Le monde était dans une période difficile, une période de tension extrême. La Rêverie approchait et personne ne pouvait l’ignorer, qu’il s’agisse de la marine ou même des criminels. Pour le peuple, cet événement était le symbole d’une évolution prochaine, espérant une amélioration des conditions de vie ou bien d’accords bénéfiques entre pays. Pour les criminels, c’est une occasion unique de s’infiltrer tels des cafards dans un pays laissé plus ou moins vide de ses hautes têtes. Pour un marine, c’était surtout le signe d’un probable chaos à venir d’un peu partout.

Pourtant, alors que la plupart des gens semblaient inquiets par rapport à ce qu’il allait pouvoir se produire, Dovah lui semblait complètement extérieur à tout cela. Il n’ignorait pas le fait qu’il soit probable que des pays entiers soient attaqués, mais c’était un homme têtu, sélectionnant avec une précision infernale les missions où il désirait participer, empêchant globalement sa montée en grade depuis toutes ces années. Malgré ça, un ange tomba sur ce dernier par pur hasard, et suite à un concours de circonstance, il invita l’homme dans son équipage. Avant même de s’en rendre compte, le grand solitaire qu’était Dovah se retrouvait au sein d’un équipage où il ne connaissait personne.

Le botaniste n’avait aucune idée de ce qu’il devait réellement faire désormais ; devait-il se présenter amicalement ? Rester très courtois comme avec le reste de ses supérieurs ? S’il avait eu, certes, énormément d’amis par le passé, la socialisation était quelque chose qu’il n’avait plus expérimenté depuis la destruction de son île natale.
Songeur, l’homme qui s’était posé sur le pont décida de rentrer à l’abri en voyant la pluie s’approcher. Ça ne le dérangerait pas tant que ça d’être humide, mais il se doutait que cela donnerait probablement une mauvaise impression.

Alors qu’il circulait à l’intérieur du navire pour visiter, cherchant à s’acclimater aux environs pour ne pas se perdre, et aussi pour jauger si ce dernier était adapté à sa taille, l’homme se stoppa net, se souvenant de quelque chose. Plusieurs heures auparavant, on lui avait remis une lettre en lui disant qu’il avait été admis à l’examen. L’homme n’avait pas parfaitement compris de quoi il s’agissait, mais il ne put poser davantage de questions et décida qu’il lirait cette lettre plus tard. Le moment était probablement venu étant donné qu’il était complètement seul ici. Déchirant le bout de l’enveloppe, il viendrait doucement tirer la lettre avant de la lire.

Cela ne prit pas plus de quelques minutes, mais son sang ne fit qu’un tour. Le message le plus important était là : “Vous avez été admis à l’examen pour rejoindre la Section Scientifique”. Comment était-ce possible ? S’il désirait bien rejoindre cette section, il n’avait pas eu le temps d'inscrire les informations nécessaires afin d’y participer et comptait le faire la fois suivante. Le rendez-vous était donné à San Faldo d’ici une semaine.
Cependant, avant qu’il ne puisse réfléchir davantage aux raisons pour lesquelles il avait été malgré tout sélectionné, une voix se fit entendre de derrière lui. Se retournant lentement tout en rangeant sa lettre, il pourrait faire face à une femme aux cheveux rouges, visiblement un peu déconcerté. Était-ce une membre de l’équipage ? Très certainement après tout. Elle l’invita à se présenter via son grade, indiquant probablement qu’elle désirait une discussion aux allures plus professionnelles, ce qu’il fit sans attendre.

“ - Lieutenant Dovah D. Thère, enchantée. J’ai récemment été recruté dans l’équipage Unite. Pardonnez mon insolence mais je ne connais pas encore les autres membres, pourrais-je vous demander également votre nom et grade ?”

Comme son instinct lui avait soufflé, la femme présente devant lui était belle et bien plus gradée que lui. Une colonelle donc, en temps normal il aurait fait parfaitement attention au moindre mot qu’il aurait pu sortir. Pourtant, Penelope semblait différente, semblant beaucoup plus amicale et facile à appréhender. Était-ce naturel pour elle ou bien dû au style d’équipage du capitaine Keigo ? Un endroit où le grade est relayé au second plan, privilégiant l’humain ? C’était envisageable, mais il n’en avait pas encore la certitude.
Un léger blanc se fit entendre dans la discussion après la présentation de la femme tandis que cette dernière se mit à observer de haut en bas l’homme. Elle ne semblait pas à l’aise pour engager la discussion, et malheureusement pour elle, Dovah était dans la même situation. Enfin, c’était plus complexe que ça : l’homme aimait énormément parler, mais il avait du mal avec les personnes qu’il ne connaissait pas suffisamment. Heureusement pour tout le monde, ce malaise cessa lorsqu’elle décida finalement de poser quelques questions auxquelles il répondit sans attendre.

“ - J’étais en train de visiter les lieux justement, mais je n’ai que très peu eu l’occasion de tout observer. Concernant le capitaine Keigo, c’est en effet lui qui m’a recruté. A vrai dire, mon recrutement s’est un peu fait par hasard, c’était quelque chose de complètement inopiné. Nous avons simplement discuté un peu et après lui avoir parlé un peu de moi et de mes objectifs dans la marine, il m’a indiqué que je pourrais probablement les atteindre avec son soutien. Étant donné son caractère et son grade, je me suis dit que c’était probablement une bonne idée d’accepter. De plus, j’ai globalement toujours appris à me battre de manière autodidacte, avoir les conseils de terrain d’un autre sabreur sera toujours un plus pour moi.”

Dovah se mettrait à fermer les yeux tout en hochant la tête pour lui-même, comme s’il était en pleine réflexion par rapport à ce qu’il venait de dire. Finalement, ses yeux s’ouvriraient à nouveau, engageant cette fois-ci de lui-même la parole à la personne en sa compagnie.

“ - Au fait Colonelle, vous qui connaissez bien les lieux, est-ce qu’il y aurait un laboratoire pour que je puisse cultiver mes plantes ? Et si oui, serait-il possible pour vous de me parler de cet équipage et de ses membres ? Je ne voudrais pas me retrouver à être le petit nouveau qui cherche à se cacher derrière les autres et pour ça, je dois apprendre à connaître tout le monde pour pouvoir me hisser à leur niveau.”

Alors qu’ils marchaient pour visiter, la colonelle commença à expliquer qu’il n’y avait pas réellement d’endroit pour que l’homme puisse cultiver ses plantes… du moins pour l’instant. En effet, ce projet de nouveau navire semblait intéressant, surtout s’il était possible pour l’homme d’influencer la construction en y ajoutant un laboratoire où il pourrait travailler. Très humblement, l’homme se contenterait de répondre à la femme.

“ - Le pont suffira pour le moment, c’est simplement pour cultiver quelques plantes. Mes expériences sur ces dernières pourront attendre, il n’y a rien de réellement urgent. Au contraire même, ne pas avoir de laboratoire permettra de me sortir de ma mauvaise habitude à rester enfermé et travailler, apprendre à connaître tout l’équipage et me sociabiliser un peu me fera du bien. Je n’avais pas fait quelque chose comme ça depuis au moins 20 ans.”

Suite à cela, elle commença à présenter un par un les autres membres d’équipage. Ce dernier semblait plutôt bien organisé, ayant des personnes pour un peu tous les domaines. D’après la prestance que dégageait le vice-amiral, il était très probable que toutes ces personnes soient des personnes très qualifiées dans leur domaine respectif. Cela faisait un certain nombre de personnes que l’homme allait devoir rencontrer, ce qui le fit légèrement trembler malgré le calme olympien qu’il avait. Cependant, il se rassurait en se disant qu’il irait en premier à la rencontre des personnes ayant le plus de chance de s’entendre avec lui comme par exemple le stratège du nom de Kayn Shieda ou bien la sabreuse Mia. Dovah se contenterait donc de hocher la tête, restant silencieux mais attentif.

Cependant, durant la discussion vint un sujet sensible de la part de la femme aux cheveux rouge : le constaninisme. Il était évident que ce sujet allait finir par sortir, après tout, c’est une constante essentielle du gouvernement. L’homme prendrait quelques secondes pour réfléchir, fermant ses yeux avant de finalement lui dire ce qu’il en pensait.

“ - Je n’étais pas au courant que notre capitaine était un Paladin du Constantinisme, mais en réalité, cela me dérange très peu. Je comprends l’intérêt de cette religion et même si je n’y adhère pas particulièrement, je n’ai rien contre. Une mission, qu’elle soit au nom de l’ordre constantinisme ou bien de la part d’un supérieur revient au même pour moi ; tant qu’elle ne va pas à l’encontre de mes convictions personnelles, je n’aurais aucun problème à la réaliser. De plus, de ce que je sais, l’ordre n’est pas particulièrement du genre à imposer des choses que je pourrais détester comme le fait de mettre en danger des civils ou bien de les sacrifier de manière volontaire. Si je devais ne pas apprécier ce mouvement, je n’aurais probablement jamais intégré la marine.”

Comme pour appuyer ses mots, Dovah viendrait déboutonner son manteau noir, dévoilant en dessous une tenue classique de la marine dont des symboles Constaninistes pourraient être visibles. Penelope pourrait également voir qu’à l’intérieur du manteau sont accrochés deux faucilles de part à d'autre. Finalement, il viendrait refermer à nouveau sa tenue, se rhabillant puis frottant ses vêtements, comme s’il tenait à être le plus propre possible malgré sa tenue entièrement noire.

“ - En bref, je fais mon travail en obéissant aux ordres dans la mesure du possible. Il est vrai que j’ai parfois eu tendance à refuser d’effectuer des missions… très souvent même, mais je vais essayer de faire abstraction pour notre capitaine. Je pense qu’il comprend mon objectif et qu’il ne pourra que m’aider à aller dans le bon sens pour cela.”

S’il était quelqu’un de particulièrement timide et assez introverti en temps normal, la compagnie de cette femme semblait le ravir, comme s’il retrouvait un peu de tout ce qu’il avait pu perdre par le passé. Avait-il trouvé la pépite qui lui manquait ? Unite serait-il sa nouvelle famille qui lui permettrait de compenser la perte de la sienne ? Rien n’était plus sûr, mais les choses semblaient particulièrement bien parties.

“ - Et bien, je ne me souviens plus exactement de la période où j’ai rejoint la marine, mais c’était il y a plus de 10 ans. Il y a 15 ans peut-être ? Ou bien plus peu plus, difficile à dire, c’était une époque où j’étais un peu perdu et où je ne faisais plus attention aux jours qui défilaient.”

Dovah avait quelques difficultés à interpréter les réactions de la personne qui lui tenait compagnie, ses expressions faciales étaient très variées, comme si elle réagissait de multiples façons de manières très brèves. Peut-être se posait-elle de nombreuses questions ? Après tout, il est vrai que cet homme était particulièrement étrange et lui-même s’en rendait compte : tenue entièrement noire, taille démesurée par rapport au commun des mortels, âge avancé, mais presque entièrement dissimulé par un masque qu’il portait en permanence. Finalement, ce masque lui aussi était probablement handicapant pour que ses interlocuteurs puissent reconnaître ses émotions, mais il ne se sentait pas suffisamment à l’aise pour dévoiler ce qui se dissimulait derrière ce dernier.

La discussion et la balade se poursuivaient, jusqu’à ce qu’elle finisse par annoncer qu’elle non plus n’étant pas croyante, mais avait une confiance parfaite en son capitaine. C’était là un autre signe pour Dovah lui montrant qu’il avait certainement fait le bon choix en acceptant d’être recruté. Cependant, elle lui demanda également quel était l’objectif de l’homme. Se sentant suffisamment à l’aise, il décida malgré tout d’en parler?

“ - En fait, je cherche un remède aux fruits du démon. Je… je pense que c’est quelque chose d'anti-éthique. A mes yeux, le gouvernement mondial n’approfondit pas les bonnes recherches. Au lieu de chercher à toujours plus exploiter ces fruits démoniaques, il vaudrait mieux les analyser pour apprendre à purger les personnes contaminées. A terme, j’aimerais bien que les malédictions disparaissent complètement, mais je suis ne suis pas suffisamment idiot pour ne pas me rendre compte que ce sera quelque chose d’impossible. Du coup, en attendant que les moeurs du gouvernement changent, si j’arrive à trouver un remède, nous pourrons au moins neutraliser complètement les personnes utilisant ces pouvoirs à mauvais escient plutôt que simplement les bloquer au risque qu’ils puissent se faire libérer par un moyen tiers.”

Le ton de l’homme était différent lorsqu’il parlait de ses motivations par rapport à avant. Il semblait extrêmement sérieux et très engagé, voire un brin colérique. Nul besoin d’être un génie pour se rendre compte que ce sujet lui tenait particulièrement à cœur, peut-être même davantage qu’à sa propre vie. Cependant, une fois sa petite tirade terminée, il secouerait légèrement la tête, souriant derrière son masque en reprenant un ton plus doux.

“ - Excusez-moi, certains sujets me prennent à coeur et j’ai du mal à retenir mes mots. Et vous, puis-je me permettre de vous demander si vous avez un objectif à long terme au sein du gouvernement mondial ?”

Etrangement, l’ambiance avait très soudainement changé, au point que la femme s’arrête de marcher. Dovah avait-il sans s’en rendre compte abordé un sujet sensible chez la femme ? Cette fois, sa voix semblait différente, elle n’était plus un peu hésitante et perdue mais confiante et assurée. C’était quelque peu surprenant, surtout en entendant les mots qu’elle pouvait sortir, mais l’homme se contenterait de répondre de manière calme.

“ - Vous avez raison, une lame peut être plus destructrice que ces malédictions donc mes motivations peuvent sembler futiles. Pourtant, il y a quelque chose qui différencie les deux, quelque chose d’important.”

Amenant la main jusqu’à sa poche, l’homme ressortirait plusieurs papier qu’il commencerait à déplier avant de les tendre à la femme. Parmi ces papiers s’en trouvait un plus gros que les autres : le plan d’une île. Accroché à cette dernière à l’aide d’un trombone, deux photos : une femme ayant visuellement la trentaine, visage fin et cheveux blond, un sourire des plus attendrissant sur la première ; et sur la deuxième une photo de d’une jeune fille d’une dizaine d’année aux cheveux grisonnant sur les épaules d’un homme facilement identifiable comme Dovah. Cependant, sur cette photo, certains détails de l’homme semblaient différents, notamment le fait qu’il ne portait pas de masque et que ses vêtements semblaient bien plus colorés.

“ - Tu ne connais probablement pas cette île et c’est normal. C’est l’île de Fukru, elle n’existe plus car elle a été détruite. Ce sont les affrontements entre criminels possédant des fruits du démon et des marines possédant des pouvoirs similaires qui ont dévasté l’île. Ces photos, ce sont ma femme et ma fille. Elles ne faisaient pas partie des rescapées, et si je l’ai été moi-même c’était pas un coup du hasard, mais j’en ai subi les conséquences.”

Comme par réflexe, Dovah amena la main jusqu’à son masque, sans pour autant montrer ce qu’il se cachait derrière. Finalement, il reprendrait sa phrase rapidement.

“ - Il faut moult années d’expériences pour maîtriser la puissance dévastatrice d’une arme. Cela demande souvent de faire abstraction de beaucoup de choses et de suivre un certain code d’honneur. En ce qui concerne un fruit du démon, certains sont particulièrement dévastateurs, beaucoup trop, et ils sont mis par hasard entre les mains de personnes ne pouvant pas les contrôler suffisamment bien. Dans un monde idéal, personne n’utiliserait d'arme à mauvais escient. Dans mon monde idéal, personne n’utiliserait de fruit de démon à mauvais escient. Malheureusement, aucun des deux n’est réaliste, du coup je me concentre sur un objectif bien plus réaliste : trouver un remède afin d’empêcher au maximum que ce genre de pouvoir de destruction soit entre les mains de n’importe qui.”

Comment une discussion à l’origine si joyeuse pu se transformer aussi rapidement en quelque chose d’aussi froid ? Que ce soit du côté de Dovah ou bien de la colonelle, les deux semblaient avoir une vision très claire des choses, mais malheureusement de deux points de vue parfaitement incompatibles. Cependant, la femme fut capable de visiblement mettre une part d’elle-même de côté pour écouter les arguments de l’homme à la chevelure grisonnante, c’était la moindre des choses pour lui de faire de même.

Lorsqu’elle évoqua son mari et sa fille, une vague de souvenirs se déploya dans le for intérieur de l’homme. Il se revoyait avec sa petite, jouant dans les champs de fleur, prenant plaisir à lui décrire de manière ludique les plantes qu’ils trouvaient ainsi que leurs propriétés. Les tournesols étaient les fils du soleil, les delphiniums étaient les arcs-en-ciel du jardin, et tous les deux, ils se devaient de tous les trouver afin de les répertorier pour créer ensemble le plus grand répertoire de jolies fleurs. Oui, il était probablement l’homme le plus heureux du monde à l’époque, il était ce que cette femme était en ce moment même. Était-elle un peu comme lui au final ? Une représentation de sa personne plus jeune, en enlevant les malheurs qu’il avait pu subir ? Cela aurait pu être le cas, mais un autre détail vint frapper l’homme dans la suite du discours.

L’homme commença à froncer les sourcils aux mots de Penelope. Avait-elle bien dit “des gens comme moi” ? Était-elle en train d’insinuer qu’elle faisait partie de ses gens possédant une malédiction ? L’homme était perturbé, pendant un instant il fut parfaitement incapable de remettre son esprit en place, comme si toutes les informations se bousculer à l’intérieur de lui sans aucune logique. Il avait pourtant parlé de son aversion envers les maudits à Sakuga, alors pourquoi ce dernier l’avait malgré tout accepté dans l’équipage ? Était-ce là une forme de test quelconque ? Devait-il vraiment aller à l’encontre de ses mœurs et accepter de travailler avec des monstres pareils, aussi inoffensifs soit-ils ?

Non… c’était un mauvais point de vue. Sakuga était un homme profondément bon. S’il avait décidé de faire ce choix, c’était très certainement pour une bonne raison, mais cela échappait encore à Dovah. En attendant de comprendre, il serait mieux pour lui de simplement faire profil bas. Après tout, son aversion était essentiellement dirigée envers les personnes détruisant sans aucune distinction et ceux s’en prenant aux civils. Cette femme… il était incapable pour l’instant de la jauger sur ces points, elle semblait même particulièrement sympathique aux premiers abords.

Son esprit commençait à se calmer, son regard redevenant plus calme. Un soupir pourrait se faire entendre avant que, finalement, il ne se décide à répondre aux questions de son interlocutrice.

“ - Je ne m’attendais pas vraiment à ça en vous rejoignant, je ne sais pas ce que le capitaine à en tête, mais je décide de lui faire confiance. Je vais faire une exception pour les membres d’Unite, tant que vous n’utilisez pas vos pouvoirs pour faire du mal aux civils, j’accepterais de combattre à vos côtés. En ce qui concerne le sacrifice pour un pair, je pourrais vous répondre avec toute la bonne volonté du monde que je serais toujours le premier à me sacrifier pour sauver un proche, mais il est toujours bien plus facile de réfléchir à ce genre de chose en situation de calme plutôt qu’en pleine urgence. Je suis bien incapable de vous dire ce que je ferais si jamais la situation devient catastrophique sur le terrain, c’est une chose qu’il est impossible de prévoir.”

Dovah laisserait quelques secondes de silence, comme s’il réfléchissait à ce qu’il allait pouvoir dire par la suite. Finalement, sa phrase reprendrait, toujours dans ce ton faussement calme, comme s’il mettait son orgueil de côté.

“ - Je ne vous considère pas comme mon égal, peu importe que vous soyez maudit ou non, vous restez ma supérieure et pour cette raison, je n’ai pas à me hisser au même niveau que vous. Pour ces raisons, je veux bien cesser de parler de purge de malédiction en votre présence à tous. Jusqu’à preuve du contraire, vous serez mes camarades et tout comme je n’aime pas ressasser des souvenirs douloureux, je m’efforcerais de ne pas provoquer ce genre d’émotions chez vous.”

L’homme pouvait bien dire ce qu’il voulait, il pouvait faire les plus grandes courbettes qu’il désirait, cela n’empêchait pas qu’il dût mettre toute sa volonté pour réfréner ses pulsions qui montaient en lui. Il fallait absolument qu’il cesse de penser sous le joug d’une seule entité ; en compagnie d’Unite, il était désormais un tout, un équipage, une famille, des amis. Ne pas réussir la chose aussi élémentaire qu’était le fait de sympathiser avec le premier membre d’équipage qu’il croisait causerait beaucoup trop de problèmes par la suite. La solution de facilité aurait simplement pu être de laisser tomber cet équipage et de continuer seul comme il l’avait toujours fait… mais ce n’est pas ce que désirait Dovah. Au fond de lui, il savait que ce serait la pire chose à faire. Il n’était pas considéré comme un génie pour rien, il était parfaitement capable de savoir qu’il ne retrouverait jamais un homme comme Sakuga ni même une opportunité pareille. La vie n’est jamais un fleuve tranquille et calme, il est parfois fait de turbulences, mais si l’on parvient à les apprivoiser, elles ne peuvent que permettre d’avancer encore plus vite.

La discussion s’était plus ou moins calmée, les hostilités semblaient avoir disparues aussi vite qu’elles n’étaient apparues, mais c’était une bonne chose. La colonelle posa une question implicite dont le botaniste comprit immédiatement la signification. Doucement, il secouerait la tête tout en donnant sa réponse.

“ - Pour le moment, je ferais sans cette information. Pardonnez, mais j’aimerais en premier lieu me faire à l’idée avant d’en savoir davantage. Je voudrais bien être au courant dans deux situations : celle où je me suis finalement fait à vous, ou celle dans laquelle un danger imminent nous attaque et où il devient nécessaire de mettre une stratégie d’attaque en place. Autrement, laissons simplement le temps agir.”

Même si son ton n’était plus aussi joyeux et amical qu’à l’origine, la pointe de méfiance et de dégoût semblait avoir complètement disparu. A la place, était présent un ton plus solennel et respectueux que pourrait classiquement entendre n’importe quel gradé de la part d’un soldat au rang inférieur.

Malgré tout, que fallait-il faire désormais ? Après cet interlude, les deux avaient fini par se stopper pour discuter de manière franche l’un envers l’autre et ne plus bouger. N’importe qui passant par là commencerait à se poser des questions voire même à s’inquiéter et ce n’était pas quelque chose de nécessaire. Se raclant doucement la gorge, l’homme reprendrait la parole.

“ - Voulez-vous continuer la visite que nous avions commencé ? Ensuite, j’irais probablement me reposer un peu pour remettre mes idées en place.”

Bien que la situation parfaitement étrange dans laquelle ils se situaient avait eu pour conséquence d’installer un malaise profond, la femme sembla revenir un pas en arrière lorsqu’elle accepta la proposition du porteur de D., proposant de commencer par l’infirmerie. Les esprits simples auraient pu penser qu’ils se rendaient là bas pour mettre une fois pour toutes les points sur les I, le matériel médical n’étant pas de trop dans ce genre de situation, mais il n’en était rien. L’homme se souvenait que la femme avait évoqué sa profession de médecin lorsqu’ils avaient parlé plus tôt, c’était probablement l’endroit où elle se sentait le plus à l’aise et qu’elle connaissait le mieux.

Si Penelope claquait des dents à cause du froid, l’homme lui avait les dents serrées par la situation. Il avait à la fois envie de continuer à parler pour essayer de dissiper ce froid malaisant, mais il avait en même temps envie de cesser toute discussion. Malgré tout, il décida de mettre en avant la première option, mais sans poser de questions personnelles, restant professionnel avant tout.

“ - Vous avez quelque chose de prévu pour la Rêverie ? En ce qui me concerne, je dois me rendre sur l’île de San Faldo d’ici une semaine pour pouvoir tenter ma chance à la troisième session des examens préliminaires d’entrée de la Division Scientifique. J’aurais aimé rejoindre une mission de défense ou autre, mais cet examen est une opportunité que je ne peux pas me permettre de rater. Une mission spécifique vous est prévue de votre côté ?”

Même s’il jouait les hommes humbles, ce qu’il venait de dire était partiellement un mensonge. En réalité, il était bien content que cet examen se passe de manière simultanée, lui donnant une excellente excuse pour ne pas être affecté à une autre mission qui l’aurait sûrement ennuyé au plus haut point. L’homme aimait deux choses dans la vie : faire des recherches scientifiques et tuer des maudits et une mission de protection durant la Rêverie l’aurait probablement empêché de faire quoi que ce soit dans son intérêt, tout en l’obligeant à travailler vu l’importance de cet événement. Finalement, cet examen était une véritable aubaine pour lui.