Travail, travail et, juste quand on pensait avoir fini, travail. Voilà ce qu'était mon quotidien depuis mon entrée dans la Marine et, si la plupart du temps je savais m'en accommoder, bah des vacances aussi des fois ça ne ferait pas de mal. C'est que, quand on est médecin, il y a toujours quelque chose à faire. Toujours quelqu'un pour avoir un petit bobo qui doit être traité ou pour demander une médication quelconque. Et, quand enfin c'est le calme, il faut vérifier l'inventaire, nettoyer l'infirmerie et puis merde si ça continue je vais me trouver des larbins moi peut-être que ça me ferait du bien de juste déléguer en fait. Réflexion laissée en suspends puisqu'un bruit familier de pero pero se fait entendre. Bon, c'est quoi encore. Je m'attends à moitié à devoir rabrouer un conseiller Assurange et à lui demander de mettre mon numéro dans la liste noire, mais non. Enfin, c'est bien un ange, mais celui-là ça ne me dérange pas de lui parler. Surtout quand il mentionne le bar quoi.

Et hop hop, on raccroche le combiné aussi vite qu'on raccroche le sarreau au mur et, en deux temps trois mouvements, je suis en fuite. On essaie de m'accoster une ou deux fois, mais j'ai l'excuse parfaite : convocation du Cap'tain, déso pas déso ! Au final j'arrive au bar pratiquement en gambadant, tant et si bien que certaines personnes déjà inquiètes de ma relation avec l'alcool (coucou Dorian) en seraient probablement en train d'hyperventiler.

Et, plutôt que d'aller sagement m'asseoir à un tabouret, je pousse le vice jusqu'à sauter par-dessus le bar pour vite commencer à zyeuter ce qui s'offre à nous dans les bouteilles. Enfin, avant ça il faudrait déjà m'assurer qu'on a des verres propres. Alors je m'arme d'un torchon et commence à en essuyer un comme un vrai barmaid dans les classiques là. Oui, je m'y crois sans doute un peu trop, c'est ce que ça fait la bonne humeur.

Parce que voilà, d'habitude quand il m'appelle c'est qu'un truc le tracasse et qu'il a besoin de sa Seconde, pas vrai ? En tout cas c'est l'impression que j'ai et, du coup, je suis prête à me rendre utile. C'est une extension de mon job ça aussi, mais bon ça se prend tout de suite mieux quand ça se fait dans un bar plutôt que dans un bureau de médecin.

Nope, je n'allais pas faire la démonstration de mes talents avec un shaker aujourd'hui finalement. Preuve étant que Sakuga ne tarde pas à me suivre à son tour... pour mieux se servir une boisson non-alcoolisé. Bon, okay, c'est pas l'ambiance alors. Je me résigne et me prépare une boisson à l'ananas, avec un petit parasol marqué du symbole de Unite, évidemment. N'empêche je suis surprise de l'entendre dire qu'il n'y a pas de drama au programme et que ses motivations sont purement et simplement de passer du temps en ma compagnie. Pire encore, je suis pratiquement confuse lorsqu'il me demande comment je vais. Comment je suis supposée répondre à ça moi ? De la mauvaise façon, évidemment.

Et oui, on me demande si je vais bien et je parle des autres à la place. 10/10 en communication. Toujours est-il que je m'intéresse à sa réponse, écoutant son soulagement d'être revenu sur Graou après notre passage à Marijoa. J'acquiesce, l'esprit un peu ailleurs alors que je repense à ma rencontre encore récente avec Lidy Olsen. Bon, par contre être dans la lune ça ne fait pas une discussion très forte, pas vrai ? Mes iris verdoyants se perdent dans la contemplation de ma propre boisson alors que je cherche un sujet, n'importe quoi. Enfin, presque n'importe quoi. Je dois admettre que c'est plus difficile de parler avec l'ange depuis l'incident d'Ironfall. Si ça n'a pas l'air de le déranger, et même qu'il se comporte comme s'il avait effectivement oublié ce qui s'était passé, je ne pouvais m'empêcher d'être plus distante, quitte à l'éviter carrément. Même que, si j'avais su qu'il n'avait pas besoin de ma présence professionnelle, je me demande si je serais venue le retrouver au bar en tête à tête ou pas. Je soupire, me résignant à admettre l'évidence : je n'ai aucune idée de ce dont on devrait parler. Devrais-je le questionner sur le déroulement de l'enterrement auquel il s'est rendu récemment ? Nan, il vient justement de dire être content d'être rentré alors je ne vais quand même pas l'y renvoyer mentalement. Alors... Oh, je sais !

On aura connu mieux, mais c'est un début comme un autre.

Une mission parmi tant d'autres, voilà le point de vue de Sakuga. Même qu'il ne se doutait pas du tout que le début de cette nouvelle épopée pouvait être quelconque source de stress. J'étais un peu surprise de l'entendre dire ça. Enfin, je savais qu'il était du genre solaire et tout pour dissimuler ce qui n'allait pas, mais là il semblait juste déconnecté des inquiétudes et des préoccupations des membres de son propre équipage. Et ça ne va pas en s'améliorant puisque même l'itinéraire est mentionné de manière similaire, comme quelque chose à décider à l'arrache en temps et en lieu. Je prends une gorgée de mon jus d'ananas pour mieux ravaler mes pensées, pour l'instant. À la place je l'écoute me parler d'Auguste qui semble toujours aussi pris par ses recherches. Comme ça le père adoptif faisait honte au fils de par ses choix de vie ? Un léger rire m'échappe alors que j'entreprends de rassurer l'ange sur ce point.

Là-dessus j'avais de la chance puisque Prim n'était pas encore à cet âge et que, même quand elle le serait, je ne serais probablement pas présente pour assister à toutes ces étapes. Certes elle finirait probablement par me détester pour ça, mais j'avais depuis longtemps accepté de vivre avec ces conséquences là si, en échange, j'avais la chance d'être libre. Bon par contre, avant de trop m'égarer, je devais quand même faire un petit retour parce que c'était pas possible de passer totalement à côté sans rien dire.

Évidemment que j'ai raison, ne suis-je pas la mère de l'année après tout ? ... C'est bon vous pouvez arrêter de rigoler, c'est quand même un tout petit peu vexant. Au moins nous ne nous attardions pas trop sur le sujet et je parlai donc pour le bien-être de ma famille de coeur : les gens de Unite. Le blond me partage son contre-argument et je fais la moue, pas si convaincue que ça. Après tout...

Mais ce n'est pas la fin des explications et il se trouve que j'ai parlé trop vite. Comme ça la navigation sur le Nouveau Monde serait encore plus compliquée que ce que j'avais initialement compris. L'itinéraire n'existait pas pour la simple et bonne raison qu'il n'était pas vraiment possible d'en formuler un qui soit certain d'être le résultat final. Okay, maintenant je me sens définitivement mal pour avoir douté de lui comme ça, même si bon je suis quand même contente de l'avoir fait en quelques sortes puisque maintenant, au moins, j'ai appris des trucs. Mais voilà, ça ne m'empêche pas de m'armer d'une bouteille de vodka pour en mettre un tout petit peu dans mon jus d'ananas maintenant que j'ai vu l'ange se prendre du whisky. Comme si je ne me sentais pas assez coupable le voilà qui réitère sa promesse de tous nous protéger et ça m'énerve un tout petit peu, comme s'il appuyait bien comme il faut dans ma gêne.

Je prends une gorgée qui me fait esquisser une légère grimace. Ça fait un bout de temps que je n'ai pas bu mine de rien et je devrais peut-être rajouter un peu d'ananas, juste pour être certaine de ne pas abuser non plus. On est là pour discuter, pas pour finir ivres morts à chanter des hymnes pirates en brandissant des bouteilles vides. Remarque, dis comme ça, j'ai un petit coup de nostalgie quand même pour mon début de vingtaine sur Ironfall.

Avouez je suis drôle. Moi en tout cas je me fais rigoler.