Ienari frissonna et resserra sa cape humide autour de ses épaules. Le soleil pointait à peine à l’horizon et la jeune femme — incapable de se rendormir — avait décidé de se dégourdir les jambes dans les rues du village.
Depuis son arrivée à ShimotsukiTown, un semblant de sérénité revenait poindre au fond de son cœur. Aucun endroit ne lui avait paru aussi familier depuis son départ de Wa no Kuni. Alors qu’elle déambulait sans but, l’effervescence qui commençait à s’installer autour d’elle la transporta dans une douce torpeur.
Les pas de la jeune oiran finirent par la guider vers l’un des dojos de l’île, dont elle avait déjà oublié les différentes caractéristiques. À son arrivée, elle avait vaguement compris les élucubrations d’un local qui avait tenté de lui expliquer l’organisation des lieux. Une vague histoire de singes, de serpents et d’autres bestioles qui s’empoignaient régulièrement afin de savoir qui étaient les plus forts.
Le bruit des sabres d’entrainement qui s’entrechoquaient berçait cependant la jeune femme et apaisait sa solitude récente. Elle décida de s’asseoir un moment et de profiter de sa matinée, heureuse de constater que même à l’autre bout du monde certains sons particuliers pouvaient lui donner l’impression d’être à la maison.
Très vite, son regard fut captivé par un couple de bretteur à l’extrémité du terrain d’entrainement. Bien que de toute évidence ils ne s’agissaient pas de sabreurs d’exception, leur style fascina la jeune femme. Ondulation, louvoiement, esquive puis une frappe aussi rapide que la morsure d’un serpent qui se détend. La maîtrise de leur gestuelle respective impressionna Ienari qui se mit en tête de retenir le maximum des mouvements qui se décomposaient devant ses yeux.
Sa méditation contemplative s’interrompit quand l’un des clients de l’auberge dans laquelle elle avait dormi la veille la reconnu et accouru vers elle.
— Dame Tokugawa, dame Tokugawa, s’époumona-t-il en courant dans sa direction.
Une ombre d’irritation glacée passa sur le visage de l’oiran, qu’elle chassa d’un battement de cil avant de se parer d’un magnifique sourire.
— Qu’est-ce que vous faites là toute seule dans la brume ? Demanda l’homme qui ne pouvait de toute évidence pas décoller ses yeux des formes de la jeune femme.
L’humidité aidant, les vêtements de Ienari lui collait véritablement à la peau, laissant peu de place à l’imagination quant à sa silhouette finement dessinée.
— J’observais l’entraînement de ces fiers guerriers, répondit-elle d’une voix suave. Je ne trouve rien de plus excitant qu’un corps en pleine lutte, pas vous ?
Surpris, l’homme se retourna vers le terrain d’entrainement pour suivre le regard de l’oiran. Une idée traversa l’esprit de la jeune femme qui se releva et s’approcha de son interlocuteur. Elle posa sa main sur le torse de ce dernier et leva des yeux innocents vers lui.
— J’imagine que vous êtes venu vous entraîner vous aussi ? Lâcha-t-elle comme s’il s’agissait d’une évidence.
Un homme grand et fort comme vous… Une hésitation passa sur le visage de l’homme mais la proximité du corps de l’oiran contre le sien semblait lui avoir coupé toute capacité de réflexion. Il déglutit péniblement tout en hochant la tête de manière affirmative.
— Excellent ! S’enthousiasma Ienari en claquant des mains de plaisir.
Souhaiteriez-vous vous… échauffer… avec moi ? Je suis assise depuis un moment, j’ai besoin de sentir mon corps bouger.
Sans attendre de réponse, elle prit son interlocuteur par la main et l’entraina à sa suite dans la cour intérieure du dojo. Si quelques regards se tournèrent vers eux, les deux nouveaux venus passèrent relativement inaperçu au milieu de la foule.
— Mais… nous n’avons pas de sabre d’entrainement… balbutia pathétiquement l’homme.
— Nous utiliserons nos vraies lames dans ce cas, s’exclama l’oiran dans un splendide sourire que contrastait pourtant la froideur meurtrière de ses yeux.
Prêt mon beau ? Ienari dégaina Osore, son wakizachi. Bien qu’elle ne se serve que rarement de cette dague, le style de combat qu’elle avait observé un peu plus tôt lui avait donnée l’idée d’un enchainement qu’il lui tardait de mettre en pratique. Dubitatif, son adversaire dégaina à son tour le katana qu’il avait accroché à la ceinture et se mit en garde. De toute évidence il en était toujours à se demander comment il s'était retrouvé dans cette situation.
Voyant son adversaire hésitant, la sabreuse amorça quelques coups simples, histoire de se dérouiller un peu et de pousser son opposant à sortir de son hébétude. La confiance sembla peu à peu reprendre le dessus chez ce dernier et une lueur d’excitation traversait son regard chaque fois que le corps de la jeune femme se rapprochait du sien lors d’une parade.
Constatant que sa futur victime était fin prête, Ienari calma subitement sa respiration, se concentrant sur les mouvements qu’elle avait aperçu quelques instants auparavant. D’une esquive fluide, elle passa sous la garde de son adversaire en évitant son coup d’estoc puis s’enroula autour son bras pour remonter en une seule détente vers sa carotide. La pointe de la dague de la jeune femme vint s’enfoncer de quelques millimètres dans cette dernière, faisant perler une goute de sang le long de sa lame.
Surpris, l’homme lâcha son arme les yeux écarquillés et le corps figé. Collée à lui dans une étreinte mortelle, Ienari luttait contre les vagues puissantes qui faisaient vibrer son corps, résulta physique de la soif de sang qui l'étreignait. Dans un effort de volonté — et parce qu’elle constata subitement que de nombreux regards étaient à présent fixés sur eux — elle abaissa son arme en libérant un mince filet de sang qui coula le long de la gorge de son adversaire. Extatique, elle approcha ses lèvres de ce liquide nacré et lécha la blessure, humidifiant ses lèvres du sang de celui qui aurait du être sa victime suivante.
— Tu es mort, lui susurra-t-elle à l’oreille avant de se dégager d’un mouvement brusque.
Sous le choc, les jambes de l’homme se dérobèrent sous son poids et il se retrouva assis sur la terre nue, le regard perdu. Sans attendre un seul instant de plus, la jeune femme tourna le dos au terrain d’entrainement et reprit sa promenade matinale. Se dégourdir ainsi lui avait fait un bien fou, mais la retenue dont elle se devait de faire preuve dans ces contrées lui laissait un goût amer dans la bouche. Amusée, elle passa sa langue sur ses lèvres encore maculées du sang de son opposant, appréciant le gout métallique de ce dernier.
Alors qu’elle atteignait le second dojo de l’île vers la fin de la matinée, Ienari constata qu’elle était arrivée sans le vouloir au niveau de l’école du dragon. Curieuse, elle observa à nouveau les bretteurs de loin en se demandant quelles pouvaient être les particularités de ce style particulier.
Le regard de la jeune femme fut attiré par la silhouette d’un homme imposant de part sa taille, à la chevelure presque blanche et arborant une paire de lunette de soleil noir malgré la journée grisâtre. L’instinct de prédateur de l’oiran s’éveilla instantanément, lui apportant la certitude que cet homme était bien plus fort qu’elle. Un sentiment d’excitation s’empara d’elle. Elle aimait les challenges.