Papy ? La moue triste de la jeune petite-fille du grand-père aurait pu faire fondre n’importe qui mais Mama Ité se tenait devant la porte de l’infirmerie, prête à stopper quiconque s’approcherait du capitaine. Les bras croisés, elle s’était occupée du reste de l’équipage comme une cheffe. Bien qu’inférieure en grade par rapport à Ipère et Clepe, la grosse dame jouissait d’une réputation qui était indépendante de son grade au sein de l’équipage. Mama faisait si peur aux lieutenants et autres gradés constitués de vieux qu’elle pouvait se permettre de régenter un peu l’ensemble des membres sans s’attirer les foudres de ses supérieurs. Personne n’osait remettre en doute son importance au sein de l’équipage… en réalité, tous avaient peur de se retrouver privés de nourriture.
Seulement, la petite Ginny était incapable de mesurer l’importance d’un grade ou simplement l’importance que pouvait constituer la peur ou la supériorité intrinsèque d’un membre. Ainsi, lorsqu’elle fut stoppée par la grosse dame, elle ne put comprendre la raison. Ité Manjtou s’accroupit pour se mettre à hauteur de la demoiselle. Avec un sourire franc et un regard désolé, elle commença à la traiter en égal pour la rassurer et tenter de lui expliquer la situation.
Ton papy est occupé avec des patients pour le moment. Des gens sont blessés et ont besoin de soins, il pourra bientôt être avec toi pour s’amuser, je te le promets. Tendant son petit doigt, elle chercha à attraper celui de l’enfant avant d’imprimer des mouvements de haut en bas. C’était une promesse qu’elle avait faite sincèrement. Amusée par ce petit manège et ce petit jeu, la petite fille Gratz accepta le marché et partit toute guillerette. Sa vision du monde était telle que le mensonge et la vie commue de faon générale ne pouvait pas être perçue. Elle avait toujours eu le chic pour se sortir de situations rocambolesques et ce n’était pas prêt de s’arranger.
Mama observa la petite rejoindre le pont avant de soupirer, un jour aussi elle aurait des enfants… malheureusement, il lui faudrait sans doute attendre d’avoir trouvé le prince charmant. Avec un peu de chance, peut-être parviendrait-elle à séduire Félix Constantin ? Depuis qu’elle avait pu rencontrer la Dragon Céleste, la grosse dame n’était plus la même et avait commencé à nourrir un certain amour envers ce fameux personnage. Il était évident qu’elle allait avoir de la concurrence mais elle ne s’en souciait guère. Sortant de ses pensées, Mama Ité entrouvrit la porte de l’infirmerie pour voir si tout allait bien. Les deux patients du docteur Gratz dormaient paisiblement. Ouvrant un peu plus grand, la seconde du capitaine constata que le vieil homme était affalé sur son bureau, un stylo dans la main et le compas dans l’autre. Il était évident qu’il était épuisé et qu’il avait beaucoup trop veillé sur ses protégés. Esquissant un sourire bienveillant, la cantinière s’approcha de l’ancêtre pour ramasser son manteau de contre-amiral qui était tombé au sol. Délicatement, elle posa l’habit sur les épaules de Nils pour le couvrir pendant son repos.
Soudain, du poison se mit à se répandre autour du corps de l’ancêtre et une masse difforme vint commencer à emprisonner les mains de la grosse dame. Retenant un râle de douleur, cette dernière se contenta de dire qu’il s’agissait d’elle au vieillard. Ce dernier s’était réveillé en sursaut, toujours sur le qui-vive depuis les derniers événements. Le poison revint alors au grand-père qui se retourna pour faire face à Mama Ité. Observant les mains un peu brulées de cette dernière, il attrapa une gélule et une crème qu’il tendit à sa subordonnée.
Je suis désolé.Une moue triste se dessina sur le visage de l’ancêtre. Décapsulant la crème, il massa la grosse dame qui rougit devant cette attention. Son cœur ne battait que pour Saint Constantin et elle retira bien vite ses mains pour se les masser elle-même. Son amour de toujours n’aurait très certainement pas supporté de voir sa future femme entre les mains d’un autre homme ! Se rattrapant, elle prit finalement la parole.
Monsieur, votre petite-fille est passée et elle s’inquiète. Vous nous inquiétez tous à dire vrai. Depuis ces évènements, tout semble différent. Il faudrait que l’on puisse compter sur vous mon capitaine…Le ton employé et les paroles de la grosse dame n’eurent pas le moindre effet sur le vieillard. En effet, bien qu’elle s’exprimait pour la première fois de la sorte, Nils avait préféré replonger dans ses travers et pleurait de nouveau en observant les deux corps sans vie de ses compagnons d’arme. Il lui aurait fallu une bonne dose électrique pour se sortir de cette torpeur et aller de nouveau de l’avant. Il allait finalement chercher à congédier sa seconde lorsque cette dernière reprit la parole.
Enfin faites-en ce que vous voulez. On aimerait retrouver notre capitaine. Celui qui reste fort et enjoué quelle que soit la situation.Sur ces mots, la grosse dame sortit aussi silencieusement qu’elle était venue : elle espérait simplement avoir ouvert les yeux au vieil homme qu’elle considérait aujourd’hui comme un ami en plus de son supérieur et de son capitaine.
Nils fut plus impacté par ces dernières paroles que les premières. Laissant partir sa cantinière sans un mot, il se retourna vers son bureau comme pour penser à autre chose. Là, devant lui, se tenait un bol de bouillon que la grosse dame avait sans doute préparé quelques temps auparavant. Un sourire inconscient finit par se dessiner sur le visage de l’ancêtre, il était surpris, agréablement surpris. Prenant le bouillon, il réchauffa alors ses mains et prit quelques gorgées du délicieux met préparé. Au-dessus, un mot de Mama Ité qui avait été gribouillé : « Je l’ai sauvé de Clepe Tomane… il avait essayé de vous le voler « C’EST MEME PAS VRAI » ». Cette fois-ci, c’était un petit rire qui étrangla le grand-père avant de reprendre le travail. De l’autre côté de la porte, Ité souriait : elle avait entendu ce petit rire. Croisant les bras, elle reprendrait alors la garde de l’infirmerie.