Dalia, Marisa
Liam avait été emmené dans les bureaux les plus sordides du Gouvernement Mondial, au milieu d’une paperasse monstre. Quelques jours plus tôt, il avait été recueilli par les troupes de Machigan, un Vice-Amiral d’une grande importance, pour être soigné en tant que civil. Son aide dans les combats n’était pas passée inaperçue, et on avait pu noter son courage et son héroïsme pour lesquels il avait été loué avec une certaine application. Les yeux pétillants de joie, certains étaient venus à son chevet pour lui rappeler des faits qui avaient été amplifiés, déformés, et qui le faisaient passer pour un chevalier servant en armure. Il n’avait pas fallu plus que son titre pour qu’on lui fasse jurer d’être le meilleur prince charmant de la région, et qu’on lui attire les faveurs de dizaines de femmes à son chevet.

S’il n’avait pas pris quelques kilos en sortant de l’infirmerie, ce serait un miracle. Enfin, lorsqu’il avait pu sortir ce n’était que sous l’aile d’un Sergent qui l’avait accompagné faire sa déposition, et raconter sa version des faits. On l’avait écouté aussi longtemps que nécessaire avant de le libérer avec ses effets personnels devant la base de Seppen Town, où guettaient deux silhouettes qui lui seraient sûrement familières.

Mues par une envie de retrouver leur « sauveur », les deux femmes avaient attendu patiemment en apprenant la sortie de l’hôpital de ce garçon à la chevelure verdâtre. Elles s’étaient posées sur la terrasse d’un café qui avait ouvert récemment et qui faisait des tarifs préférentiels aux forces de l’ordre locale. Le Vice-Amiral Burmeister avait permis cela grâce à son lien amical avec le patron, un ami d’enfance qui perçait année après année dans les émissions culinaires. Les demoiselles s’étaient entêtées à attendre, et lorsqu’on leur avait demandé la raison de leur présence elles avaient répondu d’une seule voix :

- C’est pour notre sauveur !

On les avait alors laissés tranquille, avec l’étiquette de fervente constantiniste sur les épaules. Alors, lorsque le visage du Melfgau était apparu hors de l’enceinte de la base, Marisa avait sauté de sa chaise et s’était précipitée vers lui. Son serpent fétiche était absent de ses épaules, son protecteur de toujours, mais elle-même semblait en bonne santé. Elle s’approchait de Liam à grande vitesse, et lui sauta brusquement dans les bras dès qu’elle fut à portée.

De son côté, Dalia s’approchait, les cheveux plus courts qu’avant. Elle semblait avoir réfléchi, et une croix pendait à présent à son cou. Ses pas la mèneraient tranquillement en direction de Liam, qu’elle jaugeait d’un regard captivant et séduisant. Ses lèvres offraient un reflet luisant tandis que ses mains venaient s’installer sur sa taille.

- Bonjour, jeune homme…

Elle s’arrêterait en lui échangeant un regard rempli de reconnaissance.

Dalia, Marisa
Dalia secoua la tête, comme si le Melfgau se méprenait. Son sourire était calme, apaisant comme les flots de cette mer rarement agitée. Elle articula alors en tentant d’être le plus bienveillant possible, sans manquer d’aller au but :

- Nous n’aurions pas survécu sans toi, nous te devons beaucoup.

La jeune femme, si elle aurait pu le vouvoyer, avait abandonné sans forme de procès ce type de niaiserie. Elle était dans un état relativement apaisé. Ses mains vinrent se balader sur sa croix tandis qu’elle observait Marisa, silencieuse, dont le sourire déclinait progressivement, puis revenait au fur et à mesure de ses pensées. Ses mains allaient prendre celles du prince, et elle tentait de le faire danser, tourner en bourrique avant de rigoler d’un air enfantin. Elle n’était pas si petite que cela pourtant, mais ses mimiques étaient encore conditionnées par les événements traumatisants qui avaient eu lieu dernièrement, et auxquels elle fuyait comme elle le pouvait.

- Je suis un peu gênée, mais… Est-ce que tu aurais le temps de m’accompagner quelque peu ? J’aimerais te montrer quelque chose.

La jeune femme fit signe au prince de la suivre, pour se diriger vers les quartiers les plus standards de l’île. Elles étaient habillées chaudement pour tenir à l’écart l’hiver et sa marque de fabrique qu’était le froid. Lorsqu’ils auraient parcouru quelques centaines de mètres, ils arriveraient rapidement devant un chantier assez grand. De nombreuses maisons avaient été déplacées, détruites, pour que ce projet puisse voir le jour. Les fervents adeptes n’avaient pas rechigné un instant à changer de lieu, car sur cette île la religion battait son plein comme dans chaque capitale des Blues.

Dalia vint poser un œil averti sur les entrepreneurs qui déplaçaient des charpentes pour construire un des fameux lieux de cultes qui pouvaient donner tant d’envies de grandeur, de découverte à n’importe qui. Finalement, après un instant d’admiration, tandis que Marisa était là d’une oreille attentive, elle dit sur un ton apaisé :

- As-tu déjà entendu parler du constantinisme ?

Dalia, Marisa
La jeune femme était d’une blancheur de peau presque divine. Elle semblait s’accommoder à cet environnement de North Blue : son regard était même d’un bleu froid si joli qu’il aurait pu se confondre avec certains paysages de ces îles hivernales. Elle semblait sage, loin de la vindicte qu’elle avait pu poursuivre autrefois. Ses doigts élancés vinrent se poser sur ses lèvres luisantes, tandis qu’un reflet parcourut ses yeux. Elle sourit en écoutant la question innocente de Liam.  Finalement, elle ferma les yeux, rompant le contact qu’elle avait pu avoir avec le jeune homme. Dans sa tête, elle se remémorait les versets qu’elle avait pu lire dans le livre qu’on lui avait offert quelques semaines plus tôt.

Au départ, elle ne les comprenait pas. Aujourd’hui c’était différent : elle était conquise, et adepte de ce qu’elle pensait être la « bonne façon » de voir les choses.

- Le Constantinisme tire son nom de Saint-Constantin. Il est le… messie, le messager qui a révélé il y a quelques années l’existence de la seule entité qui protège réellement le monde : le Dieu Unique, incarné par le Gouvernement Mondial sur Terre.

Elle s’arrêta un instant. Si Liam demandait à ce qu’elle répète, elle reprendrait avec de nouveaux mots. L’idée principale étant celle-ci : il n’y avait pas plus que grand que le Gouvernement Mondial et ses représentants sur Terre.

- En vouant notre ferveur au Gouvernement Mondial, en l’aidant, nous assurons paix et prospérité aux peuples qui croient en lui, et qui ne s’y opposent pas. En somme ? C’est une façon de prôner la paix et la joie dans tous les foyers. J’avais du mal à y croire, mais Saint-Constantin, notre messie, prône une totale égalité entre les hommes et les femmes, ainsi que l’abolition de l’esclavagisme.

Ces deux points étaient parfois en débat. Si on s’en référait uniquement aux prises de paroles de cet homme, c’était entré dans ses mœurs peu de temps auparavant. Il avait sûrement remarqué qu’il pouvait utiliser ces idées pour permettre d’affaiblir une partie de la Révolution en empêchant de nouvelles recrues de suivre ces voies-ci. Bien sûr, toute une face était cachée, mais Dalia ne voyait pas plus loin que le bout de ce livre qui lui avait vendu des principes novateurs et pionniers d’une nouvelle ère pour le Gouvernement Mondial… Une ère de croyance et de prospérité.

Elle pourrait encore parler longtemps de cela, mais elle laisserait Liam faire preuve d’intérêt s’il le souhaitait. Dans la mesure de ses propres connaissances, elle répondrait à toutes les questions qu’il avait, que ce soit sur les préceptes, sur l’égalité ou encore sur l’avenir envisagé par ce grand homme qu’était Constantin.