- Aidez-m-
- Ta gueule.

Le poing du Ookami vint s’enfoncer contre l’estomac de la pauvre personne attachée aux cordes. A terre, plusieurs sceaux d’eau gelée avaient été vidés de leur contenu tandis que le corps humide du prisonnier continuait de connaître une expérience à vif. Il était tuméfié de partout, pourtant l’homme-loup n’avait que faire de ce stupide humain. Quelqu’un toqua à la porte et entra avec deux nouveaux sceaux. C’était Finn. Le charpentier-naval semblait avoir la flemme de faire ce travail fastidieux, pourtant si c’était une demande de son ami, il ne pouvait la lui refuser.

- Il a craché le morceau ?
- Pas encore. Il veut pas me le dire.
- TE DIRE QUOI PUTAIN ?! T’AS MÊME PAS POSE DE QUESTION !

Le regard de Finn se vida tandis que l’homme-loup pencha subitement la tête sur le côté, un regard interrogatif pointant dans ses yeux. « Merde. ».

- Ahah. J’ai peut-être oublié. Hum, donc, je dis-
- Putain, tu me fais tout le temps le coup, Karim. Espèce d’enfoiré de mes deux. J’vais te faire la misère là.
- Vas-y, je t’attends.

S’en suivit une chamaillerie enfantine où les deux corps finirent par s’entrelacer dans la violence. Une scène digne d’une Christiane Gray, une célèbre sadique qui avait écrit 40 nuances de vide. Quand enfin les deux esprits échauffourées se souvinrent de la raison de leur présence ici, suite à un rappel guttural de leur invité, l’Ookami reprit le dessus sur ses pulsions. Il renifla un instant avant d’asseoir son poing à nouveau dans le ventre de l’individu qui cracha un peu de bile sur son tortionnaire. Mécontent, il faillit recommencer… Avant de balancer sur un air finalement sérieux :

- Le clan. Je veux toutes les infos que tu as dessus.
- J’ai pas d’infos sur un quelconque clan… Laissez-moi…
- Ne joue pas avec nous.

Le sourire et les paroles de Finn firent plus froid dans le dos au torturé que les poings de Karim. Ce dernier était brutal, mais il n’avait pas l’intention de tuer. Il se retenait sans cesse pour éviter de démonter la gueule de ce personnage, et cela se sentait. En revanche, si l’homme-loup ne le ressentait pas, l’homme attaché par les mains était conscient. Conscient qu’il avait sa vie sur le fil du rasoir. Conscient que lui, l’homme derrière le loup n’hésiterait pas.

- Je vais tout vous dire. D’accord.
- Chouette !

Plus tard, sur une île voisine.

- C’est par là ?

Les quartiers de la ville étaient plus miséreux que leur précédente étape. L’homme-loup s’était impatienté et avait décidé d’y aller le jour même. Il était parti seul en demandant à Finn s’occuper des « détails » et de soigner leur gars. La vieille femme qu’il aborda était vêtue de haillons, mais elle n’avait pas perdu la tête. Elle demanda quelques Berrys contre l’information qu’elle céda finalement en apercevant les oreilles de loup menaçantes sur la tête du non-humain.

Celui-ci se dirigea alors vers l’endroit qui allait être le principal lieu des magouilles. C’était le seul endroit qui paraissait assez peu vétuste : un château médiéval, fait de pierre, construit pour des demi-géants, aux portes larges, en apparence si imposant qu’il était loin d’être adapté pour les personnes qui y avaient élu domicile aujourd’hui. Les gardes poussaient difficilement les portes, les problèmes de proximité voulaient qu’ils soient habillé d’armures miséreuses, tant et si bien qu’ils n’allaient jamais à l’affronter sans ordre de leur supérieur. Au contraire, s’il fallait laisser passer quelqu’un, tant pis, ils prendraient un blâme. De toute façon, personne ne voulait faire leur boulot.

Une fois à l’intérieur, Karim put observer que les doléances étaient en cours. Il alla s’asseoir dans un coin en attendant quelques se terminent et que le Roi, Terminus, prenne le temps de lui répondre à ses questions, sans savoir que dehors, une insurrection se préparait… Mais pas une insurrection ordinaire : une insurrection contre le peuple.

L’image que renvoyait cette assemblée du peuple était pittoresque. Pitoyable, non ? Il ne savait pas quel mot utiliser pour désigner ces gens sans défense qui étaient protégés par des personnes tout aussi démunies. Les apparats du souverain étaient en toc. Il avait vendu jusqu’au dernier signe de faste, même s’il en projetait encore l’image. L’île était pauvre, d’une pauvreté certaine. C’était exactement le type de terrain propice aux exactions du clan Ookami, en tout cas le loup en était presque certain. Il souriait avec un air démesurément sadique, et quand ses mains allèrent se coller contre la pierre froide, il se releva pour se diriger vers le Seigneur. Il devait savoir quelque chose, c’était d’une évidence même.

- Eh, oh, vieux ! J’ai b’soin de te parler au sujet du cl…
- Arrêtez ! Pas ici ! SEANCE LEVEE ! Hurla-t-il finalement en observant attentivement le jeune gars qui se trouvait devant lui.

Rapidement, en ronchonnant mais sans poser de question, les habitants sortirent du château. Un vent soufflait qu’une grande femme ailée venait d’arriver en ces lieux, mais ils n’en firent pas plus d’états que cela, du moins dans l’enceinte de ces murs. Le loup ne fit pas le rapport avec ses rencontres passées, trop concentré sur son objectif de trouver les membres de son clan au plus vite, pour découvrir les manigances qu’ils avaient ici-bas… Et peut-être retrouver son fils, un jour ou l’autre.

Le Seigneur attendit que les portes fussent fermées avant de décaler la conversation dans une autre salle de la bâtisse. Ce château avait été construit une bonne centaine d’année auparavant, et si la salle principale était maintenue propre, le reste n’était pas aussi entretenu.

- Je ne vous attendais pas avant deux semaines. Je n’ai plus rien. Les taxes…
- Les taxes ?
- Oui, les taxes sont trop lourdes. Vous avez déjà augmenté la cadence. Laissez-moi…
- Quoi ?

L’humain crut sûrement à une menace, devant l’air agressif et naturellement tyrannique du loup. Pourtant, ce dernier s’interrogeait vraiment, sans réelle animosité. Il voulait des informations, et cette personne semblait croire qu’il était un Ookami. Malheureusement pour ce héros, il ne remarqua pas l’avantage qu’il avait sur son interlocuteur.

- Tu sais que ça m’saoule de…
- Je m’excuse. Je m’excuse. Les Ookami sont nos bienfaiteurs, ils nous protègent au besoin mais nous… nous…
- Ouais, enfin z’ont sûrement d’abord détruit ton économie avant de te vendre leur protection. C’qu’il font avec les faibles humains.
- Quoi ?
- Quoi ?

Les deux hommes échangèrent un regard sceptique. Dehors, la gronde montait devant l’apparition de la femme ailée. Etait-ce une déesse ? Un mauvais présage du ciel ? Le taux d’inculture était d’une évidence même. Le Seigneur ignora pourtant les personnes à l’extérieur. Il savait quelque chose, quelque chose qu’il rechignait à faire mais qui devait se produire. Les taxes étaient écrasantes, le peuple devait être protégé de même que le château. Mais sans peuple à protéger, sans château à diriger, il serait libre. C’était ça, l’insurrection contre le peuple : et il voulait profiter de chaque élément d’un tableau trop complexe pour l’Ookami pour jouer dessus. A regret, il allait provoquer la fin d’une communauté, leur éviter qu’ils ne souffrent. Il allait tous, jusqu’au dernier, les empêcher de souffrir.

Le Seigneur local regardait Karim avec insistance depuis l’instant où il avait évoqué cette potentielle mise à mal de son île dans un but lucratif. Il n’y avait à vrai dire jamais pensé, et s’il sentait que l’homme-loup était différent de ceux qu’il avait croisé jusqu’ici, il ne pouvait s’empêcher de se méfier. Ce regard tyrannique était peut-être inné, et de fait n’était pas très significatif. Il pouvait… Oui, il pouvait lui laisser une chance. Il fallait qu’il trouve un moyen d’aborder les choses sans trop brusquer la sensibilité de cet interlocuteur. Une technique de communication, peut-être ? Il n’eut pas vraiment le temps d’y penser que déjà son col était attrapé et son corps soulevé. Ecarquillant les yeux, il sentit que le sang-chaud devant lui n’allait pas tarder à exploser.

- Allez, dis-moi ce que tu sais sur le clan ! C’est tes potes, hein ?
- N…. Non, ils me… menacent…
- Ah, d’accord.

Karim lâcha le Seigneur au sol et s’accroupit devant lui. Cette fois-ci, son air de « méchant » s’était transformé en sourire amical. Il semblait avoir fait la part des choses, et tandis qu’il se passait une main dans les cheveux, il faillit s’excuser… Avant de se reprendre.

- Ahah, désolé, je savais pas. Bon, t’as l’air d’un bon gars. J’suis pas fan des humains mais si tu peux m’dire ce que je veux savoir…
- Ils sont apparus il y a un an et demi, quand notre situation était au plus mal. Au début, j’essayais de ne pas affliger les citoyens de nouvelles taxes, alors j’ai vendu les dernières maigres richesses du Royaume… On a subi des attaques de pirates, et ils nous ont toujours protégés. Ils ont des hommes ici… Sur l’île.
- Y’a des gars du clan ici ? Putain, ça craint. J’vais m’les faire !

Le sourire de l’homme-loup, sincère, était aussi totalement exubérant. Il semblait impatient de mettre des gnons. Pourtant, les choses risquaient d’être compliquées, car il savait qu’il n’avait pas la capacité d’affronter ces hommes. Enfin, qu’importe, il en tirerait peut-être quelque chose. Ouais, là il était motivé, il allait leur faire cracher des choses sur son fils. Cette île était sûrement qu’un terrain d’expérimentation, mais il s’en foutait clairement. D’une démarche nonchalante, il abandonna le vieux qui avait fini par lui avouer qu’il ne connaissait pas la cachette exacte, mais qu’elle se situait en direction des mines, à ce qu’il avait entendu.

Des mines, sur cette île, c’était un peu comme un cimetière pour des éléphants : tous ceux qui allaient mourir dans la misère s’y rendaient. Seulement, contrairement aux éléphants, les hommes commettaient l’irréparable. En sortant, l’homme-loup ne put qu’apercevoir la jeune femme d’au moins deux fois sa taille – enfin, il était pas très bon en maths – qui surplombait l’assemblée. Il s’avança vers elle en froissant ses sourcils, avant de se gratter la tête. Il la pencha sur le côté, puis d’un autre et fendit la petite foule qui l’entourait.

- On s’connaîtrait pas, par hasard, m’zelle ? Dit-il.

Pourtant, quelqu’un comme Ishtar, ça ne s’oubliait pas. Mais lui, il était juste « persuadé de l’avoir déjà vue quelque part ». Encore du Karim tout craché.

Elle était peut-être plus expressive qu’à l’époque, c’est en tout cas ce qui choqua le blond. Son regard détailla cette paire d’aile qui lui revenait en mémoire, et s’il ne se souvenait pas du pirate qu’ils avaient arrêté, il était encore conscient que l’histoire n’était pas inventée de toute pièce. Elle connaissait en plus son prénom – lui n’était pas très doué avec ça  - et celui de son ami. C’était sûrement quelqu’un de bien… Ah, si, il s’en souvenait maintenant. Un gars en armure, mastoc, un peu faible mais cruel. Il avait été vaincu par leurs efforts conjoints. De quoi les mettre en œuvre à nouveau peut-être ?

- J’suis là pour mon clan. J’vais les démonter.

Une certaine incohérence semblait régner dans sa phrase, mais il ne la releva, pas plus qu’il ne demanda ce qu’était venu faire la jeune femme. Celle-ci avait sûrement ses raisons, et elles ne le regardaient pas… Et ne l’intéressaient pas. Le Roi pourrait confirmer qu’il voulait aller démonter le clan qui avait commencé à exploiter son île et à la mettre à mal…. Mais il ne pourrait rien faire d’autre pour l’ange.

S’élançant sans se presser en direction de la caverne où devraient se cacher, en bordure de village, les deux hommes-bêtes, le loup fut interrompu par des pas dans les fourrés. Il sentait que les choses allaient vite dégénérer, selon ce que lui disaient ses instincts, et se mit dans une posture de défense. Alors même qu’il entendait venir un animal caché, il ne prit pas la peine de vérifier de ce qu’il s’agissait.

Une ombre surgit alors, brusque, virulente. D’un seul saut elle avala la distance qui la séparait de sa cible et plaqua l’homme-loup au sol. Un filet de bave se posa sur l’homme qui venait tout juste de se rendre compte de la dangerosité de la bête, sans pour autant éprouver de la peur. Juste une excitation subite. Une excitation simple : celle des plus savants combat que le monde portait. Quand ses yeux s’écarquillèrent, il discerna les traits de l’animal : un loup. C’était sans conteste un loup de taille imposante, au pelage noir comme la nuit et aux yeux verts comme l’émeraude.

Son geste premier fut d’aller caresser la fourrure de l’animal qui se laissa faire, et de lui adresser un sourire amical. Il le connaissait, celui-ci. Il le connaissait parce qu’il l’avait déjà rencontré, et que son air impétueux n’avait pas changé depuis. Son allégeance était toujours à la tête du Clan, qui ne se trouvait de toute évidence pas ici. Il était sûrement trop vieux, aujourd’hui, pour représenter un atout sur le Nouveau Monde. Alors on l’en avait expulsé, on l’obligeait à passer ses vieux jours ici.

- Vieux brigand, sourit-il avec un air absent.

Le regard du loup changea et devint soudain plus indulgent. Il s’éloigna, laissant son homologue humain s’asseoir sur son postérieur. Cela faisait longtemps, et il avait sûrement senti que l’odeur de l’Ookami était mêlée à celle d’un autre humain. Les ébats nocturnes, tout ça.

- J’suis là pour voir les membres du clan. Tu m’y mènes ?

Il fit un signe de la tête puis, au moment de se déplacer, grogna à l’approche d’une autre présence.

La truffe du loup était portée vers le ciel. L’Ookami fronça les sourcils, comprenant qu’il n’était pas anodin qu’il observe les cieux ainsi. Puis il vit passer une étrange créature qui, sans doute, ne le discerna pas. C’était un serpent céleste. Ça, c’était nouveau : ils n’étaient pas censés pulluler en dehors des îles spécifiques du Nouveau Monde où certaines espèces auraient été repérées par des chasseurs aguerris. Privilégiant le bosquet pour se cacher et éviter d’être repéré, l’homme se remit bientôt en route, dirigé par l’animal à ses côtés. Ils avaient vécu pas mal de choses lorsqu’ils étaient tous deux plus jeunes.

La créature du Nouveau Monde était grande, et pouvait sûrement transporter deux humains sur son dos au plus. Elle avait une mâchoire puissante, développée pour casser du titane avec une force de pression supérieure à celle de nombres d’autres animaux. Durant son développement, ses os se solidifiaient et son corps en faisait une machine de guerre incomparable. Si les Ookami avaient dompté et domestiquer ces créatures avant de leurs enseigner les arts du combat, ce n’était pas pour rien. Karim avait toujours débecté les utiliser dans les entraînements, mais il s’était vite rendu compte qu’elles étaient souvent deux fois plus puissantes que lui. L’amitié qui s’était créé au fil du temps entre la meute de ce vieux brigand et lui-même avait perduré après sa fuite, de toute évidence. Il était le seul à leur montrer des marques d’affectation, certes dignes de lui-même, mais présentes tout de même.

Le retrouver ici remuait les choses en lui. L’Ookami fronçait toujours les sourcils, cette fois-ci d’inquiétude, tout en se dirigeant vers la grotte. L’insouciance qui l’habitait n’avait rien d’inné, elle était manufacturée par des années d’insouciance et de lâcher-prise. Aujourd’hui, retrouver ce loup, c’était…

- V’Ran. Tu entends ?

Les oreilles des deux loups s’étaient soulevées en même temps. Le premier avança d’un pas mesuré tandis que le second se précipita brusquement vers la scène d’où provenaient les bruits. Finalement, Karim suivit. Il entendit des bruits d’une courte bataille, et même quelque chose de significatif : un appel à l’aide d’un enfant. Son corps se figea à la lisière tandis que deux hommes-loups tenaient une enfant au sol, une dague dans la main d’un des deux attaquants. Il l’approchait dangereusement de la gorge de la gamine quand la mâchoire de V’Ran vint assaillir son poignet, l’obligeant à lâcher-prise sans le blesser.

- Qu’est-ce que tu fais, vieux cabot ?! Putain, quelle misère…
- Eh, attends, c’pas Karim là-bas ?

Le jeune homme s’était mis les mains dans ses poches. Il lorgnait sur les deux gars qui le regardaient avec un certain mépris. « Ouais, c’est moi » voulait-il répondre, mais sa voix s’était étouffée dans sa gorge. Il se contenta d’amener une main lui gratter l’arrière de la tête avant de s’avancer d’un pas qu’il voulait menaçant, mais qui ne fit pas broncher les deux hommes loups. S’ils étaient cachés par un arbre, l’Ookami était à la lisière d’une clairière dégagée, lui.

Le « cabot » avait lâché le poignet tandis que le poignard gisait toujours sur le sol. Il attrapa la gamine par le dos du tee-shirt et l’emmena un peu plus loin.

- Attends, beugla l’un des gars.

Le loup s’arrêta, incapable de désobéir plus. Il s’assit avant que la voix de Karim ne résonne.

- Vous vous en prenez à des gamins, maintenant ? C’est un véritable déshonneur, hein !
- Tu sais rien, lâche, traitre, parricide !
- J’en sais assez pour savoir que vous me faîtes chier.

Et il s’élança sur eux. S’ils virent rapidement qu’ils s’étaient améliorés, les deux eurent un regard dédaigneux : il n’était toujours pas « bon ». Alors ils le balayèrent jusqu’à son emplacement initial.

L’homme-loup se retourna et écarquilla les yeux sans pour autant frissonner. Il était surpris de l’intervention de cette créature qu’il avait vu succinctement voler plus tôt dans le ciel. Son regard se laissa porter sur celle-ci de longs instants, mais il finit par secouer la tête : ce n’était pas le moment de s’en inquiéter, il devait s’en servir contre les membres de son clan. Se relevant suite au coup qu’on lui avait porté, il fit craquer son cou et sourit, de ce sourire carnassier et sans honte qu’il pouvait porter lors de ses défaites. Les deux protecteurs de l’île sourirent à leur tour de cette même expression : ils l’avaient tous trois appris de la même personne. Cette fois-ci, ils voulurent s’élancer en premier mais la voix du long serpent résonna et ils arrêtèrent leur mouvement.

- C’est un maudit ?
- Eh, oh, j’peux les défoncer tout seul ! Beugla Karim, sachant pertinemment que ce n’était pas le cas. Mais si tu veux m’aider, d’accord, on va leur faire les tr-

Il n’eut pas le temps de finir sa phrase que déjà le premier s’approchait à toute vitesse. Roulant sur le côté, il esquiva un coup de poing qui vint pulvériser l’arbre derrière lui. Il profita de l’instant que devait prendre cet ennemi pour se remettre de ses coups pour lui attraper la jambe… Ce qui n’eut pas totalement l’effet escompté. En effet, le second était déjà sur Ishtar dont le corps de serpent ne représentait pas un réel problème pour un utilisateur de l’Armement. D’ailleurs, lorsqu’il arriva sur elle, l’homme-loup semblait avoir un idée derrière la tête puisqu’il utilisa un coup du talon pour l’envoyer dans la direction opposée de l’Ookami, et ainsi séparer les combats en deux.

Les deux actions furent simultanées, et une fois que Karim fut attaché à la jambe de son adversaire, ce dernier se contenta de le balancer dans les airs en soulevant sa puissante guibole. Le terrestre eut une sensation fort désagréable de voler, et son corps devait déjà retomber sur celui de son adversaire… Qui comptait l’accueillir avec un poing d’une puissance démesurée. Il ferma les yeux, mais le coup ne vint jamais. Le corps de Karim rencontra la fourrure de R’Van qui avait encore un saut d’une excellente efficacité. Les deux alliés atterrirent à quelques mètres de là, saufs.

- Tu nous trahis, vieux loup ?

Il n’eut pas de réponse, simplement un regard qui en disant long sur sa décision. Ils savaient qu’ils auraient dû se débarrasser de cet animal, mais le chef de clan y était très attaché. Pas étonnant qu’il protège son fils. Se jetant à nouveau sur ses deux ennemis, il prévoyait déjà de briser les os de Karim un à un, dans le but de lui montrer sa faiblesse. Il le laisserait vivre, bien sûr, mais il ne pourrait plus marcher avant un long moment. Cette plaisante idée venait germer dans son esprit, tandis que plus au loin, la petite fille commençait déjà à s’en aller dans la forêt.

Avec un geste puissant, l’ennemi tenta donc de frapper l’Ookami qui n’était déjà plus là. R’Van était aussi rapide que puissant et solide, il s’était donc déporté sur la gauche, permettant à Karim d’utiliser le style de combat de son adversaire contre lui. Il consistait à faire des coups de poings d’une puissance démesurée, et à y concentrer toute la force qui pouvait y résider. Or, il devenait vulnérable de partout ailleurs, et quand il sentit son autre bras se faire tirer, il n’eut pas le temps d’y remettre de la force. Karim le lui tordit sans vergogne, et un « Crac » fort désagréable retentit.

Ishtar ne semblait pas en situation de défaite, mais les combats qu’ils menaient tous deux étaient d’une difficulté relativement impressionnante. Karim avait déjà mordu la poussière plusieurs fois, mais il se relevait pour se remettre sur le dos du loup qui l’aidait à se mouvoir à la même vitesse, ou à une vitesse supérieure à celle de son ennemi. Celui-ci ne semblait pas s’intéresser réellement à ce qu’il pouvait faire pour gagner, mais plutôt à celle dont il avait de gagner du temps. C’était intriguant, mais cela le futur pirate ne le comprenait pas. Il grognait à tout va, sans faire attention à la stratégie de l’ennemi. Encore une fois, le loup qu’il chevauchait était désemparé devant une telle tête brûlée et une telle idiotie.

- Vraiment, vous êtes désagréable.

Une voix claironna à l’orée opposé de la clairière tandis qu’une femme-loup se déhanchait avec un sourire amusé. Elle avait dans ses mains la petite fille qui s’était enfuie quelques instants plus tôt, et elle semblait à deux doigts de lui casser la nuque. Karim arrêterait de bouger en même temps que K’Van. L’animal grognerait sourdement, perdu entre les ricanements déplaisants de leur adversaire et les pleurs de désespoirs de l’enfant, dont les sanglots équivalaient à des excuses. Elle avait tenté de fuir, en vain : sa course avait été arrêtée par cette femme. Les yeux de Karim s’écarquillèrent tandis qu’il fermait ses poings, mu par une colère sourde.

- Lillith… Espèce de…
- Ce n’est pas comme ça qu’il faut parler à sa petite-sœur, O’Karim, faible descendant de notre père.

Elle étira son sourire de plus belle tandis que son corps tout entier semblait devenir un peu plus imposant. La petite fille arrêta de pleurer en même temps qu’elle arrêta de soubresauter. Son corps était sûrement contraint par la force titanesque que possédait la Maîtresse des Loups. Si K’Van ne l’aimait pas, c’était qu’il avait toujours préféré le pauvre et faible enfant à ses côtés : il avait toujours eu un penchant pour les miséreux, et elle le savait depuis longtemps. Qu’importe, ce loup allait mourir bientôt, son dernier voyage était celui-ci. Ils comptaient le sacrifier à n’importe quel moment.

Le sourire de la jeune femme s’arrêta lorsqu’elle sentit que Karim allait l’attaquer. Elle lâcha le corps de la petite fille qui tomba sur le sol et stoppa le poing de son frère, aussi faible qu’à son habitude. Brusquement, il entendit un « Crac » venir de son propre poignet. Il écarquilla les yeux et un coup de pied dans l’estomac l’envoya valser contre un tronc d’arbre. La puissance de cette femme était toujours incroyable, mais il avait réussi : K’Van avait emporté la petite fille avec lui.

- Tu as toujours été trop attaché aux enfants.
- Tu as toujours été… sans cœur…
- Je suis pour la Force, la seule, la vraie. Et je vais te prouver aujourd’hui que c’est elle qui m’a menée ici.

Elle s’élança en direction du blond tandis que le deuxième adversaire allait droit sur Ishtar, dans le but de la prendre en tenaille. Si Karim était résistant, cette fois-ci le premier coup infligé l’avait envoyé trop loin. Il se sentait partir. Et il ferma les yeux, inconscient.

Hors des bosquets, une ombre s’approcha à pas vif et traversa la distance qui le séparait du premier homme à venir sur la Zoan Mythique en un instant. Il était trop rapide pour les yeux de la jeune femme qui ne pourrait remarquer qu’une silhouette semblable à celle du charpentier évanoui.

- Qui es-tu ? Lâcha la sœur de l’Ookami avant de voir le poing de l’ennemi venir s’écraser contre son visage et l’envoyer dormir rapidement.

Il se tourna vers Ishtar dont l’ennemi était promis à une attaque finale de sa part. Enfin, le jeune homme s’approcherait, non pas étranger à la jeune femme : il s’agissait de Finn.

- Tout va bien ? Surtout, ne parle pas à Karim de ça.

Il souriait mais il était sérieux : de toutes les manières, le loup ne le croirait pas.

Finn acquiesça simplement aux paroles de Ishtar. Encore une fois, Karim avait été violemment violenté par quelqu’un, et il l’avait sorti de ce faux-pas assez promptement : pas assez pour lui éviter de n’avoir un poignet cassé. Ces histoires qu’il avait entendues dans le village de protecteurs et d’insurrection contre le roi, alors que le roi lui-même voulait se soulever contre le peuple… Il n’y comprenait rien et s’en fichait éperdument. Tout ce qui l’intéressait, c’était de savoir que cet idiot était encore en état de vivre. Après, le reste l’importait peu : les adversaires, les ennemis sur leur chemin, tout n’était qu’un prétexte à leurs aventures. Karim voulait deux choses : vivre une vie tranquille et retrouver son fils. C’était incompatible, et le dernier vœu était secret, enfoui, même récent. Il cherchait des informations sur ce que manigançait son clan et était certain que le gamin qu’il avait mis au monde serait envoyé dans de dangereuses activités. Alors, s’il investiguait, s’il trouvait des informations, c’était pour assurer sa protection. En vain. Car il était faible.

L’humain, le seul du groupe, releva l’homme-loup dans ses bras et regarda les personnes à terre. Elles ne voudraient pas se venger, ce n’était pas dans leurs lois : une fois vaincues, elles se retiraient sans concession. Cela voulait dire que bientôt, l’île serait de nouveau en proie aux tragédies que subissaient les îles sans protection : pillages, destructions, incendies… Il n’y avait pas de doute, le Seigneur des lieux avait raison : ce bout de terre était condamné et il voulait accélérer les choses.

- Allons-y. Le loup nous a devancés, il doit déjà avoir ramené la gamine chez elle. Ils ne nous feront aucun mal, à présent qu’ils sont vaincus.

Se dirigeant vers le village, il invita Ishtar à en faire de même. Il portait Karim avec toutes les précautions du monde. Le garnement avait l’air serein dans sa défaite, mais son poignet était cassé et il était en piteux état. Son corps tout entier devait lui faire souffrir le martyr, pourtant il allait se réveiller et continuer sa vie. L’ordinaire cour de sa vie, sans avoir obtenu les informations qu’il désirait. Malheureusement, s’il les lui avait donnés, ils auraient certainement vendu la mèche sur la puissance de Finn, et il ne voulait pas que cela se passe. Karim n’apprécierait sûrement pas la vérité, la sombre et unique vérité qui entourait ce mystérieux humain.

Lorsqu’ils arrivèrent près de l’auberge, Finn fit mander quelqu’un pour aller réquisitionner le médecin du village. Ce dernier arriva rapidement et immobilisa le poignet tandis qu’il désinfectait les plaies avec son apprenti. Celui-ci alla ensuite proposer ses soins à Ishtar, sans même faire une remarque sur son apparence. C’était un garçon non seulement timide mais aussi poli et d’une beauté saisissante, pâle, fine.

Quand Karim ouvrirait à nouveau les yeux, il ne se serait passé qu’une demi-journée. Son corps avait l’air en meilleur état que prévu, et K’Van s’était rapproché de leur maison, abandonné de son groupe, laissé pour mort sur cette île. Le loup regarderait son comparse avec compassion tandis que la main libre du jeune homme s’apposerait doucement sur son poil un peu dru par l’âge.

- Il s’est passé quoi ?
- Ils sont partis…
- D’accord, acquiescerait Karim sans poser plus de question.

Il regarderait alors le vide, conscient de sa défaite. Pendant ce temps, le village serait en émoi devant la perte de ses protecteurs, annoncée un peu plus tôt : qu’allaient-ils devenir ? Qu’allaient-ils faire sinon quitter les terres de leurs ancêtres pour rejoindre des lieux mieux protégés, où un avenir leur était un peu plus assuré ?

Il n’était pas seul : si Finn était resté à ses côtés, Ishtar aussi avait pris la peine de veiller sur lui. Il devait attirer plus de sympathie qu’il ne l’imaginait au premier abord, sûrement grâce à son vœu de toujours se mêler des affaires qui ne le regardaient pas, et de prendre le partie de ceux qui semblaient être de son côté… Ou ce n’était pas cela. Il se contenta de grommeler en sentant sa tête lui peser plus lourd que quelques heures auparavant. La douleur à son poignet était général mais, putain, qu’est-ce qu’il avait faim ! Son regard ne mentit pas, et Finn sourit avant de sortir de la pièce pour le laisser discuter avec Ishtar pendant qu’il ramenait quelque chose à grailler.

- Ouais, comme une masse, et toi ? T’as récupéré ? On dirait que t’es en meilleur état que moi, putain…

Il ne donna pas vraiment l’état de son poignet, haussant les épaules pour répondre à cette question tandis que K’Van profitait d’un instant pour s’adosser à Karim. Les deux avaient quasiment été élevés ensemble, bien que le loup ait eu une vie bien plus longue que ce qu’il y paraissait. Quel âge avait-il à présent ? Quarante ans ? Peut-être un peu plus. Cette race avait une longévité impressionnante, comme le reste. Le temps de grandir, de devenir un loup adolescent, d’apprendre à chasser, à tuer… Ouais, le clan les utilisait vraiment sur le long terme. Le désavantage, c’était que le « stock » mettait un long moment à se renouveler. Et en efficacité, ils étaient loin des Cy-Wolfs de la marine.

Observant son ami, il finit par voir quelqu’un pénétrer dans la cahute qui leur servait de repère. C’était le Roi, en personne. Celui-ci semblait à la fois gêné et contrarié, mais il ne voulait sûrement pas parler de tout ce dont il avait besoin en public. Il reconnut l’ange rapidement, tandis que son regard se portait sur les deux adversaires de leurs protecteurs.

- J’ai vérifié les informations que vous avez données après votre départ, et ils ont effectivement payé quelques personnes pour nous attaquer, et les gardes pour lâcher les armes. Tout ce temps, j’ai été berné…

Il ferma le poing. Karim avait dû effectivement dire un truc dans le genre, mais il s’en foutait à présent. Leurs adversaires étaient partis, il n’avait aucune information, retour à la case départ. S’ils devaient croiser les armes à nouveau, ce ne serait pas ici.

- Alors… Je me demandais si vous ne pourriez pas…
- J’vais pas rester coincé dans un trou à rat comme celui-là. Quittez les lieux, désertez l’île. Vous survivrez pas.

Le franc-parler de l’homme-loup était brutal. « Partir ». Le Seigneur des lieux ferma les yeux. Il avait espéré cette solution si longtemps, et maintenant qu’il était devant la porte menant à sa liberté, ouverte par l’évidence même, il ne pouvait se résoudre à l’ouvrir. C’était trop brutal, trop tôt. Il détestait l’idée même d’abandonner, et pourtant il se disait que c’était là la seule solution. Karim ne leur disait bien sûr pas d’abandonner, mais seule la mort mettait un terme aux ambitions personnelles. Elles n’étaient jamais suivies et déformées que par quelqu’un d’autre, plus tard. Finalement, s’ils voulaient survivre, ils avaient deux solutions : former une armée digne de ce nom, mais leur Royaume était ruiné, ou reprendre leur vie quelque part d’autres. Certains le feraient difficilement, et à vrai dire le Roi lui-même n’aurait qu’un misérable espoir de pouvoir retrouver une existence sereine… Et à moins qu’Ishtar n’ait autre chose à proposer, ce serait sur cette solution qu’il repartirait avant de convoquer le peuple pour lui annoncer douloureusement la nouvelle.

Finalement, Ishtar ne fit que renchérir les propos de l’homme-loup dont le regard se perdit dans le vide sans écouter sa prise de parole. Il renifla un instant et haussa les sourcils quand elle se tut, et quand le Roi fut finalement parti. Il n’aimait pas l’idée de rester enfermé au même endroit, et de toute évidence la personne à ses côtés n’était pas de cet acabit-là non plus. Il y avait tellement de choses à voir dans le monde, tellement de boissons à consommer ! Le regard amusé du charpentier finit par se poser sur celui un peu moins jouasse du Loup. Celui-ci devait se sentir coupable, coupable d’une trahison envers son peuple ou d’un manquement à sa mission. Karim le caressa un instant avant de le prendre au niveau du col, dans ses bras. La rigidité de cette fourrure lui rappelait tellement de choses, et pourtant il ne s’en lasserait sûrement jamais.

- Notre peuple est vraiment un ramassis de connards, lâcha-t-il amèrement.

Mais qu’est-ce qu’il en avait à foutre ? Le sentimentalisme, très peu pour lui : il laissait ça aux affaires de bonnes femmes. Y avait que des humains pour se comporter comme ça. A ses côtés, Finn portait un regard apaisé et même apaisant, et ce fut sous ce regard que Karim, qui parla de voyages ou essaya d’en parler avec Ishtar, s’endormit calmement. Lorsqu’il eut à nouveau la tête dans les étoiles, le village commença à s’émouvoir de la perte de leurs terres : de vieux hommes crièrent qu’ils mourraient avec leur habitat, un habitat qu’ils avaient mis une vie entière à créer, une terre qu’ils avaient cultivé depuis qu’ils étaient enfants. Leurs morts étaient enterrés là, comment abandonner cet endroit ?

Finn sortit à l’extérieur de la cahute, et sa voix réveilla Karim qui avait l’habitude de l’entendre, mais jamais aussi fort. C’était un homme qui ne s’énervait pas, son humain. Son humain… Cette pensée fit naître un rougissement sur ses joues, et tandis qu’il n’écoutait pas le discours rassurant de son homologue charpentier, celui-ci paraissait aux yeux du peuple comme le messie d’une parole qu’ils n’avaient que trop besoin d’entendre.

Quand il rentra dans la maison, il ne fit pas état de ce qu’il venait de dire. De toute façon, tout était clair à présent : les lieux allaient être désertés, et eux-mêmes n’avaient plus rien à y faire. L’Ookami secoua légèrement la tête et haussa les épaules avant de se diriger difficilement, le poignet immobilisé et le corps endolori, en direction de l’extérieur.

- Ishtar, dirait-il à la jeune femme si elle était toujours dans les parages. J’te remercie… Voilà, à plus.

Il était mauvais pour la gratitude : autant pour la ressentir pleinement que pour l’exprimer simplement. Alors quand il fallait passer sous le couperet de l’expression, il était souvent le dernier à y mettre sa langue. K’Van acquiesça d’un signe de la tête respectueux et sortit de la cahute, tandis que Finn se contenta d’un signe de la main. Les deux jeunes hommes et leur compagnon animal prirent alors la direction du port. Ils n’avaient plus rien à faire ici, leur aventure y était terminée, aussi courte qu’elle avait commencé. Avec quelques contusions et os cassés, ils pourraient au moins se souvenir de cet endroit.

Sur le port, les habitants semblaient pleinement prendre conscience des implications de ce départ, et si les pleurs se succédaient à l’incompréhension, la colère s’étouffait dans l’âtre de leurs esprits grâce aux paroles de Finn. Ils regardaient avec une certaine gratitude ce jeune homme tandis qu’ils dévisageaient l’hybride dont le détachement n’allait pas en sa faveur, bien au contraire.