-C’est magnifique, vraiment. Exactement ce qu’il me fallait, merci encore.
-Bien, ça fera trente millions de berrys.

Deux améthystes figées derrière des vitrines mi-closes, l’inventeur avait annoncé son prix à ce frêle gars qui lui faisait face. Ce prix exorbitant avait été volontaire, bien sûr qu’il fit tomber la mâchoire du vieil homme au visage tiré par la vie, au dos tassé par les années. Ce tarif excessif était déconnecté de celui annoncé lors de sa première prospection : pouvait-il seulement se permettre de réaliser tel achat ? Son regard fatigué s’apposa sur la prothèse faite d’acier et de roues dentelées tenue par la griffe du démon lui faisant face. Un diable qui se délectait intérieurement du spectacle. Alors, ses économies pour octroyer une seconde chance à sa fille : allait-il signer ?

-Serait-il au moins possible de négocier ?

Sous l’ombre de sa casquette cirée, les sourcils de l’homme-démon se redressèrent. Il avait pourtant dit son dernier mot.

-Dégage petite merde, tu m’fais perdre mon temps. Et la prochaine fois que tu reviendras, ça sera soixante millions. T’as pigé ? Casse toi le vioc’
-Mais…

Une détonation fendit les tympans du vieillard, la balle s’était figée sans préavis dans le mur derrière lui. C’était là son dernier avertissement, le Dekhamemnom avait fait preuve de patience.


Orm Dekhamemnom

Une fois le bougre ayant déguerpi avec ses larmes et son piètre combat, un môme lui succéda pour se planter devant le bureau en alliage rouillé du prothésiste infernal. C’était ce titre là qu’on lui avait affublé, du moins sa clientèle : sa connaissance et maîtrise de la technologie de Meka Island lui avaient permis de concevoir différents modèles de prothèses mécaniques pour substituer des membres du corps humains. Cependant, au fil du temps, il avait détourné son activité première afin de rendre son concept plus intéressant : concevoir de véritables exosquelettes utilisables par n’importe qui, afin de booster ses capacités physiques par son biais. C’était devenu son métier et il le faisait pour ses deux passions : la technologie et l’argent. Et, bien malheureusement, la seconde primait sur l’autre. Aussi, sans ce moteur alimenté, l’homme n’était pas forcément le plus simple à intéresser et à motiver. A moins de lui présenter un projet intéressant qui serait susceptible de repousser les limites de ses connaissances et surtout de lui permettre d’être le premier à explorer un domaine nouveau. C’était qu’il courrait après ce genre de pics d’adrénaline, en plus de pouvoir satisfaire son ego en démontrant sa possible supériorité sur ses pairs.

L’on disait qu’il était exigeant et peu avait réussi à travailler sur le long terme avec lui, le moyen terme étant une sacrée réussite en soi. Entre l’exclusivité qu’il souhaitait et qui semblait unilatérale ainsi que les rumeurs contant qu’il était lié à quelques pirates, il y avait un lot de raisons qui repoussait les gens à venir travailler avec lui. Et, pourtant, certains y étaient bien contraints, n’hésitant à faire des concessions, puisqu’il s’agissait-là du meilleur dans ce domaine.

-Bon, l’autre blaireau a encore raté ses essais tu m’dis ? Balança Orm au gamin fixé devant lui.
-Ou… oui, ça semblait un peu mieux que la dernière fois. La prothèse semble conçue, mais elle ne tient pas les charges.
-Rurururu, quel tocard ! Bien, retourne à tes tâches et dis-moi s’il a des avancées. Faudrait peut-être que je le fume maintenant, qui sait.

Phil Osborn

Entrepôt B-17, à proximité de la décharge, dans la pénombre d’un laboratoire mécanique des étincelles giclant par saccades vinrent illuminer le faciès rugueux de l’Osborn. Derrière ses lunettes de protection, l’on pouvait deviner un regard de braise, expression d’une détermination sans faille. Plutôt de celle d’un homme pieds au mur, face au précipice, qui n’avait d’autre choix que de réaliser le saut de l’ange en espérant que sa seule force mentale allait le sauver du sol qui l’attendait.

Depuis plusieurs semaines Phil s’était enfin décidé à quitter sa chambre dans laquelle il déprimait pour s’activer à reprendre son activité. Il aurait commencé par se donner un nouvel avant-bras, plus permissif que celui que mère nature lui avait octroyé, puis Phil se serait alors élevé. Il avait déjà rencontré Orm lors de sa première venue sur Meka Island, mais face à son caractère rebutant et ses façons de faire, l’ingénieur qui autrefois avait consacré son temps et son bras à la révolution avait décidé de se recroqueviller sur lui-même.

Le blondinet n’avait jamais réellement eu d’objectif dans sa vie ni de réelle satisfaction de l’homme qu’il était devenu. Certes, son talent d’ingénieur lui permettait de concevoir un tas de choses, surtout de l’armement, et cela lui avait permis de se dégoter une femme à la cause révolutionnaire. Elle lui avait mis le grappin dessus, en quelque sorte, lui implantant ses convictions pour qu’il puisse servir ses propres objectifs et ceux du mouvement. Le temps fit son affaire puis il perdit son bras. Face à l’inutilité d’un estropié, pour sûr la femme délaissa son outil devenu caduque. L’Osborn s’était fait rouler, à défaut d’avoir des compétences dans l’ingénierie, c’était les compétences sociales qui lui avaient fait défaut.

Désormais il ne se serait plus laissé avoir et allait se refaire une vie. Servir sa propre cause qui restait à définir. Avant toute chose, il devait se recréer. Son bras mécanique à vérin et tubes d’alliages lui semblait au point pour une utilisation classique, pour autant et tout comme Orm, lui aussi voyait plus grand.

-Phil Osborn à l’appareil.
-Coucou Phil ! Alors, ça se passe tes prototypes ? On commence le scale-up ?

Son escargophone avait sonné, comme quasiment chaque jour, il avait cette femme sur les côtes. Encore une. Jill Ironsworm, son visage d’ange et sa peau aux reflets cuivrés lui revinrent en tête. Cette demoiselle avait un atelier à nourrir, son unité pilote attendait nombreux projets pour débuter son activité. L’originaire de Meka Island vendait ses services en faisant la promesse que son unité permettait de produire à la chaîne, pour des petites séries, avec un niveau de reproductibilité fiable. Avec son système Jill aurait certainement la possibilité de faire des productions plus importantes, mais elle était ici contrainte par la taille de son équipe, elle et son collègue, pour lancer chaque batch puis l'analyser en qualité. Son collègue s'occupait du service qualité, post-production, s'assurant que les pièces produites étaient conformes aux spécifications attendues. Celles-ci prenaient cependant du temps à définir, mais c’était un mal pour un bien dans le milieu.

-Je… je te rappellerai quand je serai satisfait de mon œuvre.

Selon le projet que son atelier accueillerait pour se lancer, peut-être que l’Ironsworm aurait eu une bonne exposition et ainsi aurait pu obtenir des fonds pour développer son affaire : d'une simple unité pilote à un tas de ligne de productions. C’était sans compter une personne qu’elle ne pouvait blairer.

Pulupulupulu. Encore un appel.

-Allô ? Phil ? Comment ça va mon pote. Si t’as besoin d’un coup de pouce n’hésite pas, ma ligne et mes gars attendent tes patrons.

Bel Grann, treize années de bouteille dans la production, les vérins et rouages qui s’assemblent c’était son délire. Elle avait déjà une ligne qui avait un assez bon turnover, elle n'attendait plus que les directives et le feu vert de l’Osborn. Son équipe et elle lui vantaient toujours leurs possibilités de produire des choses complexes en bonne quantité : cela paraissait irréel, l’était-ce donc ? Bel en était sûr, ce mec là allait relancer son activité. Si elle dégotait l’exclusivité avec lui, elle aurait pu se lancer avec son équipe de quatre types pour produire ses pièces en semi-automatisés et commencer à commercialiser les produits. Qu’importait combien ça lui aurait coûté, elle voulait se faire un nom. Avec un bon nom, elle aurait pu travailler avec les plus grands et enfin tutoyer les cieux.


Jill Ironsworm ; Bel Grann

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