L'année 1505 de Seiran Yurei était quelque peu particulière pour lui. À son échelle c'était le commencement de beaucoup de choses mais l'avenir lui prouvera qu'encore bien des choses lui restait à entamer. Qui aurait pu croire qu'en cette année qui sonnait ses 19 ans sa soif de liberté l'aurait amené à infiltrer clandestinement un navire de la marine dans le but de rejoindre Luvneel et la Révolution ? À vrai dire, ceux qui le connaissaient auraient pu s'en douter mais qui le connaissait vraiment en ce temps ? Il s'était éloigné de son sang faute de pouvoir être lui-même avec sa famille et ses amis proches avaient fini par se perdre de vue à la séparation de leur gang des rues qui n'était au final qu'un petit groupe de truands adolescents un peu trop turbulents.

Partant de son nid de Seppen Town le destin l'avait emmené sur Yakoutie. Le bateau dans lequel il s'était invité s'y était arrêté et c'est dans son garde-manger qu'il avait fini par se retrouver maudit par le démon des neiges. C'est à cet accostage qu'il se convainquit qu'il n'était pas encore temps de rejoindre les rangs de l'Armée révolutionnaire. Recevoir la malédiction lui donnait un signe qu'il devait d'abord s'entraîner à sa pratique faute de quoi il ne serait qu'un boulet alourdi par des capacités trop dangereuses. C'est ainsi qu'à partir de 1505 Yurei se retrouvait sur l'île de Yakoutie pendant deux ans. Deux années durant lesquelles il parcourrait la campagne, les hauteurs, les falaises, les vallées, les campements, les bois, les villages, les bibliothèques, les hauts lieux, les tavernes, les marchés et les plaines abandonnées pour en apprendre plus sur le monde et sculpter les neiges qui le parcouraient.

Cela faisait quelques mois seulement que le Trublion avait atterri ici. Il était certes plus familier à l'usage de ses pouvoirs mais ces derniers lui demandaient toujours une consommation d'énergie qu'il trouvait bien excessive. En parallèle, il devenait un trappeur de plus en plus aguerri, compétence essentielle à la survie en de tels lieux. Traversant les sentiers escarpés d'une montagne, c'était un jour de plus où le Maudit mettait son corps à rude épreuve pour s'entraîner. Le corps devait passer avant les pouvoirs, c'était en ce sens qu'il voulait gravir ce sommet avant de laisser son fruit s'exprimer. Et puis il serait à l'abri des regards aussi. Pas même les bandits des montagnes osaient s'aventurer là où Yurei se rendait, il n'était pas bien exceptionnel mais ses nouveaux dons le rendaient apte comme personne au domptage de tels environnements.

Un petit village miteux se situait en contrebas de la montagne tandis qu'un autre massif lui faisait face. Ce genre de paysage escarpé n'avait rien d'exceptionnel pour l'île mais il fallait avouer que choisir de s'y installer n'était pas très judicieux. Les vents balayaient les habitations et des disparus étaient à déclarer au moindre éboulement. Les habitants préféraient d'ailleurs prier qu'une avalanche ne leur tombe pas dessus plutôt que de se relocaliser. L'altruisme du jeune homme faisait qu'il venait souvent en tournée ici en proposant la viande qu'il chassait à un prix dérisoire, se faisant passer pour un marchand plus qu'abordable plutôt qu'un héros qui viendrait leur apporter la nourriture dans le bec. Certes le Trublion avait de quoi faire subsister ce village à lui tout seul mais il savait très bien que les rendre dépendants de son secours pourrait ultimement causer leur perte. Et même s'il le voulait, ce hameau n'était pas le seul lieu sur Yakoutie qui pourrait bénéficier de son coup de pouce.

Parcourant les sentiers, le jeune homme habillé bien insuffisamment pour une telle température jouissait d'une vue imprenable sur la splendeur escarpée que le paysage de Yakoutie avait à offrir tout particulièrement sur le mont face à celui qu'il était en train de grimper et au village en contrebas. C'est au cours d'une pause méditative la natte balayée au vent froid qu'il remarqua un vrombissement très peu discret au sommet qu'il inspectait de loin.

- Qu'est-ce que ... une avalanche ? s'exprimait-il avant de vite jeter son regard sur les habitations fragiles en contrebas. Bordel de merde !

Le Blond sortait alors immédiatement du sentier rocheux à ses pieds pour rejoindre le hors-piste et dévaler la pente comme si ses pieds ne faisaient qu'un avec la poudreuse au sol. Il serrait les dents.

« Si ces imbéciles ne faisaient pas "qu'espérer" qu'une avalanche ne leur tombe pas dessus ... Qu'est-ce qu'ils font si je suis pas là ? »

Habillé d'une cape de tissu blanche loin d'être aussi épaisse que les manteaux de fourrure locaux, Yurei redressa sa capuche pour couvrir son visage. Il allait devoir utiliser ses pouvoirs pour arrêter cette avalanche, c'était inévitable. Lui qui ne souhaitait pas se faire remarquer allait donc devoir se débrouiller pour ne pas être reconnu. En plus d'avoir masqué son regard avec sa capuche il relevait donc une écharpe pour cacher le reste de son visage. Il ne supportait pas l'idée que quelqu'un à Yakoutie puisse éventuellement l'associer à ses pouvoirs. Il souhaitait s'entraîner tranquillement, pouvoir se mêler à la foule s'il le voulait et le statut de sauveteur des montagnes ne l'intéressait pas, encore moins celui de héros. Bien entendu il agissait pour le bien commun, mais il le faisait discrètement et en faisant passer ça pour des accidents. Les choses viendraient peut-être à changer une fois son aventure révolutionnaire commencée mais pour l'instant il voulait se faire tout petit.

Yurei dévalait la pente à toute vitesse mais l'avalanche encore plus. Ce n'était pas suffisant. Jaugeant les environs il basculait son regard à gauche et à droite à la recherche d'un chemin plus favorable avant de finalement porter son attention sur le ravin.

- ... On y va.

Il se déporta alors pour se jeter dans le vide non sans bénéficier d'un tremplin rocailleux. Main sur la capuche pour la maintenir, Yurei fendait les airs en piqué vers le sol. Il savait qu'il ne craignait rien. Il bénissait cette nouvelle liberté que lui accordaient ses pouvoirs. Se réceptionnant en silence en se fondant dans la neige, le Trublion réapparut assez vite pour ériger une sorte de mur d'un côté du village sur son chemin. Il se dirigeait clairement vers l'avalanche qui était en train d'arriver.


Arrivé clairement dans le chemin prévu de l'avalanche, Yurei se mit à genoux pour plonger ses deux mains dans la neige. À l'intérieur, il déploya son élément pour le confondre avec la poudreuse déjà présente au sol et pouvoir la réutiliser en déplaçant la sienne et quand le moment fut venu la neige qui couvrait le sol commença à bouger en masse. Relativement novice dans son art une quantité astrale d'énergie lui serait demandé à l'exécution de son plan mais cela valait bien moins que la moindre maison possiblement touchée derrière lui. Allant chercher la force nécessaire d'un rugissement profond, le futur révolutionnaire réussit à créer une sorte de "contre-avalanche" qui viendrait face à celle qui tombait actuellement en mêlant son élément à la neige déjà présente. Ce n'était pas chose aisée compte tenu du fait que la pente n'était pas de son côté mais comme précédemment dit le prix serait trop fort à payer s'il ne se mettait pas en danger.

Un tambour incessant secouait le sol, des trombes glacées se déchaînaient et enfin l'avalanche venait rencontrer l'instrument de la volonté de Seiran Yurei. L'égide était dressée et l'avalanche continuait ... mais dans une autre direction. Couper court à sa course était inenvisageable en tout cas pas pour les bras du jeune homme mais le choc de la rencontre des deux avalanches avait permis d'envoyer le flux se relocaliser sur le côté et ainsi épargner le village sauf peut-être de quelques vents violents et neige projetée mais rien qui ne mettrait qui que ce soit en danger. Peut-être qu'une malheureuse personne se trouverait sur le chemin retracé, quelqu'un qui n'était pas destiné à subir ça voire à mourir mais c'était le dilemme du tramway, un problème moral à résoudre pour le bien du plus grand nombre. Yurei avait choisi. La rencontre des deux vagues avait également fait disparaître le jeune homme qui était à son épicentre mais avant cette explosion il avait pu en remarquer un autre un peu plus jeune lui passer par dessus comme si la neige avait formé un toboggan exprès pour lui permettre de vivre une séance extrême de luge à sensation.

Tant bien que mal, l'Aigle blanc sortait de la masse difforme de poudreuse qu'avait laissé le choc des courants. Constatant l'air bien trop enjoué du sabreur volant et le manteau blanc qui le couvrait, son sang ne fit qu'un tour. Yurei n'aimait pas les Marines, ça ne surprendrait personne. Mais il ne les agressait pas au premier abord. Cet apriori négatif, l'insouciance de l'enfant et la direction dont celui-ci provenait fit directement supposer au blond que c'était Daiki qui était à l'origine de tout ça. D'un pas ferme et d'une voix pas moins marquée, il se dirigeait directement vers lui en lui adressant quelques mots tout droit sortis de sa colère :

- Hé, ducon ! Toi ! Tu aurais pu tuer tout un village ! Quel genre d'irresponsable es-tu ? Comment peux-tu sourire avec autant de joie ?

Maintenant que ses émotions avaient été défoulées la vision en tunnel de Yurei s'élargissait un peu, presque comme s'il découvrait ce qui l'entourait maintenant que l'adrénaline de son intervention et la colère de son constat redescendaient. Des plantes ? Elle n'étaient pas ici avant. Elles sentent ... bons. Sont-elles là pour attirer les foules avant que l'avalanche n'arrive ? Mais surtout il y avait une autre personne, un autre manteau blanc, un Marine décoré de quelques galons. Yurei ne savait vraiment les décrypter, Commandant ? Contre-Amiral ? Lieutenant ? Il ne savait pas vraiment et ça lui importait peu. Il n'hésiterait pas à s'en prendre à lui s'il intervenait là-dedans. En attendant, le Blond avait dû exposer ses pouvoirs alors il allait devoir fondre retourner dans la discrétion après tout ça et s'assurer que son visage restait couvert. Ses yeux demeuraient visibles et traduisaient son mécontentement.

Cette prairie n'était pas là avant, ni ses gradins. Yurei ignorait l'étendue que pouvaient prendre les pouvoirs d'un fruit du démon mais celui-ci semblait bien extravagant. Lui qui trouvait déjà assez atypique de pouvoir être un homme-neige ... En l'instant, le Marine semblait pouvoir modifier le terrain avec plus d'aisance que Yurei n'avait à répandre son élément. Terrifiant.


À la suite, le paria pas spécialement adepte des marines demeurait sur ses gardes. Le sabreur prit alors la parole pour exprimer un semblant de Mea Culpa. Tout n'était peut-être pas à jeter, alors ? N'a-t-on pas tous commis des erreurs plus jeune ? À son âge, Yurei tendait des traquenards à des soldats et dégradait des biens publics en plus de souvent dormir dans la rue. Bon, il ne manquait pas de détruire un village, il fallait dire ...

- C'est le moins qu'on puisse dire ... déclarait-il dans un quasi marmonnement. Mais au lieu de te chercher des justifications, concentre-toi plutôt sur les villageois. C'est à eux que tu dois t'excuser.

Le Serpent à l'Éventail s'avançait ensuite de quelques pas dans la neige de Yakoutie en clamant sa paternité sur l'autre indigent. Le Maudit déclarerait en guise de réponse un vif « C'est donc à ça que ressemblent les journées "Amenez votre enfant au travail" dans la Marine ? » presque à lui-même, quoiqu'il ponctua sa phrase d'un rictus dissimulé par son écharpe mais transparent dans son intonation. Ne s'arrêtant pas là, il dévoila l'âge dudit fils. À quatorze ans, Yurei aurait-il pu survivre à une avalanche avec tant d'aisance ? Même si ce n'était pas le cas de chacun d'entre eux, plusieurs animaux portaient également les marques de la chasse de Daiki. Le Blond aurait-il pu en amasser autant à son âge ? voire même aujourd'hui, en si peu de temps ?

Qu'en était-il de la colère évoquée par le Vice-Amiral ? Bien évidemment le Cornu en débordait. Il était automatiquement sur la défensive quand il s'agissait de Marines qui incarnaient selon lui l'essence de l'impunité. Il était fort probable selon Yurei que si l'avalanche avait bel et bien atteint le village, Daiki n'aurait souffert des mêmes sanctions que le commun des mortels, du moins selon le Révolutionnaire dans l'âme. Le Gradé semblait cela dit relativement calme, laissant s'élever une asymétrie entre son accalmie et la rage du Nivéen. Comment pouvait-il en être autrement ?

Ne sachant encore comment mettre des mots sur cette rage, Yurei se retint la moindre tirade sur ses convictions. À vrai dire, Ghetis lui apprenait à quel point sa colère pouvait être automatique et instinctive, le Maudit ne l'avait pas encore remarqué. De la même manière, il observait pour la première fois l'éclosion de pop green et la versatilité que pouvait avoir cet art. Beaucoup de découvertes aujourd'hui, décidément.

S'en suivirent les présentations où Yurei apprit qu'il faisait face à un Vice-Amiral, « rien que ça... ». Il avait déjà pu voir des Contre-Amiraux à Seppen Town mais un Vice-Amiral ... Même s'il n'avait pas eu pour projet l'assassinat de ces mouettes dès qu'il les avait rencontré, il allait devoir rester relativement sage et éviter les effusions si la discussion venait à tourner autour des valeurs de chacun ou les aspirations personnelles. Ghetis Archer proposa alors à Yurei de les rejoindre, sa réponse ne fut pas directe, il l'adresse même à Daiki :

- Écoute papa pour une fois, tu veux bien ? répliquait-il avec un sourire face aux protestations du petit Archer. Et quand on vit dans ce pays on apprend à cacher son visage pour se protéger du froid.

Même si le froid était hors d'atteinte du corps élémentaire de Yurei, il fallait bien trouver une justification à son visage masqué. Ce dernier ignorait cependant que ce mensonge ne passerait probablement pas avec Ghetis. Le révolutionnaire-en-devenir ne pouvait soupçonner que le serpent noir en pleine croissance disposait de tant d'informations sur le fonctionnement des fruits du démon et sur le sien, de surcroît.

Il pressa ensuite le pas pour se rapprocher du duo de marines. D'ordinaire, il aurait décliné la quête du Vice-Amiral et aurait continué ses propres activités en solitaire ... jusqu'à ce que Daiki ne décide de s'y opposer. Un soudain esprit de contradiction le posséda et le força à accepter dans le seul et unique but de faire chier le gamin. Une réflexion de l'Amiral revint alors à l'esprit du Trublion qui  s'empressa de partager au rythme de ses pas :

- Vous n'avez pas peur qu'en assistant le village en le renforçant de vous-même vous ne leur fassiez un mauvais service ? Il prit un instant de pause pour laisser l'information atteindre leur pensée. Ça risque de créer une dépendance, comme un oisillon qui attend le bec ouvert que sa mère le nourrisse. Ils resteront faibles et ne s'affranchiront de rien, à moins que ce soit votre objectif ? À cette dernière remarque, Yurei ajouta un regard suspicieux qu'il traîna jusqu'aux yeux de Ghetis.

Il s'était promis de rester discret quant à sa méfiance envers les Marines et le voilà qui portait déjà des accusations à demi-mot. Le mal était fait. Et puis finalement, Yurei était resté relativement modéré comparé à ce dont il était capable d'ordinaire.

- Il faut leur donner les outils pour résister, s'affranchir, mais il faut les laisser les manier. Autrement ce ne seront rien d'autre que des assistés et ils resteront faibles.

Que pensait la paire de tout ça ?