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Les gens & MJ
Aux Portes du Rêve, Aux Tréfonds du Cauchemar
L’équipage de Karim avait grandi avec lui, et au fur et à mesure de ses aventures sur les Blues, des membres incongrus étaient venus renforcer les maigres forces de la barque qui avait navigué d’îles en îles jusqu’à devenir un navire imposant. Le bâtiment construit des mains de l’homme-loup était amarré au port, et deux figures connues des membres de l’équipage s’était tirés de celui-ci après avoir voyagé pour venir retrouver leurs amis. Finn, l’humain, et Bayt, l’homme-chèvre, étaient tous deux en train de s’avancer dans les rues dévastées de Saint-Johns où l’on nettoyait encore le sang des exécutions. A peine avaient-ils entendu parler de l’assaut qu’ils s’étaient précipités pour retrouver leurs amis, mais ils étaient arrivés trop tard. Leurs missions respectives les amenaient à côtoyer ces mers en s’éloignant du groupe, et Finn commençait à regretter cet état de fait.
Quand il arriva auprès de Karim, il vit que ce dernier observait la mer devant lui avec calme. Il avait aidé à reconstruire des bâtiments à moitié détruit, et à récupérer les corps de personnes mortes des mains de la marine. Ses yeux avaient été longtemps embués, et ils pétillaient à présent en se reflétant dans la mer. Le charpentier naval s’était approché discrètement, mais l’homme-loup le remarqua et se retourna sans inquiétudes.
- Karim, ferait-il en s’approchant derrière lui et en le serrant dans ses bras.
L’accolade ne dura que quelques secondes avant que l’homme-loup ne s’en défasse. Il se releva et sembla ignorer pendant un instant l’humain en face de lui, ce qui n’était jamais arrivé auparavant. Il y avait toujours eu une réaction, une forme de procès dans leurs échanges. Il aurait pu l’accuser de ne pas être là, il aurait pu l’accuser d’être arrivé trop tard, mais Karim n’avait pas ce type de pensées. Il réagissait par instinct, et son instinct semblait complètement sans dessus-dessous. Finn ne le comprenait pas : il voulait le comprendre mais le regard de l’hybride ne se figeait pas sur lui comme à son habitude.
- Que se passe-t-il ? Demanderait le charpentier en faisant blanchir ses jointures, tremblant, la peur s’immisçant dans son esprit progressivement.
- …
Le silence qui suivit fut plus révélateur pour Finn qu’un millier de mots de la part de Karim. Il serra la mâchoire et inspira en retenant ses larmes, puis se mordilla les lèvres vers l’intérieur en tentant d’articuler quelque chose.
- S’il-te-plaît, Karim, je… Ne…
Mais l’homme-loup ne semblait plus réagir à ces mots. Il regarda finalement Finn et ce dernier recula d’un pas, comme repoussé par l’absence de quelque chose dans les yeux de son ami. De son amant. Il le reconnaissait, pourtant l’amour qu’il avait autrefois lu de manière constante, même lors de leurs échanges les plus houleux, avait laissé place à une autre forme de considération. Une distance s’était imposée, comme un élément naturel qui se posait quand la vie éloignait deux personnes.
- Finn… Je…
Les deux hommes s’échangèrent un regard profond pendant de nombreuses secondes, sans se rapprocher. L’homme-loup était déterminé. Il abandonnait avec Finn une part de son humanité, une part de ce qui le rendait spécial. L’humain se détourna un instant mais des larmes coulaient le long de ses joues, et il s’élança vers le port avec la frêle détermination de ne pas se retourner.
La détermination était l’essence même de ce que Karim avait obtenu lors de son affrontement avec la marine. Il ne se souvenait plus du nom du vieillard, mais il se souvenait étrangement de ses paroles et de son ordre. S’il avait été plus fort, aurait-il pu l’en empêcher ? Il l’aurait souhaité en tout cas. Il y avait quelque chose de pervers dans le fait de décider de la vie de quelqu’un d’autre. Karim se souvenait des heures d’entraînement qu’il avait mis dans son Haki de l’Armement, des heures de batailles… De luttes contre Finn. C’était l’homme de sa vie, et il en avait toujours été convaincu intérieurement. Que ce soit depuis leurs dix-sept ans ou aujourd’hui… Non, aujourd’hui il n’était plus sûr de rien.
Ses convictions avaient été mises en branle par la cruauté qu’il avait rencontrée. La faiblesse était-elle vraiment de prendre une vie comme il l’avait appris ? Était-ce vraiment de n’avoir d’autre recours que de tuer pour dominer son adversaire ? Réfléchir l’obligeait à activer des neurones dont il croyait ne pas être équipé. Sa mâchoire s’était serrée lorsque Finn était parti, et il avait pris conscience qu’il ne reverrait peut-être jamais. Ce gars était… La personne qu’il aimait, mais est-ce qu’il l’aimait seulement par habitude ? Il ne pouvait pas le savoir s’il attendait toujours son retour.
Il s’était si souvent senti faible, mais aujourd’hui une détermination nouvelle était née de son expérience. La détermination de se sentir fort. Il voulait pouvoir mobiliser son pouvoir, tout le pouvoir qu’il possédait. Ou qu’il arracherait. De sa volonté était née son Haki de l’Armement : en l’utilisant, il s’était senti fort pour la première fois. Il avait éveillé ce pouvoir en affrontant une ennemie, une marine, encore une, sur l’Archipel Konomi. La blessure infligée à Shalon, la détresse de ce combat, la volonté de protéger avait parcouru son être. Il n’avait pas voulu détruire, il avait voulu protéger à l’origine.
Pourtant son Haki de l’Armement avait pris une teinte offensive ce jour-là. Il avait trouvé dans son besoin de protéger celui de vaincre. Il ne souhaitait causer la mort de personne : il avait laissé les marines sur sa route vivre, car il avait le choix de les laisser vivre. En faisant cela, combien de vies avait-il sacrifié au passage ? Combien de personnes s’étaient retrouvées bannies de l’existence parce qu’il n’avait pas décidé d’en finir avec son opposant ? Il avait été faible, suffisamment faible pour ne pas convaincre ses ennemis de leurs erreurs.
Il n’existait pas de rédemption.
Il n’existait pas de pardon.
Karim s’était posé en tailleur au milieu du terrain d’entraînement. Son Haki venait renforcer comme par pulsations chaque partie de son anatomie. La couleur noirâtre se déposait sur chaque partie de son corps avant de disparaître, comme une pulsation alors que la maîtrise de son fluide s’améliorait. Il s’entraînait peu auparavant, mais les récents événements lui avaient appris qu’il devait s’améliorer. Se renforcer. Se créer un panel de techniques pour maximiser son efficacité face à l’adversité, face à des menaces inconnues aujourd’hui.
La pulsation se renforça, et ses poings devinrent plus sombres qu’ils ne l’avaient jamais été. Il concentrait son Haki et le déployait plus régulièrement. Son corps en sueur craignait le futur : qu’allait-il devenir ? Que pouvait-il devenir ? Est-ce que Finn allait l’abandonner ? Partir ? Karim avait peur de cela au milieu de son entraînement. Son esprit n’était pas vide de pensées, il était plein d’interrogations, et ces interrogations se transformaient en autant d’insidieux serpents qui dévoraient le fruit de ses efforts. Il n’arrivait pas à surpasser ses limites.
Finn, Kyusuke, Jean-Gab, son clan, ses amis… Il doutait constamment de ses choix. Il était un mauvais père, un mauvais capitaine et un mauvais ami. Il avait découvert aujourd’hui qu’il était aussi un mauvais amant. Il était faible. Il détestait cette faiblesse. Il voulait la percer. La briser. La détruire. Son Haki revenait comme une nouvelle vague, et il sentait ses réserves s’épuiser. Pourtant, plus il les épuisait, plus il les agrandissait. Quand elles étaient vides, il créait de nouvelles réserves qui ne disparaissaient pas par la suite. L’entraînement se poursuivait pendant plusieurs heures, peut-être plusieurs jours où il alternait entre la construction, son métier, et l’entraînement, son obligation.
Ses amis vaquaient sur l’île en quête d’aide à donner. Ils ne prenaient pas le temps de venir le voir, car ils savaient. Tous savaient quel type de personne était l’Ookami. Le navire était calme, et le soir l’homme-loup ne revenait plus y dormir. Eileen était la seule à s’inquiéter. Finn avait disparu, tout simplement, aux côtés de Bayt qui était reparti aussi vite qu’il était arrivé. L’homme-loup détruisait quotidiennement le terrain d’entrainement, sans cacher la force qu’il était en train d’acquérir à une vitesse qui dépassait l’entendement. Il comprenait d’instinct ce qu’il devait faire, ce qu’il devait déployer. Son Haki se renforçait, encore, et encore. Pourtant, il n’était pas au niveau d’un Armement Avancé comme celui de son ennemi. La couleur noire qui avait recouvert son corps était encore dans son esprit. Il avait pu voir les effets de sa foudre s’amoindrir. Sans cela, l’aurait-il tué ? Aurait-il achevé le marine ?
Aurait-il dû le tuer ? Ce décisionnaire enverrait encore des innocents au casse-pipe. Il le haïssait. Il le détestait. Il voulait qu’il meure… Son Haki perdit en intensité tandis que sa soif de vengeance devenait visible sur ses traits. Et soudain, il réalisa qu’il ne souhaitait pas voir quelqu’un d’autre mourir. Il ne voulait pas que cet ennemi soit tué par son propre pouvoir. Il voulait juste passer au travers de ces défenses avec la plus grande simplicité du monde. Il voulait lui faire comprendre par ses poings que son idéal n’était rien. Shalon l’avait compris. Eileen l’avait compris. Tous deux avaient tué, et pourtant ils suivaient à présent l’idéal de Karim du mieux qu’ils pouvaient.
La couleur du Haki changea progressivement. Le noir se renforça et prit la teinte d’un rouge profond, sombre, mais rougeâtre malgré tout. Le fluide s’était déversé d’un seul coup, renforcé d’un seul coup et avait atteint un seuil qu’il ne connaissait jusqu’alors pas. Karim se mit à hurler. Plus loin, dans la ville, le cri attira quelques habitants qui virent l’homme-loup déployer son pouvoir et frapper le sol du terrain d’entrainement pour le libérer. L’impact provoqua un tremblement à quelques pâtés de maisons aux alentours.
- Il l’a fait, observerait Shalon en écarquillant les yeux, perché sur la maison. Karim a développé son armement avancé.
La fumée s’éparpillerait progressivement alors que Sasha et Shalon observaient la scène avec inquiétude. La nouvelle membre de l’équipage s’approchait avec prudence, croisant le regard de l’homme-loup qui se posa sur elle avec une certaine contenance. Elle lui sourit avant de le voir s’écrouler au sol, de fatigue. Elle écarquilla les yeux mais réagit comme une professionnelle de la médecine qu’elle était, et une fois qu’elle eut pris ses constantes, elle poussa un soupir de soulagement qu’elle adressait surtout à Shalon :
- Il est juste fatigué.
- Comment a-t-il réussi à développer son Haki de l’Armement Avancé en quelques jours seulement ?
- … Je l’avais déjà ressenti lors de notre combat avec le Vice-Amiral Aksoum, mais Karim se bat à l’instinct. Il doit avoir ressenti que c’était l’heure pour lui de l’éveiller. Beaucoup de grands noms ont ce type d’éveil, mais lui… Il est particulièrement instinctif.
- Il ne parle jamais de lui, ni de son passé. Quand il a annoncé que nous allions rencontrer quelqu’un, je ne savais pas de qui il s’agissait… Pourtant, cette personne…
Sasha acquiesça. Elle en connaissait des personnes mystérieuses, mais Karim l’était tout particulièrement pour elle qui venait de le rencontrer. Elle comprenait cependant sa détermination, et se contenta de sourire en posant sa tête sur ses genoux.
- Laissons-le se reposer un peu ici avant de le transporter.
L’homme-bouc acquiesça et s’assit aux côtés du duo. Ils avaient progressé, et à présent ils pouvaient prétendre au Nouveau Monde. Une petite voix lui disait que tout irait bien. Une autre lui soufflait tous les dangers auxquels ils allaient se confronter. Il se relèverait alors : il fallait qu’il forme Aichounne à la navigation de Grand Line.