Sis dans les égouts de St Poplar, La Taverne du Chêne Endormi était le bar clandestin par lequel la plupart des criminels passait lors de leur séjour. Il s’agissait-là d’une référence et on pouvait y trouver bon nombre de contrats : mercenariat, vol et enlèvement pour la majorité. Les autres trafics étaient généralement laissés à des sous-réseaux criminels, n’étant pas d’intérêt pour le tenant de l’affaire. Les habitués faisaient circuler pléthore de rumeurs à son sujet dont deux principales : celui-ci serait un sans visage, une simple ombre contrôlant le tout en silence, et surtout il avait une véritable passion pour les œuvres d’arts. Qu’importe ce qu’elles étaient, d’ailleurs.

Pour se les approprier, on racontait que le propriétaire de la taverne avait constitué une équipe de voleurs triés sur le volet. Puisque le vol, lorsqu’il était bien fait, était sûrement le plus majestueux des arts. Une telle activité suscitait forcément l’attention de ses pairs et d’autres criminels en quête d’argent facile. Pourquoi se prendre le choux et risquer sa vie sur le terrain lorsque l’on pouvait attendre qu’un collectionneur effectuait le travail à la place ? Suffisait ainsi de récolter les fruits de son labeur, une fois ceux-ci précieusement récoltés et mis en panier.  

La taverne était décorée dans un style mêlant ébène à érable. Le comptoir se situait en plein centre de son unique pièce, étendu en anneau autour d’un massif tronc d’érable. Diverses étagères étaient fichées et creusées dans le tronc, chacune garnie de bouteilles prêtes à être servies. Une somptueuse pièce venait cercler ce noyau, les tables se trouvant à l’extrémité de la salle circulaire. L’on racontait qu’une porte cachée dans le tronc permettait d’accéder à un étage souterrain où le staff menait ses véritables affaires. Pour autant, nul ne s’était lancé à ce sujet : le bar étant gardés par les hommes du tenant mêlés aux serveurs et clients.

-Quel idiot aurait pu faire ça ?
-Je sais pas, mais il doit pas être d’ici.

Deux individus murmuraient à leur table tout en lorgnant du coin de l’œil le comptoir. Ils observaient la pièce d’un air médusé : l’avant-veille, l’hôte habituelle avait été retrouvée morte dans les égouts. Il s’agissait d'un homme grisonnant à la carrure de placard Alabastien. Certains théorisaient déjà sur le fait qu’une organisation criminelle s’était entichée de la taverne et désirait au moins rentrer en pourparlers avec cet homme de l’ombre.

Au centre de la pièce, quelques clients fidèles et mercenaires ayant déjà travaillé pour la taverne lorgnaient la nouvelle hôte. Certains étaient déjà familier avec son visage, une jeune femme à la peau porcelaine et aux cheveux ténébreux. Celle-ci avait grandi ici, avec sa sœur visiblement absente. Était-ce la gravité de la situation qui l’avait poussé à venir aujourd’hui ? Elle se tenait assisse sur une chaise haute, derrière le bar, une boule de cristal aux reflets arc-en-ciel, presque psychédéliques, dans les mains.

-Ma boule dit que celui qui trouvera le responsable sera récompensé.

Fermement lancée, cette affirmation suffit à enflammer l’intérêt de son auditoire. Sûrement que bon nombres de clients allaient s’activer à enquêter sur le sujet. Pourraient-ils seulement trouver le responsable ? Si les gens délaissaient leur boisson pour débuter des conversations en groupe, théorisant l’ensemble et essayant d’établir un plan d’action, un nouveau client fendit la pièce de ses pas pour se poster au comptoir, ignorant l’ensemble. Sa voix chaleureuse se démarquant du brouhaha environnant.

-Votre meilleur whisky, s’il-vous-plaît. Bel objet que vous tenez.
-Ou… oui !

La figure de poupée avait hautainement porté son regard sur le faciès inconnu de l’individu. Ce ne fut qu’après avoir vu les mains du client se poser sur le bar qu’elle se permit de répondre. Ses pommettes virant au rose.


Lilin ; ???

-Je dois la récupérer, elle était si parfaite. Le toucher exquis. Elle vous a coûté si chère… j’y tiens à ce cadeau. Vous comprenez ?
-Y aller de front était une perte de temps. Tu nous as rapporté que des problèmes, tire-toi de là et va manger.

La pièce disposait de peu d’éclairage, plongeant celle-ci dans une pénombre où on s’y plaisait. Malgré sa nyctalopie, le minuscule homme-chat, Sane Deff, était toujours aussi effrayé à l’idée de discuter dans ces lieux. Les cloisons offraient une qualité d'isolation du son impeccable. Au fond de la pièce, centré sur l'entrée, se tenait un luxueux bureau. Les gravures sur les pieds donnaient l'impression d'un meuble de qualité, alors même que certains points de colle indiquaient qu'il avait été régulièrement brisé.

Un fauteuil confortable au cuir violacé se trouvait derrière l'imposant symbole d'autorité, c’était dans celui-ci qu’était enlisé le maître du chat. Filbert Polchtronton, le poing perdu dans son double menton, avait posé ses yeux sur sa petite créature. Il se faisait pensif en cet instant, devait-il encore cogner son bureau ou faire preuve de recul ? Récupérer son dû allait être difficile, cependant c’était pour lui l’occasion de faire d’une pierre deux coup.

Le tenant et l’abruti d’Esxruhh.

A cette pensée, les sourcils de Filbert s'arquèrent derrière ses lunettes, sa lèvre inférieure s'abaissa péniblement, rentrant en conflit avec cet amas de graisse entre elle et son menton, pour y laisser sortir sa petite langue. Son index boudiné s'y collerait, puis celui qu'on appelait le bureaucrate saisirait son escargophone pour y composer un numéro de son doigt humide.

-Ils vont voir comment je m’y prends.

Sane Deff ; Filbert Polchtronton



La Colline Solus était pleine de vie comme à son habitude, le soleil baignant l’ensemble des étudiants de sa lumière ocre virant au pourpre. Malgré le désastre ayant eu lieu l’année passée, l’érable sacré ayant été dévasté, cet endroit constituait toujours l’épicentre de la vie étudiante. Aussi, après les cours, il était bon de s’y retrouver pour se changer les idées, discuter arts, faire la fête. Il s'agissait d'un lieu de tous les possibles pour le bas peuple : famille non aisée ou liée de près ou de loin à la pègre et donc discriminée par le système.

C’était un moyen de fréquenter des personnes de savoir, intégrées dans les diverses écoles, et de s’y faire des connaissances dans l’espoir de se faire pistonner un beau jour et intégrer soi-même un établissement. Dans le cas de Lisbeth, jeune femme à l’allure de poupée, comme sa jumelle, elle avait réussi avec le temps à s’immiscer dans un groupe d’amis. Bientôt elle dinerait chez certains et rencontrerait leurs parents, peut-être lui donneront-ils un coup de pouce.

Gatcha.

Encore fallait-il que tout se passe comme prévu pour elle. Une ombre devenue jeune homme souriant semblait également vouloir s’intégrer à la masse d'étudiants. Quelles étaient ses intentions ?


Lisbeth ; ???

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