« Hey Penpen, tu peux me rendre service ? Mes parents ont besoin de moi à la boutique pour quelques heures et j’avais promis à Prim qu’on irait ensemble à la plage. »

Je levai les yeux de mon ouvrage, quelque peu irritée. Mais il était si difficile de dire non à Felix, lui qui avait toujours été un support exemplaire, un excellent père et un mari proactif qui n’hésitait pas à faire les choses sans que je n’aie besoin de le harceler. Remarque j’étais en train de préparer des prescriptions qui ne serviraient pas avant le lendemain alors, en vrai, je pourrais toujours les finir en rentrant ou, si j’étais fatiguée, le lendemain matin.

« Bien sûr, je vais y aller avec elle. Tu as eu le temps de préparer le déjeuner ? »

Son sourire désolé me répondit avec éloquence et j’haussai les épaules avec résignation avant de délaisser mon bureau pour me diriger vers la cuisine. Quelques remerciements plus tard, j’avais troqué mes herbes et onguents pour plutôt préparer notre petit panier repas. Ayant été visiblement prévenue par son père, une toute petite demoiselle d’à peine deux ans et demi arriva à la course. Ses cheveux aussi roses que les miens avaient été attachés en deux petites couettes et on lui avait fait enfiler une robe d’été et des sandales. Trop adorable, surtout qu’elle était venue me câliner la jambe pour me demander de l’attention et, sur la pointe des pieds, Prim tentait de voir ce que je faisais.

« Et… hop ! »

Dis-je en levant ma petite poche de patate pour l’asseoir sur la surface. Elle était heureuse de passer du temps avec moi, si je me fiais au sourire qui faisait bien ressortir ses pommettes rondes. Il était vrai que je ne lui consacrais pas toujours beaucoup de temps, me sentant maladroite et peu douée pour prendre soin d’elle. Sa petite main se tendit en direction des morceaux de fromage et je lui en donnai un pour l’occuper pendant que je terminais de tout préparer. Cela fait, j’avais moi-même pris le temps de mettre quelque chose de plus approprié et, après avoir planté l’un de mes chapeaux à grand rebord sur la tête de ma petite perle, nous avions quitté la maison main dans la main.

Pour être totalement honnête, la plage en question n’avait rien de grandiose. Il s’agissait simplement de la berge d’une des nombreuses criques d’Ironfall qui avait la chance de posséder une bande de sable à la largeur respectable. Ce n’était pas ma préférée puisqu’elle était assez passante et pas que par des gens qui souhaitaient profiter de la houle, mais c’était la plus proche de la maison. Avec une enfant en bas âge, on apprend à ne pas trop s’éloigner. C’est qu’il fallait bien rentrer aussi après et que, tout dépendant du niveau de fatigue, c’est peut-être moi qui se retrouverait à porter la petite princesse sur le chemin du retour, en plus du panier-repas vide. Enfin, là n’est pas la partie intéressante de cette histoire. Évidemment que je ne vous raconterais pas tout cela s’il s’agissait d’une bête sortie mère-fille sans histoires. En effet, il n’était qu’une question de temps avant que la roue du destin ne se mette en branle pour altérer drastiquement le cours de ma vie. Il avait suffi d’une bourrasque, d’un chapeau partit vers le large et s’échouant dans les flots. J’en avais d’autres à la maison, ce n’était pas un problème, mais ma petite perle avait le cœur brisé. Je n’arrivais pas à la réconforter et, bientôt, je dû me résigner à aller le chercher moi-même. Sans conscience réelle du danger que représentait l’immensité aquatique, j’avais plongé, laissant sur la berge une petite fille de deux ans et demi qui pleurait parce que sa maman ne remontait pas.

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Enjoy !

Je m’étais sentie dériver, couler sans pouvoir y faire quoi que ce soit. Malgré tous mes efforts, il n’y avait rien à faire. Je ne pouvais pas bouger, ne pouvais pas nager. Tout mon corps était paralysé et, de très loin, j’avais cru me souvenir d’un avertissement. Une mise en garde ignorée, mise de côté avec un rire mal à l’aise. Et maintenant quoi ? Maintenant rien. Mes yeux se fermaient et je ne pouvais que me maudire pour mon imprudence. Primrose était seule sur la rive… Qu’est-ce qui lui arriverait ? Quelqu’un viendrait-il la trouver ? En serait-elle traumatisée à jamais ? Était-ce tout ce que j’aurais réussi à lui offrir ? Vraiment, j’étais la pire mère ayant jamais existé…


Les pressions exercées contre mon abdomen étaient douloureuses. Ou alors était-ce simplement l’eau qui était entrée dans mes poumons qui me donnait l’impression d’avoir bu une gorgée d’huile brulante ? Mon corps revint à lui-même et, soudainement, je sentis ce qui s’apparentait à un haut le cœur et roulait sur le côté, crachant dans le sable et toussant à m’en cracher un organe. Le corps encore en panique, je prenais de grande bouffée d’air entre deux étouffements confus, mettant quelques instants à retrouver pleinement conscience. Soulagée d’être finalement vivante, j’aurais bien pris un moment pour remettre mes idées en place si une petite demoiselle pleurant encore à chaudes larmes ne s’était pas jetée sur moi.

« Prim… ? Ça va ma perle, tout va bien. Maman va bien. Je suis désolée je ne voulais pas te faire peur… Viens là, tout va bien. »

Je serrai ma fille dans mes bras, lui caressant le dos en grands mouvements affectueux tout en lui déposant quelques baisers sur le dessus de la tête, dans sa chevelure rosée. J’étais encore en train de la calmer lorsque je pu finalement porter mon attention vers l’inconnu qui était devenu mon sauveur. Un blond à l’air taciturne qui me dit, sans beaucoup de tact, qu’il valait mieux ne pas me jeter à l’eau si je ne savais pas nager. Toujours un peu désorientée, je lui répondis de manière tout aussi directe.

« Mais je sais nager, d’habitude… Je crois que j’ai juste eu une crampe, c’est sûrement ça… »

Je n’allais quand même pas lui dire là tout de suite que j’avais mangé un fruit bizarre et que c’était probablement ça qui m’avait presque coûté la vie. Il me prendrait pour une vraie folle ! Ceci étant dit, je lui devais beaucoup. Énormément même. Je lui devais ma vie, rien de moins. Encore tremblante, mais faisant de mon mieux pour avoir l’air calme histoire de ne pas laisser ma petite perle comprendre à quel point j’avais eu peur moi aussi, je repris la parole avec un ton plus doux et, surtout, plus reconnaissant.

« Je… Sans vous je… Merci. Merci énormément. »    

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Enjoy !

Les larges caresses que je faisais dans le dos de Prim semblaient faire leur effet, calmant doucement ses sanglots alors que ses mains demeuraient pourtant accrochées à mes vêtements. Ma propre respiration se calmait finalement et ce moment de terreur semblait déjà se changer en souvenir que l'on préférerait oublier. Cela je le devais bien évidemment au blond, cette âme charitable qui avait bien voulu plonger à ma rescousse et me tirer hors des flots. Je l'avais remercié et sa réponse bien stoïque m'arracha un sourire malgré moi. Loin de laisser planer le moment néanmoins, c'est lui qui initia les présentations en nous partageant son identité : Sakuga, mais on pouvait l'appeler Saku. Me redressant avec ma petite perle dans les bras, je m'apprêtais à lui rendre la politesse lorsqu'une petite voix trop mignonne m'interrompit entre deux reniflements.

« Merci... grand-frère Saku ! »

Mes yeux s'agrandirent sous la surprise, mais mon expression évolua rapidement vers un pouffement de rire. Eh bah ! Lui il s'était fait une nouvelle fan.

« On dirait bien que tu viens de te faire adopter, Saku. Moi c'est Penelope, mais tu peux dire Penny. Et toi ma jolie tu veux dire ton nom à Saku ? »

Elle me regarda quelques instants, les rouages de son esprit tournant pour bien assimiler ma suggestion et décider si elle lui plaisait ou non. Ce fut vite réglé toutefois puisque, non sans avoir grossièrement essuyé ses larmes avec la paume de sa main, mini-moi se tournait à nouveau vers lui avec un grand sourire, la goutte au nez d'avoir tant pleuré.

« Prim ! »

« Mhm. Primrose. »

Malheureusement pour moi, le blond s'interrogeait sur les raisons se cachant derrière ma quasi-noyade et, comme s'il avait un troisième oeil caché dans ses mèches blondes, il avait fait droit dans le mille. Je me raidis d'un coup, soudainement sur la défensive alors que j'ignorais ce qu'il était prudent de révéler ou pas. D'accord il venait de me sauver la vie, mais quand même ! Embêtée, j'avais détourné le regard en me grattant la joue, adoptant un sourire tout ce qu'il y avait de plus chelou en espérant que cela dissimulerait un tant soit peu mon malaise : spoiler, ça n'allait probablement pas trop marcher.

« Ah ! Euh bah... peut-être un fruit périmé je sais pas trop ? L'important c'est que tout le monde aille bien non ? Haha, ha ! »

Super le rire forcé, 10/10, personne ne se douterait jamais de quoi que ce soit. Heureusement que j'avais une petite de deux ans qui se transforma en mon acolyte à son insu. Ses grands yeux bruns étaient restés fixés sur l'épéiste, brillant d'un millier d'étoiles et attentifs à chacun de ses mouvements. Pire encore, la voilà qui tendait la main en sa direction, ouvrant et refermant les doigts dans le vide pour exprimer ce qu'elle voulait. Ah la la. C'est avec un air un peu désolé que je me retournai vers mon sauveur, lui qui ne s'était probablement pas attendu à ça lorsqu'il avait sauté dans l'eau pour venir repêcher la grosse truite rose que j'étais.

« Je suis désolée, je crois qu'elle veut vraiment te faire un câlin... Rien ne t'y oblige bien sûr, tu as déjà tellement fait pour– »

« Sa ! KuuuUUU !!»

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Enjoy !

Devait-il me faire un dessin ? Je fronçai les sourcils, quelque peu agacée par la formulation, mais ma curiosité l'emporta sitôt que l'image d'un fruit couvert de spirales me fut révélée. M'approchant pour mieux voir, et pour tenter de lire ce qui était écrit sur le reste de la page, ma surprise et mon intérêt devaient se lire dans tout mon visage. Pire, je ne pu m'empêcher de souffler quelques mots à mon intention plus qu'à la sienne :

« Alors c'était vraiment... Ça existe vraiment... ? »

Un fruit du démon. Et j'en avais mangé un juste parce que je le pouvais. L'inconnu, l'interdit et la promesse d'une vie plus grande que nature avaient motivé ma décision, bien que je ne me sois pas attendue à grand chose. Je rêvais amplement, je l'avais toujours fait, mais c'était très différent que d'espérer un vrai changement. Une partie de moi avait envie de toujours s'accrocher au déni, mais j'avais maintenant eu deux confirmations d'un coup : mon incapacité à bouger dans l'eau et le curieux ouvrage du blond qui venait justement de me tirer hors des flots. Mais tout ça c'était sans compter sur la présence de la petite rose qui, bien franchement, n'en avait rien à faire de son livre, des malédictions et des fruits à spirales. Primrose voulait son câlin et elle l'aurait. Heureusement que le voyageur décida de se plier aux désirs de ma petite princesse, bien que je fu quelque peu gênée de la voir s'imposer de la sorte.

Si l'étreinte fut brève, elle sembla suffire à la petite fille qui offrit un grand sourire à son nouveau grand-frère... Avant de tout de suite se renfrogner. De ses grands yeux noisette, l'enfant avait remarqué les quelques larmes versées par le Keigo et, sans se demander si cela était la chose à faire ou pas, la petite plaqua une paume maladroite contre la joue de son nouveau héros. Elle le regarda alors avec innocence, risquant un nouveau sourire pour voir si Sakuga le lui retournerait. Pour voir si en chassant les larmes elle avait aussi réussi à ramener son sourire. Si c'était le cas elle en serait terriblement fière, évidemment. Pire encore, la mini-rose se retournerait vers moi pour voir si je souriais moi aussi. Trop précieuse cette petite. Sans doute tenait-elle ça de son père ou quelque chose comme ça parce que bon, ça ne venait sans doute pas de mon côté d'être aussi mignonne que ça. Toujours est-il que mon sauveur avait repris la parole, évoquant ses futures aventures à travers le monde. Oh ! C'était donc pour ça que je ne l'avais jamais rencontré auparavant : il était un voyageur. Tendant la main à ma fille pour l'encourager à la prendre et à revenir plus près de moi, je décidai d'au moins offrir l'hospitalité à cet inconnu qui m'avait tout de même sauvé la vie.

« Si jamais vous avez besoin d'un endroit où dormir ou simplement de directions ou de quoi que ce soit d'autre, n'hésitez pas. C'est bien le minimum que je puisse faire puisque vous venez quand même de me sauver la vie. »

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