Les gouttes ruisselaient sur l’épiderme et sur les plumes. Le sang coulait encore de certaines plaies. Le Nouveau Monde était vraiment un monde de cataclysmes et de catastrophes où la douleur côtoyait le quotidien, le dominant de son inexpugnable suffisance. Le visage presque livide de l’être ailée ne bougea guère lorsque la sonnerie résonna au milieu de la tristesse lancinante.

-Sakuga ? Qui a-t-il ? demanda la femme ailée qui semblait déjà assez attristé mais craignait le pire aux vues des paroles de son amie d’enfance.

Les mots sonnèrent comme le glas lui-même. L’écho résonna dans l’esprit, s’enfonçant au cœur du crâne pour délivrer une information sacrificielle.

-Non…

Ishtar prit son visage entre ses mains alors que le flot de larmes commençait à se répandre sur ses joues, couvrant la surface de l’épiderme avec vélocité et mortalité. Les gémissements ne tardèrent pas alors que le tourment se faisait omniprésent.

-OMNIS, hurla-t-elle de désespoir et de tristesse frappant le sol de son poing fermé, créant une multitude de fissures et faisant s’envoler quelques pierres au passage.

Dans sa poigne, la bilcane saisit la roche et la fracassa dans sa paume, cherchant à extérioriser ses émotions et à passer sa colère contre la destinée sur la matière la plus proche. Réduit à l’état de granules, la roche coula tel le sable du sablier. Le silence finit par s’installer, la De Lérhane plongé dans un mutisme profond et insatiable qui dévorait jusqu’à son âme. Puis la demande jaillit, fracassant l’espace pour s’imposer au son, arrachant à l’esprit la volonté.

-Qui ? Pourquoi ?

Un simple mot mais la question complète devait être évidente. Qui avait mis fin aux jours de leur ami d’enfance que la De Lérhane avait si hâte de retrouver et pour quelle raison sa vie lui avait été arraché ? Quel était le contexte de ces événements tout aussi sombre que ceux de jadis… Après le père, le fils… Était-ce possible que…

-Ton père ?

Le vent de la mort soufflait sur l’espoir, ravageant les ruines désolées d’une enfance depuis longtemps révolus, arrachés par les griffes monstrueuses du père du constantiniste. La terre avait-elle été labouré pour leur permettre de grandir jusqu’au jour de la récolte qui serait déjà venu ? Le départ d’Omnis n’était pas un coup de massue, c’était un coup de tonnerre, le clairon du maître des enfers rappelant aux enfants séparés qu’ils étaient maudits par le destin qui refusait donc de les voir réunis avant que ne vienne la fin de l’éternité. Le nom résonna dans l’esprit de la De Lérhane qui fronça les sourcils et laissa ses doigts se resserrer sur sa paume jusqu’à ce que ses ongles entaillent sa chair. Ce nom… Cette organisation…

-Nous la tuerons, se contenta-t-elle de répondre avec fougue et hargne. Si l’heure de détruire cette Triade vient, je veux en être. Il faut que nous le fassions ensemble.

Actuellement, son souhait été soit de faire cela, soit de pulvériser l’île sur laquelle elle se trouvait jusqu’à ce que le chagrin ne surpasse la colère grandissante face à l’injustice d’une telle fin.

-Et ne t’en veux pas. Ce n’est pas de ta faute. C’est uniquement celle de cette Triade.

Au-delà d’essayer de rassurer son ami d’enfance, d’éviter qu’il ne s’apitoie sur sa place dans ce trépas, cela sous-entendait également que la De Lérhane n’en voulait pas à Sakuga pour sa position dans ce récit. Une sorte de pardon pour être une cause indirect de la mort d’Omnis.

-Je vous laisse leur jugement. C'est participer à leur défaite qui m'incombe, déclara avec solennité la bilcane. Ne t'inquiète pas pour l'heure, je ne suis pas en état de continuer la route dans l'immédiat... expliqua-t-elle, ce qui était lourd de sous-entendu sur son état physique. Je ne croiserais donc pas de nouveau danger pour l'heure.