-même plus aucun sens. Ils avaient été dépouillés de leurs personnalités dès l'instant où ils avaient accepté de siéger au sein de cette prestigieuse Garde... Et ils devaient donc lutter pour l'honneur de leur patrie, de toutes leurs forces.