"Tu sais Neme"
"Tu sais Neme, on est pas toujours obligé de tuer... Ca parait dur à croire, mais des fois, on peut se contenter d'écouter ce que quelqu'un veut nous dire, se mettre a sa place et parler pour résoudre un conflit."
L'enfant buvait les paroles de sa capitaine et acquiescait, sans pour autant comprendre ce qu'elle voulait dire. A bord du Purpura, les vengeances se déroulaient rarement calmement, c'était un navire qui accueillait les désespérés, ceux qui ne priaient plus pour rien d'autre que la mort de la personne qui les avait laissés là. La plupart savaient que leur colère, leur peine et leur rancœur à l'égard de leurs oppresseurs était simplement trop grande pour être capable de s'asseoir à la même table qu'eux, et que celle-ci ne se résoudrait que dans le sang. Occasionnellement pourtant, ils avaient accepté que la rouge ouvre un dialogue, sachant qu'elle avait leurs intérêts à cœur, comme une mère le ferait pour ses enfants. Rarement, trop peut être, le dialogue s'était achevé pacifiquement, et un compromis avait été trouvé. Pas suffisant pour ramener les morts à la vie, mais assez pour permettre aux vivants de tourner une page.
L’enfant, elle, n’avait jamais pu connaître cela, assez âgée pour savoir ce qu’on lui avait ôté, mais pas assez pour savoir vivre sans. Nemesis, la petite fleur de Nemesia. Une enfant qui avait été tour à tour libre, esclave, monstre de foire pointé du doigt et pirate du Nouveau Monde. Peut être que c’était là l’origine du problème. Elle n’avait jamais pu se fixer à un point de repère dans sa vie, toujours jetée d’une situation à une autre, et elle avait fini par se fermer entièrement aux autres. Et aujourd’hui, alors que l’enfant devenu adulte se retournait dans son lit, les paroles de sa capitaine et mère adoptive, l’idole de sa jeunesse, lui revenaient doucement en mémoire.
Difficile de dire pourquoi maintenant, si ce n'était la fuite rageuse de la petite cornue, comme une enfant fâchée. Elle demandait quelque chose d’elle, qu’elle règle les soucis, ce que la Nemesis ne s’était pas manqué de lui rappeler, mais était-ce bien vrai? Encore sous le choc, et frustrée d’être accusée injustement à ses yeux, elle avait envoyé valdinguer la blonde, mais n'avait-elle réellement aucun moyen de gérer la situation? Elle aurait pu garder la cornue auprès d’elle, la traiter comme sa sœur et la protéger, mais elle ne lui faisait simplement pas assez confiance pour cela. Pourquoi? Parce que c’était une étrangère, une inconnue. Pourtant, Kira aussi avait été une inconnue avant d’être sa sœur. Mais la Nemesis s’était reconnue en Kira, et Kira s’était reconnue en Nemesis. Alors pourquoi ne pouvait elle se reconnaître dans la petite blonde?
A bien y réfléchir, avait-elle tenté de se reconnaître en Kira, ou les circonstances l’y avaient-elles juste forcé? En ce cas, qu’est ce qui l’empêchait de reconnaître la voluptueuse comme une personne plutôt qu’un visage sans nom? Son égo, son manque d’empathie, et peut-être finalement sa peur. Sa peur de reconnaître que depuis tout ce temps à tuer et détruire, elle était en tort, et que tout cela n’était pas nécessaire. Écouter ce que quelqu’un veut nous dire plutôt que le forcer à se taire, souvent agonisant la bouche pleine de sang.
La Nemesis en était elle même capable? Qu’avait dit la cornue déjà, qu’elle avait été un sacrifice, un bête appât, qu’elle avait failli mourir,et ensuite… elle s’était plainte, avait tempêtée pour un rien et injustement accusée la logia. Mais… Si cette accusation injuste avait un fond? Se penchant sur ses souvenirs, elle essaya de se placer à la place de la cornue. Elle faisait probablement sa journée tranquillement, avait été attirée dans un coin, jetée en bas d’une falaise, s’était sans doute soignée grâce à son pouvoir, était remontée d’une façon ou d’une autre, avait escaladé le hangar pour les prendre par surprise, seulement pour être prise dans l’incendie et manquer à nouveau de mourir, calcinée cette fois, puis une troisième fois si le chasseur de primes avait visé quelques centimètres plus à gauche. Tout cela pour ensuite apprendre qu’elle n’avait jamais eu aucune importance dans l’histoire et que la blonde en face d’elle était la cible principale, et se moquait éperdument de ce qu’elle avait dû vivre.
Est ce que c’était cela qu’elle attendait finalement d’elle? Non pas une forme de contrôle, des excuses ou quoi que ce soit, mais juste un peu de compassion? Elle avait sûrement dû craindre pour sa vie, sa malédiction ne lui permettant sans doute pas de guérir de la mort, à plusieurs reprises, sans même savoir pourquoi, et avait simplement ventilé sa frustration sur la seule personne qu’elle avait sous la main. Est ce que la Nemesis avait été égoïste, ou simplement inconsciente, refoulant le soutien que la cornue cherchait? Peut être. Peut être que c’est ce que sa mère avait cherché à lui expliquer quand elle était jeune, qu’une main tendue n’a pas forcément besoin d’être armée.
Peut être que, finalement, elle aurait simplement pu désamorcer la situation en offrant quelques mots de sympathie. Peut-être qu’elle aurait pu s’en faire une alliée plutôt qu’une ennemie potentielle. Peut-être que, finalement, tout ce qu’elle avait à faire, ce serait de s'excuser si elle venait à la recroiser un jour. Peut-être…
Les pensées de la Nemesis finirent par s’arrêter, alors qu’elle finissait mollement par s’endormir. Mais peut être que, finalement, elle apprenait à s’ouvrir à elle-même et à autrui.
Jawilsia sur Never Utopia