Tequila Wolf avait en cette saison une particularité : on se caillait les miches. Il n’y avait pas de « belle saison » comme on aurait pu le croire : les prisonniers étaient envoyés par vents et marées, sous la grêle et dans le froid le plus glacial au boulot. Qu’ils y crèvent, cela faisait peu d’états d’âmes aux gardiens qui se contentait de les plaindre pendant un bref instant avant de jeter le corps à la mer. C’était comme cela, le projet de construction des Dragons Célestes qui avait subi sa dernière attaque plus d’un an auparavant et qui se portait depuis lors comme un charme. Ce pont unique devait permettre de rejoindre… Quelque part, on ne savait pas réellement et on s’en fichait. Il suffisait de suivre les plans de l’architecte.

Trois types de chantier se dégageaient : le plus avancé, celui qui consistait à mettre les pierres qui iraient au bout du pont, et qui alternait quatre équipes sur trois mois. Mingo avait dû y être envoyé le mois dernier. Il y avait une équipe de consolidation du pont qui était chargée de faire des retouches sur certaines parties du pont, et c’était sûrement l’équipe la plus tranquille. On y posait les prisonniers qui étaient les plus appréciés et les moins violents… Et enfin, il y avait une équipe chargée de préparer les « bords » du pont, quand le chemin était posé. C’était chiant, répétitif, mais indispensable. Si le travail était mal fait, il y avait des risques pour la sécurité de ceux qui l’emprunteraient dans un siècle ou deux, quand il serait terminé.

Mingo D. Melrose appartiendrait à ce dernier groupe, pour peu que ça avait son importance. Il dormait dans une cabine mobile avec le reste des prisonniers, entassés dans un des trois petits blocs qu’on leur octroyait. Les deux autres servaient à la bouffe et à l’hygiène, pour peu qu’ils en aient envie. Ceux qui schlinguaient et rendaient ce séjour insupportable n’étaient pas punis, à moins que ça ne vienne à gêner les gardiens qui se trouvaient quelques dizaines de mètres en amont, dans un bloc où ils gardaient leur matériel.

Si les gardiens n’étaient pas très vigilants sur les messes-basses, ils l’étaient en revanche plus sur leur matériel. Pour les messes-basses, il y en avait… Certaines racontaient les nouvelles de ce monde, parfois déformées, d’autres s’amusaient à laisser trainer des rumeurs. En s’y intéressant même un tout petit peu, Melrose pourrait comprendre que trois personnes étaient peut-être en train de préparer une évasion, chacune dans leur coin, et que rien ne semblait pouvoir les concilier.


Gamin
Le premier était un gamin, un flemmard de premier ordre. Il tirait tellement au flanc qu’il se prenait des soufflés réguliers de la part des gardiens. On ne savait pas beaucoup de choses sur lui, mais il semblait en avoir dans la caboche puisqu’il arrivait régulièrement à avoir deux parts à la cantine. D’ailleurs, le personnel qui y travaillait semblait l’avoir à la bonne, et sous son regard d’ange se cachait très certainement quelqu’un d’intriguant… Qui avait, un jour, donné un peu de rab à Mingo. Il lui avait donné de la bouffe en voyant qu’un grand gaillard comme lui ça devait plus manger qu’un petit bonhomme.


Révolutionnaire
Le second était un révolutionnaire. Sans grande renommée, il déblatérait de temps à autres des propos qui pouvaient porter à croire qu’il était là pour rallier des gens à sa cause. Sans être grande gueule, il était pourtant capable de formuler des phrases pénibles et complexes. D’ailleurs, il avait pu déjà dire plusieurs à Mingo de surveiller son langage, et que « goumer » ce n’était pas un verbe. S’était-il fait casser la gueule ? Très probablement pas, puisqu’avec ses chaînes en granit marin le maudit n’avait pas de forces ici, et sa clef était même différente de celle qu’utilisait le gardien pour les autres prisonniers… Enfin, pas qu’on les enlève ces menottes d’ailleurs.


Pirate
Le dernier était un pirate, un voleur qui semblait offrir une option très facile pour s’échapper d’ici. On se demandait même pourquoi il ne s’en était pas encore aller. Le plus mystérieux des trois, selon certains, était aussi le plus silencieux. Il observait, et peut-être qu’il dirait à Mingo quelque chose, un jour… Mais c’était sans compter sur le fait qu’on l’oubliait plutôt vite. Un art de l’infiltration, qui avait fini ici pour avoir voler une pomme sur une île contrôlée par la marine. Au lieu de lui filer une prime, on lui avait filé un aller simple pour Tequilla Wolf, de quoi purger sa peine en somme.

Noir

- Ahah, t’es intéressant, dirait le môme en regardant Mingo avec ses grands yeux. Moi, c'est Noir.

Le gamin se nommait bien Noir. Si ce nom était synonyme de dépressions sur beaucoup, ses cernes ne feraient que ramener à lui l’idée qu’il avait un problème. Pourtant, ses petits airs distraits et son côté tire-au-flanc donnaient plus l’impression d’un enfant encore en développement qu’un dépressif chronique. Il se gratta la joue en écoutant ce que le grand gaillard avait à lui dire, le dépassant de moitié. Ses yeux pétillèrent quand il parla de bière.

- L’alcool, il n’y en a que dans la cage des gardes. Je peux en prendre une ou deux bouteilles, ouais, dirait-il avec un air malicieux. Tout comme je peux prendre d’autres choses, ajouterait-il sans même faire attention à être discret.

Les autres bagnards autour d’eux ne prêtaient pas attention. L’agitation était commune, les discussions tournant principalement autour de ce qu’ils feraient à ces petits culs bien moulés quand ils sortiraient d’ici, s’ils sortaient d’ici. L’optimisme était au rendez-vous, mais ces conversations étaient tellement communes que les gardes avaient fini par se désintéresser de tout ce qui se disait sur les lieux de travail.

Pointant les menottes en granit marin qui se trouvaient aux poignets du maudit, il lâcha sur un ton amusé :

- T’es un utilisateur de fruit du démon, toi, on dirait. Tu sais faire quoi ?

Son sourire était à la fois intéressé et enfantin. Il semblait excité à l’idée de faire équipe avec ce grand gaillard, car déjà un plan se formait dans sa tête. Qu’il obtienne ou non une réponse, il dirait avec un air amusé :

- J’te propose un marché. Je te donne de la bière et les clefs de tes menottes, et j’organise notre sortie d’ici, et toi tu m’donnes une fiole de ton sang avant tout ça pour que je mange quelque chose de consistant.

Il n’avait pas le teint pâle, mais d’autres espèces que les vampires pouvaient se nourrir du sang des humains. Cela semblait être un bon deal : une petite fiole de sang, en échange d’une libération. Il n’y avait plus qu’à accepter, et le gamin semblait tellement exciter qu’il trépignait d’impatience… Ou il avait peut-être simplement envie d’aller aux toilettes, on ne savait jamais avec ces foutus mioches.

Noir

- Estime-toi que heureux que ce ne soit pas ton corps que je demande, nargua le môme avec un sourire amusé.

Il était véritablement interpellé par l’habitude des gens de le prendre pour un enfant. En réalité, on ne dirait pas mais il était majeur sous cette apparence de gamin. C’était juste qu’il grandissait un peu moins vite que les autres… Enfin, il ne voulait pas le sang d’un autre, et lorsqu’il proposa celui de « Mangemort » qui devait désigner un autre des prisonniers, il se mordit la lèvre en regardant sa carotide.

- Ton sang, pas celui d’un autre. Merci du conseil, on aura le champ libre pour se bourrer la gueule !

Après ce bref échange, ils durent finalement se mettre au travail quand l’un des gardes s’approcha avec un fouet. Il avait la flemme de se faire traiter comme cela. Ils furent finalement séparés pour le reste de la journée, et la nuit tomba finalement alors que Noir sembla plutôt bavard auprès des autres prisonniers, et même auprès d’un des gardiens. Lorsque la nuit tomba, il tira Mingo par la manche, ou par le pantalon s’il n’avait pas de manches dans sa tenue de bagnard, et l’amena à sortir de la cabine malodorante. Ce n’était pas verrouillé mais en général les gars ici ne tentaient pas de faire les malins et de s’aventurer sur le pont.

Sortir en pleine nuit… Le ciel était étoilé, à peine nuageux, mais il faisait encore plus froid que le matin. Pourtant, en contournant leur cage dorée, ils pourraient voir que quelque chose de plaisant les attendait : plusieurs bouteilles d’alcool fort étaient présentes dans un baluchon. Chose promise, chose due de toute évidence.

- Quand on a les bons contacts, il suffit de faire fonctionner ses méninges, s’amusa celui dont l’apparence enfantine laissait percer l’espièglerie.

Il s’assit contre la cabane mouvante et regarda dans la nuit les étoiles. Il laisserait Mingo ouvrir la bouteille et boire le breuvage qui lui taperait sûrement bien vite sur le système. Pour l’instant, il n’y avait pas l’ombre d’une trace des clefs des menottes, mais s’il avait réussi à se procurer les bouteilles, il n’y avait pas de raison qu’il ne réussisse pas l’autre part. Finalement, quand le pirate serait suffisamment alcoolisé, il lui dirait sur un ton narquois :

- C’est l’heure de la piqure, mon grand !

Et il sortirait de sous son manteau le matériel : une seringue avec une capsule au bout qui devrait se gorger de sang. Mingo pourrait finalement croiser le regard de ce garçonnet étrange, et quand il s’y perdrait, il n’aurait qu’une envie : donner son sang de son plein gré, et peut-être même en donner plus que nécessaire. L’alcool inhibait les fonctions de son cerveau capables de résister à l’hypnose, et le gamin qui n’en était pas un avait décidé de jouer sur cela. Sa peau n’était pourtant pas pâle comme la lune, était-ce réellement un vampire ? En tout cas, son sourire enfantin ne laissait présager qu’une chose : à partir de maintenant, ça risquait de devenir sport.

Noir
De toute évidence, Noir n’était pas impressionné par l’homme en face de lui. Pendant un bref instant, lorsqu’il avait eu une réponse sèche à sa plaisanterie, il avait questionné le besoin d’utiliser ce type de personnes. Devait-il le garder sous le coude ? Son plan était de plus en plus proche de sa fin, et pourtant il recrutait encore une dernière personne pour le mettre en place. Celui-là serait peut-être la cerise sur le gâteau, la fève dans la galette… Ou le poison dans son dernier repas de condamné. C’était intéressant. C’était tellement excitant ! Il ne pouvait déjà plus se passer de celui-ci. Il devait tous les avoir.

Il ne savait pas si avec le taux d’alcoolémie la prise serait réellement efficace, et c’était sa dernière seringue. Enfin, il piqua dans le bras du maudit et en extrait le sang. Après l’avoir brièvement observé, il rangea la seringue sans l’aiguille. Elle était numéroté « 7 ». C’était donc le dernier. Combien survivraient ce soir ? Il n’en savait rien. Il devait se souvenir. « 7 ». Il prit une des bouteilles d’alcool et en but une gorgée. Qu’il était joyeux cet enfoiré.

Il se leva et s’étira, continuant de tenir la bouteille dans sa main. Il détestait l’alcool, c’était dégueulasse. Il passa derrière le Melrose, et brusquement il fracassa la bouteille qu’il tenait dans sa main sur son crâne. L’homme alcoolisé sentirait alors sa conscience s’évanouir : l’alcool, le granit marin et la puissance de bonhomme qui ne payait pas de mine auraient raison de lui. Il avait été dupé ? Ou était-ce simplement le début d’une aventure sinistre.

La cloche sonna pour la sixième fois. Mingo D. Melrose pourrait enfin l’entendre et sortir de son inconscience. Le brouhaha ambiant était un mélange de cris, de hurlements étouffés et de bousculades. Lui-même n’était plus derrière le cabanon où il avait bu comme un trou. L’alcool faisait encore largement effet : combien de temps s’était-il écoulé ? Dix minutes ? Une heure ? Cela avait-il de l’importance ? En tout cas, l’odeur de la mer continuerait d’emplir les narines de toute personne sur le pont. Les bruits reviendraient progressivement.


Johan Anderson, Révolutionnaire & Ryu Sagashi, Pirate

- … nous a bien eu ce p’tit fils de pute !
- Il aurait pu nous prévenir qu’on affronterait toute la garnison marine de cet endroit…

Le révolutionnaire nommé Johan Anderson montrait un regard peiné. Il tenait par l’épaule Mingo qu’il avait trouvé quelques dizaines de mètres plus loin, allongé sur le seul. Il n’y avait pas une seule trace de Noir dans les environs. Le chaos ambiant semblait indiquer que son plan d’évasion était en marche. Brusquement, Johan arrêterait de bouger et s’écroulerait à terre dans la cohue générale : une balle venait de lui être tirée entre les deux yeux, et il s’écroulerait, raide mort. Aux alentours se trouvaient différents prisonniers qui se battaient pour leur liberté avec quelques marines bas gradés.

Les tremblements d’un homme aux côtés de Mingo indiqueraient la présence du pirate silencieux qui se nommait Ryu Sagashi. Il semblait tenter de se cacher. Les explosions étaient nombreuses : une véritable mutinerie qui ne s’accordait absolument pas avec le plan qu’il avait en tête. La guerre était née sur ce pont. Mingo pourrait rapidement comprendre que les plus hauts gradés n’étaient cependant pas encore arrivés. Ils étaient sûrement retenus quelque part, mais les hommes présents ici étaient dirigés par un Commandant d’un autre quartier du pont : le Commandant Sengoki, un gars qui était plutôt sympa d’habitude et qui blaguait même avec les détenus. Pourtant, il ordonnait crument leur mise à mort ce soir-là.

Plusieurs cabanons se trouvaient encore entre le maudit et le Commandant. Il avait à sa ceinture les clefs des menottes en granit marin qui ouvraient les menottes en granit marin du pont. Il les avait récupérés sur ce traitre de lieutenant qui avait libéré la plupart des prisonniers et qu’il avait retrouvé ensuite égorgé sur le pont. La situation était incontrôlable : que faisaient les supérieurs ?

Ryu Sagashi, Pirate
Le pont était le théâtre d’une guérilla sans pareille. Cela faisait longtemps qu’il n’y avait pas eu autant d’action ici. L’intérêt suprême de ce petit enfoiré avait dominé les lieux alors qu’il préparait ce plan d’évasion depuis des mois. Ou était-ce réellement un plan d’évasion ? Qu’y avait-il ici qui pouvait prouver le contraire puisqu’il ne se trouvait pas en ces lieux ? Il avait sûrement corrompu un lieutenant et l’avait utilisé pour obtenir les clefs des menottes. Satanés menottes, d’ailleurs : la plupart des personnes, des criminels, ne comprenaient pas l’intérêt d’avoir deux paires de menottes différentes. Avoir des connaissances sur le granit marin et ses emplois signifiait aussi connaître l’existence des fruits du démon… Et ce savoir n’était pas répandu sur les Blues.

L’ignorance des uns faisait le bonheur des autres. Mingo était complètement pété : tant et si bien qu’il n’avait pas encore posé les bonnes questions. Pourquoi est-ce que je ne ressens plus ce poids qui m’affaiblissait par exemple ? Ou comment mes menottes ont elles pu changer de matière ? Il n’avait plus sur ses poignets l’infâme matière qui le restreignait dans ses mouvements, mais bien une paire de menottes classiques, comme chacun des prisonniers en avait avant de se faire libérer. Lui seul était encore menotté.

- On… on est venu nous libérer ! Expliquerait Ryu les yeux en pleurs. Et Noir a dit qu’il fallait qu’on parte mais il a disparu… Il a dit qu’il allait revenir avec notre salut !

« Il allait revenir. » c’était là la seule information potable de cette phrase. Si on en croyait ce pirate faiblard, il s’agissait donc du plan d’évasion mis en place par le prénommé « Noir ». Le gamin avait manigancé tout cela de long en large. Un esprit vif se cachait derrière ce regard hagard, mais Ryu retomba finalement sur le sol et retourna se cacher. Lui-même avait un plan pour se sortir de là : il comptait au départ attendre le navire civil qui passait toutes les nuits aux environs de deux heures du matin. A son approche, il aurait réussi à voler les clefs pour les menottes en utilisant un des autres gros bras comme appât, puis il aurait nagé jusqu’au navire pour s’échapper d’ici.

Seulement, il était une heure, et pas deux heures. Cela voulait dire que la nuit était encore loin d’être terminée, et que les ennemis allaient sûrement encore arriver par dizaines. Ils étaient foutus. Noir était clairement en train de se foutre de leur gueule : il devait regarder cet endroit d’un sourire narquois, et les regarder s’entretuer. Tout était foutu… Ils étaient tous de simples morts en sursis. Tant pis, il remettrait ses menottes et se ferait libérer un autre jour…


Commandant Loreless
Le Commandant regardait ceux qui commençaient à s’accumuler derrière lui. Il n’avait pas mis longtemps à réagir, mais huit de ses hommes y étaient déjà passés. Heureusement qu’il avait prévu de jouer aux cartes avec les collègues ce soir, sans cela personne n’aurait été là pour arrêter cette mutinerie. Attrapant d’une main brusque la tête d’un hors-la-loi qui tentait de s’enfuir, il la fit violemment se diriger contre le sol. On entendit le « crac » familier du cartilage qui se déplace au niveau du nez, et une petite marre de sang se forma. Il balaya cet homme avec un air dédaigneux, d’un simple coup de pied.

- Tsssk, dommage, je le trouvais sympathique… Ceux qui veulent vivre, rendez-vous maintenant ! Hurla-t-il.  Dernière chance, sinon je viendrai moi-même vous étriper !

Les fusiliers étaient en place et visaient ceux qui pourraient sortir de derrière les cabanons. Tous les angles étaient couverts, à l’exception de la ligne droite qui se trouvait devant le commandant et qui constituait le seul angle mort du lieu. Son sourire était carnassier, mais il était sérieux : il laisserait la vie sauve à ceux qui montraient patte blanche.

Commandant Loreless

- Un… Un maudit ?!

Le soldat de la marine bafouilla tandis que ses balles avaient traversé le corps de leur ennemi. A ses côtés, le Commandant semblait garder son calme malgré l’absence de solutions : cet homme n’avait pas de menottes en granit marin ? Pourtant ce prisonnier était censé en avoir, il se souvenait… Quelqu’un avait dû les inter-changer avant qu’ils n’arrivent sur les lieux. Pestant, le plus haut gradé jeta un regard à ses hommes. C’était foutu… Quoiqu’il fasse, son adversaire aurait le dessus. Devait-il ordonner de fuir et le ralentir ? Comment ? C’était quoi ce putain de fruit… Un Logia de toute évidence, mais de quelle sorte ?

- S’il s’approche trop près de vous, sautez à l’eau et nagez le plus loin possible, ordonna sans hurler le Commandant, faisant grincer ses dents.

C’était la seule solution qu’il voyait, et les soldats acquiescèrent en se remettant en position. Il allait falloir tester quelques petits trucs : pour l’instant leur adversaire semblait encore dans un état proche du sommeil. Peut-être… Ah, ouais, ça pourrait fonctionner. Il fallait en tout cas ne pas désespérer maintenant : contrairement à la croyance populaire sur Paradise, les Logias n’étaient pas des dieux tout puissants capables de dévaster le peuple. Un sourire carnassier reparut sur le visage.

Plus loin, le marine qu’il venait de propulser avait fini par passer par-dessus bord. Brusquement, le Commandant dégoupilla une grenade et la lança de toutes ses forces aux pieds de son adversaire. Elle exploserait sûrement à courte portée, et on verrait si ça faisait quelque chose à ce gars-là. Ce n’était cependant pas le premier objectif de l’assaut. En cas de problèmes, ils avaient des gaz soporifiques pour neutraliser les prisonniers. Certes, c’était efficace mais ils n’en avaient pas pour tout le monde : une fois que la grenade aurait explosée, il prendrait une seconde petite bombe portative et l’enverrait en direction de Mingo.

Le gaz viendrait rapidement se diffuser à ses pieds et commencerait à l’engourdir avant qu’il ne puisse distinguer l’odeur de ce dernier, mêlé en plus à la fumée. Une fois abasourdi, son invulnérabilité, qui n'était qu'un réflexe, ne pourrait plus se déclencher, si le Commandant avait vu juste. Les marines aux alentours et les pirates étaient trop concentrés sur leurs combats pour intervenir dans cette avancée sordide de ce futur grand pirate, ou peut-être plutôt un futur perdant.

- Sur vos gardes. Si vous le voyez vaciller, tirez. C’est pas le genre d’adversaires avec lequel il faut être tendre !

Et effectivement, quand Mingo reparaîtrait à la vue de tous, ils lui tireraient dessus en évitant au maximum les organes vitaux. Le but n’était pas de le tuer… Mais il fallait comprendre une chose à Tequila Wolf : les gardiens ne rigolaient pas avec les mutineries. Pourtant, quelque chose dérangeait bel et bien le Commandant Loreless : où étaient ces putains de renforts ?


Colonel Tim Vicious & Noir

- Espèce de…
- Ne vous avancez pas trop vite, soupira Noir en se craquant le cou. Je ne suis pas là pour vous tuer. Ou peut-être que si…

Plus loin, le Cy-Wolf était immobilisé dans une sorte de glue dont il ne réussissait pas à se détacher. Ces créatures pitoyables n’étaient pas capables de tout apparemment. C’était avantageux : maintenant il n’avait plus que le Colonel. Les autres marines étaient endormis : ils avaient tous mangé la même bouffe et s’étaient assoupis après quelques dizaines de minutes. Il aurait pu l’empoisonner mais pour une raison qu’il ne comprenait pas, on lui avait demandé de ne pas rendre cette mutinerie trop publique. Pourtant, le Colonel était le dernier à être encore debout…

- Vous n’avez pas mangé comme vos subordonnés ? Demanda le garçon à l’apparence de gamin. Hum, je vois, vous vous croyez supérieur ? Combien de temps allez-vous encore vous enfermer dans votre mollesse, Colonel Vicious…
- Quel est ton but ? Pourquoi tu fais ça ?!

Il n’avait pas répondu à la question. « Immunité partielle aux drogues, peut-être. » se dit Noir en voyant que l’homme ne tenait pas complètement debout. Devait-il lui voler un navire pour s’enfuir ? Normalement, il n’en aurait pas besoin si son calcul était bon… A cette période du mois, le navire civil devrait passer une demi-heure plus tôt que d’habitude, en raison d’un changement de capitaines d’un port à l’autre qui demandait d’accélérer la manœuvre pour être prêt le lendemain. Cela voulait dire qu’il allait devoir rejoindre son poste…

- Je n’ai pas tellement le temps de m’amuser. Les ordres sont les ordres, donc tu vas gentiment faire dodo avec tous les autres.
- Je déteste les gosses, marmonnerait le Colonel en fermant ses poings.

Commandant Loreless

- Je t’emprunte ça.

Dès qu’il avait vu le poing exploser et le Mingo fondre sur un de ses subordonnés, le Commandant n’avait pas pu s’empêcher, en dépit du bon sens, d’intervenir. Il avait saisi le sabre d’un des soldats qui se trouvaient sur le chemin, et s’était élancé vers l’adversaire dont le corps se déformait et reformait à volonté, profitant tout autant de son avantage de vitesse que de l’esprit embrumé de l’adversaire. Entre le Commandant et l’ennemi il n’y avait qu’une ligne droite dégagée. Les soldats qui pouvaient apparaître n’étaient que de simples victimes collatérales, et pourtant il n’était pas prêt à en sacrifier un seul. Certes, le combat au sabre n’était pas son combat privilégié, mais il fallait qu’il agisse vite.

Alors que le drainage commençait, réduisant l’eau présente dans le corps du marine, un coup de sabre net viendrait trancher le bras de sel tandis que le Commandant prendrait par le col les subordonnés. Il avait absorbé un peu d’eau, pas suffisamment pour avoir renouvelé son sang mais assez pour commencer à évacuer les toxines liées gaz soporifiques. Ce n’était donc pas un abruti qu’il avait en face de lui, il savait clairement se servir de son fruit… Déshydration à en voir la peau du soldat… Sable ? Non, peut-être du sel.

- Toi… Tu es Mingo, c’est ça ? On va dire que je comprends l’étendue de ton pouvoir et que je le reconnais… Bientôt tout un tas de gars balèzes vont arriver, tu sais ce que ça veut dire ? Plus tu passes de temps ici, plus t’es à même de crever.

Sans le gaz soporifique, il n’avait pas de moyen d’affronter cet adversaire. Il pouvait toujours tenter de l’immerger, mais ils n’avaient pas de réserves d’eau suffisantes : elle était acheminée régulièrement pour éviter qu’on n’empoisonne les gardes et les prisonniers sur place, ou que le stockage fasse pourrir ce qu’ils avaient ici. Ils se faisaient bien enfumés pour le coup, pourtant le Melrose était sûrement conscient que s’il s’attardait et tuait chaque soldat du pont il retomberait certainement sur des ennemis avec plus de réflexes que le Commandant. Celui-ci était d’ailleurs à même d’esquiver le moindre de ses coups en dehors des attaques à large portée, même s’il avait déjà échafaudé un plan pour ceux-ci.

Il lui restait deux grenades à sa ceinture, masquées à la vue de son adversaire. Un de ses alliés était grièvement blessé à cause de la déshydration… Gagner du temps ne servait plus à rien : il devait sauver un maximum de ses soldats, quitte à laisser le pirate fuir.

Commandant Loreless
Il était plus rapide que le Melrose, c’était à présent une évidence. Le Commandant esquiva sans mal le molard en bougeant simplement la tête. Il fronça les sourcils : quel manque de respect. S’il voulait juste se barrer, il y avait fort à parier qu’il s’y prenait mal. Essayer d’affronter le marine n’était pas la bonne solution, mais un idiot comme lui ne pouvait pas le remarquer, évidemment… Lorsque la tempête de sable commença, il se retira, esquivant en s’éloignant le plus possible de cette attaque. D’autres marines et criminels n’eurent pas cette chance, commençant à hurler tandis que leur peau était attaquée.

- Merde, ferait le Commandant en voyant Mingo s’éloigner sur une nouvelle cible.

Il tenterait d’aller dans sa direction mais s’arrêterait. Il ne pouvait pas sauver la pauvre cible de cet assaut. Rapidement, le maudit pourrait retrouver sa lucidité après avoir asséché deux personnes. S’il voulait continuer, ce serait sûrement mauvais. Le plus haut gradé se tourna vers ses collègues qui commençaient à prendre peur. Il n’y en avait pas un qui avait des menottes en granit marin sur lui. On aurait dit que tout était calculé, ce qui emmerda le Commandant au plus haut point.

Brusquement, il écarquilla les yeux tandis qu’à l’horizon un navire marchand s’approchait du pont. Il n’avait pas conscience que toutes les nuits vers cette heure-là, des civils passaient près d’ici pour rejoindre une autre partie d’East Blue. Se mordant la lèvre, il sera le poing. Que pouvait-il faire ? De la flotte, bien sûr. Y avait-il un seau quelque part ? Non, trop tard.

- Sautez à l’eau ! Ordonna-t-il. Et ne relevez la tête que ponctuellement pour prendre de l’air. C’est un ordre !

Les marines n’hésitèrent pas, lâchant leurs armes tandis que le Commandant, plus rapide que le maudit, commencerait à saisir ses alliés immobiles pour les jeter à la flotte. Les criminels semblaient satisfaits de ce retournement de situation. Et tandis que le Melrose vidait son dernier corps, le Commandant prit son escargophone et composa un court numéro. Brusquement, un cabanon sauta, puis un autre. Et tandis que la déflagration prenait l’endroit, l’avertissement pour le navire civil était clair : ne vous approchez pas d’ici. Sa porte de sortie s’envolerait et les marines deviendraient bientôt insaisissables. Même si Mingo avait envie de s’enfuir, aller jusqu’au bout de Tequila Wolf était suicidaire : des marines l’y attendraient, mieux préparés.

Le Commandant sauta dans l’eau à son tour et commença à s’éloigner tandis que les déflagrations viendraient happer la vie de nombreux pirates et hors-la-loi, dont le pauvre Ryu qui n’avait fait que se cacher derrière l’un d’entre eux. Un véritable carnage.

- Oh oh, avait simplement dit la vieille dame qui observait tranquillement Tequila Wolf qui se situait au loin.

C’était sans aucuns problèmes que le maudit avait pu rejoindre le navire de commerce, sillonnant les cieux sans être touché par les vaines attaques des personnes qui se trouvaient dans l’eau. Il laissait derrière lui des bâtiments en cendres et en feu : il n’avait certes presque pas fait de victime mais il avait démontré au Gouvernement qu’il n’était pas à prendre à la légère. La vieille dame se contenta de se diriger à l’endroit où il atterrit, un sourire faux tandis qu’elle réajustait ses lunettes. Ses lèvres fines et sèches semblaient indiquer qu’elle était plus proche de la fin que du commencement, et sa lenteur était caractéristique des personnes âgées.

- Je suis la gérante de ce convoi. Ne tirez pas, dit-elle aux quelques soldats qui obéissaient à son commandement.

Son regard était vague, comme si elle n’était pas réellement maîtresse d’elle-même.


Noir
Soudain, de l’obscurité sortirait une tête familière : Noir était déjà sur le navire. Son bras droit avait tout simplement disparu, arraché par le concert ultime d’un Cy-Wolf et du Colonel qu’il avait sous-estimé. Il ne ferait plus cette erreur, qu’importe.

- Un seul… C’est décevant, dirait-il en fronçant les sourcils. Enfin, la qualité plutôt que la quantité, on va dire.

Il s’approcherait sans crainte de Mingo D. Melrose qu’il gratifierait d’un regard enfantin. La vieille dame se contenterait d’indiquer qu’un signe de la main de ne toujours pas tirer, même si elle tremblait légèrement à présent. Elle luttait sûrement intérieurement pour se défaire de l’hypnose du jeune manchot. Il regardait son interlocuteur qui aurait sûrement des questions, mais avant cela il dirait sur un ton autoritaire :

- Cap sur la Ville de Shell.

Cette ville était à influence révolutionnaire. C’était l’un des derniers bastions des hors-la-lois sur East Blue, dont la majeure partie des lieux avait été soumise par l’autorité constantiniste. Il le savait et avait de toute évidence prévu de trouver repos là-bas, dans le but de panser ses blessures et de s’organiser pour la suite.

- Je ne sais pas ce qu’il s’est passé là-bas, mais c’était sûrement vraiment intéressant. Je suis pressé de te voir grandir, dirait-il avec un sourire cette fois-ci beaucoup plus malveillant à l’adresse de Mingo.

Qui était ce garçon ? Quels étaient ses réels objectifs ? Il semblait puissant, mais pas suffisamment pour gagner contre un Colonel et son Cy-Wolf. Il avait utilisé l’effet de surprise et la manipulation jusqu’à présent, cependant cela, son interlocuteur ne le savait pas. La dernière chose qu’il savait, c’était que ce noiraud l’avait assommé et mit dans une situation très peu confortable. Chercherait-il l’affrontement ? Se poserait-il dans un coin pour roupiller ? Noir semblait attendre une réponse, ou du moins une réaction.

Noir

- Disons que c’était le prix à payer pour foutre ce bordel, répondit-il tandis que Mingo lui demandait où était son bras.

Il avait sous-estimé le Cy-Wolf et le Colonel. Lui-même n’était pas un combattant de génie, même s’il surpassait individuellement ceux qu’il avait affrontés sur ce pont… Du moins en était-il convaincu. Finalement, il ordonna à l’équipage d’aller chercher de l’alcool, et ceux-ci obtempérèrent. La menace ne sembla pas l’affecter, mais il acquiesça finalement de manière assez amusée.

- J’ai compris, j’ai compris.

Il était assez nonchalant, d’une certaine manière. Son esprit avait mis au point un plan d’évasion pour huit personnes : la chaloupe qu’il avait préparée aurait aussi pu servir si quelqu’un y avait prêté attention. L’explosion des baraquements était malheureuse et lui avait fait perdre bon nombre de candidats. Enfin, candidats n’était pas le mot exact : potentiels serait peut-être plus précis. Ils étaient tous des « Potentiels », des personnes qui possédaient le pouvoir même infime de changer le monde selon lui. C’était là sa mission : observer, décider et laisser aller avec le flot.

- Cap sur Shell Town, fit-il en s’éloignant vers l’équipage.

Et finalement, l’aventure commençait bel et bien. Mingo, hein ? Il était impatient de voir ce que ce « Potentiel » avait à offrir et quel monde il allait créer.

Une fois qu'ils seraient arrivés sur l'île, Noir laisserait le pirate reprendre sa route vers où bon lui semblerait. Il ne l'aiderait cependant pas outre mesure : il avait son sang et comptait le transmettre tel quel à la personne qui servait d'intermédiaire. Et après ? Après, il continuerait sa traque. Qui sait sur quel genre de personne il allait encore pouvoir tomber après tout.