- BOUAH AH AH AH AH !

Le pirate était clairement en train de rire tandis qu’une partie de son bateau volait en éclats. L’Ookami s’était bien dit que la coque ne résisterait jamais au Knucckle Torrent, mais on lui avait répondu « Faut essayer » alors… Alors il avait laissé faire, et puis il avait fermé sa gueule. C’était juste qu’une idée comme celle-ci, fallait pas la lui dire deux fois : visiter les îles célestes, ces îles au-dessus des nuages… Inconnues, et à la navigation si différente. Il avait espéré pouvoir y poser un pied depuis son arrivée sur Grand Line. Son sourire était ample, et les images qui défilaient dans son esprit s’étaient embourbées dans sa flegme naturelle tandis qu’il s’étirait péniblement.

- Bon ! On va devoir réparer ça, lâcha-t-il à son compagnon qui, lui, n’avait pas l’air rassuré.

Finn s’approcha de l’homme-loup péniblement, s’accrochant aux rambardes tout en lorgnant vers le sol. Il aimait bien la mer et ses profondeurs, mais le ciel, c’était tout à fait différent. Quelle idée avait-il eu de venir ? Putain, Karim n’était qu’un crétin. C’était une évidence : il faisait tous les mauvais choix, de celui de venir ici à celui de… Ah, il allait gerber. Ouais, il allait carrément gerber. Ses yeux se plissèrent tandis qu’il penchait la tête par-dessus bord. Rien ne sortit car il ne voyait rien. Ils s’étaient stabilisés dans les nuages. Etrange.

Loin de là, à quelques heures de navigations, ils atteindraient la célèbre Angel Island où les marines avaient élu domicile. C’était une île à connivence gouvernementale, et ceux qui l’abordaient avaient tout intérêt à ne pas être leurs ennemis… Cela tombait bien pour les deux charpentiers de Water Seven qui participaient aux chantiers navals de plusieurs membres du Gouvernement. Ainsi, au bout d’un certain temps, ils purent enfin mettre un pied sur la terre – Karim le vérifia parce qu’il creusa un peu celle-ci pour s’en assurer, la jetant par-dessus les nuages. Leurs regards croisèrent rapidement ceux des premiers habitants qui, marmonnant, observaient le Jolly Roger déployé sur le navire.

- J’crois qu’il vaudrait mieux ranger ça, lâcha Finn en pointant le drapeau.

Le capitaine haussa les épaules et s’enquit de continuer sa route vers l’intérieur des terres pour s’y ravitailler. Tentant d’échanger un regard avec son ami loup, l’humain charpentier se rendit compte qu’il avait déjà commencé à se diriger vers la ville. Les habitants étaient inquiets, et certains avaient sûrement déjà prévenu la marine locale que « des individus étranges étaient parvenus sur leurs terres sacrés ».

T’façon, Karim était en train de mater les ailes qui se trouvaient dans le dos de ces personnes. Il croyait que lui avait une particularité flagrante, mais il devait avouer qu’il jouait dans la gnognote. C’était clairement un autre niveau que la sien, ça. Ses lèvres s’étirèrent tandis qu’il se grattait la tête et pensait à la façon dont ils pourraient les actionner : peut-être en bougeant les omoplates. C’était peine perdu, mais cela, il ne le savait. Son sourire s’étira tandis qu’il s’approcha d’un jeune homme vêtu d’un uniforme de marine qui se dirigeait vers eux. Et s’il ne répondit pas aux altercations des hommes du Gouvernement Mondial, il lâcha un grand :

- Eh, dis-moi, comment vous faîtes pour faire bouger ces machins dans votre dos ?

L’homme-loup dévisagea un long moment celui qui venait de lui poser une question d’une stupidité sans nom, et comme pour lui donner raison il fit bouger les oreilles sur sa tête, les faisant vibrer légèrement. Il n’eut pas besoin de reprendre que déjà quelqu’un semblait vouloir arrêter cet échange et les faire rentrer dans un échange plus formel… Mais il était clair que Karim préférait de loin se battre avec quelqu’un que de dire « pourquoi ils étaient là », parce qu’il n’en avait franchement aucune idée. S’ils avaient été pris à part aussi tôt, c’était que leur passage par High West n’avait pas été enregistré. Bonne nouvelle : ils n’y étaient pas passés. Pour arriver au niveau des îles célestes, il y avait effectivement deux moyens connus de Finn. Le premier, c’était d’utiliser les Knuckles Torrents, dangereux et imprévisibles, et le second c’était de passer par la base de High West.

- J’vais l’défoncer, annonça simplement l’Ookami avec un sourire carnassier en s’avançant vers le marine.
- Du calme, Karim, lâcha Finn en rattrapant par le col l’homme-loup qui se débattit quelques secondes avant d’abdiquer.

L’échange de regards avec le provocateur fut court mais intense tandis que le charpentier qui accompagnait l’originaire du Nouveau Monde se gratta la tête en réfléchissant à une solution pour essayer de rendre la situation moins venimeuse. De toute évidence, ce n’était pas l’objectif du gars le plus ennuyant de ce groupe d’anges. Observant un instant celui qu’il considérait comme étant un ennemi, Karim semblait chercher la petite bête, le passage pour pousser à l’affrontement. Il n’était même plus intéressé par la réponse que lui avait donnée l’un des membres du groupe en face.

- Je suis Finn, et voici Karim, nous sommes deux voyageurs venus nous promener ici.
- Ouais, ouais… Faire du tourisme, quoi, tête de con.

La provocation était claire d’un côté comme de l’autre, et ça n’allait pas aller en s’améliorant. Lâchant un soupir franc, Finn se contenta de se dire que ce gars-là commençait à l’agacer : il le suivait pour une forme de dévotion qu’il ne se comprenait pas réellement, mais il pourrait tout aussi bien le laisser sur le bord de la route du jour au lendemain… Pourquoi pas aujourd’hui ? Au moins, il se démerderait tout seul quelques temps, verrait que ça ne fonctionne pas et…

Les habitants avaient commencé à se réunir, intrigués et intéressés par ce qui se passait ici. Karim eut un sourire gêné quand il vit autant de personnes qui s’intéressaient à leur cas, mais il était surtout embêté par la foule qui dévisageait ses oreilles. Dans les mers basses, le racisme il y était habitué. Pour certains, ici, il devait être une curiosité se disait-il. Cependant, ce lieu était un lieu de passage… Ils étaient donc potentiellement amenés à croiser des êtres exotiques de temps à autres… Enfin, la réflexion de Karim ne fut pas aussi développée, et tandis qu’une goutte de sueur se faisait voir le long de son front, il était moins confiant quant à l’avenir de son interaction.

- On n’est pas là pour chercher les ennuis, affirma Finn en faisant sortir l’Ookami de ses songes. Donc vous nous laissez nous balader, et tout ira bien.
- Ouais, et puis les pirates avec qui on est venu seront sûrement plus chiants.

« … ». « …… ». « ………. ». Mais quel boulet.

L’Ookami eut les traits qui devinrent un instant plus durs. Il faillit sauter à la gorge du marine qui venait de l’insulter d’ « animal sot », pour peu qu’il sache ce que cela voulait dire. C’était quoi, des kangourous ? Putain, il ne comprenait rien, il avait juste envie de le finir à grand coups de tartes dans sa gueule. La main de Finn lui attrapa le col tandis que le garçon humain soupirait : c’était pénible de voir ce loup sauvage devenir incontrôlable, encore aurait-il fallu qu’il y ait de l’alcool à l’horizon. C’était un véritable alcoolo à vrai dire, un pochtron de première qui avait ses hauts et ses bas dans ce domaine, tant et si bien qu’il faisait une cure en ce moment. Il en était à cinq semaines sans alcool, c’était une première !

- Le capitaine n’est là que pour se ravitailler… Et moi j’ai du taff, faut que je répare la partie abîmée du navire.

Pour le coup, Karim avait été embarqué à deux conditions : la première, c’était qu’il ne fasse pas de raffut à bord, et la seconde c’était qu’il mette ses talents de charpentier au profit de ceux qui l’hébergeaient. Il avait la flemme pour l’instant, mais ils resteraient sûrement ici pour quelques jours alors il avait le temps. Selon ses estimations, réparer les dégâts ne devrait prendre que deux jours avec le bon matériel qu’il avait emmené, et en considérant qu’ils avaient du bois avec une flottabilité acceptable. Y avait du bois sur les îles célestes ? Sinon il faudrait peut-être aller se servir sur le cadavre d’un navire qui avait échoué par loin d’ici, en prenant soin de traiter le bois… Il devait travailler dans des conditions pitoyables.

- J’crois que Finn l’a déjà dit, mais j’m’appelle Karim.
- Et moi c’est Finn… Merci pour votre aide, j’espère que ça ne va pas vous retomber dessus, sourit le garçon en s’approchant et tendant la main à l’ange.

L’homme-loup était beaucoup moins protocolaire, et son attention avait de toutes les manières déjà été reporté sur les habitants de cette île. Leurs ailes… Elles avaient l’air de ne servir à rien. Il n’y avait pas un seul ange dans le ciel, ce qui signifiait que ce n’était que des artifices non fonctionnels. Ses oreilles il pouvait les bouger, mais pas entièrement. Elles pouvaient s’aplatir contre sa tête pour se baisser, ou s’étirer lorsqu’il était tendu. Enfin, c’était déjà suffisant pour ce qu’il en faisait.

Laissant son esprit divaguer, il n’entendit pas Finn commencer à être jovial avec le dénommé Sakuga. Ils étaient des visiteurs venus d’ailleurs, et pourtant Karim semblait ne pas trop s’en faire.

- Au fait, tu saurais pas où il y a du bois ? Dirait Karim alors que Finn essayait d’en apprendre plus sur l’île où ils se trouvaient. Genre, du bois pour mon navire. Ces abrutis de pirates ne m’ont pas cru quand je leur ai dit que ça tiendrait pas le Knucckle Torrent.
- Ah, oui, on est charpentiers navals ! Dirait Finn avec un sourire sur les lèvres. On vient de Water Seven, mais je ne suis pas sûr que ça te parle…

Il ne savait pas s’il connaissait les autres îles, celles d’en bas. En réalité, ni l’un ni l’autre n’était originaire de Water Seven, mais retracer leurs parcours seraient difficile. Pour Karim, Finn n’avait pas de passé avant leur rencontre. Il n’avait jamais porté le moindre intérêt sur la vie d’avant de ceux qu’il rencontrait, gardant un regard uniquement sur leurs actions du moment. Si les gens l’énervaient, c’était des cons, et s’ils étaient sympas, il pouvait les tolérer. Enfin, sauf les humains, c’était la pire espèce qui soit. Pour eux il n’avait qu’un sentiment de haine ancré profondément.

Sur le chemin, Finn prit la boite à outils pour réaliser les travaux sur le bois. Il devait le couper, le tailler en planches, le poncer, le traiter et le vernir… Des étapes qui demanderaient du temps, si on omettait en plus le séchage. Heureusement, le bois ici était déjà suffisamment prêt pour que le temps de séchage ne dure qu’une semaine, contrairement aux mois que ça pouvait prendre d’habitude. Assez intéressé par les méthodes proposées par le ciel, Karim écouta religieusement Sakuga et applaudit face au Axe Dial. Ses yeux pétillaient tandis qu’il imaginait déjà les inventions qu’il pourrait produire.

- Je vais m’occuper de couper le bois, annonça Finn.

Pendant que son acolyte réalisait le travail rapidement, Karim se contentait de parler avec Sakuga. Il lui raconta un peu la vie sur Water Seven, et les endroits qu’il avait visité. Il lui dévoila venir du Nouveau Monde, un endroit au-delà de Red Line… Et si cela ne parlait peut-être pas à l’ange, Karim dessinerait au sol une carte approximative du monde qu’il connaissait. Il localiserait son île natale, la décrivant comme « le pire endroit du monde où vivre ». Il écouterait aussi l’ange si ce dernier voulait bien lui conter quelques histoires sur cette île.

Bien sûr, ils devraient se séparer à  un moment, et ce serait celui-ci que Karim prendrait pour exprimer son envie de le revoir pour continuer à parler, surtout à discuter des méthodes d’exploitations des dials dans la construction navale. Lui-même était ingénieur, tant que cela concernait les navires. Il pouvait dessiner des schémas précis, même si un portrait était par exemple de l’ordre de l’inimaginable. Il était très intuitif, et s’il ne nommait pas tout, il était capable de leur trouver une utilité ou de les dessiner. Son vocabulaire était finalement assez limité, preuve de son isolement durant de longues années.

Les quelques journées qui suivirent se transformèrent en semaine à cause du temps qu’il fallait pour traiter le bois, un bois qu’ils n’avaient jamais utilisé avant et sur lequel ils devaient faire quelques manipulations. Karim eut à cette occasion ses premières nuits agitées depuis longtemps, où il se mit à pousser des hurlements saugrenus. Il fut réveillé en sueur par Finn qui le trouva étrange, et au bout de quelques semaines, un équipage pirate arriva à nouveau sur l’île.

La nuit de leur arrivée fut aussi celle de leur départ, et Karim disparut sans dire « Au revoir » à Finn, ni à Sakuga. Pourtant, il appréciait les deux, mais en sortant de l’auberge il avait été emmené pour être revendu à des marchands d’esclaves, en même temps que trois anges. A ce moment-là, il ne savait pas encore qu’il serait baladé pendant des jours avant d’être secouru par des membres de la Galley-La, qui le ramèneraient sur Water Seven comme on ramène un enfant au bercail.