Elle venait à peine de rentrer de sa mission qui avait été, à n’en pas douter, un échec fulgurant. La jeune femme s’était rendu compte que ses manigances avaient été vaines à partir du moment où elle avait ôté la vie de Henry Ashford, l’ancien agent d’élite du Cipher Pol 6, dont la présence soulevait bien plus de questions que de réponses. Comment un homme emprisonné à Impel Down avait-il pu terminer ici, dans les marécages de l’Archipel sous l’égide des Kaya ? Un soupir las passa à travers les lèvres de la jeune femme qui était en train de réaliser un ragoût, essayant de faire mine de vivre une vie normale de criminelle.

Son échec la minait : elle n’était pas habituée à faire des erreurs, encore moins quand cela concernait des futilités du monde hors-la-loi. Pourtant, éliminer Henry, réaliser l’échec de l’échange entre les Puces aux Marées et Némesis… Tout avait été d’une étrangeté certaine, il y avait quelque chose d’inexplicable qu’elle n’arrivait pas à comprendre. Un élément ne lui sautait pas aux yeux, alors qu’il aurait dû venir titiller son cerveau engourdi.

En revenant, elle avait fait mine de s’intéresser à Arius, ou plutôt Alban à ce moment-là. Elle avait joué le rôle de la femme modèle qui revient avec quelques souvenirs qu’elle avait pris au passage sur une île bondée, se perdant dans la foule pour réfléchir. Réfléchir au milieu d’un flot de pensées continu qui activait sans cesse son Haki de l’Observation, lui offrant migraines sur migraines à mesure qu’elle se rapprochait certainement d’un contrôle partiel de son pouvoir. Pourtant, les douleurs avaient commencé à s’apaiser sur les dernières heures du trajet, et elle s’était simplement couchée après avoir joué les amoureuses transit.

Belladone était, elle, retournée dans son habitat sommaire qu’elle avait paré de quelques tentures luxueuses, à première vue. L’ancienne assassine était l’exemple même du calme, de la volonté d’agir sans réfléchir, non pas par impulsivité mais par instinct. Lidy était clairement tombée amoureuse d’elle pour la quiétude qu’elle lui offrait dans ses moments de doutes. Ainsi, lorsqu’elle se disait que cette situation compliquée pourrait durer encore des mois, elle était torturée par la pensée que son seul repos serait dans la mort ou l’accomplissement de cette mission.

Y avait-il encore un juste milieu où elle trouverait, l’espace de quelques instants, le calme promis par une vie loin de quelconques responsabilités ? En voulait-elle seulement ?

Alors qu’elle touillait son ragoût, Alban en train d’éplucher un livre de comptes sur son fauteuil, un coup retentit à la porte. La Olsen se retourna et éteignit le gaz, clignant des yeux un court instant. Celui d’après, la porte était fendu en deux, et elle eut du mal à ne pas être immédiatement dans une position défensive. Immédiatement, l’agent du Cipher Pol 2 se mit entre la demoiselle et les nouveaux arrivants, laissant à la Olsen le temps d’observer non seulement leurs intentions mais leurs vies.

- Ne… Qui êtes-vous ? Demanderait Alban, reconnaissant pourtant le visage de deux mercenaires du Nouveau Monde, choqué de leur présence ici.

Ils se laisseraient un moment de flottement, et soudain la voix claire de la Olsen résonnerait, résolue à gérer cette situation et surtout consciente d’une chose : elle ne faisait pas le poids contre des mercenaires du Nouveau Monde. Ces personnes étaient dangereuses. Tous les signaux étaient au rouge, et elle se trouvait dans ce qu’elle craignait le plus : une situation désespérée. Cependant, une chose était certaine : ce n’était pas une situation anodine. « La Triade » ?

Une clochette venait de retentir dans son esprit. Il était infiniment peu probable que ces personnes en aient entendu parler par hasard. La jeune femme se demanda une seule chose : Qui avait engagé ces gens ? Puis finalement, elle pourrait y ajouter : Et par-dessus tout, pourquoi ?

- Je vous invite à venir vous asseoir et prendre le souper avec nous, dirait la jeune femme. J’ai fait du ragoût, nous pourrons discuter à table.

Elle gardait un certain calme, mais s’ils acceptaient, elle retournerait à son souper et demanderait à son mari inquiet de mettre la table.

La Olsen faillit soulever un sourcil, mais elle se retint. Elle était en face de deux drôles de numéros qui avaient eu une vie bien remplie. Ne s’étonnant pas qu’ils soient aussi anciens sur le monde du mercenariat – elle en avait entendu parler alors qu’elle faisait partie de Némesis – la jeune femme se posa rigoureusement quelques questions : elle évalua en premier lieu les capacités du groupe, et fut certaine que si elle réussissait à s’enfuir grâce à son pouvoir, Arius y passerait sans aucuns doutes. Le perdre serait un frein à sa mission, et surtout un manque de considérations pour ses précieuses habiletés. Elle écarta donc l’idée de le laisser derrière. Ils étaient au moins aussi puissants que Belladone, et à eux faisaient un meilleur duo que la jeune femme et sa comparse.

De toutes les manières, l’ancienne assassin n’était pas là. D’autres questions vinrent interroger les souvenirs que sa lecture lui avait fournis. Ils devaient retourner à Raijin Island pour donner les informations, cela signifiait qu’ils allaient devoir reprendre la mer, c’était donc possible de maîtriser la situation en décalé si les choses tournaient mal… C’était là où leur employeur inconnu les avait abordés, de toute évidence.

Elle se demanda si une sorte de pot de vin pourrait fonctionner, mais ils semblaient incorruptibles. Ils devaient sûrement éviter de retourner leur veste, ça leur donnerait une mauvaise réputation. Ils étaient satisfaits des services qu’ils pouvaient rendre, et des payes qui étaient les leurs. Dommage, elle aurait pu les amener à livrer de fausses informations en pleine conscience, et cela aurait permis de leur offrir une échappatoire tierce à cette situation.

Quant aux informations qu’ils avaient déjà sur la Triade… Elles étaient maigres, mais existantes : une organisation présente dans la Pègre du Nouveau Monde, berçant le trafic de drogues, le renversement de pays et l’influence politique. Que voulaient-ils exactement ? Des informations sur d’autres membres que cette fameuse « Sonia Marylin ». La jeune femme se demandait à présent ce qu’elle pourrait leur fournir pour ne pas trahir ses employeurs qui, peut-être, étaient derrière tout cela. Un test ? Elle n’y avait alors pas pensé, et si cette idée lui effleura l’esprit, elle se dit qu’avec cette histoire de Dame Verte, elle aurait rapidement l’occasion d’être prise dans les filets d’une autre organisation… Enfin, quoique non, ils connaissaient déjà les contacts de Lidy dans cette opération.

- Le souper est prêt, fit elle en servant dans les assiettes la pitance qu’elle avait préparée.

Bien sûr, il n’y avait aucune trace de poisons. C’était bien trop évident comme piège. Alban tremblait légèrement, apparemment vraiment trop peu serein dans cette situation. Il ne savait pas comment la demoiselle faisait pour rester calme.

Servant le plat dans quatre assiettes qui venaient d’être mises, elle goûta dans son assiette et proposa d’échanger avec ces invités :

- Je préférerais que ce ragoût soit terminé.

Elle sourirait aux deux hommes avant d’écouter ce qu’ils avaient à dire, et hausserait les sourcils à la prononciation du mot « Triade ». Un haussement de sourcil parfaitement millimétré, tandis qu’elle poserait sa cuillère et fermerait les yeux :

- Mon chéri, cette conversation ne te concerne pas, fit-elle en regardant son mari. Si ces messieurs l’autorisent, j’aimerais que tu rejoignes la chambre. Ne quitte pas la maison.

S’ils acceptaient, Arius ouvrirait grand les yeux : Lidy voulait gérer la situation seule ? C’était surtout la manière dont elle parlait, résolue, comme si elle était toujours maîtresse d’elle-même. Lui était toujours sous le choc de voir débarquer des personnes comme eux. Il finirait par acquiescer lentement, en se tournant vers les deux hommes de main, et prendrait la direction de la chambre s’il y était autorisé. Elle avait reçu des instructions « Ne pas parler de la Triade en présence de quiconque. ». Si elle voulait mentir efficacement, il fallait qu’elle soit certaine de ne pas faire de faux-pas.

- Je sais des choses, mais j’ai besoin de garanties. Tout d’abord, mon époux n’a rien à voir là-dedans. Tout ce que je vous livrerai ne doit pas l’affecter.

Elle jouait toujours les femmes inquiètes pour son mari, c’était un point important de sa comédie. Une fois qu’elle aurait réussi à placer cela, elle commencerait :

- Savez-vous de combien de temps date votre information sur mon lien avec cette organisation du nom de Triade ?

Arius put quitter la pièce, menacé de mort par les deux mercenaires qui étaient de toute évidence déterminés à obtenir ce qu’ils désiraient, quelques soient les moyens employés. Ils n’hésitèrent pas à être même très vindicatifs dans leurs propos, exigeant une vérité qu’ils pensaient que la Olsen possédait. Certes, elle avait des informations, mais ce n’était qu’une infime partie de ce qu’était la Triade, même s’il s’agissait de bien plus que ce qu’elle avait dévoilé jusqu’alors au Cipher Pol. Il était drôle de penser que si elle mourrait, elle ramènerait dans sa tombe de nombreuses informations qui auraient pu être déterminantes dans l’enquête. Envoyer quelqu’un espionner Reavenpauda aurait été une idée par exemple, mais elle s’était dit que même si elle mentait sur la façon dont elle avait obtenu l’information, si l’espion se faisait prendre la coïncidence n’aurait fait que sauter aux yeux de ses nouveaux employeurs.

Lorsque l’homme mentit à propos du pouvoir de son comparse, elle fit mine de retenir son souffle, se mordant les lèvres comme si elle était gênée de l’information. Elle ne pouvait pas mimer la surprise ni la peur, cela aurait trop détonné avec le personnage qu’elle incarnait jusqu’alors, mais l’inquiétude était clairement lisible sur ses traits, et elle… Enfin, elle ne pouvait décemment pas offrir des informations à ces personnes : pourtant, elle devait s’approprier un personnage inquiet, et persuadé que l’homme à ses côtés pouvait repérer les mensonges. Elle le regarderait plusieurs fois, comme pour le jauger, avant de baisser les épaules qu’elle avait alors gardées droites :

- J’aurai tout juste le temps de plier bagage… Ou peut-être attendront-ils à la sortie de ma maison pour me tuer, j’en ai bien peur. Mais cela ne vous concerne pas, vous cherchez des informations, et vous vous êtes montrés clairs avec vos intentions.

Elle relèverait un regard timide, celui de la proie qui tente d’amadouer ses agresseurs, en vain. Elle le savait, mais elle devait émettre un minimum de résistance pour que ses informations paraissent crédibles. La demoiselle était dans un état où le moindre faux-pas, le moindre mensonge trop hésitant la mettrait en danger.

- Je tenterai ma chance avec mon mari... Je ne veux pas qu’il lui arrive quoique ce soit.

Elle devait être sûre de ce qu’elle affirmait. Ils savaient déjà que l’organisation œuvrait sur le Nouveau Monde, peut-être pouvait-elle partir de là ? Non, c’était trop risqué : ils sentiraient clairement qu’elle n’avait jamais mis un pied là-bas. Même avec ses talents, elle n’avait pas assez fouillé dans leurs souvenirs pour se donner la prestance de quelqu’un qui était arrivé à parcourir les mers les plus dangereuses du globe.

- Je ne connais pas la puissance de cette organisation, mais ce que je peux vous dire, c’est qu’elle officie au sein d’autres organisations… Au moins une : la Guilde Marchande, de South Blue. C’est d’ailleurs comme ça qu’ils m’ont contactée.

Elle s’arrêta un court instant, regardant en direction de la porte où son mari était caché. Elle ferait trembler ses lèvres, mettant une main sur son cœur tandis que ses sourcils se fronceraient, comme si elle essayait d’empêcher des larmes de couler. L’effet du stress devait être un minimum crédible : ces hommes devaient penser qu’ils avaient une emprise psychologique sur la demoiselle qui regarderait finalement leurs armes.

- J’ai assisté il y a quelques mois à une soirée de jeux avec Tara, la créatrice de mode de Trader. Je voulais absolument me démarquer, et quand elle a vu mes talents… Elle a décidé de me faire passer quelques tests en livrant des cargaisons. Elle n’est qu’un émissaire, je pense, mais… C’est elle qui m’a dit que j’avais le talent nécessaire. Je vous en prie, je vous ai dit tout ce que je savais.

Avaient-ils réellement l’intention de la laisser passer ainsi ? La jeune femme savait qu’avec ce genre de mercenaires, il fallait s’attendre à tout. Elle avait évidemment tourné les choses de sorte à ce qu’ils aient une cible, et que cette cible soit vraisemblablement liée aux magouilles de la Triade. S’il s’agissait réellement d’un de leurs membres, le pari était risqué et sûrement perdu. Dans le cas contraire… Enfin, l’information était probable : une riche créatrice de mode était une couverture idéale pour des activités véreuses.

L’information lui avait échappé. Elle écarquilla les yeux, surprise : ils se partageaient les informations, c’est pour cette raison qu’elle avait été sotte. Si elle avait concentré ses intentions sur les autres hommes du groupe, elle aurait certainement pu éviter ce misérable accident de parcours. Malheureusement, il allait falloir corriger le tir très, très rapidement. Un de leurs informateurs : c’était un groupe lié à Konan, c’était donc probablement la primée qu’elle avait vu là-bas, celle dont le sosie était apparu en pleine réunion. Elle pouvait vraisemblablement penser qu’il s’agissait de ce personnage qu’ils avaient contacté. Si ce n’était pas elle, elle prenait un grand risque en mentant.

Qu’importe, il fallait sauver Arius. Si ce dernier devait fuir, il devrait utiliser le Soru, ce qui dévoilerait son affiliation au Gouvernement Mondial dans la façon dont il le ferait… Enfin, quoique de nombreux criminels maîtrisaient à présent des techniques dans ce genre. Elle-même devait cependant se montrer prudente, et tandis que les mercenaires s’apprêtaient à faire le geste ultime, elle dirait :

- C’était Mila. Mila Neltèchsta. S’il-vous-plaît, ne tuez pas mon mari. J’ai passé la soirée avec Mila, elle m’a jaugé durant tout ce temps. A la fin de la partie, le directeur du casino a seulement tenté de me recruter pour ses parties privées.

Elle reprendrait de plus belle, essayant de construire un récit à la fois cohérent et dynamique :

- Elle m’a trouvée convaincante durant la partie que j’ai jouée. Je ne voulais pas mentir. S’il-vous-plaît, pas mon mari…

Elle avait conclu un pari risqué : cependant son hypothèse était simple, et elle tentait de se convaincre que c’était la réalité. « Sonia Marilyn » était un nom qui avait émergé très récemment. Elle l’avait inscrit dans des informations disparates, mais les premiers à avoir eu l’information étaient les gérants du casino. En réalité, elle doutait même que quiconque ait pu remonter la source, en dehors de la Triade qui la cherchait réellement.

Si elle trahissait le secret de la Triade, c’en serait fini. Si elle trahissait leur secret, et qu’à l’autre bout de l’escargophonne la voix modifiée ordonnait qu’on l’exécute à son tour pour avoir divulgué des informations, elle devrait tout faire pour fuir, et laisserait derrière elle un agent compétent qui était sous sa responsabilité. Il ne fallait pas que ça foire. Elle ne pouvait pas foirer maintenant. Vendre Mila était risqué, mais c’était encore une meilleure option que de vendre la Triade qui, en plus, verrait ici qu’elle était prête à s’asseoir sur un sacré pactole. En effet, même si elle l’avait déjà prouvé, elle montrait à nouveau que pour arriver à ses fins, elle était prête à céder un gros contrat ou au moins une grosse somme de berrys. Et qu'elle mettait l'intérêt de ses employeurs au-dessus des siens.

Un autre indice lui disait qu’elle connaissait celui ou celle qui était à l’autre bout de l’escargophone : la voix modifiée. C’était assez anodin, mais son esprit fit rapidement un lien. Elle était presque convaincue qu’il s’agissait d’une personne qu’elle avait déjà entendue, que ce soit le maître du casino… ou un de ses subordonnés.

Pis encore, elle n’avait pas le temps de chercher dans son esprit qui des personnes présentes était l’informateur, s’il était réel. Ce qu’elle savait, c’était que Mila n’était pas essentielle.

Elle devait s’y résoudre. Elle devait faire le pari le plus risqué qu’elle n’ait fait jusqu’alors. Les informations qu’elle avait données étaient démontées les unes après les autres, dans une logique froide et presque imparable. Pour cette personne, considérer que Mila était un membre de la Triade était aberrant. Pour Lidy, c’était logique, et elle avait au moins une réponse : la personne à l’autre bout du fil n’était pas cette femme. A vrai dire, elle l’aurait su. Pendant quelques brefs instants alors qu’ils parlaient, elle put réfléchir. Lorsqu’elle avait recherché un lien avec la Triade, elle n’en avait pas vu. Les infiltrés auraient su ce qu’ils cherchaient : or, dans la mémoire de toutes les personnes qu’elle avait rencontrées, il n’y en avait pas qui avaient aucune qui érigeait le mot « Triade » en ennemi.

Elle savait que l’informateur n’était pas parmi les gens dont elle avait lu la vie. Elle tenterait de fouiller un peu mieux la prochaine fois pour en être persuadé. Elle n’avait à présent plus de conversation avec les mercenaires, mais bien avec la voix qui semblait devenir glaçante, malgré la modification que l’appareil lui apportait. Le cœur de Lidy se serra. L’idée même de perdre Arius se faisait plus concrète à chaque seconde, mais elle ne pouvait pas se résoudre à abandonner.

- Mila Neltèchsta, répéta la Olsen. Elle n’est peut-être qu’une marionnette, mais c’est elle qui m’a abordée.

La détermination était cette fois-ci inscrite dans les yeux de la Olsen. Arius était un sacrifice qu’elle devait faire pour la suite des opérations ? Peut-être pas, peut-être qu’il y avait un moyen de le sauver, mais dans la précipitation elle ne pouvait pas faire de concession. Sa mission primait sur tout, sur sa propre vie, et sur celle de son pseudo-mari qui viendrait peut-être à la détester après ça. En tout cas, la confiance qu’il avait en elle s’effriterait sûrement.

Elle regrettait de ne pas avoir pris Juna avec elle. Si Juna et Belladone avaient été là, elles auraient eu une chance contre ce groupe de mercenaire, et seraient sûrement parvenues au minimum à fuir sans perte. Ici, il n’y avait rien qui puisse l’aider à s’en sortir par la force. La demoiselle retenait donc son souffle dans une insupportable et courte attente.

Lidy refit le lien rapide entre le Taho et la Triade : cet homme était un allié de cette dernière sur le Nouveau Monde. Etait-il le commanditaire ? Non, c’était illogique : il avait déjà plus d’informations que la Olsen sur cette place forte, et savait déjà tout ce qu’elle avait en connaissance. Les autres, elle les avait éliminé les uns après autres, sachant qu’ils n’étaient pas là, du moins durant la partie qu’ils avaient joués, pour réunir des informations. Ils ne se doutaient pas que la Triade était dans le coup. Pour la Olsen, ce pari risqué, ce pari sur la vie de son subordonné était quelque chose qu’elle était prête à faire. Les lamentations étaient terminées.

- Vous ne pouvez que me croire sur parole, à présent. Votre ami le sait, dit-elle en désignant le fameux détecteur de mensonges. Mila Neltèchsta est la personne qui m’a abordée.

La Olsen n’avait pas la chance de posséder un Haki de l’Observation pour vérifier la mort d’Arius, et son regard se figea tandis que ses bras vinrent étreindre son corps. Quel pari stupide avait-elle fait sur son faux amant, sur son camarade ? Elle aurait pu abandonner la mission. Non, le doute n’était pas permis. Il était là, il était vivant, il n’attendait qu’à se dévoiler. Elle attendit un bref instant, et une larme coula le long de sa joue, réelle. Elle tituba un court instant vers la pièce où il était censé être, et celle-ci s’ouvrit, libérant la Olsen de ce poids. Elle écarquilla les yeux et respira profondément, arrêtant de trembler.

Alban fut poussé sur le sol. La jeune femme alla vers lui, et lui caressa les cheveux tandis que la voix de Shing Wu résonna. Elle la reconnut immédiatement : c’était le genre de personnes qu’on n’oubliait pas. Son pari risqué avait porté ses fruits, et tandis qu’elle tremblait encore, un sentiment de victoire la saisit. Pourtant, elle était encore sous le choc. Arius, de son côté, était dans une sorte d’étrange sentiment : il était à la fois incrédule et en colère. Comment avait-il pu passer aussi proche de la mort ? Cette mission était définitivement bien plus dangereuse que tout ce qu’il avait pu faire jusqu’à présent.

Laissant ainsi leur interlocuteur parler, elle lui répondit sur un ton calme, malgré tout marqué par l’émotion qui était né de la croyance assumée que l’agent du Cipher Pol 2 était mort :

- Je comprends. Je n’adhère pas à la méthode quand elle s'applique sur moi, mais je comprends.

Elle était honnête, et de toutes les manières le Buhin ana pourrait comprendre. Après tout, si elle croyait que son époux était mort, elle risquait bien de s’épancher un peu plus. Le serrant contre lui, il sentit brusquement comme un soulagement, et la prit dans ses bras lui aussi. L’étreinte dura quelques secondes, le temps que les mercenaires reçoivent leur ordre de mission. La jeune femme se mordit les lèvres, ressentant brusquement une douleur dans son crâne, sûrement une manifestation de son Haki de l’Observation qui s’éveillait encore. Elle inspira, expira, et essaya de laisser la douleur couler.

C’était un coup de chance pur et dur, ou un calcul extrêmement bien fait. Dans tous les cas, c’était une victoire qui viendrait peut-être compenser certaines frasques. Lorsqu’elle réfléchit un court instant à ce qu’il allait falloir faire à présent, elle leva Alban et s’inquiéta de savoir comment il allait tandis que les mercenaires pliaient bagage. Ils allaient partir avec leur escargophone, ce qui signifiait sûrement que si le Buhin Ana voulait continuer la conversation, il l’appellerait sur le sien.

Laissant son ami se diriger vers la chambre où il irait se reposer une fois les mercenaires partis, la jeune femme se dirait qu’elle venait d’épargner par la même occasion la vie de ces hommes qui ne faisaient pas partis de la Triade : ils étaient sûrement loin de vouloir de réelles informations, et s’en fichaient, mais si leurs oreilles sortaient de leur chasteté, ils risquaient d’en subir les frais. Le savoir était synonyme de pression dans ce métier. Laissant donc le temps s’écouler, la jeune femme se contenterait de contempler le monde devant elle. Quelles allaient être les conséquences de cette altercation ? De cette mission ? Comment Sonia allait-elle expliquer ça à Alban ? Pour l’instant, elle lui avait dit de se reposer, et qu’elle lui parlerait plus tard… Quel mensonge pourrait-elle bien inventer pour que son mari reste dans l’ignorance ? Et comment allait-elle présenter la situation au Buhin Ana la prochaine fois ? A présent, elle sentait que quelque chose d’autre allait lui tomber sur le coin de l’œil… Encore un dilemme moral ? Elle n’en savait rien. Quelque chose. L’histoire qu’elle écrivait sur les pages encore blanches de cette partie de sa vie était loin d’être terminées.[/b]

- Rebonjour.

La jeune femme avait un instant été soulagée que la conversation soit terminée. Pour conserver sa couverture, et si on l’écoutait encore, elle dirait à son cher Alban qu’il s’agissait de personnes qui voulaient lui nuire à cause d’un passé qu’elle ne voulait aujourd’hui pas dévoiler. Il finirait après quelques échanges par accepter de garder ses questions pour plus tard, mais fit promettre à la jeune femme de dévoiler la vérité un jour ou l’autre. Comme beaucoup l’auraient fait, Sonia fit cette promesse dans le vent, sachant que la vérité ne serait jamais sortie d’une femme froide comme la Marilyn.

Alors qu’elle attendait dans le salon, l’escargophone sonna et elle répondit sans attendre. Elle n’avait pas besoin de jouer les femmes d’affaire sans émotions : cela entrerait à nouveau en contradiction avec le personnage de la femme aimante qui avait cru perdre son mari.

Lorsque les révélations tombèrent, elle réussit enfin à connecter tous les fils entre eux. C’était un plan bien pensé pour tester sa loyauté, mais elle devait s’avouer que ce n’était qu’une parcelle de ce qui pouvait encore la surprendre.

- Je comprends mieux… Ainsi, c’est à mon tour de vous éclairer sur les raisons qui m’ont poussées à agir ainsi.

Elle s’arrêterait un court instant, pour laisser le temps à son interlocuteur de saisir qu’elle allait lui faire des révélations, comme s’il s’agissait d’une pièce de théâtre dans laquelle elle venait d’annoncer un effet dramatique. Il devait être habitué, un peu trop habitué à ce type de tournures, mais elle n’en avait que faire. A un moment, elle devait bien s’offrir un peu de fantaisie là où elle pouvait en trouver sans que ça ne ruine sa mission.

- Mon rôle dans Némesis a toujours été de réunir des informations. Cela fait plusieurs années que j’opère secrètement, et mes périodes d’activités ont été fluctuantes. La Gaucher était un élément nuisible à la direction actuelle de Némesis, mais si vous m’aviez dit que vous souhaitiez vous en emparer, j’aurais évidemment fait le nécessaire pour cela.

Elle s’arrêta un instant avant d’ajouter :

- Le Gaucher était un homme dangereux. En soit, il n'était cependant pas nécessaire à l'échec de la transaction. Il possédait une emprise, un pouvoir de séduction je pense. Je n’étais pas sûre d’avoir le dessus sur lui, en toute circonstance, ce qui mettait en danger mon jugement. En plus de sa volonté de trahir l’organisation, il m’était peu fiable.

La jeune femme venait d’avouer deux choses importantes : sa liaison avec Némesis était, comme devait le penser le Buhin Ana, plutôt faible, et elle était aussi froidement capable de prendre des décisions comme des assassinats. D’un côté, elle avait sûrement pu titiller l’intérêt de cet homme qui serait sûrement son supérieur, de l’autre elle avait dévoilé les compétences qui pourraient intriguer son supérieur : la récolte d’informations. C’était là son rôle dans Némesis. Une fois qu’il aurait pu composer avec cela, il lui donnerait sûrement des missions plus intéressantes pour prouver sa loyauté… Même si celle-ci avait déjà été mise à rude épreuve aujourd’hui. [/b]

A l’écoute de son interlocuteur, la jeune femme put conclure qu’elle avait failli faire une boulette. Cependant, elle était loin d’avoir été aussi à côté de la plaque que lorsqu’elle avait tué Ashford. Elle n’avait pas eu besoin de préciser que la vente d’arme était l’activité d’Arius : cela correspondait de toutes les manières parfaitement avec l’attitude qu’ils avaient eue lors de leur première rencontre au casino. Qu’importe, elle avait suscité l’intérêt de son interlocuteur, et c’était là tout ce qu’elle devait rechercher à présent. Elle devait l’obliger à s’accrocher qu’elle serait l’espoir d’une nouvelle génération.

Enfin, il lui dévoila des informations : des espions dans les rangs du Cipher Pol. Elle s’en doutait, et se disait qu’il allait falloir faire un sacré tri en rentrant au bercail. Aidée par la Vice-Directrice qu’elle espérait toujours en sécurité, la jeune femme se dit qu’elle pourrait rapidement mettre en cage les misérables qui trahissaient leur institution et mettaient en périls leurs alliés. De toute évidence, ce ne serait pas pour demain qu’elle retrouverait le doux cadre froid et rigide de sa tendre Ennies Lobby. Et encore moins la présence de ses trois enfants qui étaient loin d’ici.

La demoiselle se contenta donc d’écouter, et fit sur un ton de regret :

- Effectivement, il aurait été d’une utilité certaine. J’aurais dû creuser un peu plus avant de le supprimer… Et quand je vous aurai prouvé mon efficacité, il sera temps de discuter effectivement de la position de mon mari, au moins en terme stratégique.

Elle parlait de manière à ce qu’il comprenne qu’elle souhaitait qu’il reste impliqué au moins dans cette affaire de Némesis, mais il l’avait anticipé puisqu’il en avait fait la proposition indirecte. Cependant, ils y mettaient tous deux la condition ultime que la Olsen réussisse la mission qu’il s’apprêtait à lui confier sur Logue Town.

- Je vous écoute, et je me mettrai en route, annonça-t-elle.

« A moins que vous ne souhaitiez me transmettre les informations une nouvelle fois par messager. » aurait-elle pu rajouter, mais elle s’était contentée de se taire. L’erreur n’était pas permise un nombre infini de fois, surtout avec ce type de personnage qui savait exactement ce qu’il voulait en affaires.

Par sa réponse, elle affirmait malgré tout renouveler sa volonté d’appartenir à la Triade. Buhin Ana se dirait sûrement qu’elle n’avait pas le choix et qu’elle agissait comme cela par principe, peut-être s’imaginait-il qu’elle ne connaissait que le monde des hors-la-lois. Pour Lidy, c’était essentiel d’avoir une longueur d’avance sur les pensées de cet homme, même si elle ne savait pas comment elle allait pouvoir accomplir sa prochaine mission. Ce qui était sûr, c’est qu’elle ne ferait plus la même erreur. Partir seulement avec Belladone avait causé de sa part un enfermement sur ses pratiques et un manque de réflexions. Elle espérait d’une certaine manière que la mission ne soit pas en rapport avec Némesis pour pouvoir tenter de briller autre part, mais qu’importe.

Une fois qu’il aurait expliqué la mission et mis au point les derniers arrangements, ils pourraient se quitter en se saluant poliment malgré les évènements du jour. La Olsen soupirerait alors, laissant sa migraine reprendre de plus belle tandis que son Haki se déversait à nouveau en elle. « Faîtes que ça s’arrête » se dirait-elle en étant toujours un peu plus patiente.[/b]