Découvertes animales

On est bientôt arrivées ? Les paupières de la noiraude se fermèrent douloureusement tandis que ses doigts osseux venaient, pour la énième fois depuis le début de leur périple, récolter les perles salées qui s'étaient formées sur son front. Faisant appel au peu de dignité qui lui restait, Salem essuya sobrement sa main humide sur le tissu sombre de son pantalon avant de rattraper les rennes. Poussant un soupir de dépit, elle se contenta de lancer un regard noir à sa comparse sans même prendre la peine de répondre à sa question. De toute façon, sa réponse serait la même que celles qu'elle lui avait données les vingt précédentes fois : elle n'en savait fichtrement rien !

La situation ne pouvait pas être pire... Elle observa avec désolation l'étendue de sable qui s'offrait à elles, qu'elles se posent à droite ou à gauche de leur position, ses billes d'obsidienne ne rencontraient rien d'autre que des dunes. Des dunes à perte de vue, encore et toujours des dunes ! Parfois, le hasard la graciait d'un maigre cactus, voire deux dans le meilleur des cas. En d'autres circonstances, peut-être que la sorcière aurait su apprécier la beauté de ce tableau désertique. Peut-être aurait-elle su faire fi de la sensation désagréable de ses vêtements rugueux collés à sa peau par sa transpiration, de l'odeur nauséabonde qui émanait des simulacres de chameau qu'elles avaient empruntés ou encore du poids de sa chevelure détrempée. Peut-être. Mais actuellement, l'humeur de la jeune femme n'était pas à la clémence, ni même au compromis. Elle n'était clairement pas taillée et encore moins équipée pour le climat de cette île de malheur...

Un rire nerveux échappa à la barrière de ses lèvres fines, le son guttural et austère ne manquant pas de faire frissonner d'horreur sa monture, sans doute aurait-elle dû se douter que cela ne présageait rien de bon pour sa pauvre personne. Elle reporta de nouveau son attention sur l'albinos à sa droite. Cette dernière faisait mine de ne rien avoir entendu. Mais Salem savait. Elle avait fini par apprendre à déchiffrer les mimiques sans queue ni tête de la lunatique à force de voyager à ses côtés. Deux longues années de calvaires. Alors oui, la Sorcière savait que l'ange n'en possédait que l'apparence. Malgré sa vue troublée par les températures ahurissantes de l'endroit, elle pouvait clairement deviner le sourire en coin qui déformait subtilement les lèvres pleines de l'ancienne gardienne d'Impel Down. Il y avait trop de précision dans la fréquence de ses questions, trop de fausse innocence dans son ton... Il aurait fallu être bien naïf pour croire qu'elle ne le faisait pas exprès.

Tout se présentait pourtant merveilleusement bien jusqu'à présent ! Cela faisait quelques jours que l'ange semblait s'être résolu à cesser de fuir et se pliait à son plan de route sans broncher. Aussi surprenant que cela paraisse, la sorcière avait préféré accepter cette tempérance toute nouvelle dans le comportement de sa comparse plutôt que de s'en alarmer. Avec le recul, peut-être aurait-elle dû... Car malheureusement, il avait suffi d'un mot, un seul, pour que tout dérape : "Temple". Autrement qualifié par Salem de "celui-qu'on-ne-doit-pas-prononcer-en-présence-de-Bonnie-numéro-deux" depuis que cette dernière s'était mise en tête de jouer aux archéologues en herbe. À peine le marchand de pastèques auprès duquel les jeunes femmes s'étaient rendues pour se sustenter l'avait-il prononcé, que tout espoir de continuer leur voyage loin de cette terre aride s'était éteint dans le cœur de la noiraude, remplacé par un profond abattement.

Ni une, ni deux, la Sarments l'avait entraînée en direction d'un loueur de chameau douteux et, pendant que Salem fixait d'un air blasé l'une des bêtes poisseuses et odorantes mastiquer lascivement quelques brins de foin séché, s'était empressée d'en réquisitionner deux. La suite, vous la connaissez déjà...

Soudain, la délivrance. Plus loin, émergeant telle la Terre Sainte au milieu des dunes, le spectacle salutaire d'un campement de fortune dressé autour de ce qui semblait être un amas de vieilles pierres s'offrit à ses yeux sombres. Très vite suivi par une vague sableuse. Que ?! s'exclama-t-elle. Sans que l'utilisatrice du retour à la vie n'ait pu l'anticiper, Bonnie avait intimé à sa monture l'ordre de rejoindre la place au galop, soulevant un nuage de particule. La brûlure des grains irritant sa cornée fragile la forçant à fermer vivement ses paupières. Lorsqu'elle les rouvrit, non sans difficultés, l'ange était déjà bien loin.  
Laissant échapper une flopée de juron, Salem frappas avec force les flancs du camélidée afin de la rattraper. Le succès de son action fut néanmoins relatif, la bête, plutôt que d'entamer sa course, se stoppant littéralement tout en poussant un râle de protestation. Sérieusement ?! hurla la jeune femme.

Fixant la silhouette fine de l'ancienne gouvernementale s'éloigner à vive allure vers l'horizon avec dépit, la sorcière réitéra son constat : effectivement, la situation ne pouvait pas être pire...

Loin de ces considérations, la maudite de la fée déambulait déjà joyeusement dans les allées formées par les bivouacs des vendeurs à la sauvette. Les affaires avant tout après tout... N'accordant pas même un regard aux hommes qui la hélaient pour lui proposer des armes à l'aspect discutable pour un prix indécent, l'albinos abandonna son canasson et se dirigea d'office vers le bâtiment devant lequel la caravane s'était établie.
Ses orbes irisés trop occupés à détailler les fresques érodées par le temps, elle n'aperçut que trop tard la chevelure verte de la jeune femme qu'elle vînt percuter de plein fouet.