Une fois la nuit tombée il n'y avait rien de plus beau que les hauteurs de Jinyu, petite ville surpeuplée sur East Blue.


Chaque nuit c'était le même spectacle, les lampions et lanternes s'illuminaient à travers la ville pour rayonner dans halo majestueux. Toute chose en ce monde a une face cachée et cette ville, aussi magnifique soit-elle, ne fait pas exception. La vue superbe cache casinos clandestins et bordels illégaux aux trafics en tous genres, tout ça sur le fond de guerre de gangs. Vous pensez que j'exagère ? Que c'est impossible au temps du Gouvernement Mondial et de ses saints soldats ? C'est que vous n'avez rien compris à ce monde.
Parmi toutes les mers, West Blue est réputée pour être la plus calme et pourtant comme on l'entend partout, c'est là qu'est né le Roi des Pirates, Gol D. Roger. Une mer qui aurait dû voir se lever tous les forbans et aventuriers, mais pas plus qu'autre part visiblement. Finalement ce n'est pas ce que représentais Gol Roger qui compte, plutôt ce qu'il a laissé derrière lui. Et moi dans tout ça, qu'est-ce que je vais laisser ? Je le saurais dans cinq milles ans vus que je compte bien survivre à ce monde de fous. Oui, ce monde est fou. Fou de croire en une entité religieuse comme le Constantinisme et ses préceptes bidons. Tout ça pour quoi ? Rallier plus de monde et assoir un peu plus sa suprématie sur des mers déjà assez tourmentée. En aucun cas pour assurer la sécurité et préserver le monde du chaos, pas besoin d'une mouette tatouée dans le dos pour ça.
Au fond tout ça, ça m'est égale, je râle, je râle, mais le monde peut bien s'ouvrir en deux et ouvrir la porte aux pires démons de l'univers, je m'en fous. Tant que je peux disséquer un ou deux démons et découvrir leurs secrets, moi je suis contente. D'ailleurs en parlant de disséquer un spécimen rare, j'étais justement sur la piste de l'un d'eux. Holiday m'a dit que j'étais folle de poursuivre un tel personnage, mais pourquoi pas ? On a qu'une vie ! Enfin… le reste du monde, pas moi visiblement. Pirate réputé sur les mers, fier soldat de la Marine et maintenant Paladin du Constantinisme ? Je vais vous dire, il pourrait me pendre à un arbre que ça ne changerait rien, je compte bien lui mettre la main dessus.
Je suis morte, j'ai vu qu'il n'y avait rien et je suis revenue, c'est donc tout à fait naturel pour moi de ne pas croire aux dieux et à leurs prétendus apôtres. Néanmoins, je suis curieuse et j'aime autant étudier le passé, le présent que le futur de ce monde. Parce que oui, qu'on le veuille ou non, le Constatinisme est en train de laisser son empreinte sur ce monde – en bien ou en mal, seul l'avenir nous le dira. Je ne crois en rien si ce n'est moi et c'est déjà pas mal, mais je peux comprendre qu'on ait besoin de croire en quelque chose ou quelqu'un. Un jour ou l'autre on est tous au fond du trou, trouver le réconfort dans une entité supérieure ne me parait donc pas si improbable. En revanche croire aveuglément en tout ça, c'est ça la belle connerie.

Keigo Sakuga, ou Paladin Sakuga comme on doit l'appeler visiblement, un personnage fascinant et que je soupçonne d'être un sacré arnaqueur. Non, mais c'est vrai, quel pirate rejoindrait la Marine pour finir endoctriné par une religion qui prône sa propre vision d'une justice absolue ? Personne ! Non, pour moi il a embobiné tout le monde et il veut se tirer avec le magot ou peut-être est-ce par amour ? Dans ces cas-là il est stupide et j'en sais quelque chose à ce sujet ! Je me suis quand même faite dézinguer pendant ma nuit de noces par mon époux – et même pas dans le bon sens du terme.
La maigre piste que j'avais suivie me menait jusqu'ici, une ville oubliée de West Blue en proie à la criminalité et à la surpopulation. Pourtant un endroit très agréable quand on oubli les gros bras tatoués de la tête aux pieds à chaque coin de rue. Puis la bouffe et l'alcool ne sont pas dégueux… pour ce qu'on m'en a dit, j'ai appris il y a peu que tout ça je peux m'assoir dessus. Positivons, une chose en moins à se soucier. C'est donc au hasard que j'entre dans le premier endroit qui attire mon attention pour mener mes recherches.

— Hop ! Lançais-je avec nonchalance à un costard cravate derrière son comptoir. Tu n'aurais pas vu un Colonel de la Marine passé par là par hasard ? Non ? Dommage. C'est combien l'entrée ?

Le réceptionniste me regarde de haut en bas avec dédain, comme si je n'étais qu'un vulgaire cafard que l'on écrase sous sa bottine. Charmant, mais sans me répondre il m'indiqua un panneau que je n'avais pas remarqué. L'entrée c'était 200.000 Berrys, une sacrée somme, mais pourquoi pas ? L'argent appelle l'argent ! Et puis est-ce de ma faute à moi si le premier endroit où j'entre est un casino ? Franchement, vous me connaissez, je ne suis pas de ce genre là… et en même temps, maintenant que je suis là. Face à un réceptionniste médusé je paie le prix d'entrée et je passe devant deux gorilles bien obligé de me laisser passer, c'est qu'elle en a dans la culotte la bestiole !

– Haut les mains ! C'est un Hold up, m'écriais-je en entrant pointant mes doigts comme des révolvers. Parce que je vais tout rafler ! 50.000 sur le rouge !

Mon annonce pleine d'humour et de panache ne semblait pas avoir l'effet escompté. Face à une assemblée glaciale j'affiche un sourire innocent.

— S'il vous plait ?

Le malaise passé je pouvais me concentrer sur le jeu, comme le fit la plupart des joueurs en s'apercevant que j'avais juste une case ou deux en moins. Contrairement au personnel qui lui gardait un œil vigilant sur moi. Tout ça, ce n'est pas nouveau pour moi. Les casinos j'en avais fait quelques-uns sur West Blue, certains avec plus de succès que d'autres. D'ailleurs je devais encore sacré paquet de Berrys. Nouvelle mer, nouvelle ardoise ? C'était le plan, cigare dans une main et verre dans l'autre pour faire comme tous ces gros machos avec leurs bimbos, je me lançais. Direction la roulette, mon jeu favoris – aux cartes paraitrait que je triche, n'importe quoi.

— Rien ne va plus, lançait le croupier alors que je m'installais à la table.

Les choses sérieuses commençaient et je me faisais étonnamment discrète en observant la fin de la partie. Pour jauger la concurrence je laissais même passer une seconde partie avant de me mettre à jouer moi-même.
Flambeuse dans l'âme je misais de grosses sommes dès le début. Balancer cent-vint milles sur un seule chiffre, ça en a surpris plus d'un au début. Seule coup de chance, c'est celui-là qui sort et je me nourris avec joie de la jalousie de mes camarades de jeux quand je ramasse mes gains. Tout se passe bien sur trois ou quatre parties, quand soudain Dame Chance me fait des infidélités.

— Chiotte ! Pestais-je en passant dans le négatif. Vous êtes sûr qu'elle n'est pas voilée votre roulette ?
— Alors gamine, on fait moins de zèle tout d'un coup.

Réplique d'un homme aussi grand que moche – et il faisait plus de deux mètres. Je prenais sur moi, une grande inspiration et je reprenais le cours du jeu. Rien ne se passait comme prévu, puis au moment où j'allais abandonner je remarquais un tic étrange chez le croupier. Laissant passer deux parties sans jouer pour observer ce qui aurait pu être le fruit de mon imagination, je me lâche totalement en misant tout ce qu'il me reste sur la table.

— Faites vos jeux.
— Deux-cent cinquante milles ! Rouge, pair et manque !

BINGO ! Là je venais de tirer le jackpot avec cette mise, une chance insolente… ou pas ? Découvrir que la partie est truqué, c'est considéré comme de la chance ? Je ne suis pas comme ces idiots trop saouls pour articuler trois mots à la suite. Rien à voir avec mon imagination, à force d'observer le croupier j'avais remarqué qu'il avait plusieurs tics différents. Au premier coup d'œil ça semblait être des rictus isolés et tout juste perceptibles. Puis quand j'ai remarqué des couleurs correspondre j'ai pu suivre le rythme, c'était comme prendre le train en marche.
Évidemment je jouais les raisonnables, je misais toutes les deux ou trois parties pour ne pas éveiller les soupçons. Seulement je ne sais pas être raisonnable, mais alors pas du tout. Un joli pactole s'accumulait devant moi et n'importe quel flambeur digne de ce nom se serait arrêté là. Pas moi. Non, moi je tentais un ultime coup pour doubler ma mise. Guettant le bon moment en lâchant quelques Berrys sur des parties sans valeurs, je me lançais avec panache.

— Faites vos jeux.
— Noir, impair et manque !

Pendant que je poussais approximativement un million deux cent milles Berrys sur la table, une autre participante nous rejoignit. Une jeune et très enthousiaste blonde, comme moi elle ne semblait pas à sa place dans ce décor masculin, sauf que j'avais les yeux rivés sur le jeu. Tout s'accélérait et si j'avais eu encore un cœur, il aurait certainement explosé. Perché sur sa rambarde le patron me surveille avec ses gorilles qui se sont rapprochés de la table. Tout se joue sur cette maudite bille et des calculs… plus ou moins scientifiques. La roue tourne alors que tout le monde retient son souffle. Et là ? Là je suis dans la merde, mais alors jusqu'au cou…

Tout le monde retient son souffle quand soudain… BINGO ! Non ? Mince. JACKPOT ! C'était le cas de le dire, car la bille s'arrêtait sur ma mise. Par contre je ne savais pas si je devais être contente ou inquiète. Plusieurs regards se portèrent sur le patron des lieux pendant que je ramassais mes gains. Je comptais d'ailleurs quitter les lieux avec ma mise, quand la situation prit une tournure des plus divertissante. Un gorille, sous les ordres de son boss, s'approcha de moi avec la ferme intention de me conduire devant ce dernier. Coup du sort ou coup de chance, un blondinet qui passait par là vola à mon secours.
Sakuga ? Comme dans Sakuga Keigo ? Vous savez ce qu'on dit : le monde est petit. Pour le coup je ne m'attendais pas à le trouver ici… enfin si, c'est d'ailleurs pour ça que je suis entré voyons. Tel un preux chevalier il m'avait défendu, faisant pâlir se pauvre gorille. Les choses n'allaient pas en rester là, mais c'était ma chance et je ne comptais pas la laisser filer. Le Constantinisme, un étonnant mouvement pour une surprenante époque.

— Merci l'ami ! Lançais-je avec désinvolture à l'attention du héros du jour. Enchantée de vous rencontrer, moi c'est Evyl.

Sourire sur les lèvres et avec simplicités, je ne me laissais pas encore débordé par mon enthousiasme. Peut-être parce que la situation est sur le point de dégénérer et qu'un colonel de la Marine ne sera pas de trop. Un endroit pareil ne tolère pas les tricheurs… mais est-ce de la triche quand on arnaque des tricheurs ? Question que je poserais volontiers à mon nouvel ami.
Le jeu reprenait timidement et c'est la seconde protagoniste qui s'approchait de moi pour quérir des conseils. Sakuga l'avait présenté, Eva, concentrée sur le jeu j'avais compétemment effacé l'environnement de mon champ de vision. Une paire d'ailes dans le dos ? Si on m'avait dit qu'une partie truquée au casino tournerait aussi bien, j'aurais grillé beaucoup plus de Berrys. La chance est une femme capricieuse, cependant j'avais toutes les raisons de croire que ce soir elle n'allait pas me quitter. Tout le monde pouvait prétendre être Sakuga Keigo, Paladin Constantiniste et sauveur de demoiselle en détresse. Pour être sûr mieux valait le vérifier et j'avais pour ça un plan… plus ou moins.

— Ma petite Eva, disais-je avec une sympathie sincère. Tu t'adresses à la bonne personne !

Combien de casinos j'avais fréquenté avant celui-là… beaucoup trop si on en juge mes finances. Néanmoins je connaissais chacune des règles de chaque jeu, je pouvais donc sans mal conseiller Eva et j'allais faire mieux que ça.

— En temps normal tu devrais miser sur un chiffre, une couleur et pair ou impair, manque ou passe, expliquais-je alors que le croupier s'exécutait. Il existe énormément de possibilités, mais là vu qu'ils veulent dépouiller les pauvres touristes… c'est truqué. Je me trompe ?

Le croupier ne savait pas quoi répondre à ça, il leva un œil interrogatif vers son patron, mais celui-ci était prit dans une discussion houleuse avec le gorille arrêté par Sakuga.

— Et donc, si tu veux te faire un max de Berrys, mise sur : sept, rouge et manque, concluais-je en poussant tout ce que j'avais accumulé.

Une goutte de sueur perla sur le front du pauvre croupier qui, une fois toutes les mises sur la table, lança la bille sur la roulette. Le résultat attendra, car ce n'est pas un, mais six gorilles qui s'approchent de la table. Insuffisant contre un colonel de la Marine ? Sans aucun doute, mais le patron des lieux se mêlent cette fois-ci à la partie et pour cause, il a demandé des renforts. Deux hommes font leur entrée dans le casino et ils n'ont rien de gorille, ils ont plutôt la tête de tueur dégénéré. La bille quant à elle a terminée sa course sur ma mise, sauf que j'ai l'impression que je ne vais pas ramasser mes Berrys.

— Mademoiselle, veuillez nous suivre sans faire d'histoires, demande le patron qui se tourne vers mon sauveur. Quant à vous, je vous demanderais de ne pas vous en mêler s'il vous plait.

La tension était palpable dans le casino… mais c'était follement excitant ! Le Paladin semblait fidèle à sa réputation et misait tout sur sa notoriété et sa force. Un sabreur de renom comme lui ferait certainement une bouchée de tous ces larbins sans envergure, puis quand bien même les deux rigolos seraient un cran au-dessus ça n'y changerait rien. Pourtant le patron, même s'il hésite, ne semble pas en démordre et c'est bien normal. La Marine voit son autorité décroitre dans un tel lieu. Bien sûr le colonel qu'il est pourrait certainement envoyer un Buster Call – il y a déjà plusieurs précédents dans l'histoire après tout. Seulement ce serait se mettre à dos le monde sur un caprice. Finalement tout le monde est serein, tout le monde campe sur ses positions. Sauf Eva qui poursuit sa partie sans se soucier de ce qui se passe.
Amusée je délaisse un instant la table pour me rapprocher du patron des lieux avec nonchalance. Moi aussi je peux jouer les dures, Jinyu est un repère de truands et de fripouilles. Malgré ça, le bisness c'est le bisness et déclencher une guerre contre un Paladin du Constantinisme serait mauvais pour les affaires. Pas seulement pour ce casino, mais pour toute la ville.

— L'angelot que tu vois là ce n'est pas la moitié d'un, tu es sûr de vouloir tout mettre sur la table ? Laisse ma nouvelle amie s'amuser encore un peu, ensuite… on s'en ira, promis.
— Pfeuh… tu te prends pour une dure parce que tu as ce paladin ! Proteste le patron des lieux.

Un fin sourire animait mon visage. Pour le coup il n'avait pas tort, mais paladin ou pas j'aurais certainement pu m'en sortir. Il n'est pas le premier gérant de casino à me tomber dessus, encore moins le dernier. Néanmoins j'avais de mon côté certains atouts indéniables pour mater ce genre de grandes gueules. Et là tout de suite une furieuse envie de le remettre à sa place me prenait…

— Oh crois-moi, la réputation ça ne fait pas tout… et puis tu sais ce qu'on dit : il faut se méfier de l'eau qui dort, disais-je avec un certain panache. Je ne suis peut-être pas paladin, mais je me défends, alors avant de vous en prendre à la première venue, assurez-vous qu'elle ne puisse pas cramer cet endroit et la moitié de la ville.

Quel spectacle ! Bon je surjouais un peu la scène, mais c'était amplement suffisant pour que ce patron de seconde zone grince des dents et se retire. Certainement pour un temps, car je ne doute pas que si je traine un peu trop longtemps en ville il va y avoir des représailles. Entre moi qui me prends pour ce que je ne suis pas et Sakuga qui joue d'une autorité qui n'est pas reconnue ici, on a le don pour se faire des amis. Satisfaite de ma nouvelle pirouette, je lui murmurais quelques mots avec amusement – même si tout ceci se paierait très bientôt.

— Tu vois Saku, nul besoin de jouer les gros bras… un ami m'a dit un jour : le savoir c'est le pouvoir, pensais-je avec une certaine nostalgie. Il va certainement contacter la moitié de la ville et on se retrouvera au fond de l'eau avant le coucher du soleil… mais il faut savoir bluffer et tant qu'il ne sait pas qui je suis, il ne fera rien.

Sous-entendu que s'il apprend qui je suis et que par malheur il a eu des retours de West Blue… je suis vraiment mal. Malgré cela je garde le sourire, car je me suis fait de nouveaux amis. Puis on s'amuse bien, j'aime jouer les ténébreuses psychopathe pleine de confiance. Comme si mon simple nom suffisait à faire trembler la moitié du monde… ça ne ferait même pas fuir un chaton ! Mais ça valait le coup, même pour de faux et pour une minute. Ramassant finalement mes gains du soir, je me tournais vers Eva avec un immense sourire.

— Et si on allait manger ! Il parait qu'il y a un resto de grillades à se damner ! C'est moi qui régale !

Je ne pourrais pas en profiter comme il se doit, mais ce n'est pas le cas de mes camarades, alors autant se faire plaisir. Puis on sera plus tranquille pour discuter, j'ai tant de questions à poser à ce paladin… et encore plus que je n'oserais pas, comme Ohara.

Tant d'assurance ! Je reconnais bien là un fier soldat de la Marine et c'est à peu près l'idée que je me faisais d'un Paladin du Constatinisme. Au moins il ne tombait pas dans le cliché, juste ce qu'il faut pour être intéressant. D'ailleurs le plus intéressant dans tout ça c'était bien mon homologue féminin, Eva, il y avait chez elle quelque chose de… surprenant ? Fascinant ? Un je-ne-sais-quoi de royal, mais je me fais peut-être des idées. Seulement ce n'est pas tout le monde qui doit avoir la chance de se balader au bras d'un ténébreux colonel de la Marine. Une escorte ne s'éterniserait pas dans des endroits comme celui-ci… à moins que ? Si tel est le cas, alors c'est une personnalité importante. Voilà qui donne du piquant à cette rencontre !
L'affaire était conclue, on allait dépenser nos gains dans un restaurant de grillades. Étonnamment, même si je pouvais me priver de manger ou de boire, il n'en était rien. Les saveurs avaient disparu, pas le plaisir d'un bon repas partagé… oserais-je dire avec quelques amis ? Pour quelqu'un comme moi il est toujours bon de se faire des amis de ce genre. Seulement ce n'est pas mon genre. Je ne juge pas les personnes en fonction de ce qu'il pourrait m'apporter ou non, je préfère nettement m'entourer de personnes intéressantes et fascinantes. La vie est courte il parait, alors autant ne pas s'enliser dans ce genre de combines.
Trèves de bavardages futiles ! En route pour notre prochaine destination, comme si nous étions en voyage touristique, Saku me posa une question banale et pourtant compliquée. Tout au long de mon apprentissage de l'archéologie on m’avait suggéré de faire profil bas sur le sujet. Pourtant, chaque fois qu'on me demandait "Evyl, qu'est-ce que tu fais dans la vie ?" moi tout ce que je voulais répondre : je cherche des réponses sur le Siècle Perdu et les secrets de ce monde. Je ne suis pas la dernière des idiotes quand même, je suis même une personne très intelligente ! Cela va de soi !

— Qu'est-ce que je fais dans la vie… voilà une question à laquelle je ne pourrais répondre avec précision sans la présence d'un peloton d'avocats, disais-je avant de ricaner avec légèreté. Plus sérieusement, je dirais que je suis férue d'histoires, je sillonne les mers en quête de savoir perdu, ruines oubliées.

Peut-être que j'en disais un peu trop, mais qui irait mentir à un Paladin du Constatinsime ? Imaginez que la moitié des rumeurs soient vrai ! J'ai même cru entendre certains prétendre qu'ils pouvaient lire en nous d'un simple regard. Puis une demie vérité vaut toujours mieux qu'un mensonge.

— Le monde est constamment à feu et à sang, trop souvent pour des querelles d'une banalité affligeante, continuais-je cette fois-ci avec beaucoup plus de sérieux. On passe à côté de tellement de choses, les mers que l'on sillonne ont été le théâtre d'innombrables événements avant nous… je trouve ça dommage que l'on fasse passer le pouvoir avant le savoir.

Comme toujours, je m'enflammais pour le sujet. Heureusement que j'étais d'humeur guillerette, sans quoi je me serais certainement emporté. Le monde qui nous entoure est fascinant et en même temps je ne le comprends pas. Peut-être parce que je suis déjà morte ? J'imagine que la non-mort nous donne un aspect bien différent des choses.

— Désolée, je suis un peu trop… passionnée, concluais-je cette fois en souriant avec douceur. Le monde est trop beau pour être la proie des flammes, comme sur… oh, nous y voilà !

Ohara ? Il était moins une ! Un sujet que je ne devrais pas aborder aussi facilement, en particulier avec un gradé de la Marine. Au-delà des pertes humaines, ce sont toutes ces connaissances partie en fumée qui me font le plus mal. Tout ceci me parait si loin et pourtant… au moins j'allais pouvoir me concentrer sur un tout autre sujet. Tellement de questions me venaient à l'esprit au sujet du Constatinisme, mais avant ça : à table !

Heureusement qu'il y avait Eva pour faire la conversation, sans quoi je me sentirais bien seule. C'est vrai que je peux parler pour trois ou quatre personnes si le sujet me passionne, mais rien ne vaut un échange. À ce sujet j'avais l'impression que le Colonel de la Marine avait du mal à se lâcher. Peut-être était-il méfiant à mon égard ? Ou bien cela lui était interdit par sa religion ? Je doute de l'un comme de l'autre. Un homme qui respire la confiance comme lui ne craint personne, quant à sa religion je doute qu'elle empêche quiconque de parler… ce serait bien la première. La propagande ne se fait pas toute seule après tout.
Une fois dans le restaurant je choisissais un box a l'écart, quelque chose de plus intime et personnel. Ainsi j'espérais voir Sakuga répondre à mes questions, c'était d'ailleurs la volonté de sa partenaire. Pendant que je commandais un assortiment de grillades réservé habituellement aux groupes, Eva demanda à son "chevalier servant" de bien vouloir participer un peu plus. Voilà qui était de bon augure pour la suite et justement plusieurs questions me brûlaient les lèvres pour enflammer cette rencontre.

— Bilca… un nom qui ne m'est pas inconnu, je crois l'avoir lu quelque part, mais je ne saurais dire où, disais-je de façon évasive pour ne pas me trahir sur l'immense savoir que possédait Ohara. Une île céleste, c'est bien cela ? Il est vrai que les anges sont de plus en plus communs sur les mers à notre époque, mais que ce soit sur terre ou dans les cieux je pense qu'on est tous égaux.

Comme l'aurait surement dit le regretté Oscar : Evyl tu as le don pour lancer un pavé dans la marre. Et je n'en avais pas terminé avec notre duo angélique. La mort m'a fauchée et j'ai encore très nettement le souvenir des abysses. Le froid. Le vide. Tout ça est ancré en moi et dans ce qui reste de mon corps. Difficile donc de voir une quelconque puissance supérieure dans les anges, encore moins dans un dieu ou un autre.

— Dis-moi Sakuga, reprenais-je pour rebondir sur mes premières paroles. Est-ce une volonté du Gouvernement que l'un des rares paladins du Constantinisme soit un ange ? J'imagine que ça doit être vendeur, peut-être même que les gens voient en toi un messie ou un guide… loin de moi l'idée de te juger ou de juger ta religion, encore moins notre Gouvernement bienveillant, cela va de soi, je suis simplement curieuse voilà tout.

Un large sourire accompagnait ma question. Comme à mon habitude je manquais de tact, mais je ne cherchais pas à blesser le colonel ou quiconque d'ailleurs. Pour moi tout ce qui compte c'est le savoir, autrement dit je n'émets aucun jugement, j'aime connaitre la vérité. Le coup du Constantinisme et de leur foi ne prendra pas avec moi, ce n'est demain la veille que Sakuga m'enrôlera dans sa petite compagnie. Néanmoins qu'un tel mouvement parvienne à faire autant de bruit à une époque comme la nôtre ça me fascine. Le colonel avec ses ailes et ses traits agréables avait tout du parfait petit angelot, je peinais à croire que ce soit réellement lui qui ait trouvé le Constatinisme. J'oserais même dire que ce serait plutôt l'inverse. Le Gouvernement sait comment manipuler l'opinion, en particulier lorsque la Noblesse est impliquée. Un ange pour représenter leurs valeurs, c'est du pain béni si je puis dire.
Par chance la nourriture ne tardait pas à arriver sur la table et avec elle une bouteille de saké. Le goût de ce doux et délicat nectar me manquait cruellement, son souvenir ne suffisait pas. Loin d'être démoralisé je m'en servais un verre avant de poser la bouteille au milieu de la table. Une princesse et un paladin, je m'en voudrais de les forcer à boire – surtout quand je tiens certainement mieux l'alcool qu'eux compte tenu de ma condition. Je paraissais brute et directe parfois, mais je n'avais pas mauvais fond. Sakuga comme Eva ne devait pas être accoutumés à ce qu'on ne prenne pas de pincettes avec eux, seulement je ne suis pas de ceux qui leur feront des courbettes. J'ai pourtant été clair sur le sujet : que ce soit sur terre ou dans les cieux nous sommes tous égaux. Je ne reconnais pas l'autorité du Gouvernement ou du Constatinisme, mais je l'accepte, car le monde serait chaotique sans une forme de justice. C'est la d'ailleurs tout le paradoxe de notre air. Pirate, Révolutionnaires et autres soi-disant grands penseurs de cette époque, tous veulent se débarrasser du Gouvernement et assoir leur propre domination. Tout ces grands discours pour imposer leurs propres lois… où est la différence ? Je me fiche bien que le Gouvernement, la Noblesse ou la Marine me dise ce que je dois faire. Moi tout ce que je veux c'est un libre accès au savoir et la fin des secrets. Le reste n'est qu'une distraction futile.

Surprise, l'angelot et son Constantinisme aspiraient à ce que tous soient égaux, vraiment ? Peut-être était-ce la volonté de Sakuga, en tous cas il semblait croire en ses paroles, mais qu'en est-il du Gouvernement Mondial et de toutes ses branches telles les têtes d'une hydre. Combien ont essayé avant lui et combien ont échoué, la conviction seule ne suffit pas. Sans l'appui de la Marine, de la noblesse… et de tout le reste, c'est un combat perdu d'avance. Au moins il fallait lui reconnaitre du courage, non dénué de stupidité, mais au moins il essaie et c'est à mettre à son crédit. Hélas il pouvait se répéter toute la journée, je ne saurais croire à de telles paroles. Tout comme lui j'aspire à un monde plus libre, sauf que moi je me suis fait une raison : ce ne sera jamais parfait et ça ne se passera pas sans douleur. Les idéalistes comme nous ont la vie dure, nous ferions mieux de trouver une ferme avec trois chèvres et attendre sagement que tout parte en vrille.
Parmi tout ce qu'avait bien pu me dire le Paladin, c'est bien son histoire qui me fait le plus réagir. En effet j'avais cru entendre qu'il un criminel repentit maintenant à la solde du Gouvernement Mondial. Grand bien lui fasse, mais si j'en crois son histoire le fait que ce même gouvernement ait sauvé sa terre natale a été un facteur déterminant pour son avenir. La question se pose donc : Et Ohara, qu'en pense les survivants ? Contrairement à l'angelot eux n'ont pas eut la chance de voir le glorieux étendard du gouvernement leur apporté la salvation, mais plutôt la mort. Plus tôt je me promettais de ne pas aborder le sujet et je serais folle de revenir sur mes paroles…

— Pardonne ma franchise, commençais-je par dire avec un calme indéchiffrable. J'espère que tu ne me jugeras pas trop sévèrement quant aux paroles à venir… Je sais quelles sont les conditions pour les personnes différentes, comme les Anges, les Minks où les autres êtres peuplant cette terre, mais le Gouvernement Mondial n'aurait-il pas une part de responsabilité là-dedans ? Et je parle du même Gouvernement Mondial qui a sauvé votre terre, celui là même qui a fait couler le sang sur O…

Finalement je m'interrompais. Non pas que je revenais sur mes paroles, je compte bien aller au fond de ma pensée, mais plutôt parce que plusieurs hommes tatoués des pieds à la tête entrèrent dans le restaurant.
Le proprio du casino n'aura pas mis longtemps à se décider, il aura finalement choisi de faire appel au "service d'ordre" local et ce ne sont pas des enfants de cœur. Sakuga parlait précédemment de personnes perverties, en voilà une jolie brochette. Onze, voilà un accueil musclé, mais dehors il pouvait peut-être bien y en avoir le double ou plus encore. Un homme fit son entrée, costume chic et cigare au coin des lèvres. La réaction des autres tatoués était sans équivoque et trahissait instantanément la position de cet individu qui s'approchait de nous.

— Je crains que cette discussion prenne fin brutalement…
— Colonel Sakuga je présume ? Lance le ponte de la pègre local avec un peu trop de respect pour être crédible. Compte tenu de votre rang vous êtes un homme très pris, tout comme moi, alors je vais faire bref : laissez-moi Evyl Queen et vous pourrez repartir d'ici sur vos deux jambes.
— Et voilà, je savais que ça finirait mal, soupirais-je en attirant le regard noir du gros méchant de la bande.
— Je me demande bien ce que dirait vos supérieurs s'ils vous trouvaient à déjeuner avec cette… chose, pour votre bien et celui de tout East Blue vous feriez bien de considérer ma proposition, insiste-t-il pour tenter de convaincre l'angelot avant de se tourner vers moi. Et oui les nouvelles vont vites.

Laissant échapper un soupir j'étais partagé : devais-je me rendre et éviter ce choix à Sakuga ? Choix qui pourrait être en ma défaveur et me décevoir ou bien au contraire, cet imbécile pourrait choisir de me soutenir et se mettre à dos toute une ville. Le Gouvernement Mondial n'a aucun intérêt à lancer des manœuvres ici et est-ce qu'un seul colonel suffira pour régler le conflit ? Compte tenu de mon passif sur West Blue j'en doute. La vraie question serait de savoir qui a bien pu me vendre, mais ça c'est facile, à peu près tous ceux que j'ai un jour croisé sur West Blue et ça fait du monde. Beaucoup n'ont d'ailleurs pas gardé un très bon souvenir de moi.

— Diantre je suis démasquée ! Hurlais-je de façon théâtrale avant de finir mon verre de saké.

Doucement les choses se précisaient et je pourrais assister de mes yeux à la puissance du Paladin Sakuga, ardent défenseur du Constantinisme. En vérité je ne m'attendais pas à moins quand d'une rapidité que je ne saurais suivre il parvient à éliminer les ennemis présents. Le Gouvernement Mandial à ses travers et ses vices, mais s'il y a bien une chose que l'on ne peut leur reprocher c'est le choix de leurs plus puissants éléments. Nul doute que Sakuga avait tout ce qu'il faut pour être amiral, même s'il pourrait certainement travailler sur son impulsivité. Eva de son côté semblait gérer ça avec plus de légèreté, me protégeant de ses cheveux – amusante coïncidence. Je gravais cet instant dans mon esprit, prenait des notes mentales de ce qui se déroulait sous mes yeux. Un jour viendra où cette lame implacable sera sous ma gorge… Sakuga peut bien me vendre son discours, ça n'empêche que mon rêve ne sera jamais en adéquation avec la volonté du Constantinisme. Dix, cent ans ou mille ans, peu importe le temps qui passe, il y aura toujours des disparités entre les peuples. Le Siècle Perdu en est certainement la preuve, comme le racisme vis-à-vis des anges ou encore Ohara. Au fond, le monde ne serait-il pas un éternel recommencement ?
Le ménage réglé à l'intérieur, Sakuga s'empressa de poursuivre son œuvre sanglante en sortant du restaurant lame à la main. Pendant ce temps Eva continuait de vanter les qualités de son partenaire, visiblement elle le tenait en très haute estime. Quant à moi, mon opinion était déjà faite avant que je rencontre l'angelot. Le Constantinisme n'est pas un simple mouvement au sein du gouvernement, c'est un véritable raz-de-marée et pour porter un tel étendard il ne faut pas moins que les meilleurs. Je ne suis donc pas surpris, un plus lorsque je constate que le ponte de la pègre est encore de ce monde.

— Crois-le ou non Eva, mais je connais le sujet mieux que quiconque… j'ai sans cesse été dévalorisée et sous-estimée, relayée au rang de voleuse, opportuniste et j'en passe, confessais-je maintenant que cet imbécile avait quasiment vendu la mèche. J'aurais dû contempler l'abysse insondable de la mort pour réaliser que nous ne sommes pas grand-chose face à la grandeur de ce monde.

Pendant que je prononçais ses paroles avec un détachement surprenant, je me défaisais de la protection qu'Eva m'avait offert. Le calme revenu dans le restaurant j'imagine qu'elle n'a pas insisté, je ne doute pas sinon qu'elle aurait été capable de me garder ainsi encore longtemps.
Mon regard ne se portait pas vers l'extérieur et le carnage divin qui s'y déroulait, non, je n'avais que faire des sbires qui tombaient sous la lame du Paladin. Non, je m'intéressais au ponte de la pègre étendu là et gémissant comme un vulgaire goret. Le visage impassible je me dressais au-dessus de lui en contemplant son visage déformé par la douleur. Visiblement Sakuga lui avait épargné le châtiment ultime, consciemment ou non.

— Regarde-toi, voilà comment on finit quand on s'en prend à plus fort que soi, soupirais-je en appuyant ma botte sur la plaie qui le faisait tant souffrir. Tu as de la chance qu'il n'ait pas mis fin à ta misérable vie, je n'aurais pas fait preuve d'autant de clémence à sa place… remarque il n'est jamais trop tard…

Appuyant un peu plus je le regardais se tordre de douleur avec un plaisir retenu. Un soupir plus tard je laissais ce pauvre déchet à son sort, portant un ultime regard vers la sortie avant de retourner m'assoir. La mort est trop douce pour ce genre de personne, je préfère encore le savoir aux mains de ses patrons, je suis sûre qu'ils lui trouveront un châtiment adéquat.

— Excuse mon attitude… mais parfois un joli sourire ne suffit pas pour cacher ce que l'on est vraiment, disais-je à l'attention d'Eva en lui offrant mon plus beau sourire. Je m'en veux de vous causer tant de tracas, mais Sakuga devrait choisir avec plus d'attention les personnes qu'il protège, je suis loin de le mériter, crois-moi… enfin, oublions tout ça et mangeons !

Retrouvant mon sourire et mon enthousiasme en un éclair, je poursuivais ma dégustation avec envie. Toute cette histoire aurait pu m'ouvrir l'appétit je ne l'avais pas perdu depuis longtemps. Dehors Sakuga devait faire un ménage retentissant, suffisant pour calmer les ardeurs de criminels de tous poils. Tant qu'on ne s'éternise pas trop longtemps on devrait être hors de danger, cependant sur les mers il y a des adversaires à la hauteur du Paladin qui ne demandent qu'un bon combat contre un bon prix. Les dirigeants de cette ville n'auront donc aucun mal à lui trouver quelqu'un pour le museler si cela s'avérait nécessaire. Heureusement que pour l'heure ça leur coûterait trop cher, il préfère certainement remplacer cet incompétent et laisser la Marine en paix. En revanche de mon côté je ne suis pas à l'abri d'un interrogatoire. Face aux accusations de ce crétin je n'ai rien nié. Pourquoi le ferais-je ? Je suis ce que je suis et j'ai fais ce que j'avais à faire… et une fois sur deux ce n'était même pas de ma faute !

Plus bavarde que son chevalier servant, Eva me confia une part de son passé en commun avec Sakuga. Un discours plein d'émotions et qui devait certainement réveiller chez la princesse de douloureux souvenirs. Évidemment je ne saisissais pas le sens profond de cette histoire, pour moi rien y changeait : tôt ou tard nous serons opposés et Sakuga regrettera alors de m'avoir sauvé. Et si ce n'est pas le cas, alors ses supérieurs le lui rappellerons sans vergogne. Je ne prétends pas connaître l'avenir, mais je connais le passé, les gens comme moi et les gens comme lui finissent toujours sur la même route sanglante. Si c'était demain il aurait certainement l'avantage, mais dans un an ? Ou dix ? Qui sait ce que l'avenir me réserve.
Peut-être était-ce là de l'obstination et un étrange besoin de tout savoir sur tout, mais à mes yeux les mots d'Eva avaient un tout autre sens. L'acceptation de ses rêves, même s'ils vont à l’encontre de tout ce que le Gouvernement Mondial représente sur les mers. Voilà où on en était, au point de non-retour où je n'hésitais plus à me confier sur ma propre histoire, mais bel et bien sur l'intérêt de poursuivre cette conversation. Sakuga était un immense combattant et Eva j'en suis sûre n'était pas la dernière non plus, mais au-delà des apparences c'était avant tout de bonnes personnes. Une déception ? Moi qui me faisais une joie de cracher au visage de la Marine leurs ignominies sur Ohara. Un sujet que je ne garderais plus pour moi dorénavant. Eva a raison, il faut poursuivre ses rêves…
Perdue dans mes pensées qui virevoltaient dans un balai incessant, je ne remarquais même pas Sakuga qui s'attardait au comptoir avant de nous rejoindre. Bien décidé à reprendre le repas et poursuivre notre discussion. Parfait, je ne comptais pas en rester là où je m'étais arrêté, mais avant ça j'avais quelque chose à leur avouer. Fini les secrets, je suis ce que je suis et je ferais ce que je dois faire, c'est là le changement que je veux opérer après avoir aperçu les capacités surhumaines d'un Paladin du Constatinisme.

— Merci, Sakuga… enfin je crois ? Je n'ai pas l'habitude que l'on vienne à mon secours quand je fous le bordel, confessais-je un peu gênée avant de retrouver mon sérieux. Je ne sais pas si je vous dois une explication ou non, mais puisque la conversation va virer au drama avant la fin du repas : je suis morte… attention je ne suis pas une revenante ou un fantôme, cela dit je peux le devenir et c'est assez drôle, mais ce n'est pas le sujet. Coup du destin ou pas je suis revenue dans mon corps, mais le trou dans mon cœur lui était toujours intact… au propre comme au figuré.

Tant bien que mal je teintais mon discours de sourire et de quelques pointes humoristiques, sans grand succès, ça ne changeait rien aux douloureux souvenirs qui revenaient à la surface. Seulement après avoir entendu Eva conter un bref passage de son histoire, je me dis que moi aussi je pourrais peut-être en parler. Sakuga n'est certainement pas le mieux placer pour entendre mon histoire, mais pourquoi pas ? Je pourrais être surprise.

— Bref, pour vous la faire courte je suis ce qu'on appelle communément une morte-vivante… tindiiiin, disais-je en tendant les bras et en remuant les mains comme lors d'un spectacle. Je sais pas pourquoi je suis revenu ou si derrière tout ceci il y a un but divin, mais ce que j'ai vu de l'autre côté… je ne voudrais pas te décevoir, ni même te blesser, mais il n'y a aucun dieu qui nous attends après la mort, il n'y a que le vide et la solitude ou est-ce simplement moi qui avait mérité ce sort, après tout on ne peut pas dire que j'ai eu une vie très puritaine, mais ce qui est certain c'est que je n'ai pas eu la mort que je mérite et visiblement de l'autre côté on est d'accord avec ça.

Voilà que je m'éternisais, je n'avais pas confié cela à quelqu'un depuis… pfiou une éternité. Étrangement ça faisait du bien, mais d'un côté ça ne changeait rien au vide que je ressentais. Fraichement revenue à la vie je n'avais qu'une idée en tête : découvrir tous les secrets de ce monde. La vengeance n'était qu'un bonus, car je suis comme obnubilée par le besoin insatiable de savoir et de découvertes, c'est presque une drogue pour moi. Une conséquence du fruit ? De ma mort ? De mes regrets ? Un étrange mélange de tout ça à la fois ? Toujours est-il que ma quête de savoir était devenue bien plus ardue depuis que le Gouvernement Mondial a rasé Ohara. Un sujet sur lequel je reviens après cette longue tirade qui ressemblait plus à une introspection.

— Si je vous dis tout ça, ce n'était pas pour juger votre foi, car j'ai assisté à des choses que je ne saurais expliquer et que certains appelleraient des miracles, expliquais-je malgré moi en doutant toujours autant qu'une volonté divine soit à l'œuvre. Mais plutôt pour mettre en lumière la terrible fatalité de ce monde : les puissants gagnent toujours. Tu es plein de bonne volonté et tu as à cœur de changer le Gouvernement Mondial en profondeur et plus que quiconque je comprends et je respecte ceux-là, mais il y a des choses qui ne sauraient être défaite et il y en a la preuve chaque jour. Le monde est bon ou mauvais. Les gentils et les méchants. Aucune nuance. Et Ohara alors ? Tu vas me dire que c'était pour une bonne raison ? Une sainte croisade ? Peut-être que tu aurais changé les choses si tu avais pu, peut-être même que si ça venait à se reproduire tu ferais différemment… mais on en est là, on tue des gens pour leur connaissance… Pirate, soldats, chasseurs de prime… prendre une vie devrait rester un meurtre et pour Ohara on parle de génocide et si tu veux qu'un jour je crois en tes saintes paroles, alors fait le savoir au monde entier en forçant le Gouvernement Mondial à le reconnaitre.

Évidemment un tel sujet m'enflammait, je me laissais aller sur la fin, mais ce n'était pas une requête ou un ultimatum, seulement un vain espoir. Comme Sakuga je crois au pardon et je sais qu'il peut être accordé à n'importe qui, encore faut-il le vouloir et je sais que le Gouvernement Mondial n'a que faire du pardon ou de ce que le monde pense de tout ça. Le monde, parlons-en tient, sous le joug impitoyable du gouvernement il en a oublié la tragédie. Moi je n'oublie pas. Je n'oublierais jamais. C'est ainsi que j'en viens à ma conclusion et il était temps…

— Je sais que c'est impossible, jamais le Gouvernement Mondial ne pourra admettre une telle erreur, sauf si… quelqu'un ouvre les yeux au monde entier et crois-le ou non, mais ce quelqu'un ce sera moi, affirmais-je avec conviction sans même sourciller. C'est pour cette raison que je pense qu'un jour où l'autre nous serons ennemis et que ce jour-là tu te demanderas si tu as bien fait de me protéger et si ce n'es pas toi, alors d'autres le feront à ta place. Le Gouvernement Mondial a déclenché un Buster Call pour éradiquer les gens comme moi, pour éradiquer les Archéologues, mais je vendrais chèrement ma peau, car visiblement même la mort ne veut pas de moi et c'est peut-être là le signe, tu es l'élu du Constantisme ? Si tel est le cas, moi je serais la voix de tous ceux qui sont mort sur Ohara et je ferais raisonner leur histoire, je ferais raisonner le secret du siècle perdu.

Tout était dit et pour de simples mots je pourrais finir en prison ou à l'échafaud. Peur ? Je n'avais plus peur de rien depuis que j'étais revenue parmi les vivants. Je n'ai ni dieu, ni roi, je ne reconnais aucun pouvoir… je devrais faire de cette devise très théâtrale la mienne, ça sonne plutôt bien. Bien sûr je laissais tout le loisir à Sakuga de m'arrêter ou non, voir même de me féliciter ou encore ériger une statue à ma gloire. Peu importe à vrai dire, je ne voulais plus me cacher. Le monde a voulu ma peau une fois et ce ne sera pas la dernière, le Gouvernement Mondial peut bien déchaîner les enfers sur moi je me relèverais et si alors il envoie l'un de ses Paladins… alors je me battrais, car comme l'a si bien dit Eva : poursuis tes rêves et tes objectifs jusqu'au bout. Mon rêve c'est de lever l'épais voile du Siècle Perdu et ainsi honorer la mémoire de tous ceux qui sont mort sur Ohara. Peu importe s'il me faut attendre cinq milles ans pour cela.

La surprise était totale ! Non pas que je doutais que Sakuga revienne sur ses précédentes paroles ne me passant les fers aux poignets, mais je ne me doutais pas qu'il me lancerait un tel défi. Décidément cette escale anodine aura eu le don de réveiller en moi quelque chose. C'est à croire qu'il me fallait déclarer la guerre au Gouvernement Mondial tout entier et au Constantinisme pour… attendez une seconde, quoi ? Je viens de faire quoi ? Oups. Pas de panique, c'est trois fois rien, je ne suis personne pour eux, pas vrai ? Non ? Oui ? Ok. Respiration. Expiration. C'est bon, je gère. Fallait bien que je me lance un jour ou l'autre, on ne mène pas une telle quête sans se faire quelques ennemis… ou provoquer une nation entière.
Emportée par le feu de l'action je me suis laissée aller à quelques extravagances, mais finalement je me sens comme libérée d'un poids énorme. Bien sûr la vie va être drastiquement plus compliquée et je vais certainement devoir prendre une seconde pour réfléchir à la suite de mon voyage. Seulement c'est tellement grisant ! Je crois que j'en aurais fait dans ma culotte si ça fonctionnait encore là-dedans. C'est fou, mais quand il a dit que je venais de déclarer la guerre au Gouvernement Mondial, c'est comme si tout mon corps avait repris vie. Attendez… c'est dans ma tête pas vrai ? Oui, évidemment. Je suis morte et je vais certainement le rester pour encore quelques années.
L'heure du départ avait sonné pour Sakuga et Eva, cette discussion m'avait comme galvanisée et j'acceptais sans l'ombre d'un doute le défi que me proposait le Paladin. Peu importe qu'il soit du Gouvernement Mondial ou du Constantinisme, je réaliserais mon rêve avant lui et ce même s'il a une longueur d'avance sur moi.

— Je ne comptais pas abandonner, il faudra me démembrer où me réduire à l'état de néant pour ça ! J'accepte ce défi et je le gagnerais ! Et peut-être même que ce jour-là, c'est moi qui te sauverais.

Un clin d'œil complice et j'éclatais de rire, ce n'était là qu'une blague sans conséquences. Moi sauver quelqu'un comme Sakuga ? Alors là si ça arrive un jour je veux bien devenir la Reine des Pirates ! Il est évident qu'il n'a pas besoin de moi. Le voilà sur le point de partir après avoir balayé des sbires de la pègre local par paquet de dix et il n'est même pas essoufflé.

— Une dernière chose… sache que je n'ai aucun intérêt à la destruction de ce monde, en revanche je ne promets rien contre les ennemis du savoir, avouais-je avec un certain sérieux. Je ne compte pas devenir Centes Decima, alors essaie de faire en sorte que le Gouvernement Mondial ne me colle pas cette étiquette sur le dos… en particulier si je ne la mérite pas.

Finalement, qui sait ce que nous réserve l'avenir ? Peut-être que dans un an je serais le pire fléau que ce monde n'ait jamais connu ou alors à la tête du savoir le plus important de tout l'univers. Personne ne sait et si c'était le cas, alors je ne voudrais pas savoir. La vie est plus intéressante avec un peu de mystère et de folie. Côté folie je vais être servie après ce que je viens de faire…
Le plus ironique dans toutes cette histoire, c'est que je voulais rencontrer ce Paladin du Constantinisme pour en apprendre plus sur lui et sa religion. Au bout du suspense c'est sur moi-même que j'en ai appris, car jamais je ne me serais imaginé capable de dire tout ceci à haute voix sans y avoir été forcée. Allez savoir, cet angelot est peut-être réellement béni… quoi ? Moi j'ai dit ça ? Pfeuh prouvez le ! Puis je n'ai jamais douté de l'intérêt de la foi. C'est cliché, mais lorsqu'on croit en ses rêves tout devient possible et c'est une forme de foi… bon ça va, je me rattrape comme je peux ! Et maintenant ? Maintenant faut que je me tire de là, c'est que je viens de faire une sacrée boulette…