Retour en mer promise

La vie avait repris son cours sur le navire du Compost. Les matelots les plus fidèles étaient en train de travailler tranquillement de leurs côtés tandis que Clepe Tomane était resté sur la vigie. Le pauvre ne tenait plus en place : avec les derniers évènements, il n’avait pas eu la moindre occasion de faire une connerie ou de tenter de dérober quelques objets à quiconque se trouvait sur le bateau. Ipère Palnore était quant à lui en manque de sommeil : il avait fixé des allumettes dans ses orbites afin de s’obliger à combattre sa maladie. Cette idée lui était venue grâce à Mama Ité qui était intervenu un jour pour le protéger : Nils avait repéré un endormissement avec un changement de cap et était revenu pour lui foutre une rouste. Cet évènement avait été le début de longues journées où les marins, d’apparence plutôt heureux et quelques peu agités, avaient finalement opté pour un voyage en silence de peur d’avoir à faire avec le capitaine.

Le Gratz s’était enfermé dans l’infirmerie du navire. Sur deux des lits gisaient encore les corps des deux membres morts pendant la bataille sur l’ile artificielle. Sur deux êtres gisaient Ella Tagay et Fifi qui dormaient paisiblement. Toutes deux avaient des perfusions de branchées et le vieillard surveillait leurs signes vitaux à la moindre occasion. Le reste du temps, Nils travaillait d’arrache pieds sur des poisons et autres substances diverses.

Voilà plusieurs jours qu’ils avaient repris la mer. Dès les débuts, Nils avait choisi de calmer au mieux la détresse de ses deux protégés. Il avait choisi d’endormir les deux femmes et cherchait un moyen soit de leur faire oublier le drame qu’elles avaient vécu, soit de faire en sorte de les protéger un peu plus. Le bâton de sable de la jeune marine n’était plus et il lui faudrait alors trouver une nouvelle arme, un nouveau moyen de se protéger. Peut-être qu’il parviendrait alors à trouver une solution mais l’agitation dans le lit de Ella Tagay sortit le vieillard de ses pensées. Courant presque jusqu’au chevet de la demoiselle, l’ancêtre s’apprêta à augmenter la dose pour qu’elle dorme encore d’un sommeil profond avant de se rendre à l’évidence : empêcher quelqu’un de se réveiller n’était pas un moyen de protéger les êtres qui lui étaient chers, pire, il les empêchait de vivre. Ainsi, le vieillard n’insista pas et s’installa dans son fauteuil en attendant que la petite femme-poisson n’ouvre les yeux.

Le réveil fut un peu difficile pour la jeune femme. Les muscles un peu endoloris, elle chercha à redresser la tête et à s’assoir sans pour autant y parvenir. Le Gratz la regarda un moment avant de prendre la parole. Beaucoup de choses se bousculaient dans sa tête mais il ne parvint à articuler qu’une simple question basique.

Je… comment tu te sens ?

La jeune adolescente cligna des yeux à plusieurs reprises avant d’ouvrir la bouche pour prendre la parole. Seulement, elle dut s’y reprendre à plusieurs reprises tant elle était faible.


Je vais bien, merci…
Ella possédait toute sa tête et semblait sortir d’un long sommeil sans rêve. Tournant la tête sur le côté, elle remarqua les deux corps sans vie des deux membres qu’elle avait côtoyés quelques temps. Presque apathique, elle se contenta de poser la question douloureuse au capitaine. Elle semblait ne présenter aucune émotion, aucun ressenti face à ces deux corps sans vie. Nils prit alors la parole avec les lèvres tremblotantes. Inspirant longuement, il cherchait ses mots avant de baisser la tête comme s’il cherchait à s’excuser.


Ils sont décédés en accomplissant leurs rêves, ils étaient de grands soldats de la marine et ont accompli leur devoir comme des héros.
Il savait qu’il était en train de mentir mais ses larmes ne parvenaient pas à cache la vérité. Il savait qu’il n’avait pas été assez fort pour les protéger et il savait que c’était par sa faute qu’ils avaient péri dans d’atroces souffrances : les coutures du bras de l’ancien Zoan étaient là pour témoigner de cet aveu de faiblesse. Ella tourna alors la tête en direction de Fifi avant de poser la question fatidique qui arracha une nouvelle douleur à l’ancêtre : « Et elle ? ».


Elle se repose pour le moment…
Le regard de la jeune femme paraissait vide de toute expression et elle préféra simplement acquiescer de la tête. Ne pipant pas le moindre mot, elle choisit de s’allonger de nouveau et de fermer les yeux. Elle aussi avait encore besoin de repos : le traumatisme de la mort sauvage lui revenait en tête et elle devait se rendre à l’évidence, le monde était pourri.

Nils n’insista pas et attendit qu’elle soit de nouveau endormie pour vaquer à ses activités. Il prendrait de nouveau la tension des jeunes femmes avant de s’assurer qu’elles restaient sereines. Une fois en place, il irait à son bureau pour écrire quelques mots et dessiner quelques plans. Il avait pris une grande décision, il était maintenant temps de tout mettre en œuvre pour s’assurer que cela fonctionne.

Retour en mer promise

Papy ?
La moue triste de la jeune petite-fille du grand-père aurait pu faire fondre n’importe qui mais Mama Ité se tenait devant la porte de l’infirmerie, prête à stopper quiconque s’approcherait du capitaine. Les bras croisés, elle s’était occupée du reste de l’équipage comme une cheffe. Bien qu’inférieure en grade par rapport à Ipère et Clepe, la grosse dame jouissait d’une réputation qui était indépendante de son grade au sein de l’équipage. Mama faisait si peur aux lieutenants et autres gradés constitués de vieux qu’elle pouvait se permettre de régenter un peu l’ensemble des membres sans s’attirer les foudres de ses supérieurs. Personne n’osait remettre en doute son importance au sein de l’équipage… en réalité, tous avaient peur de se retrouver privés de nourriture.

Seulement, la petite Ginny était incapable de mesurer l’importance d’un grade ou simplement l’importance que pouvait constituer la peur ou la supériorité intrinsèque d’un membre. Ainsi, lorsqu’elle fut stoppée par la grosse dame, elle ne put comprendre la raison. Ité Manjtou s’accroupit pour se mettre à hauteur de la demoiselle. Avec un sourire franc et un regard désolé, elle commença à la traiter en égal pour la rassurer et tenter de lui expliquer la situation.


Ton papy est occupé avec des patients pour le moment. Des gens sont blessés et ont besoin de soins, il pourra bientôt être avec toi pour s’amuser, je te le promets.
Tendant son petit doigt, elle chercha à attraper celui de l’enfant avant d’imprimer des mouvements de haut en bas. C’était une promesse qu’elle avait faite sincèrement. Amusée par ce petit manège et ce petit jeu, la petite fille Gratz accepta le marché et partit toute guillerette. Sa vision du monde était telle que le mensonge et la vie commue de faon générale ne pouvait pas être perçue. Elle avait toujours eu le chic pour se sortir de situations rocambolesques et ce n’était pas prêt de s’arranger.

Mama observa la petite rejoindre le pont avant de soupirer, un jour aussi elle aurait des enfants… malheureusement, il lui faudrait sans doute attendre d’avoir trouvé le prince charmant. Avec un peu de chance, peut-être parviendrait-elle à séduire Félix Constantin ? Depuis qu’elle avait pu rencontrer la Dragon Céleste, la grosse dame n’était plus la même et avait commencé à nourrir un certain amour envers ce fameux personnage. Il était évident qu’elle allait avoir de la concurrence mais elle ne s’en souciait guère. Sortant de ses pensées, Mama Ité entrouvrit la porte de l’infirmerie pour voir si tout allait bien. Les deux patients du docteur Gratz dormaient paisiblement. Ouvrant un peu plus grand, la seconde du capitaine constata que le vieil homme était affalé sur son bureau, un stylo dans la main et le compas dans l’autre. Il était évident qu’il était épuisé et qu’il avait beaucoup trop veillé sur ses protégés. Esquissant un sourire bienveillant, la cantinière s’approcha de l’ancêtre pour ramasser son manteau de contre-amiral qui était tombé au sol. Délicatement, elle posa l’habit sur les épaules de Nils pour le couvrir pendant son repos.

Soudain, du poison se mit à se répandre autour du corps de l’ancêtre et une masse difforme vint commencer à emprisonner les mains de la grosse dame. Retenant un râle de douleur, cette dernière se contenta de dire qu’il s’agissait d’elle au vieillard. Ce dernier s’était réveillé en sursaut, toujours sur le qui-vive depuis les derniers événements. Le poison revint alors au grand-père qui se retourna pour faire face à Mama Ité. Observant les mains un peu brulées de cette dernière, il attrapa une gélule et une crème qu’il tendit à sa subordonnée.


Je suis désolé.
Une moue triste se dessina sur le visage de l’ancêtre. Décapsulant la crème, il massa la grosse dame qui rougit devant cette attention. Son cœur ne battait que pour Saint Constantin et elle retira bien vite ses mains pour se les masser elle-même. Son amour de toujours n’aurait très certainement pas supporté de voir sa future femme entre les mains d’un autre homme ! Se rattrapant, elle prit finalement la parole.


Monsieur, votre petite-fille est passée et elle s’inquiète. Vous nous inquiétez tous à dire vrai. Depuis ces évènements, tout semble différent. Il faudrait que l’on puisse compter sur vous mon capitaine…
Le ton employé et les paroles de la grosse dame n’eurent pas le moindre effet sur le vieillard. En effet, bien qu’elle s’exprimait pour la première fois de la sorte, Nils avait préféré replonger dans ses travers et pleurait de nouveau en observant les deux corps sans vie de ses compagnons d’arme. Il lui aurait fallu une bonne dose électrique pour se sortir de cette torpeur et aller de nouveau de l’avant. Il allait finalement chercher à congédier sa seconde lorsque cette dernière reprit la parole.


Enfin faites-en ce que vous voulez. On aimerait retrouver notre capitaine. Celui qui reste fort et enjoué quelle que soit la situation.
Sur ces mots, la grosse dame sortit aussi silencieusement qu’elle était venue : elle espérait simplement avoir ouvert les yeux au vieil homme qu’elle considérait aujourd’hui comme un ami en plus de son supérieur et de son capitaine.

Nils fut plus impacté par ces dernières paroles que les premières. Laissant partir sa cantinière sans un mot, il se retourna vers son bureau comme pour penser à autre chose. Là, devant lui, se tenait un bol de bouillon que la grosse dame avait sans doute préparé quelques temps auparavant. Un sourire inconscient finit par se dessiner sur le visage de l’ancêtre, il était surpris, agréablement surpris. Prenant le bouillon, il réchauffa alors ses mains et prit quelques gorgées du délicieux met préparé. Au-dessus, un mot de Mama Ité qui avait été gribouillé : « Je l’ai sauvé de Clepe Tomane… il avait essayé de vous le voler « C’EST MEME PAS VRAI » ». Cette fois-ci, c’était un petit rire qui étrangla le grand-père avant de reprendre le travail. De l’autre côté de la porte, Ité souriait : elle avait entendu ce petit rire. Croisant les bras, elle reprendrait alors la garde de l’infirmerie.

Retour en mer promise

Un bruit nouveau de sanglot envahissait la pièce de l’infirmerie. La jeune Fifi s’était réveillée depuis plusieurs minutes et après un premier cri en voyant les deux corps morts, elle ne put faire autrement que de laisser aller ses émotions. La jeune demoiselle avait plus ou moins tout perdu dans cette aventure. Son arme, ses amis… il ne lui restait aujourd’hui plus que le Compost et une haine profonde envers les hors-la-loi plus encore envers tout ce qui pouvait se rapprocher de près ou de loin à des ninjas. Nils n’était pas présent à ce moment-là et il le regrettait déjà amèrement. Il était remonté sur le pont pour prendre la température et avait finalement choisi de redescendre en trombe en entendant le cri de la jeune demoiselle.

Ouvrant la porte brusquement, le vieil homme se fit recevoir avec des jets de fioles, vases et tout autre chose qui pouvait servir de projectiles. Fifi était dans une rage folle, incapable de se contrôler et envoyait valser tout ce qu’elle trouvait à portée. Ella fut réveillée par toute cette agitation et chercha à se protéger de cette folie furieuse avant de se rattraper et de se jeter sur elle pour tenter de la contrôler. Malgré la force de la jeune femme, la femme-poisson parvint à la maitriser avec des « chuuuut ». Les deux femmes pleuraient de concert, comme si tous ces évènements les avaient finalement rapprochées au point d’être en phase dans les ressentis et dans les émotions. Les deux femmes finirent dans les bras l’une de l’autre sous l’œil inquiet du Gratz. S’approchant difficilement et lentement, il arriva finalement à leur hauteur pour prendre la parole et lui raconter les derniers évènements.

Plusieurs minutes passèrent de la sorte ou Nils répondit aux nombreuses questions de l’adolescente. Lorsqu’il fut enfin certain qu’elle était apaisée, le vieux médecin lui proposerait un calmant. Fixant ce dernier dans les yeux, Fifi refusa poliment avant de se relever. Elle était assez faible et avait usé beaucoup d’énergies à présenter autant de véhémence. Nils la porta alors pour la placer dans son lit et prit la parole pour lui parler de la suite des événements.


Beaucoup de choses vont changer ma petite. Je serai enfin en capacité de pouvoir vous protéger mais surtout, vous aussi vous allez grandir. Je vous donnerai les moyens de veiller sur vous-même.
Un sourire franc se dessina sur les lèvres du grand-père qui traitait Fifi comme l’une de ses petits-enfants en cet instant. La jeune regarda autour d’elle sans vraiment comprendre avant de s’arrêter sur les corps de ses amis. Ressassant le passé, elle revoyait en tête toutes les aventures qu’ils avaient vécues ensemble. La prenant dans ses bras, Nils chercha alors à apaiser ses souffrances et son chagrin. De nombreuses larmes mouillèrent alors l’uniforme de l’ancêtre qui ne savait pas quoi faire. La berçant tranquillement, il la laisserait s’assoupir une nouvelle fois. Lorsqu’elle reprendrait conscience, la jeune fille chercherait alors à aller de l’avant, c’était ce qu’aurait voulu ses deux compagnons après tout.

Nils lâcha un long soupir une fois qu’il eut terminé avec la demoiselle. Regagnant son bureau, il se laissa aller à quelques rêveries avant de reprendre son travail : le plus gros était déjà fait, il lui fallait surtout savoir comment il allait mettre en place toutes ses intentions. Laissant les filles se reposer, il enfilerait son manteau pour remonter sur le pont. En sortant, il vit Mama Ité qui montait toujours la garde. Surprise, elle ne pipa mot et suivit silencieusement son capitaine. L’arrivée sur le pont fut des plus étonnantes pour l’ensemble de l’équipage. Des marins se retournèrent sur son passage et Jone Snow sortit également de sa sieste. Montnostie attendait au niveau de la barre pour prévenir Ipère si jamais il s’endormait.

Prenant place en hauteur, il s’éclaircit la voix pour prendre la parole. Nils observa longuement ses compagnons avant de réaliser que c’était l’une des premières fois qu’il agissait en tant que capitaine. Pour la première fois, il allait enfin expliquer la suite des évènements et ce qui allait se passer dans les semaines à venir.


Nous rentrons pour Toroa. Là-bas, nous ferons en sorte d’aider les civils et de bâtir l’ile comme base principale de notre activité.
Beaucoup de marins haussèrent les sourcils sous la surprise. Il était maintenant question de base principale ? Le vioque avait des plans en tête ? Les pertes du Compost avaient certainement dû pas mal le secouer. Malgré l’étonnement, le Gratz ne fut pas interrompu et il continua.


J’irai discuter avec les forces de la marine en présence sur l’ile. Pour les derniers jours que nous avons vécu, vous avez tous été brillants et exceptionnels. Je vous remercie pour ce que vous avez accompli jusqu’à aujourd’hui. Comme vous le savez, deux d’entre nous nous ont quittés. Riri et Loulou étaient des compagnons exemplaires et volontaires, tous deux totalement fous, il est vrai, mais parfaits dans leur rôle. Je souhaiterai que l’on puisse rendre hommage à leur mémoire et leur dévouement.
Tous marquèrent une pause en baissant la tête, chacun se remémorant une scène particulière avec le fameux mégazord, technique inventée par le trio déjanté. Malgré leurs apparences, le trio était un élément fort de l’équipage et tous le savaient.


Prochainement, nous bâtirons une école sur l’ile de Toroa. Cette dernière aura pour vocation à ce que les évènements qui se sont produits ne puissent jamais être vécus de nouveau. Ce sera long, mais je souhaite vous former… avec les meilleurs. L’objectif est clair, vous rendre plus fort pour que plus jamais cela ne se reproduise…
Nils radotait mais ne savait pas vraiment quoi dire de plus. Les discours n’avaient jamais été sont plus gros atout, loin de là. Habituellement, il préparait beaucoup plus ses interventions. Des chuchotements commencèrent à apparaitre au niveau de quelques groupes de marines. Les autres prirent la nouvelle de façon positive mais semblaient tout de même un peu perdus. Seuls Mama, Montnostie ainsi que Jone Snow approuvèrent un sourire parfait sur le visage. C’était comme s’ils l’avaient toujours su.

Descendant de son petit piédestal, le vieillard tremblait comme une feuille. Il n’aimait pas être sur le devant de la scène et on le lui rendait généralement bien. Mama vint alors vers lui pour une tape amicale dans le dos que l’ancêtre prit avec le sourire… presque rassuré. Intriguée, elle demanda à en savoir plus et Nils lui accorda le privilège de voir les plans. Montnostie servit un « je le savais, c’était écrit » tandis que Jone Snow allait pour reprendre la barre afin de soulager le pauvre navigateur. La machine Gratzienne était officiellement en marche.